
Isabette, jeune fille de bonnes manières, s’amouracha de Lorenzo, gérant de la fortune de ses trois frères, lequel le lui rendait bien. Mais, apprenant quel ménage il se tramait entre les deux tourtereaux, le frère aîné alerta les deux autres, attendu que la personne de Lorenzo, trop mauvais parti, était jugée comme une insulte au renom de la famille d’Isabette. Ils jouèrent donc un jeu hypocrite face à Lorenzo, qui ne se doutait de rien. Ceux-ci finirent par lui tendre un piège : ils l’assassinèrent puis l’enterrèrent à la sauvette afin de dissimuler son corps. Cette disparition inquiétait fort Isabette, qui piaffait comme un cheval privé de sa ration de picotin. Elle questionna bien ses frères, mais n’en obtint aucune réponse. Ce qu’elle ne put pas obtenir en plein jour, lui vint nuitamment : dans un rêve, un Lorenzo pâle et décomposé se présenta à elle. Il lui apprit quel méfait ses frères avaient commis, ainsi que l’emplacement où son corps a été enfoui. Isabette, résolue à en avoir le cœur net, se rendit donc sur place et découvrit le cadavre de son bien-aimé. Fidèle à la mode antique, elle s’arrache les cheveux et se frappe la poitrine. Puis, elle s’en retourna, non sans avoir tranché la tête de son amoureux qu’elle emporta avec elle, à défaut de prendre possession du corps dans son entier. Parvenue chez elle, elle dissimula la tête dans un pot, la couvrit de terreau et y planta quelques pieds de basilic, qu’elle décida de n’arroser que d’eau de rose et d’oranger, ainsi que de ses larmes. « Rien n’interrompt ses soins prolongés, et la tête putréfiée engraisse le terreau dont elle est couverte. La beauté du basilic en devient éclatante et son parfum exquis ». Mais voilà que ces agissements attirèrent la curiosité mal placée du voisinage, qui s’empressa, sûr de son fait, d’en informer les trois frères, qui subtilisèrent à Isabette le pot de basilic. Alors que, privée de l’objet de son amour, Isabette tomba malade de chagrin, les trois frères s’expliquèrent l’attitude intrigante de leur sœur en découvrant ce qui se cachait au fond du pot, ce qui eut pour effet immédiat de leur faire prendre la poudre d’escampette le plus discrètement possible, tandis qu’Isabette expira de douleur amoureuse.
D’après Giovanni Boccacio (1313-1375), in le Décaméron.
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