L’éleuthérocoque (Acanthopanax senticosus)

Synonymes : ginseng russe, ginseng de Sibérie, buisson du diable, racine de la taïga, poivre sauvage, eleuthero, touch-me-not, shigoka, ciwujia, kan jang.

Eleutherococcus est l’étrange nom de genre accordé à un groupe de plantes de la famille des Araliacées (qui comprend aussi le lierre grimpant, Hedera helix) par le botaniste russe Carl Johannes Maximowicz (1827-1891) en 1859, soit quelques années après l’identification de cet arbuste dans son habitat naturel, c’est-à-dire les sous-bois humides mais bien drainés, les sols riches mi-ombragés ou parfois très ensoleillés, des forêts montagneuses mixtes ou à leur orée broussailleuse, d’une grande zone géographique située à l’est de l’Asie, comprenant notamment la Sibérie orientale, les provinces septentrionales de la Chine (Hebei, Shanxi), le Japon et la Corée, où cet arbuste robuste est très abondant, malgré les conditions rudes qui règnent en la plupart de ces lieux : les températures (qui peuvent atteindre les – 30° C) obligent l’éleuthérocoque à la rusticité et à la résistance au froid, ce qu’il fait au reste avec assez de facilité, étant d’ailleurs tributaire du gel pour s’assurer une germination plus aisée bien que fort lente : les semences de l’éleuthérocoque doivent subir l’épreuve du froid pour mieux réussir dans la vie. Si vous souhaitez vous-même semer cette plante dans votre jardin – des semences sont disponibles à la vente sur le site du Conservatoire National des Plantes –, vous aurez tout intérêt à les stocker préalablement au congélateur pendant quelques mois avant toute tentative de semis. L’éleuthérocoque se doit d’enregistrer cette épreuve afin de communiquer ce pouvoir inscrit en lui, à qui consommera cette plante, comme, par exemple la longévité, tel que le conseille la médecine traditionnelle chinoise depuis plusieurs millénaires (tonifiant du qi, renforçant l’énergie du méridien de la Rate et nourrissant de l’énergie du méridien des Reins, l’éleuthérocoque n’a effectivement pas usurpé sa réputation de plante de longue et bonne vie). « L’éleuthérocoque voudrait que les gens ne vieillissent pas, qu’ils n’aient pas peur de la mort, qu’ils ne se laissent pas immobiliser par des angoisses inutiles et qu’ils profitent de la vie très, très longtemps. Un sacré défi, mais lui qui pousse dans les froidures et la pauvreté des steppes, il connaît la valeur de la vie »1. L’éleuthérocoque a beau couvrir uniquement ses jeunes rameaux d’épines (à l’image du rosier, il protège essentiellement ce qui est fragile), on pressent à quel point il souhaite assurer une protection, tout d’abord face aux différents travers que l’homme est susceptible de croiser tout au long de son existence, mais également en pratique : par exemple, au Japon, c’est l’un de ses cousins, Acanthopanax sieboldianus, dont on forme des haies qui, dit-on, résistent bien à la pollution, mais qui, surtout, clôturaient autrefois la périphérie des maisons des samouraïs, convenant néanmoins qu’une fois l’hiver venu, l’épine à elle seule n’entrave pas le rayon des regards indiscrets.

Ce petit arbuste de deux à trois mètres de hauteur est couvert de feuilles caduques longuement pétiolées, palmatilobées par trois à sept, et dont chaque lobe est soigneusement dentelé sur son pourtour. Afin de rappeler sa parenté avec le lierre grimpant, on lui voit arborer, généralement en juillet, des ombelles globuleuses dont les fleurs mâles sont violettes et les femelles de couleur jaune verdâtre. L’union des deux sexes produit des grappes de baies noires et charnues.

L’éleuthérocoque en phytothérapie

L’éleuthérocoque est une plante assez semblable au ginseng en ce qui concerne ses propriétés même s’il a été largement ignoré par rapport à ce dernier. Il possède justement des composés similaires aux ginsénosides de Panax ginseng. C’est d’ailleurs en recherchant une plante sauvage qui, par analogie, posséderait le même portrait thérapeutique offert par le ginseng, que le professeur Brekham, directeur du département de physiologie et de pharmacologie de l’Institut biologique d’Extrême-Orient de l’Académie des sciences de l’ex URSS situé à Vladivostok, entama de premières études dans les années 1950 (et pour plusieurs décennies), faisant connaître cette plante médicinale à l’Occident au milieu des années 1970.

