
Qu’elles soient pierres de tonnerre, dents de foudre, céraunies ou encore haches de Dieu, toutes ces pierres ne sont pas réductibles au strict statut de météorite : en effet, seul un petit nombre d’entre ces objets sont de véritables météorites, c’est-à-dire, au sens étymologique du terme, de ces « objets lithiques suspendus dans les airs »1. Venues d’en haut, on les dit engendrées dans les nues, tombées du ciel à la faveur de la foudre et/ou du tonnerre (ou bien indépendamment de ces deux événements météorologiques), transportées par le vent, issues des nuages qui s’entrechoquent, propulsées sur terre par les différentes divinités du tonnerre, etc. Ces aérolithes tombent donc du ciel depuis aussi longtemps (et bien avant même) que la main de l’homme est capable d’en consigner les chutes successives : par exemple, en 1808, s’abat au-dessus de la Moravie une « pluie » de plus de 300 météorites, de même qu’en Bohème en 1754. Cela est aussi attesté au Moyen âge : en 1135, en Thuringe, un bloc aussi gros qu’une maison (sic) s’abat sur le sol. Ce phénomène est également observé durant l’Antiquité, durant laquelle Pline compilera certains de ces événements. Tout cela n’est pas circonscrit en un seul temps où la crédulité permettait à quiconque de faire avaler des couleuvres, non : le 18 février 1948, une pluie de météorites pierreuses dégringola du ciel du Nebraska dont le sol accueillit le plus massif météorite pierreux (une tonne), tandis qu’un an plus tôt, le 12 février 1947, c’est la Russie qui reçut de telles précipitations : dans la chaîne montagneuse de Sikhote-Aline (Sibérie orientale), près de 23 tonnes de matériau météoritique ont été récupérées, ce qui n’est pas grand-chose au regard de ce qui a atterrit sur le sol namibien qui s’honore encore aujourd’hui de posséder le plus gros météorite ferreux jamais tombé à la surface de la Terre : il pèse 60 tonnes !2 Voyez donc ci-dessous :

Alors qu’à la fin du XVIIIe siècle, qu’on dit lumineux, l’Académie des sciences de Paris niait encore l’origine extra-terrestre des météorites, Josef Stepling (1716-1778), mathématicien et naturaliste de Bohème, avait été le premier à en affirmer la véritable origine, remisant au rang des vieilleries éculées toutes les anciennes hypothèses tentant d’expliquer la genèse et la provenance de ces pierres semblant surgir de nulle part.
Chez les Mayas, les Incas et les Aztèques, on utilisait un fer dont l’origine s’est avérée météorique. Pour en désigner la source, ces derniers montraient le ciel abritant la demeure du fer. A vrai dire, ce fer leur était si précieux qu’il était même plus rare que l’or qui, lui, n’est jamais tombé du ciel. Ajouter à la rareté le caractère céleste d’un objet particulier, et il y a de fortes chances pour qu’on le considère comme sacré. Dans d’autres cultures, la voûte céleste n’est-elle pas tapissée de cristaux de roche dont certains se décrochent de temps à autre ? Bien entendu, le lieu et l’opportunité de ce détachement participent de la sacralité céleste. Voit-on des météorites fendre l’air atmosphérique tous les jours que Dieu fait ? Nous savons, nous autres, de quoi il retourne à l’endroit des météorites, du lieu duquel ils peuvent bien émaner. Mais autrefois ? Quel spectacle mystique cela devait occasionner auprès d’hommes non pas crédules mais partageant une conception du monde différente de la nôtre ! Ces pierres du ciel sont donc tout sauf anodines. Tel chaman recevant du ciel telle ou telle pierre, comment ne pas s’imaginer que cette dernière va lui concéder le moyen de se solidariser mystiquement, magiquement, voire thérapeutiquement, avec le ciel ? Parce que, à la manière de l’ange, l’aérolithe est non seulement le sceau de la présence d’une puissance surhumaine extra-terrestre, mais aussi l’évidence d’une communication spirituelle entre le Ciel et la Terre, union particulièrement marquée lorsqu’un météorite vient labourer la terre, à la manière de la houe le sillon.
Infime fraction de divinité parvenue jusque sur la Terre après un fulgurant itinéraire pour le moins hasardeux – course aussi folle et hiératique qu’une fléchette ivre propulsée à travers les pales tournoyantes d’un ventilateur –, l’aérolithe est donc message du ciel, instrument d’un oracle, théophanie, manifestation immédiate de la divinité, en particulier dans sa dimension fertilisante : c’est d’autant plus vrai quand les météorites tombent « en pluie ». Pierres vivantes et parlantes tout imprégnées de sacré sidéral, bien que « tombées du ciel, elles demeurent animées après leur chute »3. Pour peu qu’on en fasse des idoles et qu’on dépasse le seuil de la seule fonction de réceptacle, « l’origine miraculeuse de ces pierres devait grandement contribuer au respect et à la vénération qu’elles inspiraient »4.
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- Le mot météorite doit être différencié de météore. Un météore, c’est bien un phénomène qui se déroule dans l’atmosphère, mais ce n’est en aucun cas un fragment minéral provenant de l’espace. Les principaux météores nous sont mieux connus sous les noms de pluie, neige, grêle, tonnerre, éclair, etc.
- Parmi les météorites, on distingue les formes pierreuses des formes ferreuses (composées en réalité d’un alliage de fer et de nickel). Ces dernières, qu’on nomme sidérites pour rappeler leur origine céleste, doivent être différenciées de la sidérite strictement terrestre, un carbonate de fer. Il existe deux sidérites principales : l’octaédrite, qui est la plus courante, et l’hexaédrite.
- Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 751.
- Esther Harding, Les mystères de la femme, p. 72.
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