La mélisse (Melissa officinalis)

Synonymes : herbe au citron, menthe au citron, citronnelle, citronne, citronnade, cédronnelle, ponceriane, ponchérade, poncirade (de l’espagnol poncidre, du latin pomum citrus, sorte de citronnier épineux, peut-être Poncirus trifoliata), céline, thé de France, piment des mouches, piment des abeilles, piment des ruches.

Depuis l’Antiquité, la mélisse a trouvé sa place au sein de pharmacopées de différentes régions géographiques du bassin méditerranéen que l’homme lui a fait traverser. Comme beaucoup d’autres plantes, elle s’est propagée d’est en ouest, débutant sa course d’Asie mineure à une date déjà fort reculée, avant de se retrouver cultivée en Espagne par les Arabes vers l’an 960, et de l’autre côté des Alpes par le biais des bénédictins qui, dit-on, transportèrent la plante davantage au septentrion. Mais n’allons pas trop vite, la mélisse est une plante qui n’apprécie pas toujours d’être brusquée, fée délicate qu’elle est.
Chez les Grecs anciens, où on l’appelait melissophyllon, c’est sans doute à Théophraste qu’on doit la plus ancienne mention de cette plante au sein de son Traité. Nicandre de Colophon la présente aussi bien dans Les Thériaques que dans Les Alexipharmaques, puisqu’on est assuré que la macération vineuse de feuilles de mélisse offre un parfait antidote contre les piqûres de scorpion et les morsures de chien enragé, caractère repris par Dioscoride, auquel il ajoute plusieurs propriétés : la mélisse est vue comme diurétique, emménagogue, hypnotique. Le médecin grec use d’elle aussi face à des affections pulmonaires (asthme, dyspnée, toux) et à différentes algies (migraine, douleur oculaire). On peut, à travers ces quelques informations, reconnaître certaines des attributions propres à la mélisse, mais celles qui en constituent le cœur et la cible restent pour l’heure inabordées, comme s’il déplaisait à la belle de livrer tous ses trésors en même temps.
Lors du Haut Moyen-Âge (476-888), Macer Floridus, pas encore né, ne peut donc nous farcir les oreilles de répétitions qu’il emprunte, massives, à l’Antiquité gréco-romaine. En dehors de ce qui reste des ruines fumantes de l’empire romain et de l’Antiquité tardive qui n’en finit pas de barboter comme un poisson essoufflé dans une flaque d’eau, on n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Mais un médecin syrien, qu’on connaît sous le nom de Sérapion (dit le Vieux, pour le distinguer du Jeune, en activité trois siècles après lui), semble être l’un des premiers à attribuer à la mélisse sa vertu de cordial, terme médical tombé en désuétude depuis, et que l’on comprendra à l’aide de la définition suivante : un médicament cordial se dit d’un remède propre à ranimer le fonctionnement du cœur (du latin cor, « cœur »). Ainsi, Sérapion considère-t-il la mélisse comme capable de rendre l’humeur joyeuse (le terme antidépresseur n’est pas encore forgé, mais on comprend l’idée sous-jacente). Voici ce qu’il écrit : « La mélisse réjouit le cœur, aide à la digestion, ouvre les conduits du cerveau, fortifie le cœur défaillant ou affaibli, principalement les défaillances nocturnes, les palpitations et ôte toutes les imaginations fâcheuses du cerveau, principalement qui procèdent d’humeur mélancolique ». Cela prouve un grand sens de l’observation que de relater des propriétés que les Anciens de l’Antiquité ne surent pas même approcher un peu. Un siècle et demi plus tard, c’est au tour d’un autre médecin arabe, plus célèbre encore, Avicenne, d’ajouter une pierre à cet édifice : pour lui, la mélisse est bel et bien un médicament du cœur, permettant de chasser les « vapeurs » mélancoliques et les palpitations nocturnes qui l’assaillent. On ne fait pas encore mention des propriétés stimulantes et antispasmodiques de la mélisse, mais on s’en approche grandement. Le Moyen-Âge central a beau innover en la personne d’Avicenne, cette période historique n’est, par ailleurs, que la redite des paroles des anciens médecins grecs et romains. Une fois de plus, Macer Floridus ne fait pas exception à la règle qu’il s’est imposée, il emprunte, il copie sans se soucier qu’en l’espace d’un millier d’années, les choses évoluent ou sont censées le faire : l’on retrouve donc dans ses écrits la qualité respiratoire de la mélisse contre l’asthme et l’orthopnée, sa réputation d’antidote face aux morsures de chien, aux piqûres d’abeille, de guêpe ou encore d’araignée (ce qui est plus proche de ses attributions actuelles), sa valeur antalgique sur les douleurs dentaires, articulaires, abdominales et menstruelles, ainsi que diverses autres affections (scrofulose, ulcère cutané, enflure, dysenterie). On accorde aussi à la mélisse la vertu de favoriser la conception et de purifier et de déterger la matrice après l’accouchement.
