La joubarbe des toits (Sempervivum tectorum)

Synonymes : artichaut de muraille, artichaut sauvage, herbe aux cors, herbe de tonnerre.

Plante succulente, la joubarbe est indissociable des toits sur lesquels elle pousse. Elle porte même cette caractéristique dans son nom latin, tectorum provenant de tectum, « toit ». On la trouve sur les toits donc, de chaume de préférence, ainsi que sur un ensemble de substrats inhabituels tels que vieux murs et murailles, ruines et rochers, enfin pelouses rocailleuses. C’est une particularité que Théophraste mentionne dès le IV ème siècle avant J.-C. : « il est dans la nature de la joubarbe de rester toujours humide et verte. Elle pousse sur les rivages de la mer, dans la terre qui garnit le haut des murailles, et surtout sur les tuiles, lorsqu’il s’y produit une accumulation de terre sablonneuse ». Si les hippocratiques ignorent cette plante, Dioscoride en fait une description suffisamment précise pour qu’on puisse la reconnaître sans trop d’effort d’imagination et précise que « certains la plantent sur les maisons » (1). Surtout, il s’attache à comparer la rosette que forment les feuilles de la joubarbe à un « œil circulaire ».
Mais pourquoi diable planter sur le toit d’une maison une plante qui s’y installe naturellement ? Paul-Victor Fournier avance cette explication : « il semble que tout d’abord, on plantait la joubarbe sur les huttes primitives afin d’en protéger le toit contre les dégâts des grandes pluies » (2). C’est là un usage qui perdurera longtemps. Ainsi trouve-t-on la joubarbe dans la liste des plantes recommandées par le Capitulaire de Villis, et ce capitulaire préconise bien de la planter sur le toit des maisons, bien qu’on ne sache pas encore pour quelle raison. La jovis barba, telle qu’est est désignée dans ce capitulaire carolingien, possède une propriété fort répandue dans les populations germaniques d’alors, mais également du temps de l’Antiquité gréco-romaine. Poursuivons avec ce que dit Fournier : « en constatant que la foudre ne les frappait pas [les maisons], on en est venu à attribuer à la plante cette vertu protectrice » (3). Jovis barba, autrement dit « barbe de Jupiter », fait référence au dieu grec Zeus dont l’un des attributs est la foudre. Elle avait donc la réputation de protéger les habitations des colères de ce dieu, c’est pour cette raison qu’il ne faut jamais l’arracher d’un toit, d’autant plus qu’elle protège, par sa présence, des maladies infectieuses les habitants des lieux où elle élit domicile.

Aeizôon, tel fut le nom qu’on donna à la « toujours verte qui pousse sur les toits », sempervivum en latin et sopravvivolo en italien traduisant bien cette caractéristique qu’a la plante de paraître toujours vivante. Selon le Carmen de herbis, la joubarbe devait être cueillie lorsque la lune croît. On lui octroyait de multiples propriétés tant médicinales que magiques. Dioscoride remarqua la capacité rafraîchissante et astringente de la joubarbe. Il la destinait donc à un ensemble d’affections caractérisées par une inflammation (zona, brûlure, maux de tête, ophtalmie (4), accès de goutte, etc.) mais aussi pour diverses pathologies pour lesquelles il est nécessaire de resserrer les tissus (diarrhée, dysenterie, ulcère, abcès). Après lui, Galien n’en dit rien de neuf ; Alexandre de Tralles, qui semble reprendre Dioscoride, ajoutera à cette liste l’hémoptysie et l’érysipèle.
Portée sur soi, on disait de la plante fraîche qu’elle était censée favoriser les rencontres amoureuses. Tout comme la marguerite, la joubarbe est un oracle sentimental. Les jeunes filles siciliennes donnaient le nom de leurs prétendants à plusieurs boutons floraux de joubarbe. Le premier venant à fleurir désignait le futur mari. Au-delà du domaine amoureux, la joubarbe agissait sur les troubles sexuels puisque manger des feuilles de joubarbe avait le pouvoir de dénouer l’aiguillette, sans doute en raison de la forme « priapique » que prend la hampe florale quand elle s’érige d’un chou de joubarbe. De par ses propriétés érotiques et nuptiales, on peut dire de la joubarbe qu’elle est une plante génésique. Bien qu’adaptée à l’impuissance de l’homme, elle ne saurait être d’aucun recours pour l’homme viril. Au contraire, « si on en faisait manger par un homme dont les organes génitaux sont en bon état, il serait pris de frénésie amoureuse, au point d’en être comme fou » (5). Curieux tout de même pour une plante dite « froide »…
Entre autres pouvoirs faramineux, la joubarbe semblait agir contre l’ivresse des maris rentrant trop tard à leur domicile comme l’explicitent assez bien deux de ses surnoms anglais : welcome home husband though never so drunk et welcome home husband though never so late ! Enveloppée dans une étoffe noire et placée à l’insu d’un insomniaque sous son oreiller, elle lui procure le sommeil. En Toscane, on faisait boire du suc de joubarbe aux nouveaux-nés afin de les garantir des convulsions (dans l’ancien temps, la joubarbe passait pour remédier à l’épilepsie et à la chorée), ainsi qu’à leur assurer une longue vie. Sempervivum en filigrane. Mais, des enfants, la joubarbe éloigne aussi les fièvres d’origine « sorcière ». Déjà, au temps de l’Antiquité, le Carmen de viribus herbarum affirmait l’utilité de la joubarbe pour « lutter contre les peurs qui nous assaillent et contre les démons ennemis, et les maléfiques sorcelleries des mortels, et les funestes poisons », un pouvoir si prégnant qu’il avait encore cours au XIX ème siècle en France comme le relate Cazin : « le peuple, dans certains contrées, lui accorde la puissance d’empêcher les maléfices des sorciers » (6).

