Le panais (Pastinaca sativa)

Synonymes : pastenade, pastenaille, patenais, grand chervis, racine blanche.

Antiquité et panais ne sont pas choses incompatibles si l’on en croit le chapitre 72 du troisième livre de la Materia medica de Dioscoride : « Du panais sauvage que les Grecs nomment spondylion ». Mouais. Cela me fait penser à la berce, tout ça. Continuons. « La tige, haute d’une coudée et quelquefois plus grande, en la sommité de laquelle la graine y est double, semblable au séseli, mais plus large, plus blanche, et plus écailleuse, de forte odeur. Ses fleurs sont blanches et la racine pareillement blanche, semblable au raifort ». Là, ça tombe mal, puisque le panais est l’une des rares Apiacées à former des fleurs jaunes. De plus, Dioscoride ajoute ensuite que « ce panais naît dans les marais et les lieux aquatiques », alors que le panais préfère les sols secs. Un peu plus avant dans le Livre 3 de Dioscoride, au chapitre 50, l’on rencontre la pastenade, un nom qui est, avec pastenaille et patenais, l’un des quelques surnoms du panais et que l’on retrouve à l’évidence dans son nom latin actuel, Pastinaca. Mais cette pastenade décrite par Dioscoride n’est pas non plus le panais car elle porte également des fleurs blanches. Nous ne sommes donc pas plus avancés. Ce méli-mélo est le reflet d’une migration du mot pastinaca de la carotte au panais au fil du temps. En effet, du temps de Pline et de Columelle, pastinaca désigne la carotte et sera attribué au panais durant le Moyen-Âge.
Paul-Victor Fournier avance que le panais de Dioscoride se dissimule derrière le mot Elaphoboskon. En me référent au site Pl@nteUse, ce terme apparaît bien dans le Livre 3, au chapitre 69. J’ouvre donc le fac-similé de la Materia medica que je possède, traduite en vieux français, éditée à Lyon en 1559 à l’origine. Et là, stupeur ! Non seulement le titre ne correspond pas, mais l’illustration associée à ce chapitre n’a rien à voir avec le texte : tout deux concernent le pyrèthre, une plante de la famille des camomilles ! Bref, concentrons-nous donc sur ce texte : « Il produit des feuilles et une tige comme la carotte et le fenouil sauvage. L’inflorescence est semblable à celle de l’aneth [nda : chose intéressante, les fleurs de l’aneth sont également jaunes]. La racine est grosse d’un doigt, longue, de très fervente saveur [nda : par fervente, entendre brûlante, piquante…]. Elle tire le flegme [nda : l’humeur, le mucus], et par cela en lavant la bouche avec sa décoction faite avec du vinaigre, elle aide aux douleurs dentaires. Mâchée, elle attire le flegme. Ointe avec de l’huile, elle fait transpirer, ayant vigueur sur les longs tremblements. C’est un valeureux remède aux membres refroidies, et amortis de leur opération naturelle ».

Au Moyen-Âge, que d’aucuns qualifient d’âge sombre, on y voit un peu plus clair au sujet du panais. Bien moins répandu aujourd’hui que la carotte qui est l’apiacée dont l’exploitation agricole ne se dément pas, le panais apparaît pourtant dans le Capitulaire de Villis sous le nom de Pastinaca, la carotte sous celui de Carvita. A cette époque, la préférence semble pourtant aller au panais. En tant qu’aliment, il est mentionné dans le Mesnagier de Paris (XIV ème siècle), le Tacuinum sanitatis nous montre une illustration sur laquelle deux personnages procèdent à la récolte des panais. Mais cela ne semble pas être partagé par tout le monde : « Le panais, racine champêtre, n’est pas d’un goût appétissant. Son nom, dit-on, vient du mot paître (1). Encore que le panais soit fort peu nourrissant ». Ainsi s’exprime l’école de Salerne à propos de cette plante dont on peut se demander s’il s’agit du panais sauvage ou cultivé.