A la fin du Moyen-Âge, dès cette Renaissance bien nommée, un nouveau cap est en train d’être franchi par la mélisse : on le voit à travers l’engouement qui gagne les médecins : Petrus Forestus (1521-1597), Lazare Rivière (1589-1655) et au-delà même : Friedrich Hoffmann (1660-1742), Herman Boerhaave (1668-1738), Armand Trousseau (1801-1867), etc. Qu’est-ce que tous ces praticiens ont en commun ? D’avoir perpétué la médecine arabe du temps de Sérapion et d’Avicenne en quelque sorte, reconnaissant à cette plante sa juste valeur comme antispasmodique et sédative du système nerveux central, intervenant avec bonheur en cas d’hypocondrie, de manie et de mélancolie, de toutes ces agitations et agaceries que sont les palpitations cardiaques, les bourdonnements d’oreilles, les migraines et maux de tête d’origine nerveuse, les vertiges, les obnubilations, l’affaiblissement de la mémoire, etc., c’est-à-dire pas moins qu’un remède des nerfs, du cœur et de l’esprit. Pour mieux comprendre cette affirmation, il nous faut revenir au temps d’un médecin atypique, prédécesseur de ceux dont nous avons donné la liste un peu plus haut : Paracelse (1493-1541). Pour lui, la mélisse est une herbe souveraine qui « redonne force et santé à ceux qui sont malades, fatigués ou âgés » (1), autrement dit un tonique général dont Paul Sédir donne la recette d’élaboration dans son opus sur les plantes magiques : « Primum ens melissae, d’après Paracelse. Prenez un demi litre de carbonate de potasse pur, exposez-le à l’air jusqu’à ce qu’il soit dissout ; filtrez le liquide et mettez-y autant de feuilles de mélisse que vous pourrez, de sorte qu’elles soient toutes plongées dans le liquide. Tenez dans un endroit fermé, chaleur douce pendant vingt-quatre heures ; décantez ; versez sur le liquide pur une couche d’alcool de un ou deux pouces, laissez-l’y pendant deux jours ou jusqu’à ce que l’alcool devienne d’un beau vert ; cet alcool doit être recueilli, car il est bon pour l’usage, et remplacé par de l’autre alcool jusqu’à ce que toute la matière colorante ait été absorbée ; l’alcool sera alors distillé, et évaporé jusqu’à consistance sirupeuse » (2). C’est une recette relativement simple mais assez peu détaillée. Pour ne pas alourdir mon propos, je place un autre texte extrait d’un petit livre d’Anne Osmont, consultable ici en pdf, et dans lequel on explique la manière d’élaborer une quintessence de mélisse. A bon droit, l’auteur la considère comme un merveilleux arcane, auquel on va maintenant donner toute sa place au sujet des diverses vertus : elle « aiguise admirablement tous les sens internes, et principalement la mémoire qu’elle rend très heureuse, parce qu’elle purge le cerveau de toutes ses humidités et elle conforte très bien les esprits animaux [nda : c’est-à-dire le souffle vital] et les multiplie. Elle rend l’esprit gai, met en fuite la tristesse et vient au secours de l’estomac froid. Elle l’aide ainsi à digérer et elle lui apporte des éléments de vie, en augmentant sa chaleur naturelle. Elle rappelle les esprits animaux déficients, renforce la faiblesse du cœur, ramène le sommeil par sa chaleur naturelle et multiplie les esprits animaux. Elle met en fuite les soucis de l’âme et chasse les inquiétudes de l’imagination […]. Elle corrige les émanations pestilentielles, si on arrose avec les maisons infectées, et conforte le cerveau et le cœur par son odeur qui est on ne peut plus agréable, de telle sorte qu’on peut résister à toutes ces émanations. Bien plus, elle est aussi d’un grand secours pour ceux qui sont réellement atteints de la peste […]. Il peut sembler, à des esprits superficiels que cette description ait quelque chose de fabuleux et que ce soit demander beaucoup à la toute petite plante qu’est la mélisse qu’exiger d’elle ces quasi-miracles. Il n’en est rien et, si nous réfléchissions, nous verrions que les plantes qui nous sont les plus connues, celles à qui nous n’avons pas coutume de penser, sont riches de pouvoirs auxquels nous ne faisons jamais des appels qui nous seraient pourtant bien profitables » (3). C’est assurément un beau portrait, mais il est encore bien en-deçà de ce que peut offrir cette plante. L’on sait bien que la mélisse est une herbe de réconfort et de confortation agissant sur le cœur ; aujourd’hui, l’on dit plus sobrement qu’elle possède un effet bénéfique sur le moral, mais c’est manquer de beaucoup de poésie. Écoutons plutôt ce que déclamait le poète anglais Abraham Cowley (1618-1667) au sujet de la mélisse : « Fuyez, soucis qui troublez ma solitude ; l’aimable mélisse vient trouver son poète ; elle s’annonce gaiement et couronne ma tête de ses rameaux parfumés. ‘Chante-moi, me dit-elle, je serai ta récompense.’ Plante céleste ! Je reconnais ton souffle vivifiant ; il porte dans mon cœur la joie et la sérénité ».
