« Pour que leur union soit acceptée par leurs parents respectifs, un jeune homme et une jeune fille doivent jeter chacun, fleur par fleur et en alternant, sept primevères dans le courant d’une rivière »1. Facile ? Encore faut-il procéder à la belle saison, quand paraissent fleuries les primevères, mais aussi le Soleil qui, s’élevant, passe pour un gage de succès, renvoyant la fleur à sa nature solaire.
Une bonne lecture et un beau week-end à toutes et à tous :)
Gilles

Synonymes : primevère jaune, printanière, fleur de printemps, primerole (ou primerolle en Normandie ; les Anglais la nomment primrose), coucou, clef de saint Pierre, herbe de saint Pierre, herbe de saint Paul, blairette, brairelle, brairette, brayette, coqueluchon, oreille d’ours, oseille d’ours, herbe à la paralysie, etc.
La primevère n’est-elle pas avec la violette un emblème printanier ? C’est indubitable, d’autant que c’est inscrit dans son nom même, que ce soit en français ou en latin. En effet, primevère et Primula veris signifient la même chose. Il s’agit des « premiers temps », c’est-à-dire ceux des premières floraisons de l’année calendaire. La primevère est donc la « toute première fleur vernale », autrement dit du printemps. Vernal est peu usité en tant que tel, on l’associe surtout au mot « point », au travers de l’expression « point vernal », degré zéro du du signe zodiacal du Bélier. Primevère (forme avérée depuis le XIIe siècle), primevoire et d’autres termes apparentés, faisaient tout d’abord référence à la saison avant de devenir le nom de la plante à la fin du XVIe siècle, alors que le printemps, ex primevère lui, est devenu printemps !
Comme il est inutile de fouiller l’œuvre des Anciens de l’Antiquité gréco-romaine (et pour cause, la primevère en est absente ; en ce qui concerne notre primevère, nulle mention ne veut pas forcément dire désintérêt, mais méconnaissance de l’existence de cette plante dans les territoires considérés), passons directement au Moyen âge où on évoquait plusieurs primevères sous des vocables fort différents. Mais d’un point de vue médicinal, on en parlait encore très peu. Le Physica d’Hildegarde recèle cependant une monographie concernant une Hymelsloszel (himmel = « ciel » en allemand), que les traducteurs ont désigné comme une « primevère ». Voici un extrait qui se détache de par son caractère médico-magique. Hildegarde considère cette primevère comme une plante chaude car de nature solaire, « c’est pourquoi elle apaise la mélancolie dans le cœur de l’homme. En effet, la mélancolie, lorsqu’elle apparaît chez l’homme, le rend triste et turbulent dans sa conduite, et le pousse à proférer des paroles contre Dieu. Quand ils s’en aperçoivent, les esprits aériens accourent auprès du malade et, par leurs conseils, le conduisent à la folie. Il faut alors que l’homme porte de cette herbe sur sa chair et sur son corps, jusqu’à ce qu’elle le réchauffe. Alors les esprits qui le tourmentent, redoutant la vertu que cette herbe reçoit du soleil, cesseront de le tourmenter »2. Hormis cela, Hildegarde conseillait aussi la primevère en cas de perte du bon sens et de… paralysie. C’est peut-être là l’origine du sobriquet d’herbe à la paralysie accordé à la plante encore aujourd’hui (bien que rarement car cette prétendue propriété a été révoquée en doute).
