L’arum tacheté (Arum maculatum)

Synonymes : gouet, pied-de-veau, raisin de serpent, langue de bœuf, vachotte, vaquette, herbe au crapaud, pain de crapaud, pain de lièvre, herbe à pain, chou pané, racine amidonnière, cornet, pilon, chandelle, candélabre du diable, bonnet de grand prêtre, vit de prêtre.

Comme vous pouvez le constater, on s’en est donné à cœur joie pour affubler l’arum d’une tripotée de sobriquets. Certains s’expliquent par des caractères morphologiques, d’autres par une accointance de l’arum avec certaines formes de magie, d’autres encore en raison des qualités nutritives de sa racine.

Durant l’Antiquité, le Grec Dioscoride et le Romain Pline mentionnent tous deux qu’un arum était consommé, cru ou cuit, assaisonné de moutarde, d’huile, de vinaigre, de garon, etc. A contrario, peu d’informations médicinales sont fournies. Écoutons cependant Dioscoride : « L’aron que ceux de Syrie appellent lupha produit des feuilles semblables à celles de la serpentaire, mais plus longues et moins tachetées. Il produit une tige tirant sur le pourpre, longue de douze doigts, de la figure d’un pilon, duquel naît la graine de couleur safran. Il forme une racine blanche, comme celle de la serpentaire, laquelle parce qu’elle est moins forte, elle se mange cuite en viandes. L’on confit les feuilles dans du sel pour l’usage des viandes, et on les mange pareillement sèches et cuites. La racine, la graine et les feuilles ont les mêmes vertus que la serpentaire. Pareillement, la racine de l’aron emplâtrée avec de la fiente de bœuf aide aux podagres [nda : douleur goutteuse au niveau des pieds] » (1). Compte tenu de ce que nous dirons plus loin concernant la toxicité de l’arum à l’état frais, pas sûr qu’il s’agisse là de l’arum tacheté, ni même de l’arum d’Italie qui aligne sa toxicité sur celle de l’arum tacheté.

Chez Hildegarde, on trouve une plante dont le nom est assez proche de l’aron de Dioscoride : Herba Aaron. Là, les traducteurs ont pris la décision d’y voir notre arum, mais ce qu’en dit Hildegarde ne nous autorise pas bien à asseoir cette hypothèse, puisque l’abbesse dit cette plante bonne contre les ulcères de l’estomac, alors que ce serait plutôt elle qui les provoquerait par absorption. Hildegarde donne aussi de cette plante une indication que l’on peut qualifier de psycho-émotionnelle : « Si quelqu’un est agité par des humeurs noires, qu’il a l’esprit sombre et est toujours triste, qu’il boive souvent de ce vin cuit avec de la racine d’arum, et cela diminuera en lui la mélancolie et la fièvre » (2).

