Synonymes : scille officinale, squille, urginée scille, oignon de mer, oignon maritime, oignon rouge, scipoule, charpentaire, ornithogale de mer.
La scille que, par ailleurs, on nomme squille… Ce qui a valu, de ma part, une bonne pétarade, m’emportant, comme ça m’arrive parfois, de manière brève mais grandiose ! La squille ? Non mais il est fou, lui ! Quelle squille ?
Il faut dire que j’avais, il y a encore quelques temps, une représentation mentale de la squille qui ne collait pas du tout à la scille, hormis la caractéristique qu’ont en commun scille et squille : celle d’être maritimes (bon, l’une vit dans l’eau, l’autre en bordure, on va pas chipoter). La squille qui vit dans l’eau, c’est pas un engin avec des feuilles, et tout, et tout, etc. Quoi que… Quand on observe l’individu en question… La squille, on l’appelle aussi mante-crevette, c’est dire si elle s’y connaît dans l’art du camouflage, ce qui lui permet de se fondre dans le paysage qui forme le plus clair de ses jours… Nan !… C’est juste que c’est une chasseuse hors pair, ultra rapide, que ses gestes sont indécelables pour l’œil humain décidément trop mou. Donc, mante aquatique (à ne pas confondre avec la menthe aquatique, Mentha aquatica), caparaçonnée, plus rapide que… Mais qu’est-ce que je raconte, moi !? La squille maritime est un crustacé marin dont à l’observation attentive des yeux l’on peut se dire que c’est à raison qu’ils ont évoqué à certains ceux de cette divinité teigneuse appelée Typhon. Quand on voit comment on a parfois figuré le bestiau, on comprend mieux pourquoi. Bref, tout cela pour dire qu’en Égypte, la scille – la plante cette fois-ci – était consacrée à ce même dieu et portait aussi le nom « d’œil de Typhon » (ainsi apparaît-il dans le papyrus Ebers bien connu, daté du XVI ème siècle avant J.-C.). Est-il possible qu’on ait vu dans ce gros oignon côtier la figuration d’un œil ? Et si tel est le cas, sa réputation devait être considérée telle qu’elle reflète celle de Typhon, divinité par forcément reconnue pour incarner la courtoisie même. Loin d’être accort, Typhon est une bestiole malfaisante, dont la scille se rapproche peut-être de par son caractère mordant et agressif, si mal accommodée. Ceci dit, on tenait suffisamment cette plante en estime pour, en son honneur, avoir consacré un temple à Péluse, en Basse-Égypte, ville qu’on appelle aujourd’hui Port-Saïd, et qui était, en ces temps anciens, un très important centre brassicole. Alors bon, des fois, on se pose des questions…
Plus largement, on remarque la présence dans la pharmacopée égyptienne de la scille, et comme c’est une plante méditerranéenne, elle n’a pas échappé aux Grecs dont la péninsule baigne littéralement dans l’eau salée. On trouve sa trace dans le Corpus hippocraticum sous le nom de skilla, de même que chez Théophraste, Dioscoride et Galien. Dioscoride, qui a remarqué la propriété caustique de la scille en interne à l’état frais, en déconseille l’emploi en cas d’ulcération d’un quelconque organe, ce qui est fort avisé, compte tenu de son acuité et de son amertume : pour les diminuer, Dioscoride propose de l’utiliser cuite plutôt que crue, afin de pouvoir en user par voie interne sans dommage. Ainsi fait-on cuire à plusieurs eaux les tuniques du bulbe de scille, avant de les mettre à sécher : c’est par ce seul biais, à en croire Dioscoride, que l’on peut envisager d’en confectionner huile, vin et vinaigre « scillitiques », administrables en diverses occasions : faiblesse d’estomac, vomissement, toux, ictère, hydropisie, morsure de vipère, engelure et gerçure des pieds, etc. La vertu diurétique de la scille est largement connue durant l’Antiquité, ainsi que celle qu’on dit cardiotonique. La scille, bien avant que la digitale pourpre ne soit de mise sur la question du traitement des affections cardiovasculaires, a été, en Europe, et jusqu’au Moyen-Âge, le seul médicament cardiotonique employé en médecine : par exemple, si le Capitulaire de Villis mentionne la scille – pour étonnant que cela soit –, aux environs de l’an 800, comme plante recommandable, l’école de Salerne vante les qualités de la scille dite rouge, l’Arbolayre réitère les vertus diurétiques de cette plante à la fin du XV ème siècle, tandis qu’à la même époque, l’ouvrage de Johannes de Cuba – Gart der Gesundheit (alias Le jardin de santé ou Hortus sanitatis) présente une qualité propre à la scille dont on n’a pas encore parlé : son action foudroyante sur les rats, qui lui vaut le sobriquet latin de cepe muris (= « oignon de rat ». Toxique mortelle, elle l’est pour les rongeurs en général, mais aussi pour les chiens et les chats.)
