Le néflier (Mespilus germanica)

Concernant l’origine et l’étymologie du néflier, force est de constater qu’on s’est longuement perdu en conjectures les plus diverses. Cet arbre doit tantôt son nom à l’apparence de boule tronquée de son fruit, tantôt à la contexture d’immondice de sa pulpe. Dans l’œuvre du philosophe grec Xénophon (IV ème siècle avant. J.-C.), le nom de Mespila est donné à l’actuelle ville irakienne de Mossoul, et Mespilus (1) était déjà le nom par lequel on le désignait durant l’Antiquité. C’est ce qui a fait dire à certains que le néflier proviendrait du sud-est de l’Europe (Balkans) et d’Asie occidentale (Turquie, Caucase, Iran…). Capté par les Romains, il aurait été importé par Jules César en Gaule et ne serait donc pas issu d’Allemagne comme le laisse entendre son adjectif germanica, vision à laquelle s’oppose celle de Leclerc qui affirme que le néflier était déjà présent dans les forêts de Gaule et de Germanie avant même l’invasion des Romains qui en furent, non pas les importateurs, mais les exportateurs, car si tel n’a pas été le cas, on s’étonne de ce que Pline en donne des informations pour le moins nébuleuses. Le naturaliste « distingue » trois Mespilus, mais « on peut discuter à perte de vue sur leur identité, d’autant qu’il n’en avait pas sans doute lui-même une notion bien nette » (2). Du côté des Grecs, l’on donne l’impression de moins cafouiller, mais gardons en tête que le genre Mespilus ne s’arrête pas qu’au seul néflier. Par exemple, l’azerolier (ex Mespilus azarolus) est bien distingué du néflier par Théophraste au IV ème siècle avant J.-C., et fort heureusement puisque l’azerolier tient davantage de l’aubépine que du néflier. La vertu astringente accordée à ce néflier par Théophraste fait écho aux écrits de Dioscoride : « Le néflier est tardif à mûrir, et mangé, il restreint. Il est agréable à l’estomac, et restreint le corps » (3). Outre ce qu’en dira précédemment Hippocrate, qui conseillait la nèfle en cas de fièvre, de ventre échauffé et de selles brûlantes, l’ensemble des médecins grecs et romains, à la suite de Dioscoride, s’entendront pour conserver au néflier cette précieuse propriété astringente.

Présent parmi la liste des seize arbres recommandés par le Capitulaire de Villis sous le nom de Mespilarios, le néflier a également fait bonne figure du côté de l’abbaye de Saint-Gall où l’on sait qu’il fut cultivé au IX ème siècle et probablement auparavant. Dans l’ensemble, la culture du néflier durant toute l’époque médiévale fut fort fréquente, car il avait l’avantage de fournir durant une partie de l’hiver une manne inespérée. En Italie, l’école de Salerne versifie à son sujet : « A bien vider les eaux la nèfle est diligente. Pour le ventre elle est astringente. Encore ferme, elle plaît ; mais pour votre santé, elle est toujours meilleure en sa maturité. » L’agronome italien Pierre de Crescens affirmera à son tour que les nèfles, par « leur nature, […] confortent l’estomac ». Curieusement, chez Hildegarde de Bingen, la propriété astringente de la nèfle est absente du petit texte qu’elle accorde au Nespelbaum. Essence chaude emprunte de douceur, le néflier, par ses racines, chasse les fièvres intermittentes, et par son fruit nutritif « purge le sang ».

Dès la Renaissance et durant l’ensemble du XVII ème siècle, une frénésie s’empare d’un grand nombre de médecins au sujet de la nèfle. C’est ainsi que nous voyons Jean Bauhin (1541-1612) conseiller la nèfle dans les abcès de la gorge et des gencives, pour modérer le flux menstruel (4). Selon Prosper Alpini (1553-1617), elle permet d’endiguer les flux intestinaux, en particulier d’origine dysentérique (Petrus Forestus, 1522-1597). Nombreux seront également ceux qui, sensibles à la théorie des signatures, virent dans la nèfle une possible propriété lithontriptique, en raison de la dureté des noyaux de ce fruit que l’on a apparentés à des lithiases. Ainsi furent-ils employés pour guérir tant la pierre que la gravelle durant un siècle où les observations d’expérimentations fructueuses abondèrent dans ce sens.

