Le muguet (Convallaria maialis)

Synonymes : muguet de mai, muguet des bois, lis de mai, lis des vallées, clochette des bois, grillet.

Une Antiquité muette, un Moyen-Âge balbutiant n’ont guère laissé de traces au sujet du muguet en ce qui concerne la pratique phytothérapeutique de cette plante, n’apparaissant que très tardivement au XIV ème siècle, et encore pas sous son nom actuel puisqu’on l’appelait lilium convallium, le lis des vallées. Pourtant, le mot muguet existait déjà à cette époque, depuis au moins deux siècles, mais s’appliquait aux noix muguettes, autrement dit les noix de muscade, muguet n’étant que la déformation du mot musqué, parfum particulier que l’on attribuait tant à la noix de muscade qu’à l’odeur du rhizome du muguet, semblerait-il, très proches olfactivement. L’on aurait pu l’appeler épice des bois, mais l’on a préféré le placer sous le lignage du lis, fleur royale. A ce titre, il est pâtant que le muguet disposa d’une influence aristocratique : dès le XVI ème siècle, son parfum capiteux fut très prisé des hommes de la haute société ; ces galants et élégants parfumés se livraient à une pratique qui perdura jusqu’au XIX ème siècle par l’intermédiaire d’un verbe : mugueter. L’on disait du mugueteur qu’il muguete, c’est-à-dire, dans un langage plus actuel, qu’il flirte, qu’il drague. Le mugueteur de dames était donc un courtisan. Pour stationner encore un peu dans la cour royale, mentionnons le fait que le roi de France Charles IX instaura la tradition d’offrir du muguet comme porte-bonheur en 1561. Symbolisant aussi le renouveau et l’amour, tout cela cadre fort mal avec le personnage de Charles IX, un roi violent, extravagant et débauché. A mon avis, il doit y avoir erreur sur la personne, mais il n’en reste pas moins que, même avant le XVI ème siècle, le muguet était une plante de fiançailles, les brins à treize clochettes étant particulièrement convoités, ce que, en souvenir, nous retrouvons dans les noces de muguet fêtant treize années de mariage. Plus qu’à la cour de ce monarque cruel, c’est bien plutôt auprès de la médecine populaire qu’on verra prendre place le muguet qui n’entrera dans la médecine officielle qu’au XVI ème siècle durant lequel des médecins allemands furent informés par des empiriques russes des propriétés médicinales du muguet que Matthiole relatera en ces termes en 1554 : le muguet « fortifie le cœur, le cerveau et toutes les parties nobles du corps. Pour laquelle cause il est bon aux paralytiques, à ceux qui ont le haut mal, aux spasmes, aux vertiges, aux défaillances et battements du cœur ». C’est ce qui explique qu’on a longtemps pensé que le muguet confortait le cœur, dans le sens de « fortifier ». La prescription du muguet contre la faiblesse cardiaque ne date donc pas d’hier. En 1765, le médecin allemand Johann Friedrich Cartheuser rapportait dans sa Matière médicale que le muguet valait aussi contre les palpitations, les malaises, la mélancolie et qu’il permettait de rendre la mémoire en raison de la sensation de dégagement du cerveau que procure l’inhalation de fleurs, en particulier de poudre de fleurs sèches dont on se sert comme du tabac à priser. En effet, sous cette forme, le muguet est un puissant sternutatoire agissant sur les maux de tête invétérés, les céphalées, les fluxions des yeux et des oreilles, etc. En France, c’est surtout cette propriété qui prévalut jusqu’au XIX ème siècle, la France restant rétive (comme souvent du reste) à ce qui se faisait outre-Rhin. On lui concéda aussi un rôle de purgatif et d’émétique, ainsi que d’antispasmodique, raison pour laquelle on en conseilla l’usage chez les épileptiques.