Par la suite, alors qu’on découvre les vertus cardiotoniques et diurétiques de la grande digitale, on redécouvre les mêmes propriétés chez la scille au milieu du XVIII ème siècle (Van Swieten, Home, etc.) après une période d’absence des recettaires. Mais le potin qu’on fait au sujet de cette sombre belle plante des sous-bois va marquer l’essor définitif du gant de notre-dame au détriment de cet oignon méditerranéen dont l’usage est finalement resté circonscrit et contigu à son aire d’origine.
Comme toutes les plantes à action vive plus ou moins prononcée, la scille maritime n’a pas échappé à diverses vocations « magiques » : parce que « caustique » (et donc chaud), on a voulut voir dans l’oignon de scille une substance au pouvoir aphrodisiaque, aspect accentué par sa forme globulaire : la scille véhicula donc des symboliques de fécondité et de fertilité. D’ailleurs, « les momies des femmes égyptiennes, comme nous l’apprend Angelo de Gubernatis, la tiennent souvent à la main [comme] symbole probable de génération perpétuelle » (1), ce qui ne se peut bien comprendre si on ne prend pas la peine d’observer attentivement les différentes tuniques qui habillent ce bulbe. Mais il s’agit là d’un des moindres de ses pouvoirs, la scille étant davantage réputée pour sa qualité apotropaïque dont le principal volet est synthétisé ainsi par Dioscoride : « La scille pendue sur la porte des maisons, les engarde du charme » (2). De cette manière, ou plantée à l’entrée des habitations, la scille était censée en détourner les esprits mauvais, le mauvais sort (fascinatio). Elle agissait de même si on l’installait à proximité des tombes.
D’un gros bulbe vivace à l’intérieur rougeâtre ou blanchâtre qui émerge un peu du sol s’érige une longue et robuste hampe florale dont la taille se situe très souvent entre 100 et 150 cm, et au sommet de laquelle s’égrainent de très nombreuses fleurs blanches étoilées. A la base, de très grandes feuilles (50 à 80 cm de longueur) entourent la tige florale. Épaisses et luisantes, elles sont aiguës en leur extrémité.
Cette plante qu’on dit méditerranéenne généralement, est cependant nommée par Cazin comme présente en Bretagne ainsi qu’en Normandie. Pourtant, force est de constater que, en France, sa présence est attestée certaine dans les seuls départements du Var et des Alpes-Maritimes (ce qu’indiquait déjà Fournier il y a 80 ans), sans qu’il soit jamais fait mention d’une répartition extra-méditerranéenne, alors qu’en d’autres lieux (sud de l’Espagne, Afrique du Nord, Syrie, Sicile…), elle abonde.
La scille maritime en phytothérapie
Ayant pour principale fonction le stockage, le bulbe de la scille maritime (dont le poids fréquent de 3 à 4 kg peut parfois parvenir au double) est constitué d’écailles parcheminées rappelant assez celles de la jacinthe dont on a tous, au moins un jour, piqué le bulbe de quelques cure-dents pour lui faire faire trempette dans un bocal de verre empli d’eau. De même qu’à un oignon culinaire (Allium cepa) nous ôtons les « pelures » supérieures coriaces et incomestibles, procédons à l’identique avec la scille, puisque ce qui nous intéresse chez elle, ce sont les tuniques intérieures, ou plus précisément des écailles charnues de couleur blanche ou rose, ce qui a valu à la scille d’être déclinée selon deux variétés médicinales :
- La scille rouge ou scille mâle, originaire de la péninsule ibérique et fréquemment usitée en France ;
- la scille blanche ou scille femelle, d’Italie, qu’on préféra en Grande-Bretagne (cette dernière est réputée moins active que la précédente, mais également moins toxique).
Bref, ce qui a intéressé la médecine dans la scille, ce sont les écailles intérieures du bulbe, à l’exclusion des plus centrales. L’odeur forte de la scille rappelle celle de l’oignon mais passe pour être davantage lacrymogène. De saveur tout d’abord douce, le bulbe de scille laisse place à une âcreté et à une amertume dont les papilles gustatives ont le plus grand mal à se défaire (le suc de bulbe de scille frais étant caustique pour la peau – il y occasionne des ampoules –, on peut imaginer ce qu’il peut provoquer sur les muqueuses buccales, nasales et oculaires). Bien sûr, quand on observe la composition biochimique du bulbe de cette plante, on est assuré que ce ne sont ni les sucres (glucose, saccharose, fructose) qu’il contient, ni les mucilages qui sont à l’origine de cette capacité d’enflammer peau et muqueuses, ni d’ailleurs l’oxalate de calcium, comme on l’a parfois imaginé. Encore moins la gomme et le tanin qu’on y croise aussi. Cette causticité est, semble-t-il, à mettre sur le compte de ces substances – scillitoxine, scillipicrine et scilline de Merck (sont-elles les mêmes que les scillarènes A, B et C de Stoll ?), ou plutôt du côté de cette autre matière dont le nom s’inspire de celui du crapaud commun (Bufo bufo), la bufadéniolide, qu’on trouve à hauteur de 0,15 à 2,4 % dans l’oignon de scille ?