Rendant aimable quand elle est portée sur soi, la mélisse, véritable talisman, non seulement éloigne les cauchemars, mais permet également d’attirer à soi les beaux rêves comme nous l’apprend le napolitain Jean-Baptiste Porta : voici « le moyen assuré d’exciter des songes agréables. Si, sur la fin du souper et à l’heure d’aller se coucher, une personne mange de la mélisse, elle aura en dormant des illusions et représentations d’effigies diverses, voire telles que l’esprit humain n’en pourrait désirer de plus joyeuses, car il verra des champs, des vergers, des fleurs, et la terre diaprée de verdure, il la verra ombragée de divers bocages, et finalement, en jetant les yeux autour de lui, il lui semblera voir que le monde entier verdoiera et fera rire pour sa merveilleuse beauté » (4). Jean-Baptiste Porta fut bien inspiré au sujet de la mélisse dont il a clairement cerné la capacité à induire le sommeil et à l’accompagner aussi de rêves dans lesquels domine une couleur, le vert, propre à un chakra, celui du cœur. La mélisse peut-elle promettre de nous emmener chaque nuit sur les terres de la déesse Aphrodite ? Je ne sais pas trop, mais, comme je l’avais remarqué il y a maintenant longtemps, la plante agit autant sur le cœur physique que sur celui représenté par ce chakra central qu’est Anahata, siège de la beauté et de l’amour.
La prodigieuse mélisse est aussi placée sous la houlette du Soleil et d’un animal qui le symbolise bien, l’abeille. D’ailleurs, son nom latin melissa est une abréviation du mot grec melitophyllon, qui signifie littéralement « feuille de miel », « feuille à abeille ». La mélisse est « singulièrement aimée des abeilles, qui se plaisent surtout à butiner sur ses fleurs » (5). C’est comme si, dans ces abeilles, l’on pouvait voir des prêtresses tout affairées auprès de leur reine qui leur offre ce si succulent nectar en échange de leur fidélité. Cet attrait des abeilles pour la mélisse explique aussi pourquoi les apiculteurs, dès l’Antiquité, employèrent les feuilles de mélisse pour en frotter les ruches. Recommandée déjà par Virgile, cette méthode permet d’éviter la fuite des essaims. Il est bien possible que derrière la nymphe Melissa se dissimule la déesse Artémis dont on sait que l’abeille est l’un des emblèmes symboliques. Figurée sous la forme d’une mélisse idéale et divine, Artémis serait donc la reine de l’essaim et de la ruche, tandis que les ouvrières besogneuses, les prêtresses dévouées et attachées au culte de la déesse.

On a fait moins de publicité à cette relation de la mélisse à Artémis qu’à ce qu’on appelle toujours l’eau de mélisse des carmes, et qui, parce qu’on lui attribue aussi le nom d’or potable, se rapproche dans sa symbolique du soleil et de l’abeille. Cette eau (qui n’en est pas une au sens strict) se compose de neuf épices et de quatorze plantes parmi lesquelles se trouvent thym, marjolaine, romarin, angélique, coriandre, clou de girofle, cannelle, noix de muscade, etc. Et, donc, de la mélisse. On l’obtient par macération des différentes substances végétales dans l’alcool, puis distillation. Cette composition médicinale est l’œuvre de l’Ordre des carmes déchaux (ou déchaussés), portant ce nom en raison de son origine, l’ordre ayant vu le jour en Terre-Sainte, abrité non loin du mont Carmel. Puis, de façon progressive, les carmes se répandent en Europe. Leur implantation en France ne semble pas remonter avant 1600, et à Paris en 1611, où ils s’installent à proximité du palais du Luxembourg, dans le futur sixième arrondissement. En 1613, rue de Vaugirard, au n° 70, ils posèrent la première pierre de ce qui est toujours l’église Saint-Joseph-des-Carmes, pour des travaux qui durèrent sept années. Pendant ce temps, on cultive la mélisse dans les jardins. C’est une plante que, sans doute, les carmes connaissent bien de par leurs origines proche-orientales communes. Expliquer la naissance de l’eau de mélisse, c’est un peu comme se risquer à raconter sans dire trop d’âneries, l’histoire du vinaigre des quatre voleurs : les lieux, parfois les dates, changent ; des données se télescopent entre elles, et on ne sait plus, finalement, ce qui est du domaine du vrai ou du faux. Mais comme cette eau de mélisse est encore vendue en pharmacie, l’on sait qu’on n’est pas là face à un mirage. Elle eut, comme émissaire de son succès, pas moins que le cardinal de Richelieu qui fit de cette eau l’un des médicaments favoris par lesquels il soignait ses migraines tenaces. Avec un tel ambassadeur, la réussite de l’eau de mélisse des carmes ne pouvait qu’être assurée, d’autant qu’en 1635 se produisit un événement fâcheux : Richelieu ne reconnût pas la caractéristique odeur de son eau de mélisse, et refusa donc de l’avaler, ce qui lui permit de déjouer une tentative d’empoisonnement. Dès lors, les carmes assurèrent la garantie d’une eau de mélisse « non abusée » en apposant sur chaque flacon le sceau de leur couvent. Voilà pourquoi l’eau de mélisse des carmes est munie d’un cachet rouge évoquant la pourpre du cardinal. En tous les cas, l’on put dire, avec Jean-Baptiste Chomel entre autres, que « l’eau de mélisse s’est acquis une réputation égale à celle de l’eau de la reine de Hongrie, à laquelle même plusieurs la préfèrent ». Cette eau de mélisse s’accompagna aussi d’une réclame dans laquelle on vantait ses pouvoirs, réels ou supposés. Présentée comme une panacée, elle permettait, disait-on, de « lutter contre les vapeurs, l’apoplexie, les syncopes, les évanouissements, les obstructions du foie, de la rate, des reins et surtout c’est une amie du cœur qu’elle réjouit et fortifie dans ses faiblesses ». Rien de plus que ce que disaient Sérapion, Avicenne, Paracelse et les autres, en somme, mais sous un emballage certainement plus moderne et plus « scientifique ». Voici ce qu’en disait Joseph Roques deux siècles après que les carmes déchaux aient lancé leur production rue de Vaugirard : « Cette préparation qu’on trouve dans toutes les pharmacies, excite puissamment tout l’organisme, augmente la chaleur générale, accélère la circulation, ranime la vie et convient spécialement dans la paralysie atonique, la difficulté de la menstruation, la faiblesse des voies digestives et la syncope produits par l’inertie des fonctions vitales » (6), ce qui, en guise d’avant-goût, est un résumé très correct de ce qui nous attend dans la seconde partie de cet article consacrée aux propriétés et usages de la mélisse en phytothérapie et aromathérapie. Mais ça ne sera pas sans une page de botanique.