Tout ceci est fort maigre, mais nous allons nous rattraper avec la partie botanique car à ce niveau là, l’arum est une drôle de bestiole !
Plante vivace vivant en colonie, l’arum tacheté cache sous la terre une racine tubéreuse assez épaisse de laquelle partent quelques radicelles. Aux premiers jours du printemps, l’on voit apparaître les premières feuilles, longues de 25 à 30 cm au maximum, d’une luisante couleur vert foncé. Par leur forme sagittée, elles ne dépareraient pas le rayon de plantes « exotiques » de n’importe quel magasin spécialisé. Parfois tachetées de blanc ou de brun, ce sont elles qui distinguent notre arum de ses cousins. Ces feuilles sont si longuement pétiolées qu’elles permettent à la plante d’atteindre une hauteur totale de 60 cm. Mais, bien souvent c’est beaucoup moins que ça. Les derniers spécimens que j’ai rencontrés, relativement rabougris, ne dépassaient pas une quinzaine de centimètres de hauteur.
Peu de temps après, a lieu la floraison. Elle se remarque par la naissance d’une structure végétale tout d’abord en forme de navette, laquelle va peu à peu se déployer en forme de cornet : il s’agit de la spathe de l’arum, le plus souvent blanchâtre ou vert glauque, plus rarement rougeâtre, piquetée de violet à l’intérieur. Cette spathe abrite le spadice, qui n’est autre que l’appareil floral organisé en plusieurs étages. De bas en haut, nous trouvons des fleurs femelles fertiles, puis des stériles, enfin au troisième rang des fleurs mâles fertiles, puis des stériles. Quatre type de fleurs en tout, étagées en rangs réguliers jusqu’à la plus haute partie du spadice, espèce de massue, de pilon, dont la turgescence violet noirâtre a donné lieu au surnom de vit de prêtre que l’arum tacheté porte parfois ! C’est pourquoi l’on a dit de cet arum qu’il possédait une connotation sexuelle très forte, d’autant plus que, lors de la floraison, les fleurs dégagent et maintiennent au sein du cornet une chaleur qui peut atteindre 40° C (chez l’arum d’Italie). Cette débauche de moyens a un sens, et non pas de faire passer l’arum pour un « m’as-tu-vu », loin de là. En effet, l’arum est auto-stérile, c’est-à-dire qu’il a beau porter fleurs mâles et femelles sur le même pied, il est incapable de se féconder lui-même. C’est pour cela qu’il doit s’en remettre à un fantastique stratagème : à l’instar d’un diffuseur d’huile essentielle, la chaleur produite par l’arum va dissiper dans l’atmosphère environnante un parfum propice à capter l’attention de mouches et moucherons. Si l’arum ne les attire pas avec du vinaigre, son odeur est propre à repousser n’importe qui d’autre. De par la présence d’ammoniaque entre autres, l’odeur de l’arum en rut est tout à fait proche de celle du cadavre en décomposition, de quoi refroidir ceux qui lui prêtent des vertus aphrodisiaques. Dès lors qu’une mouche vient à se poser sur la plante, celle-ci la retient captive dans son cornet le temps que la fécondation se produise grâce au pollen transporté par l’insecte (c’est ce que nous voyons sur la photo ci-dessus). L’arum, bon hôte, nourrit la mouche en échange de ce service grâce aux sucs nutritifs qui se trouvent au fond du cornet, où, parfois, il lui arrive de se noyer.
Plus tard, à l’automne, la tige qui portait le cornet s’orne d’une grappe de baies rouge orangé serrées les unes contre les autres. Leur prime douceur fait place à une désagréable âcreté, mais pas quand on est une grive, par exemple, un oiseau qui s’en repaît sans risque et qui disperse au loin les graines de l’arum sur de nouveaux territoires à conquérir.
Plante très commune, l’arum tacheté est néanmoins moins fréquent à l’ouest de la France, rare ou inexistant dans la région méditerranéenne, où il est remplacé par l’arum d’Italie. Partout ailleurs, on peut le croiser de la plaine à la moyenne montagne (1500 m), de préférence sur sols calcaires, frais et humides tels que sous-bois de feuillus, haies, talus, bordures de chemins, etc.

L’arum tacheté en phytothérapie

On sera peut-être surpris de rencontrer l’arum tacheté dans une rubrique phytothérapeutique. Il est vrai que cette plante a été écartée de la plupart des manuels récents. Mais son attitude à être une plante ornementale n’exclue pas ses propriétés thérapeutiques qui sont, avouons-le, assez délicates à mettre en œuvre. Et c’est bien cette mise au ban qui explique qu’on connaisse si peu l’arum tacheté du simple point de vue des constituants qui le composent. L’on en sait quand même un peu à ce sujet. La racine tubéreuse de l’arum tacheté, brunâtre à l’extérieur, blanche et laiteuse à l’intérieur, contient de l’eau, de la gomme, de l’albumine, des saponines, une importante quantité de fécule, ainsi qu’un alcaloïde toxique pour le système nerveux central, l’aroïne. Les feuilles, tout aussi âcres que la racine, sont aussi pourvues du même alcaloïde. Quant aux baies, elles doivent leur belle couleur rouge orangé au lycopène, un pigment que l’on retrouve en masse dans la tomate.