Poursuivons la lecture des quelques vers que l’école de Salerne accorde au panais : « Mais il a des vertus qui de toutes les belles méritent de toucher le cœur. D’un amant, d’un époux, il redouble l’ardeur ; réchauffe également les dames, et chez elles ramène tous les mois une utile pâleur ». Que le panais soit aphrodisiaque, c’est bien là une des rares mentions faites à ce sujet dont j’ai connaissance. En revanche, il est plus que probable que le panais est emménagogue. Mais nous considérerons cette information avec circonspection. A peu près à la même époque, Macer Floridus consacre un chapitre de son De viribus herbarum au panais. Outre le fait qu’il réaffirme la puissance aphrodisiaque du panais, il fait intervenir graines et racine dans diverses préparations dans des buts ciblés : affections de la rate et du foie, douleurs lombaires, asthme, dysenterie, douleurs dentaires, affections cancéreuses, etc. N’oublions pas la cerise sur le gâteau : « Le panais est un talisman contre les serpents […] La graine de panais, bue avec du vin, neutralise l’effet de la piqûre du scorpion » (2) !!! Une véritable obsession. Pour donner un ordre d’idée, sur les 77 plantes abordées par Macer Floridus dans le De viribus herbarum, plus de 40 % sont censées neutraliser les venins, une proportion n’ayant aucune commune mesure avec la réalité.
Ces exagérations sont-elles à l’origine de la désaffection du panais ? En tous les cas, on constate son abandon aux environs du XVII ème siècle.

Le panais est une plante de la famille des Apiacées à laquelle appartiennent cerfeuil, persil et autre carotte. C’est une bisannuelle robuste qui peut atteindre le mètre de hauteur, parfois plus. Elle est généralement très ramifiée et porte des tiges raides et poilues, dont l’odeur est fortement développée. Au bout de chaque ramification, on trouve une ombelle (5 à 10 cm de diamètre) de fleurs jaune d’or minuscules (1 mm à peine) qui fleurissent de juillet en septembre et qui donneront des fruits aplatis d’1/2 cm de longueur tout au plus.
Elle est assez fréquente et pousse en basse altitude et sur sols calcaires, sur des friches et prés secs, en bordure de chemin également. Il est possible d’en voir en masse aux abords des voies de chemins de fer.
Il se cultive dans une terre fraîche et très ensoleillée. Il est semé au printemps et ramassé quatre mois plus tard.

Le panais en phytothérapie

Le renouveau des « légumes anciens » sur les étals des marchés nous a habitué depuis quelques années à y rencontrer la racine du panais aux côtés des persils et cerfeuils tubéreux, des rutabagas, des topinambours et autres carottes de différentes couleurs. Ces légumes, tant plaisants à regarder, témoignent d’une demande accrue de la part du consommateur en ce qui concerne la diversité végétale qu’il peut placer en son assiette. Après avoir été longtemps dédaigné et écarté, le panais revient petit à petit à la mode, et il est très fréquent d’en trouver dans des boutiques biologiques et même ailleurs. C’est donc cette racine qui peut pourvoir à un certain nombre d’usages phytothérapeutiques, mais également les parties sommitales du panais, c’est-à-dire ses semences.
De saveur douce et au parfum aromatique agréable, la racine charnue du panais cultivé se distingue de celle du panais sauvage dont l’odeur n’est pas forcément des plus agréables. C’est d’ailleurs sur ce seul point que ces deux panais sont dissemblables. La racine du panais, qui s’emploie exclusivement fraîche, n’a pas eu l’honneur – contrairement à celle de la carotte – d’être précisément étudiée. « L’analyse de cette racine, qui, je crois, n’a pas été faite, serait d’une grande utilité », déplore Cazin dans les années 1850 (3). Mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et nous sommes en mesure de combler cette lacune. Et, à propos d’eau, cette racine en contient environ 80 %. Puis viennent des sucres (13 %), des substances azotées (1,5 %), des sels minéraux (1 % dont une grosse proportion de potassium), une huile fixe contenant différents acides (pétrosélinique, oléique, linoléique, palmitique), environ 0,35 % d’essence aromatique, sans oublier cette précieuse provitamine A. Quant aux semences, elles ont été beaucoup moins analysées. Peut-être verra-t-on un jour de l’huile essentielle de panais, car les graines de cette plante contiennent environ 2 % d’une essence aromatique dans laquelle on trouve des acides butyrique, propionique et caprinique. Mais d’ici là, il est toujours possible de porter son attention sur les semences du panais que l’on utilise à fructification complète.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique, dépuratif, stimulant rénal, détoxiquant
  • Apéritif, digestif, nutritif
  • Plus ou moins excitant
  • Antirhumatismal
  • Emménagogue (?)
  • Fébrifuge (semences)