C’est avec bonheur que le clan des Lamiacées s’enorgueillit, je pense, de posséder un tel membre parmi ses rangs, bien que la mélisse, il est vrai, à côté du romarin, du thym et de la menthe, soit plus rarement représentée. Par exemple, il y a quelques jours je me suis rendu au marché et j’en ai profité pour me renseigner auprès du pépiniériste qui vend diverses plantes en pot dont quelques aromatiques. Je lui ai demandé s’il avait de la mélisse. Il m’a répondu que non, parce que c’était une plante trop peu demandée, et qu’il courait moins de risques à proposer les grandes classiques que sont le thym, la ciboulette, le persil, le romarin et la menthe. C’est triste, cette histoire de serpent qui se mord la queue. Bref. En attendant, toi, lecteur, si tu connais la mélisse, je te souhaite, si ce n’est déjà fait, d’en avoir un pied à la maison, et si tu ne la connais pas encore, qu’une sorte de heureux « hasard » qui n’existe pas t’a fait arriver jusqu’ici, je ne puis que te conjurer de t’en prendre un pied.
Comme la sauge et la menthe, la mélisse est une plante vivace qui pousse en touffes denses formant quelquefois de petits peuplements buissonneux et ramifiés de 70 cm de hauteur à plein développement. Des feuilles opposées, plus ou moins ovales, parfois découpées selon une forme qui rappelle ses propriétés cordiales, s’établissent le long d’une tige comptant quatre angles. Tendres et assez molles en leur jeunesse, ces feuilles, de couleur vert jaunâtre, gai et franc, sont festonnées sur leurs marges de grosses dents rondes, parfois chicots abrasés, toutes douces. Lorsque, timidement, la floraison se met en place, l’on peut observer, à l’aisselle des feuilles, de petits boutons jaune tendre qui s’organisent en verticilles souvent peu denses. D’un blanc discret, ces fleurs poussent parfois l’audace à se laver d’un peu de rose pâle. La floraison de la mélisse, qui généralement dure de juin à septembre, donne naissance à une multitude de petites semences noires qui se resèment très facilement, faisant de la mélisse une plante parfois invasive, empruntant la voie des airs pour se répandre, alors que la menthe poivrée, aux graines stériles, se propage à l’abri des regards indiscrets par le biais d’un astucieux et infatigable réseau de rhizomes souterrains.
En France, la mélisse est naturalisée principalement dans le quart sud-est, ailleurs elle est spontanée ou cultivée. Ce n’est pas une aventurière, cela explique pourquoi on la trouve souvent sur des sols riches, ensoleillés, parfois à mi-ombre dans les haies, se dissimulant dans les broussailles aux côtés de l’ortie, à la lisière des bois clairs ; mais jamais on ne la verra s’emmitoufler au sein de l’épaisse forêt ombrageuse parce que c’est avant tout une plante solaire et sociable, présente dans ou aux abords des jardins, s’y installant parfois sans qu’on ne lui demande rien (et il doit y avoir là une excellente raison à cela et qui mérite qu’on y trouve réponse autrement qu’en arrachant bêtement la plante comme je l’ai vu parfois faire…). Ignorants de l’or qui pousse gracieusement et gratuitement dans leur jardin, certains excommunient la belle comme on ferait d’une vulgaire mendiante, qui ne fait pas nécessairement exprès de se signaler à notre attention dans les villages, auprès des maisons, au pied des vieux murs, parfois même dans les vignobles. Très souvent sa présence ectoplasmique marque l’abord d’une ancienne culture menée en grand. On peut alors la considérer comme un vestige, à l’image de celles qui poussent çà et là chez mes grands-parents, non loin de touffes de grande absinthe, rappelant à elles deux, qu’à une époque antérieure à l’interdiction de la liqueur d’absinthe en France, ces plantes y étaient fréquemment cultivées pour en approvisionner le marché.
Au jardin, on prendra soin d’installer la mélisse très éloignée de la sauge, parce qu’elle peut en inhiber la croissance par télétoxie. On observera, de même, une zone de sécurité entre mélisse et lavande, qui risque fort autrement de pâtir de la proximité de la mélisse. Voilà quelques petites règles de base avant de hurler au sortilège ou à l’envoûtement ^.^

La mélisse en phyto-aromathérapie

Les doigts qui froissent légèrement les feuilles de cette plante sauront reconnaître la mélisse à son suave parfum citronné très prononcé, ainsi qu’à sa saveur chaude et un peu amère, aromatique et épicée.