Au Moyen-Âge, on n’insiste plus sur les vertus soi-disant ophtalmiques de la joubarbe. En revanche, on innove en lui accordant des propriétés auriculaires qui sont loin d’être une légende. « Injecté dans l’oreille, le jus de cette herbe éclaircit l’ouïe et dissipe admirablement les douleurs de cet organe », écrit Macer Floridus au XI ème siècle (7). Qu’elle soit préparée en cataplasme ou en boisson avec du vin, consommée en nature ou par son suc délayé d’eau, la joubarbe connaît un grand succès au Moyen-Âge. Elle permet alors d’apaiser la brûlure du feu sacré et celle des dartres, de cicatriser les ulcères, d’endiguer céphalées et douleurs goutteuses, de chasser les parasites intestinaux, etc., toutes choses qui seront reprises et améliorées de Pierre de Forest (XVII ème siècle) jusqu’à l’abbé Kneipp (XIX ème siècle).

Vivace charnue, elle présente une rosette de feuilles qui forment des coussinets de 5 à 10 cm de diamètre. Des feuilles larges et épaisses à terminaison épineuse, lancéolées, présentent une coloration brun rougeâtre aux extrémités. Le « cœur mère » produit une hampe florale de 10 à 60 cm de hauteur. Tige dressée et velue, couverte de petites feuilles en écaille, elle s’orne de fleurs roses de 2 à 3 cm de diamètre comptant 10 à 18 pétales organisés en étoile. Après floraison (juillet/août), le cœur qui portait la hampe meurt mais comme la plante se propage par stolons rouges et traçants qui forment chacun un nouvel « artichaut », la plante assure ainsi sa future floraison.

La joubarbe des toits en phytothérapie

De cette plante l’on emploie exclusivement les feuilles fraîches, en particulier celles que portent les « choux » qui ne sont pas encore montés en fleur. Elle ne s’utilise donc jamais à l’état sec. Peu usitée aujourd’hui, on n’a donc pas jugé bon de se pencher davantage sur la composition de cette plante. Tout au plus savons-nous qu’elle contient du mucilage, du tanin, des acides malique et formique. Concernant vitamines et sels minéraux, aucun donnée n’est disponible. Il est possible d’imaginer la présence de vitamine C et de potassium…

Propriétés thérapeutiques

  • Astringente, détersive, vulnéraire, hémostatique
  • Émolliente
  • Rafraîchissante, fébrifuge
  • Anti-inflammatoire
  • Antispasmodique
  • Diurétique
  • Antiseptique (?)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, diarrhée sanguinolente, dysenterie, ulcère d’estomac, vers intestinaux, vomissement
  • Affections bucco-dentaires : ulcération de la bouche, aphte, muguet, maux dentaires
  • Affections auriculaires : dureté d’oreille, surdité, otite
  • Troubles de la sphère gynécologique : métrorragie, aménorrhée, dysménorrhée, spasmes utérins
  • Fièvre, angine, amygdalite
  • Scorbut
  • Maux de tête
  • Hémorroïdes

Face à cet ensemble hétéroclite se dégage néanmoins une tendance : la joubarbe agit sur bon nombre d’états inflammatoires. Mais nous n’en avons pas encore terminé avec elle. Là où elle excelle, c’est sur l’interface cutanée. On peut dire qu’elle est un topique à large spectre.

  • Affections cutanées : blessure, contusion, plaie, plaie enflammée, plaie gangreneuse, brûlure (premier et deuxième degré), dartre vive et rongeante, ulcère, ulcère sordide, ulcération profonde, fissure, gerçure des seins, eczéma, prurit génital, ulcération serpigineuse, furoncle, tumeur ganglionnaire, piqûre d’insecte, cor, œil-de-perdrix, verrue, saignement de nez, taches de rousseur, etc.

Cette surreprésentation des usages de la joubarbe sur les affections cutanées s’explique sans doute parce qu’on s’est souvent interdit de faire de cette plante un emploi interne. Pourtant, les feuilles fraîches de la joubarbe sont comestibles, mais il a été remarqué qu’elle pouvait parfois provoquer des vomissements, d’où cette abstention qui me paraît bien exagérée.

Note : on relate que des personnes qui devaient subir une amputation d’un membre l’ont vu sauvé grâce à des cataplasmes de feuilles de joubarbe.

Note 2 : un extrait de joubarbe est utilisé par les homéopathes contre les plaies, l’herpès, diverses éruptions, les douleurs du cancer, les hémorroïdes et les vers.

Modes d’emploi

  • Infusion
  • Décoction
  • Macération acétique
  • Cataplasme, pommade
  • Sur frais étendu d’eau ou mêlé à de l’huile
    _______________
    1. Dioscoride, Materia medica, Livre 4, Chapitre 77
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 526
    3. Ibidem
    4. Par magie sympathique, la rosette de feuilles de la joubarbe des toits évoquait, comme nous l’avons dit, un œil circulaire. C’est donc que cette plante possède l’aptitude à soigner les troubles oculaires, ce que souligne l’un de ses surnoms italiens, occhio di Giove, « œil de Jupiter ».
    5. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 39
    6. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 493
    7. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 107

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