Après Hildegarde, ce fut le grand plongeon dans l’inconnu pour la primevère. Mais les principaux auteurs du XVIe siècle rattrapèrent le temps perdu et se bousculèrent au portillon : Brunfels, Fuchs, Gesner, Tabernaemontanus… N’oublions pas non plus Matthiole qui recommandait la primevère contre les faiblesses cardiaques, la goutte, les lithiases tant rénales qu’urinaires. En décoction avec de la sauge et de la marjolaine, il l’indiquait dans la paralysie et le tremblement des membres. Un siècle plus tard, Johann Schröder conseillait la primevère dans les affections cérébrales, l’apoplexie, l’arthrite, la migraine et, une fois encore, la paralysie. Puis, on la rencontre sous les plumes de Boerhaave et de Linné qui, tous deux, la donnèrent comme sédative, analgésique et somnifère. Au XVIIIe siècle, Jean-Baptiste Chomel, ne tarissait pas d’éloge au sujet de la primevère : « Elle réussit bien dans le rhumatisme et dans les maladies des jointures. On a remarqué qu’elle avait quelque chose de somnifère, en ce qu’elle calme les vapeurs, et dissipe la migraine et les vertiges des filles mal réglées »3. De plus, Chomel reconnaissait à la primevère le pouvoir de guérir la paralysie légère de la langue ainsi que le bégaiement. Au même siècle, Ray et Lieutaud lui attribuèrent une propriété antispasmodique dans les douleurs céphaliques. Puis, le XIXe siècle fit l’impasse sur la primevère. Pire, Cazin, lui donna presque le coup de grâce : « Cette plante n’est pas tout à fait inerte ; mais elle est du nombre de celles dont on peut se passer sans inconvénient, malgré les éloges qui lui ont été prodigués »4. Le coup est rude, mais, à la charge de ce grand médecin, signalons qu’il accordait aux seules fleurs les principales vertus de la plante, ce qui est loin d’être le cas. Mais de ces scories, dignes d’ovni, il en existe d’autres. Par exemple, je ne résiste pas à l’envie d’en partager une avec vous, et qui fera, j’en suis certain, bondir du simple ami des plantes jusqu’à l’aromathérapeute le plus confirmé. Voici un de ces « objets » : Le laurier est « un stimulant aromatique dont les emplois médicinaux sont pour ainsi dire nuls et qui sert presque exclusivement à parfumer nos ragoûts » ! (5). Voyez, même des esprits éclairés peuvent dire des âneries. La perfection n’étant pas de ce monde, passons donc outre. L’impasse aura été de courte durée. Dès le début du XXe siècle, tout comme quatre siècles plus tôt, on se rua de nouveau sur la primevère. On lui reconnût une valeur diurétique et expectorante, en particulier sur le catarrhe bronchique à son début et la pneumonie à sa fin. Une sorte d’alpha et oméga thérapeutique en somme. Concernant l’alpha, le docteur Leclerc disait qu’il « peut être spécialement utile au début des grippes, en dégageant les voies respiratoires, en stimulant la diurèse et en exonérant l’intestin »6. En exonérant l’intestin… Ah, nul doute, que cet homme savait bien parler.
Nous avons dit plus haut que la primevère était restée ignorée des Anciens. Enfin, pas tous : le peu que l’on sait de cette époque reculée, c’est qu’une primevère était connue des druides. Mais ceux-ci n’ayant laissé aucune trace écrite, tout ce que l’on sait d’un point de vue médical, c’est que cette plante fut remarquée comme vermifuge et analgésique des douleurs goutteuses et articulaires. Elle était aussi l’un des ingrédients qu’utilisait le barde dans son chaudron initiatique. D’ailleurs, les druides modernes perpétuent un rite consistant à oindre un nouveau barde d’une huile dans laquelle ont macéré des fleurs de primevère et des feuilles de cette autre plante sacrée qu’est la verveine officinale.
Dans de vieux poèmes – Le combat des arbres, Le chant de Taliesin –, on rencontre des références à la primevère, l’une des sept plantes sacrées des druides. Un autre poème explique que c’est à base de plantes que Blodeuwedd la femme-fleur fut enchantée par Gwydion : par « les neufs pouvoirs de neuf fleurs, neufs dons en moi combinés », elle fut créée. (Ces plantes sont les suivantes : châtaignier, chêne, épine – noire ou blanche ? on ne sait –, genêt, reine-des-prés, ortie, fève, nigelle et primevère.)

Cicely Mary Barker, The Primrose.