Des matières résineuses et pectiques côtoient du tanin, ainsi que plusieurs acides-phénols (acides rosmarinique, caféique, chlorogénique), triterpènes (acide olénolique, acide hydroxyoléanolique, acide ursolique) et flavonoïdes (lutéoline, quercétol).
Bien que fortement parfumée, la mélisse contient une infime fraction aromatique, une information facilement lisible en terme de rendement située entre 0,02 et 0,2 % la plupart du temps. On évoque aussi parfois les chiffres de 0,4, voire 0,75 % au sujet de cultivars espagnols, ce qui contredit quelque peu les informations fournies par Fournier, comme quoi les mélisses septentrionales sont plus généreuses en ce qui concerne la production d’huile essentielle, qui prend, chez elle, l’aspect d’un liquide pâle (incolore à jaune très clair), d’odeur fraîche, herbacée et citronnée. Obtenue par hydrodistillation des sommités fleuries, cette huile essentielle très légère (densité : 0,893 à 20° C) se compose biochimiquement comme suite :

  • Monoterpénals (ou aldéhydes terpéniques) : 55 %, dont géranial (ou α-citral : 30 %), néral (ou β-citral : 20 %), citronnellal (2 %)
  • Sesquiterpènes : 20 %, dont β-caryophyllène (17 %), germacrène D (1 %)
  • Esters : 7 %, dont acétate de géranyle (4 %), citronnellate de méthyle (1 %), géranate de méthyle (0,7 %)
  • Monoterpénols : génariol (3 %)
  • Cétones : 6-méthyl-5-hepten-2-one (3 %)
  • Monoterpènes : 2 %, dont β-ocimène (1 %)
  • Coumarines : esculine, scopolétol (traces)

Propriétés thérapeutiques

  • Négativante, sédative du système nerveux central, calmante, hypnotique
  • Tonique, cardiaque, hypotensive, cordiale, antispasmodique
  • Apéritive, digestive, stomachique, favorise la sécrétion des sucs gastriques, carminative, hépatostimulante, cholagogue légère, vermifuge intestinale (?)
  • Tonique utérine, emménagogue, anaphrodisiaque (permettrait de dominer les élans pulsionnels…)
  • Anti-inflammatoire, sudorifique légère, calme la soif et la sécheresse des muqueuses lors d’épisodes fébriles, rafraîchissante
  • Vulnéraire, régénératrice cutanée
  • Anti-infectieuse : antivirale, antifongique, bactériostatique
  • Tonique cérébrale, stimulante intellectuelle et physique (« répare les forces épuisées par l’abus des plaisirs physiques », « ranime l’action musculaire dans les membres affaiblis et comme paralysés »)
  • Anti-oxydante
  • Ophtalmique
  • Antihistaminique
  • Insectifuge (moucheron, moustique)
  • Équilibrante thyroïdienne, progesteron like
  • Sternutatoire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, indigestion*, digestion difficile, paresse digestive, lourdeur digestive, ballonnement*, météorisme, flatulence*, douleur digestive*, nausée*, nausée de la grossesse, éructation, spasmes abdominaux, dyspepsie, gastralgie, colique*, acidité gastrique*, mal des transports, crampe stomacale, vers intestinaux (* : également d’origine nerveuse)
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire : éréthisme cardiaque, faiblesse du cœur, spasmes cardiaques, palpitations, tachycardie, angor, arythmie cardiaque, hypertension, cardialgie
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : bronchite, bronchite chronique, catarrhe bronchique chronique, asthme, asthme humide, allergie respiratoire, refroidissement, acouphène, bourdonnement d’oreille, névralgie auriculaire
  • Troubles de la sphère gynécologique : règles douloureuses, retard des règles (Simon Paulli recommandait aux femmes qui accusent un retard de placer quelques feuilles de mélisse dans leurs souliers), dysménorrhée, prévention des troubles de la ménopause (bouffées de chaleur…), engorgement des seins, douleur des femmes en couches
  • Troubles du système nerveux : nervosité, émotivité, hyperémotivité, irritabilité, crise de nerfs, hystérie, anxiété, panique, inquiétude, trac, choc, état de choc, vertige, syncope, évanouissement, état dépressif, dépression légère, mélancolie, deuil, défaillance nerveuse, épuisement nerveux, déficience intellectuelle (perte de mémoire), insomnie et autres troubles du sommeil

Note : la mélisse s’apparente assez à une sorte de remède de secours (type Rescue du docteur Bach). Sous forme d’huile essentielle, elle est aussi très proche du néroli. Ainsi, « l’annonce d’une joie ou d’une peine inaccoutumée […], une bataille de galopins ou la venue inopinée de l’hiver » (7) et autres scènes de ménage sont-elles des occasions justiciables de son emploi.

