La persicaire (Polygonum persicaria) et le poivre d’eau (Polygonum hydropiper)

Fleurs de persicaire

L’histoire de la persicaire se réduit à une peau de chagrin ou mieux à l’état d’un confetti si petit qu’on peut tout juste y écrire ce signe : ? Le poivre d’eau, lui, a fait couler un peu plus d’encre. Mais pas des litres non plus. Dans Dioscoride, il est présenté comme une plante aux feuilles sans odeur et au goût semblable à celui du poivre… On les utilisait déjà comme condiment à cette époque. Médicalement, ces mêmes feuilles fraîches ainsi que les graines étaient triturées de telle sorte qu’on puisse les appliquer sous forme de cataplasme sur les ecchymoses, les enflures et les tumeurs indurées. C’est, au sujet de cette plante, tout ce que Dioscoride et Galien en disent, et dont il nous faudra nous contenter, surtout que la très longue période médiévale suivante n’en dira tout bonnement rien. On retrouve néanmoins le poivre d’eau 1500 ans après Dioscoride, sous la plume de Matthiole. Pour ce dernier, l’hydropiper de Dioscoride ne peut être que le poivre d’eau. Mais, selon toute vraisemblance, ça n’était pas si évident pour les contemporains de Matthiole. Ainsi dut-il se bagarrer comme un beau diable pour faire entendre raison et admettre l’évidence. Par chance, il n’omet pas d’en mentionner quelques usages, non pas médicinaux, mais domestiques : « On étale la plante fraîche dans les lits pour y tuer les puces ; on la jette le lendemain matin. Le lard salé entouré de poivre d’eau se trouve préservé des vers. » C’est donc une plante censée écarter la vermine au sens large et pourrait être utilisée dans ce but dans une pratique magique.

La persicaire doit son nom en raison de la similitude existant entre la forme de ses feuilles et celles du pêcher. C’est bien là le seul point commun qui puisse être signalé entre cette humble plante et cet arbre fruitier. En revanche, regrouper persicaire et poivre d’eau relève d’une proximité botanique, ces deux plantes étant toutes deux des Polygonacées, s’apparentant donc aux renouées (bistorte et des oiseaux), bien qu’annuelles, mais possédant bel et bien des tiges rameuses marquées de nœuds. Hautes de 20 à 80 cm à pleine maturité, persicaire et poivre d’eau portent des feuilles alternes, étroites et allongées, vert brillant, brièvement pétiolées. Celles de la persicaire s’ornent en leur centre d’une tache brune noirâtre en forme de croissant expliquant le nom de fer à cheval parfois accordé à cette plante. Les fleurs, de roses à rose blanchâtre, s’égrènent sous forme d’épis terminaux, petits et denses chez la persicaire, long et grêles chez le poivre d’eau, la première fleurissant au début de l’été, la seconde presque à son achèvement, étendant l’une et l’autre leur floraison très en avant dans l’automne.
Assez fréquentes à très communes, ces deux plantes manifestent une préférence très nette pour les sols humides, argileux et azotés de toutes les régions, tels que les berges de rivières et d’étangs, les fossés, les terrains vagues et tourbeux, les marais et parfois mêmes des zones semi-immergées en ce qui concerne le poivre d’eau qui, comme son nom l’indique, est davantage aquatique que la persicaire.

Poivre d’eau (à gauche)

La persicaire et le poivre d’eau en phytothérapie

Il est pertinent de regrouper sous cette même rubrique la persicaire et le poivre d’eau, bien qu’il existe de l’une à l’autre des différences notables. Que l’on considère ces deux herbes entières sans racines, on remarque, chez l’une et l’autre, l’absence de toute odeur : en revanche, côté saveur, l’on pourrait être surpris de ce que ces deux Polygonum, herbes ordinaires, puissent développer une saveur piquante chez la persicaire, qui devient âcre, poivrée, brûlante même chez le poivre d’eau. Et, en effet, l’on trouve chez ce dernier un principe âcre et amer qui fait défaut dans la première, une grosse proportion de tanin, des acides (formique, gallique, malique, acétique, mélissinique, valérianique), des sucres (fructose, glucose), des sels minéraux (fer, potassium), etc. Dans la persicaire, l’on croise aussi du tanin, mais dans une moindre mesure (1,2 %), des acides (gallique, malique, oxalique : 5 %), des sucres, de la cire (2 %), du mucilage et de la pectine. Au registre des points communs, notons la présence de phytostérine dans ces deux plantes, ainsi qu’une essence aromatique dont celle de poivre d’eau se distingue par une cétone, la polygonone.