Avec la primevère, on jouxte le ciel, ne trouvez-vous pas ? Si l’on veut bien tout d’abord considérer son surnom de clef/herbe de saint Pierre, l’on peut le mettre en écho avec un vieux conte qui narre les aventures d’« un jeune homme trop hardi et possédé par les esprits [qui] tenta d’ouvrir la porte du Ciel avec une clé en or. Mais l’acte échoua : le jeune homme tomba sur la Terre, et à son réveil il tenait à la place de la clé une fleur tout aussi dorée »7, dont l’analogie avec le soleil, déjà soulignée par Hildegarde, n’est plus à démontrer. Nous allons pouvoir constater que cette interrelation persiste bien dans les deux faits que je vais maintenant exposer à votre connaissance : en Lorraine, ainsi qu’en Champagne, les enfants pratiquaient le jeu du Grand Soulé : pour cela, ils fabriquaient des pelotes de fleurs de coucou qu’ils se lançaient les uns aux autres. Peut-on voir là le reliquat d’un rite solaire plus ancien ? Pas sûr. Quoi que… Bien loin du nord-est de la France, il se déroulait des choses assez similaires jusque dans les années 1850, non loin du fief de George Sand : les paysannes des environs de La Châtre (Indre) se rendaient dans les prés à l’abord de l’équinoxe de printemps (au point vernal, donc, à partir duquel la durée du jour – et celle de l’ensoleillement – excède celle de la nuit), afin d’y cueillir des primevères dont elles composaient des pelotes toutes rondes qu’elles projetaient dans les airs au cri de « Grand Soulé ! Petit Soulé ! », entretenant, ce me semble, une relation de sympathie entre ce petit luminaire floral et celui qui ne fait que monter de plus en plus haut dans le ciel. Paul Sébillot appelait cette pratique le « jeu de la soule » (= du soleil). Ces manifestations d’enthousiasme n’ont-elles pas d’autre but que de soutenir et d’encourager le soleil dans le cours de son ascension ? Quelle merveilleuse manière de lui prêter main forte ! On a donc eu raison de faire de la primevère une fleur d’espérance au caractère enjoué. D’ailleurs, « transportons-nous par la pensée dans les vallons où nous aimions à cueillir cette fleur printanière, et rêvons un instant [NdA : ou plus longtemps ; tous les jours même !] à notre enfance, âge si heureux, mais trop rapidement écoulé, que remplissaient les jeux folâtres et les innocents désirs ! »8. La primevère est l’emblème de ce temps coïncidant avec les premières amours, durant lequel filles et garçons couraient la campagne, cueillant diverses fleurs pour s’en confectionner des couronnes et des chapelets dont ils se paraient les uns les autres. Il y eut des jeux à la candeur beaucoup plus naïve, comme celui-ci : en Lorraine, les petites filles avaient pour habitude de déshabiller de ses pétales une fleur de primevère. Elle s’apparentait alors à une petite poupée à laquelle il était donné le nom de marionnette. Puis les enfants la déposaient à la surface de l’eau d’un clair ruisseau en entonnant la formulette consacrée : « Vas ! Vas ! Ma petite marionnette ! Vas ! Vas ! Trois p’tits tours et puis t’en vas ! » Hissons-nous à l’âge de la puberté et même après : la primevère y est associée à une foule de pratiques et rituels dont je vais ici faire la synthèse (on pourrait réduire cela à « la primevère, fleur d’amour et présage de bonheur », mais je gage que ce serait bien insuffisant), et pour mériter son titre de « fleur porte-bonheur du mois de février », encore faut-il le démontrer. En Bretagne, lorsqu’une jeune fille rencontre une primevère dont la fleur porte sept pétales, elle est assurée de trouver un époux avant un an. Par ailleurs, la jeune fille qui découvre sa première primevère de l’année durant la semaine de Pâques sera mariée dans l’année et aura autant d’enfants que la plante porte de fleurs (Oh! Oh!). Pour ceux qui ont déjà une amoureuse lointaine et non formellement déclarée, la primevère est l’instrument du préliminaire. Ainsi chante-t-on : « Quand pointe la pâquerette, quand fleurit la primevère, c’est l’heure de conter fleurette à sa bergère ». Mais parfois cela ne suffit pas. Il faut donc en appeler au pronostic floral de la primevère au travers d’une pratique oraculaire à laquelle on a donné le curieux nom de « faire danser les demoiselles ». Pour cela, il faut, dit-on, faire tenir debout sur un