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatique (d’origine nerveuse), soulagement des douleurs causées par des calculs biliaires
  • Affections cutanées : écorchure, ecchymose, contusion, plaie douloureuse et/ou enflammée, piqûre d’insecte (abeille, guêpe, moustique), coup, blessure, eczéma, zona, éruption (varicelle)
  • Affections bucco-dentaires : névralgie et douleur dentaires, rage de dents, herpès labial
  • Faiblesse de la vue
  • Anémie, chlorose, fatigue après infection, convalescence
  • Migraine chez les personnes délicates et nerveuses, maux de tête, névralgie faciale
  • Douleurs goutteuses et rhumatismales

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles et/ou de sommités fleuries sèches ou fraîches à vase clos (placer un couvercle sur la casserole s’avère avantageux pour minimiser la volatilité de l’essence aromatique au cours de l’infusion).
  • Infusion vineuse (dans du vin blanc) de feuilles et/ou de sommités fleuries à froid (température ambiante) durant 24h00.
  • Décoction vineuse de feuilles et/ou de sommités fleuries fraîches dans du vin blanc.
  • Décoction de feuilles fraîches : comptez dix cuillerées à soupe de mélisse pour un litre d’eau. On prolonge la décoction jusqu’à ébullition, on coupe le feu, on laisse infuser à couvert pendant 10 mn hors du feu, on filtre en exprimant. Cette décoction se destine tant aux différents usages que l’on peut faire de la mélisse en externe, que versée dans l’eau d’un bain.
  • Macération vineuse : 50 g de mélisse fraîche pour un litre de vin blanc en macération durant 48h00, au bout desquelles on filtre et on exprime. Usage interne essentiellement.
  • Macération alcoolique (= teinture) : comptez une partie de mélisse fraîche qu’on fait macérer pendant 15 jours dans huit parties d’eau-de-vie. Se destine à l’usage interne comme externe.
  • Alcoolat de mélisse composé (= « eau de mélisse »). Il s’agit là d’une des nombreuses recettes qui ont puisé leur inspiration auprès de l’eau de mélisse des carmes, qu’on distinguera, parce que autrement plus élaborée. Dans la plupart des recettes simplifiées, ce sont presque toujours les mêmes ingrédients que l’on retrouve, seuls changent les proportions et le mode opératoire. Voici l’une de ces recettes : 50 g de feuilles et sommités fleuries de mélisse fraîches, 15 g de zeste de citron frais, 15 g de semences de coriandre, 15 g de noix de muscade râpée, 10 g de clous de girofle, 10 g de racine d’angélique sèche, 5 g de cannelle de Ceylan « bâton », un litre d’eau-de-vie blanche. On laisse macérer le tout pendant 15 jours, au bout desquels on filtre en exprimant. Se destine à l’usage tant interne qu’externe sur un comprimé neutre, dans une potion, etc.
  • Eau de mélisse des carmes : elle n’a pas besoin d’être absorbée en grande quantité. A ce titre, elle ressemble beaucoup à l’alcool de menthe Ricqlès. Comme les deux autres préparations dont nous venons de parler, l’on peut user de l’eau de mélisse des carmes en interne comme en externe. Dans le premier cas, on place le nombre de gouttes qui suffisent sur un comprimé neutre que l’on met ensuite sous la langue, ou bien directement dans un demi verre d’eau, une infusion ou n’importe quelle boisson chaude ou froide (ce produit est soluble dans l’eau, contrairement aux huiles essentielles). A l’extérieur, l’eau de mélisse des carmes vient bien à propos en friction locale sur les tempes, la nuque, l’intérieur des poignets. L’on peut étendre la zone d’application au rachis, à la poitrine (à l’épigastre en particulier), ainsi qu’aux membres inférieurs comme supérieurs.
  • Huile essentielle : en olfaction, en application cutanée locale préalablement diluée dans l’huile végétale adaptée au besoin, per os (c’est plus rare, vue sa cherté).
  • Hydrolat aromatique : en vaporisation cutanée, en lavage, en bain d’œil, etc. C’est aussi, tout comme l’infusion simple, un bon moyen de diluer teinture-mère, extrait de plante fraîche, poudre, etc.
  • Suc frais en application locale (par exemple : piqûre d’insecte). Plus rapide encore : friction de feuilles fraîches sur la zone endolorie et/ou enflammée.
  • Pommade, onguent.
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses.
  • Poudre de feuilles sèches (assez rarement ; usitée comme sternutatoire).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : à force de lire différentes choses sur ce sujet çà et là, je suis arrivé à une conclusion (temporaire ?) : la mélisse est affectée des mêmes « problématiques » que la verveine citronnée, c’est-à-dire que selon l’avancement du cycle végétatif de ces deux plantes, la saveur et le parfum de leurs parties aériennes évoluent, de même que l’huile essentielle que l’on obtiendrait en distillant la plante avant et après. Mais avant et après quoi ? Floraison ! D’après Henri Leclerc, il est souhaitable d’employer la mélisse lorsque les fleurs sont encore tout juste en boutons, lorsqu’elles n’ont pas encore pris cette teinte blanche qui succède à celle, safranée, qu’elles ont quelques temps auparavant. Pour Cazin, il fallait que la mélisse soit bien garnie de fleurs pour opérer une récolte, ce qui nous situe en juin, voire en juillet selon les régions. En revanche, il est vrai qu’on se gardait de récolter la mélisse trop avancée dans sa floraison, parce que trop âgée, elle ne diffuse plus une agréable odeur de citron, bien plutôt une odeur désagréable, les fleurs fanées donnant à la plante une saveur amère de punaise peu ragoûtante. Pour éviter cet écueil, l’on fixe la période de récolte avant floraison et/ou bien après, lorsque les fleurs, ayant fait leur office, ont chu. Il n’y aurait non pas deux phases aromatique, mais trois : avant, pendant et après floraison, correspondant, à peu près, aux mois de juin, juillet et août.