Propriétés thérapeutiques

  • Expectorant
  • Purgatif
  • Diurétique, sudorifique
  • Rubéfiant, vésicant
  • Détersif puissant, maturatif, résolutif
  • Hémolytique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : catarrhe bronchique, bronchorrhée, asthme humide, coqueluche, toux, toux ancienne, laryngite, enrouement persistant
  • Affections cutanées : abcès froid, ulcère atone, ulcère scorbutique, contusion, ecchymose
  • Hydropisie, engorgement œdémateux
  • Rhumatisme chronique, gonflement articulaire

Modes d’emploi (usages externes)

  • Décoction concentrée de racine fraîche
  • Cataplasme de feuilles et/ou de racine fraîche
  • Poudre de racine

Note : même en application cutanée, feuilles et racines ne sont pas exemptes d’inconvénients. C’est pourquoi l’on mêlait arum et oseille, laquelle permet de corriger le caractère vésicant et rubéfiant de l’arum.

  • Teinture-mère homéopathique (élaborée à base de racine sèche d’un autre arum, l’arum américain à trois feuilles, Arum triphyllum)

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles de mai à juillet, la racine au printemps ou à l’automne. L’emploi de la racine à l’état frais est favorable, vieillie elle devient à peu près inopérante.
  • Toxicité : tout d’abord insipide, le goût des feuilles de l’arum ne tarde pas à faire la connaissance du palais et de la langue. Brûlant et aigrelet, tels sont les deux adjectifs qui sont les plus évocateurs. A lui seul, le goût des feuilles de cette plante est un véritable repoussoir qui n’invite pas à une dégustation plus étendue, le réflexe étant plutôt de recracher illico presto le bout de feuille mâchouillée. Mais, même rejeté, l’âcreté de l’arum tacheté est bien loin de se dissiper aussi rapidement qu’on le souhaiterait. Il a été remarqué que le thym et la menthe endiguaient assez bien cette fâcheuse et douloureuse sensation. « Des douleurs vives et lancinantes se font sentir dans tout l’intérieur de la bouche, auxquelles succèdent immédiatement de violentes douleurs d’estomac, des vomissements, des coliques, des convulsions, des crampes, des évacuations alvines, le refroidissement des membres, la petitesse du pouls, la rétractation des muscles, etc. Ces symptômes s’accompagnent du gonflement excessif de la langue, d’une inflammation intense de la bouche et du pharynx qui s’oppose à la déglutition » (3). Dans le meilleur des cas, la langue doit être tranchée, mais dans le pire, comme cela est parfois arrivé, au coma fait place le décès.
  • Alimentation : après ce qui vient d’être relaté, on pourra lever un sourcil soupçonneux. Comme l’on sait, la perle est assez souvent placée à proximité du dragon. Aussi, comment en profiter sans se faire griller sur place ? Pour rendre comestible la racine de l’arum tacheté, il faut tout d’abord l’éplucher, la râper et lui faire subir des ébullitions répétées, car « la matière nutritive se trouve mêlée au poison, dont il est facile de la séparer » (4). Ainsi obtient-on, aux dires de Cazin, un amidon de qualité supérieure à celui de bien des céréales et dont on a autrefois fait du pain.
  • Autres espèces : si les Aracées tropicales sont légion, en France elles sont peu présentes, à peine y rencontre-t-on une petite dizaine d’espèces dont l’arum d’Italie (A. italicum) et le gouet à capuchon (A. arisarum).
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    1. Dioscoride, Materia medica, Livre 2, Chapitre CLIX
    2. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 43
    3. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, Cazin, p. 86
    4. Ibidem, p. 85

© Books of Dante – 2017