Propriétés thérapeutiques

  • Persicaire : hémostatique, emménagogue, tonique, stimulante, pectorale, diurétique, astringente, détersive, rubéfiante
  • Poivre d’eau : hémostatique, vasoconstricteur, régulateur des règles trop abondantes, tonique, stimulant, diurétique, dépuratif, astringent, détersif, rubéfiant, vésicant, résolutif, sédatif, vermifuge

Usages thérapeutiques

  • Persicaire :
    – Troubles de la sphère vésico-rénale : catarrhe vésical, hématurie, goutte, rhumatismes
    – Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, métrorragie, dysménorrhée, ménopause
    – Affections cutanées : plaie, ulcère, ulcère gangreneux
    – Diarrhée
    – Jaunisse
    – Hydropisie
    – Scorbut
    – Carie dentaire
  • Poivre d’eau :
    – Troubles de la sphère vésico-rénale : catarrhe vésical, hémorragie vésicale, lithiase urinaire, goutte, rhumatismes, dysurie
    – Troubles de la sphère respiratoire : hémorragie pulmonaire, hémoptysie, angine, pharyngite, ulcération pharyngée
    – Affections bucco-dentaires : maux de dents, odontalgie, aphte
    – Troubles de la sphère gynécologique : hémorragie utérine (liée ou non à la présence d’un fibrome utérin), endométrite chronique, métrite, métrorragie, dysménorrhée, aménorrhée, ménopause
    – Troubles de la sphère gastro-intestinale : hémorragie gastro-intestinale, vomissement de sang, colique, flatulences, diarrhée
    – Troubles de la sphère circulatoire : hémorroïdes, varices, varicocèle, distension des veines intracrâniennes
    – Affections cutanées : plaie, ulcère, ulcère atonique, ulcère sordide, escarre, gangrène, gale
    – Œdèmes et engorgements : engorgement séreux, glanduleux, lymphatique, œdème, hydropisie, anasarque

Modes d’emploi

  • Infusion.
  • Décoction aqueuse ou vineuse.
  • Suc frais.
  • Poudre de feuilles.
  • Cataplasme de feuilles fraîches : la persicaire et surtout le poivre d’eau remplacent la moutarde en externe. De par leurs propriétés rubéfiantes et vésicantes, ces deux plantes peuvent tout à fait se prêter à la pratique du sinapisme.
  • Friction de feuilles fraîches.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : persicaire et poivre d’eau se cueillent durant tout l’été et s’emploient exclusivement à l’état frais. Du poivre d’eau, l’on dit que la plante fructifiée fraîche est encore plus active.
  • Le poivre d’eau en excès peut être nuisible, irritations et inflammations internes sont toujours possibles. C’est le cas à travers son effet diurétique : celui-ci « ne peut avoir lieu qu’autant que les reins sont dans un état d’atonie : la surexcitation de ces organes, non seulement s’opposerait à cet effet, mais encore rendrait très nuisible l’action de cette plante » (1).
  • La dessiccation et la coction amoindrissent l’énergie du poivre d’eau et, donc, ses effets.
  • Alimentation : bien que la volaille se repaisse volontiers des graines de persicaire, celles du poivre d’eau semblent avoir suscité l’intérêt de l’homme depuis des temps très reculés : on a décelé de ces semences dans certaines stations préhistoriques. Il est possible que l’usage condimentaire du poivre d’eau remonte bien avant l’introduction du poivre noir (Piper nigrum) en Europe occidentale. Il n’en reste pas moins que le poivre d’eau peut allégrement jouer le rôle de substitut, comme au Japon où ses feuilles assaisonnent les sashimi.
  • Les racines de persicaire et de poivre d’eau, par leur tanin, servirent au tannage des peaux, et leur feuilles à l’obtention d’une teinture jaune à jaune rougeâtre.
  • Autre espèce : la persicaire odorante (Persicaria odorata).
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    1. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 736.

© Books of Dante – 2018

Feuilles de persicaire portant la caractéristique marque en forme de croissant