  • Séchage : il est bien sûr possible, et même facile, mais comme il s’accompagne généralement d’une perte d’odeur et d’un peu de saveur, on a préféré souvent usé de la plante fraîche. Cazin offre néanmoins une solution : « Pour conserver aux feuilles leur couleur et leur odeur, il faut les cueillir un peu avant la floraison, en détacher les tiges et les pétioles, les faire ensuite sécher au soleil, ou mieux à l’étuve, et les placer dans un lieu sec » (8). Sinon, le mieux reste encore la teinture alcoolique : grâce à elle, on bénéficie des avantages de la mélisse même en plein hiver quand on ne dispose plus de mélisse fraîche. Le délai de garde de la mélisse sèche est d’un an grand maximum. Si la récolte a été bien menée, de même que la dessiccation, la mélisse sèche doit conserver encore un peu de souplesse, sans se ramollir ni noircir au fil du temps, ce qui serait le signe qu’elle a été mal conservée ou placée non à l’abri de l’humidité (comme l’on sait, certaines plantes sèches captent l’humidité atmosphérique assez facilement).
  • L’on aurait tort de croire que la mélisse, malgré son odeur de citron, puisse posséder quelque rapport avec cet agrume : si l’on compare la composition biochimique de l’huile essentielle de mélisse avec celle de l’essence de citron, l’on peine à découvrir de grandes lignes directrices. La proximité sémantique – on a affublé la mélisse de citronnade, d’herbe au citron, etc. – ne peut pas abuser le connaisseur. Il est des mots passe-partout, comme citronnelle, qui, eux, sèment davantage la confusion : si, par citronnelle, tu entends la mélisse et que moi j’entends la « vraie » citronnelle, que tu me demandes de la citronnelle, je t’offrirais, par exemple, un flacon d’huile essentielle de Cymbopogon citratus de 10 ml, coûtant, allez, 5,00 €. Alors que pour la même somme, tu ne peux que rarement t’offrir plus de 0,5 ml d’huile essentielle de mélisse officinale. Parmi les autres risques de spoliation qui pourraient (voudraient) nous faire prendre les vessies pour des lanternes, nous avons, par proximité biochimique et olfactive (ce qui est une parfaite insulte pour la mélisse !), les huiles essentielles d’eucalyptus citronné (Eucalyptus citriodora), de litsée (Litsea cubeba), de cataire (Nepeta cataria), de lemon-grass (Cymbopogon flexuosus), et d’autres plantes comme l’aurone mâle et le thym citron. La seule plante médicinale, portant quelquefois le sobriquet trompeur de citronnelle et qui pourrait nous la faire confondre avec la mélisse sans trop de conséquence, n’est autre que la verveine citronnée (Aloysia citriodora), huile essentielle rare et chère qui, à côté de celle de mélisse, tient largement la comparaison, tant d’un point de vue du parfum que des propriétés thérapeutiques (9). Quant aux « citronnelles » indiennes, javanaises, etc. Euh… J’ai vu une fois un étiquetage frauduleux : mélisse des Indes. C’était je ne sais plus quel cymbopogon. Le vendeur, trop désireux de refourguer sa « daube » n’hésite pas à la parer des lettres de noblesse qu’elle n’a pas. En ce qui me concerne, les huiles essentielles à forte teneur en monoterpénals que j’apprécie, ce ne sont pas moins que celles que j’ai citées tout à l’heure, savoir mélisse et verveine. Quant aux différentes citronnelles, lemon-grass, litsée, eucalyptus citronné et je ne sais plus quoi d’autre dans ce goût-là, ce sont des produits que je trouve bien trop frustes, pour lesquels j’ai la plus grande répulsion parce qu’ils m’irritent au-delà du raisonnable. Ce qui est fort étrange, parce que je range les monoterpénals dans l’élément Terre qui, très justement, chez moi, fait défaut. (Je suis beaucoup plus à l’aise avec les cétones que je classe dans le même élément. Définitivement.) Mais la citronnelle, non, elle me repousse comme un moustique (je dois m’interroger à ce sujet…). En l’espace de 15 ans, j’ai perçu une modification de l’attraction que je peux éprouver pour certaines huiles essentielles : par exemple, les huiles essentielles d’arbre à thé, de niaouli, de palmarosa, qui m’indisposaient grandement à l’époque (depuis je ne me suis pas procuré plus de deux flacons de chaque), se montrent plus acceptables aujourd’hui, en particulier le niaouli et le palmarosa (l’arbre à thé, je ne peux toujours pas le saquer ^.^).