verre rempli d’eau la corolle d’une primevère. Afin qu’elle se maintienne dans cette position et se mette à tourner (comme un soleil ?), il faut l’exhorter à l’aide de la formule que voici : « Fleur de Pâques, dis-moi si elle m’aime ; si elle m’aime, tourne la tête en bas ». Parfois, c’est l’inverse : si elle se renverse, l’échec est en vue. On peut procéder avec plusieurs fleurs : on dispose sur le verre d’eau autant de fleurs que de jeunes filles se sont réunies autour de l’augure : on attribue à chacune un prénom : les fleurs qui se tiennent encore debout après la formulette incantatoire sont la preuve d’un succès assuré à leur propriétaire, en particulier dans le domaine amoureux. Celles qui viennent à faire la culbute signifient que la jeune fille n’aura pas ce qu’elle désire ; si la fleur coule, elle serait même susceptible de tomber enceinte, ce qui risque fort d’être bien ennuyeux, puisque cela reviendrait à tirer le diable par la queue (sans mauvais jeu de mots ^.^). Rappelons que la primevère, parce que fleur d’harmonie, a une aversion pour tout ce qui trouble la paix, en particulier à cet âge qu’est l’enfance, un peu moins à celui, plus houleux, de l’adolescence. Une grossesse ne saurait être commandée par la primevère qui se contente généralement de faire l’entame, ce qu’elle réussit, ma foi, très bien en tant que première née du printemps, « première verte » pourrait-on même dire, ce qui en fait indubitablement une fleur de Vénus : elle s’associe à la déesse tant par la saison que par la couleur verte. Fleur des premiers émois, la primevère se doit donc d’être fleur de beauté, ce qui sied aussi parfaitement à Aphrodite. Et si la primevère incline à la beauté et à l’amour, il n’y a donc pas de mal à ce que même des femmes qui ne sont plus des adolescentes y fassent appel, n’est-ce pas ? Enfin, moi-même, je n’en vois aucun. Ce n’est pas ce que pensait William Turner, herboriste anglais du XVIe siècle : « Certaines femmes mélangent cette plante à du vin blanc, puis se lavent le visage avec la préparation obtenue, préférant ainsi se faire plus belles aux yeux du monde qu’à ceux de Dieu, qu’elles n’ont pas peur d’offenser ». A cette goujaterie misogyne éminemment patriarcale, il va falloir mettre bon ordre. Avant même de plaire au dieu vindicatif des chrétiens, n’oublions pas que la primevère, enjuponnée de jaune, est une fleur de fée au Pays de Galles ainsi qu’en Irlande. Ce qui nous fait rentrer de nouveau de plain-pied dans le paganisme que nous évoquions tout à l’heure en mentionnant druides et femme-fleur. Bien sûr que la primevère est fée ! En ce cas, l’enfant qui est une abeille, ne se rapproche-t-il pas insensiblement du monde féerique ? Si tous les adultes finissent par devenir des William Turner, on comprend mieux qu’il n’y ait plus que l’enfant – durant un bref instant – qui est capable de rapporter de leur monde les messages des fées. Si vous voyez un enfant butiner et téter les fleurs de primevère au printemps, vous savez maintenant pourquoi. Fort heureusement, toutes les grandes personnes ne sont pas comme ce William Turner. Il en est d’autres, plus proches d’un contemporain de cet herboriste grincheux : par exemple, le poète d’origine irlandaise John Donne, auquel on doit un sublime poème sobrement intitulé La Primevère et pour lequel un autre poète, plus tardif, fit la confession suivante dans un ouvrage bien connu, La Déesse blanche : Donne « savait que la primevère était consacrée à la Muse et que le ‘nombre mystérieux’ de ses pétales s’appliquait aux femmes. Pouvait-il adorer un caprice de la nature qui eût été moins ou plus qu’une vraie femme ? […] Elle doit être adorée dans son ancien personnage quintuple, c’est-à-dire lorsqu’on compte les pétales […] de la primevère : Naissance, Initiation, Consommation, Repos et Mort »9. La primevère, fleur de la Grande Déesse, jaune qui plus est, ce qui est l’« indice de l’intelligence la plus haute et la plus désintéressée ; c’est la raison pure dirigée vers des fins spirituelles »10. Point de lumière, joyau de clarté, étincelle de joie, la primevère inspire « une foi solide comme un roc et lumineuse comme au commencement », pour reprendre Paracelse. Oui, avec la primevère, on jouxte bel et bien le Ciel et ses Mystères.