Cette plante, symbole du printemps et de son premier mai, est une petite vivace rustique vivant en colonies, signe évident de la présence de rhizomes souterrains fortement ramifiés, portant des feuilles lancéolées, légèrement plissées le long de la nervure centrale. Elles sont prioritairement groupées par deux (plus rarement par trois ou quatre), en fourreau engainant autour de la tige. Dès le mois d’avril, on voit apparaître une hampe florale décorée de grelots parfumés. Blanches, alternes, toutes dirigées du même côté, ces fleurs mesurent entre 5 et 10 mn, et portent chacune six petites dents retroussées vers l’extérieur de la corolle. Puis, la saison estivale avançant, de petites baies rouge écarlate viennent remplacer les fleurs. Notons qu’en certaines années, il peut y avoir absence complète de floraison, phénomène dû à des conditions défavorables de luminosité et d’humidité.
C’est une plante assez commune en plaine comme en montagne (2000 m), également présente en Amérique du Nord et en Asie occidentale. En France, elle est inexistante dans le Midi ainsi qu’en Corse, lieux ni assez ombragés ni assez humides pour le muguet qui requiert des sous-bois de feuillus frais, des clairières, des prairies, pour s’y établir convenablement.

Le muguet en phytothérapie

D’aucuns disent que l’usage de cette plante est comparable à celui de la digitale. C’est assez inexact : la digitale est beaucoup plus délicate à manier et se réserve aux experts. Au contraire, il est plus aisé d’employer le muguet en phytothérapie même s’il est vrai qu’il n’est pas de ces plantes que l’on utilise couramment dans ce domaine. Rappelons, avant de poursuivre, que le muguet fut tout d’abord placé sous la houlette des empiriques qui, par leurs expériences et observations, lui permirent d’entrer au sein de la médecine officielle.
Dans toutes les parties de cette plante (rhizome, feuilles, fleurs), l’on trouve de l’asparagine, des acides (malique, citrique, chélidonique), ainsi que deux substances découvertes par Walz en 1858, la convallarine et la convallamarine, dernière substance très amère. La première des deux, par son action irritante sur l’épithélium rénal, est un diurétique puissant. Quant à la seconde, fragile et peu stable, elle possède néanmoins une propriété cardiotonique, réduisant le rythme des contractions cardiaques, mais en augmentant leur énergie, tout en déterminant une légère baisse de la pression artérielle. En plus de cela, le rhizome contient divers sucres et résines, mais contrairement aux feuilles et aux fleurs, pas d’essence aromatique, fleurs dans lesquelles se cache une autre molécule mise en évidence en 1929, la convallatoxine, beaucoup plus active que la convallamarine sur le muscle cardiaque et, partant, possédant une toxicité qu’il ne faut pas négliger puisque la dose létale est atteinte avec seulement 0,077 mg par kg. La convallatoxine, peu soluble dans l’eau mais très soluble dans l’alcool, nous montre l’importance des modes de préparation, toutes les substances n’étant pas identiquement entraînées par les différents substrats dans lesquels on plonge les fractions végétales.

Propriétés thérapeutiques

  • Cardiotonique puissant qui n’élève pas la pression artérielle
  • Antispasmodique
  • Sédatif
  • Diurétique
  • Purgatif, émétique (à hautes doses)
  • Sternutatoire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère cardiovasculaire : insuffisance cardiaque et valvulaire, asystolie, hyposystolie, arythmie, palpitations, angor, faiblesse cardiaque à la suite de maladies infectieuses (grippe, tuberculose), affections cardiaques en lien avec artériosclérose, néphrite, insuffisance thyroïdienne
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : douleurs rénales et vésicales, oligurie, néphrite chronique, cystite, douleurs rhumatismales, goutte
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : dyspnée, sinusite
  • Maux de tête, céphalée
  • Vertige
  • Insomnie
  • Maladie de Basedow

Note : l’homéopathie emploie une teinture qui se destine à diverses affections cardiovasculaires (endocardite aiguë et chronique, arythmie, insuffisance cardiaque, ralentissement du pouls), à l’hydropisie et aux intoxications à l’iode et à la nicotine.