  • Puisque nous y venons… : l’on considère l’huile essentielle de mélisse habituellement sans risque ni toxicité. Néanmoins, l’on observe chez les personnes sensibles un effet irritant sur peau et muqueuses, lacrymogène et tussigène parfois. Il est habituel de la considérer avec prudence durant la grossesse. Mais vu son prix !… Cependant, à la fin du XIX ème siècle, Cadéac et Meunier étudièrent les effets de cette huile essentielle ingérée à haute dose : 2 g. Cela peut vous faire sourire, mais 2 g (ou à peu près 2 ml), c’est le flaconnage courant dans lequel cette huile essentielle est commercialisée en France. Après enquête, j’ai vue des capacités variant de 2 à 5 ml, mais plus souvent 2 ml en ce qui concerne la vente au détail ; sinon, elle est parfois vendue au kg (1650 €), aux 10 kg (13000 €). Il n’est nul besoin de tomber dans une telle bassine pour ressentir les premiers effets, non pas d’une intoxication, mais d’un excès : 2 g à jeun entraînent une lassitude suivie d’un engourdissement de la respiration et du pouls, d’un fléchissement de la tension artérielle. Bien possible qu’à doses plus fortes le cœur s’arrête.
  • Alimentation : « La mélisse est rarement admise au nombre des condiments culinaires, et je ne sais pourquoi. Son odeur de citron ne déparerait pourtant pas les mets qu’on donne aux convalescents et aux personnes débiles, aux goutteux, aux asthmatiques, aux paralytiques, etc. Quelques personnes mangent pourtant les feuilles en salade dès qu’elles commencent à se former. C’est une fourniture agréable et saine » (10). Pourtant, il s’avère exact qu’en cuisine la feuille de mélisse peut largement tenir la comparaison avec des herbes fraîches qui, d’habitude, s’y trouvent bien plus souvent qu’elle. Mais, depuis le temps de Roques (il écrivait cela en 1837), la culture, même domestique, de la mélisse a bien reculé. Fournier nous en donne une des raisons : en France, « la culture de la mélisse a rétrogradé depuis l’interdiction de l’absinthe, dans laquelle elle entrait pour une certaine proportion » (11). Malgré l’interdit qui a frappé la fée verte il y a un siècle, l’on a perpétué l’usage de la mélisse à travers l’élaboration toujours continuée de liqueurs comme la Bénédictine et la Chartreuse, et, en Allemagne, dans une sorte de maitrank. En cuisine, les feuilles permettent de parfumer agréablement les potages, les salades, les ragoûts et, pourquoi pas ?, les omelettes. Avec certains légumes cuits, elle réussit bien, de même qu’avec des préparations fromagères où, au fromage blanc frais, on mêle, outre le sel et le poivre suffisants, des herbettes comme le cerfeuil, la ciboulette, le persil, la coriandre, le céleri (ou l’ache sauvage, mieux à propos), et donc des feuilles de mélisse bien finement ciselées. N’y a-t-il pas desserts, sauces, huiles ou vinaigres qui ne se trouveraient pas bien de l’emploi de la mélisse ? Aux Pays-Bas, en Belgique encore, on emploie les feuilles de mélisse pour bien agrémenter les marinades de poissons comme le hareng et l’anguille. En Angleterre, on substitue la mélisse au basilic dans la recette du pesto.
  • Il n’y a pas que les aliments que la mélisse parfume : des rameaux de mélisse placés dans les armoises à linge, outre qu’ils font fuir les mites, imprègnent vêtements et lainages d’un subtil parfum. Son huile essentielle intervient aussi dans l’art du parfumeur.
  • Confusion : on appelle parfois des surnoms de mélisse des bois, mélisse sauvage ou encore mélisse bâtarde, une plante assez proche, la mélitte à feuilles de mélisse (Melittis melissophyllum). De même, cette plante qu’en latin on appelle Melissa calamintha ne doit pas nous égarer : ce n’est pas une mélisse, mais un calament. Autre faux ami : la mélisse de Moldavie (Dracocephalum moldavica).
  • Sous-espèces et variétés : la mélisse orange au parfum de mandarine est une sous-espèce de mélisse officinale. En latin, elle porte le nom de Melissa officinalis ssp. altissima. A son sujet, je me demande bien pourquoi, Pierre Lieutaghi lui trouvait une odeur aux relents fétides… Parmi les variétés, il existe une mélisse officinale aux feuilles intégralement jaunes (All gold), une autre au feuillage panaché (Variegata), la Quedlinburger Niederliegende, plus riche en essence aromatique. Enfin, nous pouvons encore ajouter les variétés Lemonella, Citronella et Lime.
    _______________
    1. Fabrice Bardeau, La pharmacie du bon Dieu, p. 176.
    2. Paul Sédir, Les plantes magiques, pp. 78-79.
    3. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, pp. 91-92.
    4. Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 199.
    5. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 146.
    6. Joseph Roques, Plantes usuelles, Tome 1, pp. 241-242.
    7. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 292.
    8. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 574.
    9. L’huile essentielle de verveine citronnée, même si elle demeure un produit onéreux, l’est tout de même moins que celle de mélisse officinale. Après rapide enquête auprès d’une dizaine de producteurs français, j’ai calculé le prix moyen de 27,00 € les 5 ml. Pour ce tarif, l’on n’a jamais guère que 2 ml d’huile essentielle de mélisse.
    10. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, spécialement appliqué à la médecine domestique, et au régime alimentaire de l’homme sain ou malade, Tome 3, p. 176.
    11. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 622.

© Books of Dante – 2020