« Vis donc, Primevère, et frissonne
De ton vrai chiffre, qui est cinq ;
Et vous, femmes, dont est symbole cette fleur,
En cinq, mystérieux, trouvez votre content ;
Le chiffre extrême est dix ; si chacune en possède
La moitié, alors de nous, hommes,
Elle peut prendre la moitié ;
Mais s’il ne leur suffit, tout chiffre étant impair
Ou bien pair, et leur prime union étant cinq,
De prendre tout de nous les femmes ont pouvoir. »
John Donne (1572-1631)
La primevère – notre commun coucou (derrière le mot « primevère », il ressort des représentations qui penchent plus du côté de la primevère acaule que du coucou proprement dit, c’est-à-dire une primevère à laquelle on aurait fait subir l’épreuve de la grande élongation en lui tirant sur le cou-cou) – est une plante vivace assez commune en Europe ainsi qu’en Asie occidentale. En France, cantonnée à la portion est du territoire, elle est relativement exclue de la zone méditerranéenne, certainement trop sèche pour elle, sachant qu’elle évolue en plaine comme en moyenne montagne (jusqu’à 2200 m), à la condition que le sol soit calcaire et frais (prairie, pâturage, talus, haie, sous-bois, clairière forestière), c’est-à-dire des lieux pas exactement désertiques. Parmi les herbettes printanières, une tige souterraine, horizontale, courte et trapue, de couleur rouge brunâtre et garnie de nombreuses racines fibreuses blanchâtres, pousse dès le mois de mars, au ras du sol, une rosette de feuilles qui se déploie en formant une masse circulaire bien garnie. Pincées au niveau du pétiole, ces feuilles s’élargissent régulièrement plus on dirige le regard vers l’extrémité du limbe qui s’achève rondement. Plus ou moins ridées/gaufrées, et feutrées en-dessous, les feuilles ovales vert bleuâtre de la primevère comportent un contour irrégulièrement denté. Au cœur de la rosette, quand vient la floraison, émergent cinq à quinze pédoncules floraux, hampes qui se dressent comme des bergers landais au-dessus du moutonnement des feuilles, à une hauteur de parfois 30 cm. Au bout de chacune, se déploie, petit oriflamme, un bouquet de six à huit fleurs penchées toutes dirigées du même côté. Ces fleurs, constituées d’une corolle mono-pétale à cinq lobes, sont peintes d’un jaune d’or franc soutenu par une marque orangée rougeâtre à la gorge (un signe de pharyngite ? ^.^). La primevère offre un bon nectar aux insectes butineurs qui la recherchent d’autant qu’en ce premier temps de la végétation renouvelée, les fleurs se font rares pour nos amies les abeilles.

Illustration tirée de l’Herbier de la France de Pierre Bulliard (1780-1798).
La primevère en phytothérapie
La confusion possible entre cette espèce et sa cousine, la primevère élevée (P. elatior), s’est accompagnée d’une sorte de « controverse ». Bien plus rare, la primevère officinale serait, dit-on, en voie de disparition et, par ailleurs, ici ou là protégée. Ce n’est pas du tout le même son de cloche qui émane du site de l’IUCN qui mentionne uniquement une « préoccupation mineure » pour l’espèce, quand bien même cet organisme précise que sa population recule sur le territoire européen. La question s’est donc posée de savoir comment continuer à utiliser une plante dans le cadre thérapeutique sans avoir d’impact majeur sur sa démographie. Eh bien, on s’est adressé à sa cousine, l’autre primevère, dite élevée, à laquelle elle ressemble beaucoup hormis un trait distinctif qui tient aux fleurs : parfumées chez P. veris, elles sont sans odeur chez l’autre espèce. Peut-être bien que ce fait a été à l’origine des objurgations qu’on fit peser sur la primevère dans la littérature médicale : cette primevère inodore ne serait-elle pas parfaitement inactive ? Mais parce que plus fréquente, ne pourrait-on pas la préférer à l’autre dans la pratique phytothérapeutique ? C’est sûr que si l’une des deux est dépourvue d’action et qu’on l’emploie en lieu et place de l’autre, rien ne va plus !
La confusion n’est toujours pas dissipée. Tout d’abord, il n’est pas vrai de dire que l’une est rare et l’autre non : toutes les deux sont sur le déclin (bien que cela n’ait rien d’alarmant, sauf à considérer une récolte sauvage trop soutenue. Aujourd’hui, la primevère officinale est cultivée pour le marché des herbes médicinales). Secundo, cette idée d’efficacité thérapeutique est battue en brèche : plusieurs auteurs, parmi lesquels Fournier et Lieutaghi, considèrent les deux espèces à équivalence. Bref. Venons-en maintenant aux faits.