De la racine cylindrique bien droite ou au contraire très ramifiée de couleur brun foncé, l’on retire un certain nombre de composants dont beaucoup sont doués d’une action pharmacologique très nette. Tentons, sans trop dire d’âneries, de faire un inventaire de tous ces éléments.

Tout d’abord, nous voyons des glycanes, plus précisément des éleuthéranes, auxquels on a attribué les lettres de l’alphabet pour plus de commodité (A, B, C, D, E, F et G). A leur côté, se trouve ce que l’on appelle d’un nom proche, les éleuthérosides, eux aussi identifiés par des lettres : éleuthéroside A (glycoside de daucostérol), éleuthéroside B2 (glycoside de syringine), éleuthéroside C (polysaccharide), éleuthéroside D (lignane), éleuthérosides I, K, L et M (saponines triterpènes). En plus de cela, on y croise de la sésamine et du syringarésinol (deux autres lignanes), une coumarine (isofraxidine), des phénylpropanoïdes, des phytostérols (β-sitostérol), des flavonoïdes, une foule de sels minéraux et d’oligo-éléments (calcium, potassium, sodium, magnésium, fer, cuivre, zinc, manganèse, chrome, bore, phosphore, strontium, aluminium, baryum, etc.).

Bien que non usitées à l’instar des racines, les baies de l’éleuthérocoque renferment divers acides (caféique, vanillique, férulique, benzoïque et p-coumarinique), ainsi que des éléments minéraux comme le calcium, le magnésium et le potassium. Quant aux feuilles, leur hydrodistillation permet d’en retirer une huile essentielle dans laquelle on trouve une bonne centaine de molécules aromatiques dont une demi douzaine seulement forme la moitié de ce produit : des sesquiterpènes (β-carophyllène, germacrène D, β-bisabolène, α-humulène) et des sesquiterpénols (α-bisabolol).

Propriétés thérapeutiques

  • Adaptogène +++, accroît l’énergie, vitalisant, stimulant et tonique physique, augmente la capacité de résistance de l’organisme à l’effort et à l’égard de facteurs nocifs de nature physique, chimique ou biologique (poisons, certains médicaments chimiques, radiations ionisantes, modification des températures, décalage horaire, agents infectieux : bactéries, virus, parasites comme le trypanosome), améliore la récupération après l’effort, stimulant des surrénales mais réduit l’augmentation de la corticostérone suite à l’irruption d’un stress (on observe une libération plus économique et plus efficace de cette hormone)
  • Stimulant du système nerveux central, tonique nerveux, neuroprotecteur, améliore la mémoire et les fonctions cognitives, tonique psychique
  • Stimulant des glandes sexuelles, tonique sexuel, favorise la sécrétion androgénique
  • Immunostimulant, immunomodulateur, protecteur immunitaire, promoteur des cellules cytotoxiques et des lymphocytes
  • Anti-infectieux : antiviral à large spectre (virus à ARN : grippe, rhinovirus, virus respiratoire syncytial)
  • Hypoglycémiant, antihyperglycémiant, hypolipémiant, hypocholestérolémiant, hépatoprotecteur
  • Antistress, relaxant, sédatif, calmant
  • Anti-inflammatoire
  • Améliore la micro-circulation sanguine cérébrale, contribue au maintien d’une bonne circulation sanguine
  • Apéritif, stimulant du transit
  • Favorable à la bonne santé du système respiratoire
  • Antitumoral
  • Préventif de l’ostéoporose