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles ou de fleurs fraîches.
  • Suc frais de feuilles.
  • Macération vineuse ou alcoolique de fleurs fraîches (dans la première catégorie, on peut ranger l’aqua aurea (eau d’or), macération dans du vin vieux de fleurs de muguet, de romarin et de lavande).
  • Teinture-mère.
  • Poudre de fleurs sèches (constituant un puissant remède dont le but est de faire éternuer).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles et les fleurs d’avril à mai.
  • Séchage : le muguet sera un remède efficace à la condition d’être bien séché et bien conservé. Les fleurs, si elles perdent leur parfum par la dessiccation, n’en restent pas moins sans saveur, laquelle est âcre, amère, nauséeuse, se communiquant à l’infusion aqueuse.
  • Toxicité : sans doute moins agressif que la digitale pourpre, le muguet est une plante dont il faut tout de même se méfier. Toxique dans toutes ses parties, ses effets sur l’organisme restent statistiquement bénins, observant le plus souvent diarrhée et vomissement dès lors que les doses émétiques et purgatives sont atteintes ; c’est en particulier le cas chez les enfants, sans doute captivés par les baies rouge vif du muguet. Les substances toxiques du muguet absorbées au niveau de l’intestin sont peu importantes, de l’ordre de 10 %, mais des doses particulièrement fortes ingérées par erreur ou confusion provoquent une importante diurèse, des engourdissements, des spasmes, un pouls irrégulier ayant tendance à s’accélérer, une faiblesse cardiaque, suivie d’une paralysie du muscle cardiaque, enfin le décès. Même à distance, le muguet peut causer des désordres, certes moins graves. C’est pourquoi on évitera de placer un bouquet de muguet dans une pièce, surtout si elle est fermée et qu’il s’agit d’une chambre à coucher : en effet, le parfum pénétrant des fleurs de muguet peut déclencher des céphalées, des spasmes, des convulsions, du délire, etc.
  • Aussi étrange que cela puisse paraître, l’odorante (parfois trop pour certaines personnes) fleur du muguet est qualifiée de muette par l’industrie de la parfumerie. Elle partage avec d’autres espèces (lilas, héliotrope, chèvrefeuille, buddleia, pois de senteur, tubéreuse, etc.) une caractéristique qui a fait s’arracher les cheveux aux professionnels du parfum, distillateurs en tête. Autrefois, comme on le fait encore du jasmin, on procédait à l’enfleurage du muguet, technique qui consiste à déposer une à une les fleurs sur une couche de graisse placée sur un cadre. Par contact, les molécules aromatiques sont fixées par la graisse. Ensuite, par lavage, on sépare la graisse de la fraction aromatique dénommée absolu. C’est un procédé long et coûteux qui fut abandonné au profit de la distillation par entraînement à la vapeur d’eau en alambic et de l’extraction par solvant. Mais là encore, l’opération s’avère peu fiable, la qualité de l’huile essentielle obtenue étant aléatoire, sans compter que les rendements sont plus qu’infimes. Cela n’a néanmoins pas empêché certains parfumeurs d’incorporer cette huile essentielle dans certaines de leurs compositions, qui furent rapidement délaissées vu la cherté de la matière première et, donc, sa répercussion sur le prix final du parfum. A cela s’ajoute le fait que la masse végétale de muguet disponible chaque année est limitée. L’on pourrait l’augmenter en procédant à une culture en grand, mais cette tentative s’est avérée décevante, le parfum de la fleur cultivée ayant peu à voir avec celui de la plante sauvage. Ainsi, aujourd’hui la plupart des parfumeurs faisant intervenir le muguet utilisent des produits de synthèse.
  • Confusions : il en est une physique ; le muguet ressemble assez à l’ail des ours, surtout quand ces deux plantes ne sont pas en fleurs. Le risque de se tromper est accru par un même biotope, occupé par l’une et l’autre de ces deux espèces. Mais si l’on a quelque peine à distinguer des dissemblances morphologiques à l’œil nu, sachons avoir du flair : une fois froissées entre les doigts, les feuilles de l’ail des ours dégagent un parfum aillé, alors qu’il est vireux et peu agréable chez les feuilles du muguet. L’autre risque de confusion est patronymique : les noms vernaculaires sont parfois trompeurs. Retenons que l’aspérule odorante se surnomme muguet des bois, le sceau de Salomon grand muguet et le maianthème petit muguet. C’est dans un cas comme celui-ci que la taxinomie binominale en latin est fort utile.

© Books of Dante – 2018