La phytothérapie s’est essentiellement concentrée sur les extrémités de la primevère : d’une part le rhizome (dont il est souvent dit qu’il jouit d’une plus grande efficacité thérapeutique) qui, à l’état de fraîcheur, répand une odeur un peu anisée, ou semblable à celle du clou de girofle, devient parfaitement inodore une fois sec. On lui trouve une saveur astringente et un peu amère. Quant aux fleurs, doucement parfumées, elles possèdent une saveur douce et suave. Les feuilles, rarement usitées, sont tout à la fois presque insipides et sans odeur.
Le rhizome de la primevère contient peu de tanin, mais une proportion marquée de saponosides triterpéniques (8 à 12 %), des hétérosides phénoliques, deux substances glucosidiques connues sous les noms de primevérine et de primulavérine, enfin des sucres et et une trace d’essence aromatique. Les fleurs sont abondamment pourvues de flavonoïdes variés (gossypétine, rutine, quercétine, lutéoline, apigénine, robiniobioside, kaempférol, épicatéchine, épigallocatéchine, etc.). On y trouve encore des caroténoïdes, un peu d’essence aromatique, etc.
Propriétés thérapeutiques
- Expectorante, mucolytique, augmente et fluidifie les sécrétions bronchiques, antitussive, pectorale, balsamique
- Laxative douce, purgative douce, vermifuge
- Diurétique légère, sudorifique
- Antispasmodique, sédative, tranquillisante, analgésique, inductrice du sommeil
- Anti-inflammatoire, anti-oxydante
- Sialagogue
- Sternutatoire (poudre de rhizome seulement)
- Cardioprotectrice, hémolytique, hémostatique
- Vulnéraire, astringente douce, adoucissante, antiprurigineuse
- Anti-infectieuse : antiseptique, antibactérienne, bactériostatique, antivirale
Usages thérapeutiques
- Troubles de la sphère respiratoire : bronchite chronique, catarrhe bronchique, rhume (dès le début), refroidissement, grippe, pneumonie, coqueluche, asthme, toux grasse à caractère chronique
- Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée chronique, inflammation intestinale, vomissement
- Troubles de la sphère vésico-rénale : lithiase urinaire, rhumatisme, goutte
- Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : tension, palpitations
- Affections cutanées : plaie, contusion, blessure, meurtrissure (aux pieds, quand on porte des chaussures neuves ; on peut envisager des compresses ou un bain de pieds à base d’une décoction concentrée de primevère), écorchure, ecchymose, hématome, coup de soleil, inflammation cutanée, piqûre d’insecte, boutons et autres éruptions, rides, crevasse, gerçure
- Affections bucco-dentaires : maux de dents, inflammation de la bouche et de la langue
- Troubles locomoteurs : goutte, rhumatisme, arthralgie, névralgie
- Maux de tête invétérés, céphalée, vertige
- Troubles du système nerveux : stress, nervosité, nervosisme, crise d’angoisse, insomnie, insomnie infantile, sommeil agité, surmenage, hystérie, chorée, convulsions infantiles
Modes d’emploi
- Infusion de fleurs : comptez une cuillerée à café à une cuillerée à soupe de fleurs sèches pour une tasse d’eau bouillante en infusion durant 5 à 10 mn. Pour un litre d’eau, cela représente 20 à 30 g. Dans le commerce, on rencontre plusieurs mélanges spéciaux contenant des fleurs de primevère : à visée respiratoire, expectorante, urinaire, cardiaque, circulatoire, etc. On retiendra aussi la tisane des cinq fleurs (coquelicot, violette, mauve, guimauve et primevère). Infusion contre l’asthme : racine d’aunée, rhizome de primevère, anis vert : 10 g de chaque. Une cuillerée à café de ce mélange par tasse d’eau chaude.
- Décoction de fleurs et de feuilles : 30 à 50 g par litre d’eau. A faire bouillir 5 mn, puis infuser hors du feu pendant 10 mn à couvert. Un traitement au long cours : on abaisse les quantités à 10 g de fleurs et de feuilles par litre d’eau.
- Fleurs fraîches contuses placées dans de l’eau tiède sucrée ou miellée. Cela peut représenter une boisson de confort quotidienne en cas de refroidissement, de rhume, d’attaque de froid, etc.
- Extrait de plante fraîches : 20 à 25 gouttes dans un demi-verre d’eau trois fois par jour.
- Décoction de rhizome : une cuillerée à café en décoction pendant 5 à 10 mn dans 15 cl d’eau (on peut réduire ce temps à 2 mn, puis laisser infuser hors du feu pendant 10 mn).