Usages thérapeutiques

  • Quand on est déjà patraque physiquement : asthénie physique et sexuelle, fatigue, épuisement, surmenage, état de faiblesse et de langueur, stress physique, immunodéficience, convalescence
  • Quand on est déjà patraque psychiquement et intellectuellement : stress psychique, faiblesse intellectuelle, tension nerveuse, manque de tonus intellectuel, mémoire défaillante, manque de concentration
  • Quand on ne souhaite pas être patraque : toute situation exigeant de soutenir une attention, une vigilance, une concentration plus intenses qu’à l’accoutumée, supporter des efforts physiques intenses (entraînement sportif, épreuves d’exception : par exemple, meilleure adaptation à l’apesanteur chez les cosmonautes, contrer les effets du décalage horaire, lutter contre le froid) de même que psychiques et intellectuels (épreuves d’examens, etc.)
  • Autres troubles du système nerveux : angoisse, amélioration de l’humeur, insomnie
  • Troubles de la sphère respiratoire : rhume, infection des voies respiratoires, maladies pulmonaires obstructives chroniques
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation
  • Réduire la glycémie sanguine, endiguer le diabète
  • Prophylaxie contre le développement du cancer, carcinome du sein, de l’estomac, de la bouche, des ovaires, mélanome cutané, intoxication chimique liée à la chimiothérapie, difficulté à supporter les séances de radiothérapie (l’éleuthérocoque fut administré après la catastrophe de Tchernobyl d’avril 1986)
  • Céphalée

Modes d’emploi

  • Poudre de racine à diluer dans un jus de fruits ou présentée en gélules (extrait sec).
  • Extrait hydro-alcoolique : deux à trois prises de 30 gouttes chacune par jour (on peut fabriquer une teinture-mère de ménage en faisant macérer une partie de racine d’éleuthérocoque dans cinq parties d’alcool (style alcool pour fruits titrant 40 à 45°).
  • Décoction de racines mondées en petits fragments. Faire frémir jusqu’aux bouillons de l’ébullition. Dès qu’ils surviennent, couper le feu, laisser infuser à couvert pendant ¼ d’heure.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : la racine âgée de deux à trois ans s’arrache à l’automne ou bien au début du printemps. On la sèche intégralement, puis on la pile jusqu’à obtenir de tout petits fragments. La poudre exige un mixeur puissant pour se former.
  • Peut-on prétendre que l’éleuthérocoque n’est pas toxique ? Probablement. Affirmer qu’il est inoffensif, en revanche, serait beaucoup plus risqué, car de nombreuses contre-indications ont été relevées : la prise d’éleuthérocoque est incompatible avec la consommation d’alcool, de thé et de café, avec un traitement contre l’insomnie (hexobarbital, etc.), l’usage d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, lors d’un traitement anticoagulant, anti-agrégeant, antidiabétique et/ou cardiotonique (digoxine, etc.). L’éleuthérocoque est un inhibiteur enzymatique : sa consommation peut endiguer la bio-transformation de médicaments pris en parallèle. Certains états de santé – maladies auto-immunes, greffe récente, apnée du sommeil, narcolepsie, maladies mentales, hypertension (Une fois oui, une fois non…), endométriose, état fébrile avec fièvre supérieure à 39° C, etc. requièrent l’attention du praticien. Chez l’enfant de moins de 12 ans, l’éleuthérocoque n’est pas recommandé, de même que chez la femme enceinte et celle qui allaite. En tous les autres cas, il est préférable d’éviter les prises tardives (jamais après 17h00), de même qu’une consommation quotidienne organisée sur un trop long temps (une cure d’éleuthérocoque oscille entre six semaines et trois mois). Un surdosage, une utilisation inappropriée, peuvent être susceptibles de provoquer un certain nombre de désagréments dont nervosité, excitation, irritabilité, palpitations et tachycardie, angoisse, confusion, tendance à l’insomnie, maux de tête, etc.
  • Associations possibles : avec le ginseng, l’ortie, la prêle, etc.
  • Autres espèces : le himeukogi (Eleutherococcus sieboldianus), le wu jiu pi (Acanthopanax gracilistylus), etc.

_______________

  1. Guy Fuinel, L’amour et les plantes, p. 68.
  2. Il a été remarqué que cet éleuthéroside possédait un caractère cumulatif dans l’organisme avec le temps. Ainsi se retrouve-t-il dans la rate et le pancréas, mais également dans d’autres glandes du corps (hypophyse, surrénales).

© Books of Dante – 2022