Usages thérapeutiques

  • Troubles gastro-intestinaux : perte d’appétit, digestion difficile, ballonnement, affections gastriques
  • Troubles de la sphère urinaire : catarrhe vésical, dysurie, douleurs lithiasiques
  • Troubles de la sphère respiratoire : affections pulmonaires, toux, maux de gorge
  • Hydropisie, œdème
  • Douleurs rhumatismales
  • Fièvre (semences)

Note : mentionnons que la racine du panais est recommandable aux personnes ayant de l’embonpoint, aux phtisiques, aux affaiblis, aux convalescents.

Modes d’emploi

  • Potage, purée de racine
  • Macération vineuse de racine
  • Infusion de semences broyées
  • Racine râpée, crue, en nature

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : la racine se ramasse de l’automne au printemps, mais ses mois de prédilection sont ceux d’hiver, et doit être consommée jeune car, comme l’écrivit le docteur Leclerc, « le panais veut être mangé à la fleur de l’âge ». En effet, on ne gagnerait rien à faire forcir cette racine qui deviendrait ligneuse et, donc, inutilisable, tant pour les arts de la table que pour ceux de la pharmacie. Les feuilles peuvent être cueillies d’avril à juin, les fleurs de juillet à septembre. Enfin, les graines, quand elles sont bien sèches sur pied.
  • Toxicité : elle est minime mais se doit d’être rappelée. Comme tous les membres des Apiacées, le panais secrète une sève photosensibilisante, particularité due aux coumarines et furanocoumarines qu’il contient. De plus, l’on a constaté qu’une trop grande consommation de panais occasionnait des éruptions et des rougeurs cutanées. Enfin, les personnes sujettes à une affection rénale, les dyalisés, etc., se mettront hors de portée du panais.
  • Alimentation : l’histoire du panais se confond avec celle de la carotte qui l’aura largement étouffé. Pourtant, il est proche d’elle par une saveur douce néanmoins plus légère. De valeur nutritionnelle située entre la pomme de terre et le rutabaga, le panais se prêtre à de nombreuses préparations : globalement, toutes les recettes faisant intervenir la carotte sont applicables au panais. Cet aliment doux et sain sera agréablement convié dans les soupes et potages. Cuit à la vapeur, sauté, mijoté, il fait des merveilles. Lors d’une cuisson, il est préférable de n’utiliser que peu de matière grasse afin de faciliter l’absorption de la précieuse provitamine A. Et pourquoi ne pas tout bonnement le râper ? Ajoutons-y un filet d’huile d’olive, le jus d’un citron, du sel, du poivre, des graines de sésame et, chose que je fais souvent, quelques baies roses. En ce qui concerne ses feuilles, elles sont également comestibles, à l’état cru lorsqu’elles sont jeunes, cuites plus âgées. Certains cueillent même les fleurs pour les frire.
  • Autre espèce : Pastinaca urens (panais brûlant), au suc âcre, au contact irritant pour la peau. C’est une espèce méridionale.
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    1. Pastinaca, du latin pasture, renvoie bien sûr à la pâture où paissent les animaux.
    2. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 130
    3. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 677

© Books of Dante – 2017