Propriétés thérapeutiques
- Cardiotonique, hyposthénisante cardiovasculaire, diminue les battements cardiaques, ralentit le pouls
- Diurétique rapide, éliminatrice des chlorures et de l’urée
- Expectorante, mucolytique
- Éméto-cathartique (à fortes doses)
- Irritante cutanée, vésicante, rubéfiante, maturative
En bref, et pour reprendre Botan, l’on peut dire que la scille exerce des « effets très énergiques sur l’appareil urinaire, le cœur, les veines, les organes de la respiration » (3).
Usages thérapeutiques
- Troubles de la sphère cardiovasculaire : myocardite, hydropéricardite, insuffisance mitrale et aortique
- Troubles de la sphère respiratoire : adénopathie trachéobronchique, catarrhe pulmonaire chronique, pneumonie (à sa fin), asthme humide, coqueluche, bronchite, emphysème, pleurésie
- Troubles de la sphère vésico-rénale : néphrite chronique, néphrite calculeuse, catarrhe vésical chronique, dysurie, oligurie, albuminurie, excès d’urée sanguine
- Pathologies œdémateuses : anasarque (la scille a été longtemps l’unique remède de l’œdème généralisé en Occident des suites des défaillances du cœur), ascite, hydropisie, rétention d’eau et autres « infiltrations »
- Affections cutanées : hygroma chronique, engelure
Modes d’emploi
- Macération vineuse de scille (vin de Trousseau, vin diurétique de la Charité).
- Vinaigre scillitique.
- Miel de scille.
- Extrait hydro-alcoolique.
- Teinture-mère.
- Décoction.
- Poudre.
- Cataplasme.
- Pommade.
Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations
- Récolte : le bulbe de scille se déterre à la fin de l’été ou un peu plus tard, au commencement de l’automne, aux environs de la fin du mois de septembre.
- Séchage : conseillé, il permet à cet oignon de perdre en piquant et en âcreté (bien qu’il conserve intégralement son amertume). Qu’il se pratique au soleil ou à l’étuve, il doit s’opérer promptement. Cette précaution ne suffit cependant pas à la bonne conservation de la scille qui demeure, une fois sèche, un produit fragile : l’humidité, d’une part, peut la corrompre en favorisant l’apparition de moisissures. D’autre part, le temps : même bien conservée, les propriétés de la scille finissent par s’altérer.
- Toxicité : contrairement à la digitale pourpre, les principes actifs de la scille s’accumulent moins dans l’organisme, d’autant qu’ils en sont plus rapidement éliminés. Cela ne signifie pas qu’avec la scille on peut faire ce qui nous plaît, puisque, malgré tout, la toxicité de la scille existe bel et bien et s’apparente assez à celle de la digitale pourpre. On la considère comme toxique du cœur, du système nerveux et des muscles (cela explique aussi, en partie, pourquoi cette plante tombée en désuétude n’a presque jamais été répertoriée comme remède domestique, et quand elle a été recommandée dans un cadre médical strict, c’était toujours à brève échéance, il n’était pas question d’envisager des cures au long cours). Après plusieurs désordres qui affectent le tube digestif que la scille enflamme (nausée, vomissement, diarrhée, colique…), c’est au tour du tissu rénal de subir les conséquences d’une intoxication. Peuvent alors apparaître hématurie, anurie et/ou strangurie. A ce stade, on peut voir se produire une gangrène rénale et gastro-intestinale, à quoi s’ajoutent parfois une cardialgie, des mouvements de nature convulsive et de l’agitation, avant de parvenir au coma et, enfin, au décès.
- Autres espèces : la scille à deux feuilles (Scilla bifolia) et la scille lis-jacinthe (Scilla lilio-hyacinthus). Ces deux plantes se distinguent très nettement de la scille maritime en ce sens qu’elles sont continentales, s’abritant dans les frais sous-bois européens. Leurs dimensions sont aussi moins spectaculaires que celles de la scille maritime à l’allure de « monstre ».
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1. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 342.
2. Dioscoride, Materia medica, Livre II, chapitre 164.
3. P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 183.
© Books of Dante – 2019