Malgré ces éloges dithyrambiques, le néflier, tombé dans l’oubli, restera inusité en médecine au temps de Cazin qui ne lui accorde qu’une dizaine de lignes, une négligence qu’explique Leclerc en ces termes : « Le fruit du néflier est resté le symbole des choses dont l’inconsistance voisine avec le néant, ainsi qu’en témoigne la réponse populaire qu’on oppose à une requête importune : ‘Vous n’aurez que des nèfles !’ » (5). Son surnom de « cul-de-chien » ne l’a sans doute pas aidé non plus, de même que la comparaison qui fut faite entre la forme de ce fruit et celle des bonnets à pointes dont on coiffait le chef des fols au Moyen-Âge.

Le néflier est un petit arbre d’une hauteur maximale de six mètres au tronc tortueux qui porte des feuilles caduques, simples et de grande taille. Vertes au-dessus, cotonneuses sur la face inférieure, elles prennent une belle teinte de bronze mêlée de rose à l’automne. Il fleurit tardivement au printemps (mai/juin) et porte alors des fleurs blanches ou lavées de rose d’environ 3 cm de diamètre. Plus tard, entre septembre et octobre, des fruits charnus, les nèfles, apparaissent : des espèces de petites poires brunes dont la taille n’excède pas 2 à 3 cm, voire 4 à 6 cm pour les espèces à grands fruits. Mais contrairement aux poires les sépales proéminents restent visibles sur le fruit.

Le néflier en phytothérapie

La disgrâce dans laquelle la nèfle est tombée depuis des lustres peut difficilement expliquer sa présence au sein de cette rubrique, car « depuis que l’arboriculture moderne a acquis tant de fruits infiniment supérieurs en saveur comme en beauté à la modeste et quelque peu ridicule nèfle, elle s’est cultivée de moins en moins. Quant au néflier lui-même, quel citadin le reconnaîtrait ? », constatait Fournier il y a de cela 70 ans (6). En effet, aujourd’hui encore la nèfle ne court pas les rues, et qui aurait la chance d’en croiser quelques-unes sur les étals du marché ?
Si l’écorce, les feuilles et les fruits non mûrs nous offrent belle part de tanin, c’est davantage la nèfle parvenue au seuil du blettissement qui fait l’objet d’un usage thérapeutique. En moyenne, une telle nèfle contient jusqu’à 75 % d’eau, des sucres (glucose, fructose : 10 %), de la cellulose (7 à 13 %), du mucilage, des acides (malique, tartrique, lorique, citrique), des vitamines (C, groupe B), du magnésium, etc.

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique astringente des muqueuses intestinales, régularisatrice intestinale, antidiarrhéique, déconstipante
  • Diurétique
  • Astringente cutanée

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère digestive : entérite, dysenterie, diarrhée, diarrhée infantile, diarrhée rebelle
  • Affections buccales : aphte, ulcération buccale, inflammation et irritation de la gorge
  • Affections cutanées : irritation, inflammation, coupure, écorchure, etc.
  • Goutte (?)

Modes d’emploi

  • Nèfles blettes en nature
  • Conserve de nèfles
  • Infusion à froid de poudre de semences dans du vin blanc
  • Décoction des feuilles pour gargarisme

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Alimentation : comestibles, mais immangeables en automne en raison de leur saveur austère et acerbe peu agréable, il faut attendre le début de l’hiver et leur blettissement par le gel (fermentation interne) afin de pouvoir les consommer. Elles deviennent alors molles et sucrées et constituent un fruit apprécié et très nutritif. Cependant, il est tout à fait possible de procéder à un blettissement artificiel en ramassant les nèfles à l’automne, avant les premières gelées. En stockant les fruits dans une pièce aérée et en les mettant au congélateur assez longtemps, on accélère le blettissement. On obtient donc des nèfles consommables de cette manière. Dès lors, elles peuvent être cuites en compote, marmelade, confiture. Il est même possible d’en fabriquer des pâtes (comme celle de coings), du vin après fermentation du jus des fruits, etc.
  • Le néflier possède un bois au grain très fin qui ne fend pas ou peu, et avec lequel, au Pays Basque, on fabrique le manche des splendides makhila, les bâtons de marche basques (la plus importante fabrique de makhila se trouve à Larressorre.)
  • Autres espèces : Mespilus germanica var. apyrena, Mespilus macrocarpa.
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    1. De mespilus, on a obtenu diverses appellations locales du néflier comme en témoignent les termes qui suivent : mespoulo, mesplo, mesplier, nesplier, neslier, mesle, meille, mêlier, etc.
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 671.
    3. Dioscoride, Materia medica, Livre 1, Chapitre 132.
    4. Dans la culture populaire, le port d’un morceau de bois de néflier suspendu au cou comme amulette était un bon moyen d’écarter les éventuelles complications liées à la grossesse et à l’accouchement. Cette pratique avait même la réputation de conjurer l’avortement.
    5. Henri Leclerc, Les fruits de France, p. 168.
    6. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 671.

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