- Décoction concentrée de rhizome : dès 20 à 30 g par litre d’eau, l’on peut pousser jusqu’à 100 g. En décoction pendant au moins 20 mn, jusqu’à réduction au tiers. On l’utilise surtout en usage externe (lotion, compresse).
- Poudre de rhizome.
- Suc frais des feuilles (usage assez rare).
- Macérât huileux de fleurs fraîches (il faut procéder comme pour l’huile rouge de millepertuis).
Note : la fleur de primevère apparaît comme ingrédient dans la liste composant l’eau de mélisse des Carmes. Parmi les inattendus de cette recette, on trouve aussi du muguet et du cresson !
Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations
- Récolte : on peut prélever les feuilles dès mars, les fleurs avec leur calice le mois suivant et jusqu’à la défloraison complète qui intervient généralement avant juin. Le rhizome se déterre à l’automne (novembre-décembre), ou bien à la fin de l’hiver quand les feuilles sont sur le point d’émerger.
- Séchage : les fleurs se disposent sur des claies en couche mince, à l’ombre. Elles ne demandent pas de soin particulier si les conditions de séchage sont respectées. Après séchage, on obtient 1/5 à 1/3 du poids de fleurs fraîches initial. Les rhizomes, après ébarbage, sont fendus dans le sens de la longueur, placés au four doux ou, s’il est disponible à ce moment-là, en plein soleil.
- Inconvénients : un excès de rhizome par voie interne peut causer nausée, vomissement et diarrhée. Le contact de la plante sur la peau peut y provoquer des dermatoses (dermatite de contact11, érythème), ou du moins un phénomène allergique. On en évitera donc l’emploi en ce cas, ainsi qu’en cas avéré d’allergie à l’aspirine et ses dérivés. Les personnes qui suivent un traitement anticoagulant l’éviteront, de même que les femmes enceintes et celles qui allaitent.
- Alimentation : il est possible de consommer les feuilles à l’état jeune, crues comme cuites, en salade ou en farce, par exemple, comme cela se faisait en Angleterre. Les fleurs se prêtent aussi à un usage culinaire, incorporées à des salades ou à des gelées de fruits par exemple. Autrefois, en Suède et en Grande-Bretagne, on confectionnait une boisson fermentée composée de citron, de miel et de fleurs de primevère. Ailleurs, on faisait infuser la fleur dans du vin (ce qui semble l’améliorer) et la racine dans la bière.
- Autres espèces : en France, il existe environ une dizaine de primevères dont les 2/3 sont montagnardes. Mais en plaine on rencontre deux autres spécimens : la primevère élevée (P. elatior) et la primevère acaule (P. acaulis ou vulgaris), beaucoup plus petite et aux fleurs jaune pâle. C’est de cette dernière qu’on rencontre différents cultivars aux fleurs simples ou doubles et aux coloris variés (mauve, rose pâle, rose vif, rouge, bleu, bleu violacé, etc.). Mentionnons encore l’existence de la primevère farineuse aux fleurs d’un rose doux (P. farinosa), ainsi que l’auricule ou oreille d’ours (P. auricula).
_______________
- Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 201.
- Hildegarde de Bingen, Physica, p. 102.
- Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, p. 275.
- François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 793.
- P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 117.
- Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 259.
- Ute Künkele, Plantes médicinales, p. 154.
- Joseph Roques & Till R. Lohmeyer, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 208.
- Robert Graves, Les mythes celtes. La Déesse blanche, p. 570.
- Annie Besant & C. W. Leadbeater, Les formes pensées, p. 20.
- Ce sont surtout des espèces exotiques – la primevère du Tibet (P. obconica), la primevère de Chine (P. sinensis) – qui sont concernées par cette problématique. Des poils revêtant le revers des feuilles provoquent des symptômes rappelant l’érysipèle en sécrétant une substance d’un jaune brillant responsable de l’irritation.
© Books of Dante – 2022

% Merci l’Artiste _/*\_
J’aimeJ’aime
Merci pour cet article ! Je me suis régalée !
Je le prends comme un cadeau pour les souvenirs qu’il m’a rappelé : cueillette de primevères pour une herboristerie suisse. Cueillette délicate pour une fleur délicate !
Belle fin d’année à vous et encore merci pour tous ces écrits….
J’aimeJ’aime