Le cognassier (Cydonia oblonga)

Synonymes : coignassier, coignier, coudonnier.

Le nom latin du cognassier – Cydonia – est étroitement lié à son histoire même. Inconnu des Égyptiens et des Mésopotamiens, le cognassier était bien connu des Grecs, car il s’agit d’une espèce spontanée qui poussait en bordure de la Mer Caspienne, au nord de la Perse, à l’est de la Turquie, en Grèce septentrionale. Mais le Kydonia (1) d’origine vient de Crète, « ainsi que d’innombrables autres bienfaits, dont la culture du figuier, de la vigne et de l’olivier » (2). En Crète, poussait en effet un cognassier dont Jacques Brosse indique qu’il était déjà cultivé à l’époque minoenne (-2700 à -1200 avant J.-C.). Cela n’est qu’au VII ème siècle avant J.-C. que ce cognassier crétois est introduit en Grèce où, semble-t-il, l’espèce locale sera ensuite greffée sur l’arbre crétois. Présents en Sicile, les Grecs favorisèrent l’expansion du cognassier en Italie, laquelle sera perpétuée par les Romains au fur et à mesure de leur avancée plus au nord de l’Europe. C’est pour cette raison que l’Antiquité, tant grecque que romaine, regorge d’informations concernant le coing. On ne s’étonnera donc pas d’apprendre qu’Hippocrate utilise ce fruit pour resserrer le ventre et apaiser l’ardeur de la fièvre. Quant à Dioscoride, il en fait un long portrait dans sa Materia medica (Livre 1, chapitre 130). Il dit le coing fort utile à la sphère digestive (flux stomacaux, dysenterie). Déjà, il mentionne son efficacité en cas de prolapsus tant utérin que rectal. Confit au miel, le coing serait diurétique. On en compose des onguents, des emplâtres, des vins, toutes préparations destinées aux mêmes affections dont on reconnaît aujourd’hui au coing la vertu de les endiguer (hémoptysie, métrorragie, vomissement, inflammation des seins, etc.), ce que ne manque pas de partager son contemporain romain, Pline l’Ancien. Selon lui, on devait tracer un cercle de la main gauche autour du cognassier avant d’en déchausser la racine qui, portée en amulette, passait pour guérir les écrouelles. De plus, pendant l’arrachage, il était préconisé d’indiquer « pour qui et pourquoi on arrache la racine de cognassier ».
A cette époque, le coing est tant en faveur que même les poètes s’emparent de lui. C’est ainsi que le chrysomela grec (« pomme d’or » ou « fruit d’or ») est-il appelé malum aureum par Virgile. Quant à Martial, il mentionne la présence de coings confits au miel, de même que Columelle qui indiquera la recette appelée melimela, sur la table des banquets, expliquant que la formule en avait été attribuée aux nymphes qui, disait-on, l’utilisaient pour calmer les vociférations de Zeus enfant. Dans Pétrone (Satyricon) est mentionnée la coutume consistant à piquer un coing d’une myriade de clous de girofle comme on le fait encore aujourd’hui des oranges.
Alors, si les poètes s’en mêlent, par l’intercession des muses, il est normal que le coing entretienne quelque rapport avec les divinités. Tout comme c’est encore le cas à l’heure actuelle dans certaines localités des Balkans, le coing participait aux rites conjugaux. « La fille épiclère (3) a l’obligation de manger du coing avant de s’enfermer avec son époux, et cette indication est donnée par Plutarque dans un contexte où il est question de la naissance d’enfants et où l’époux a l’obligation de s’approcher d’elle au moins trois fois dans le mois. On a aussi interprété cette consommation du coing par la jeune mariée athénienne comme l’expression de sa facilité à vivre le plaisir » (4). Symbole de fertilité et de fécondité, le coing possédait aussi la vertu d’assurer à la femme enceinte la naissance d’un beau garçon « remarquable par la beauté et par l’intelligence » (5). Il est bien possible que les pépins contenus au cœur de ce fruit lui aient valu une telle réputation, quand bien même un fruit comme la grenade en est bien davantage doté, mais c’est surtout le fait qu’Aphrodite ait pris le coing sous sa coupe, aux côtés de ses avatars végétaux habituels que sont la rose et le myrte. Parfois, ne la représentait-on pas portant un coing à la main ?
En Serbie, une pratique appelée « se jeter le coing » rappelle ce que l’on faisait en Sicile avec une pomme. Dans les deux cas, c’est une invitation à l’amour censée conduire au mariage, laquelle trouve son origine dans la mythologie grecque comme nous le narre Angelo de Gubernatis : « On connaît la ruse de l’amoureux Akontius pour obtenir en mariage la belle Cydippe de Délos. N’osant lui faire sa déclaration, il jeta dans le temple de Diane, où elle se rendait pour ses dévotions, un coing avec l’inscription qui suit : ‘Je jure, par la divinité de Diane, de devenir la femme d’Akontius.’ La jeune fille, ayant ramassé le coing, lut à haute voix l’inscription, et par cette lecture, ayant, sans le vouloir, dans le temple de Diane, prêté serment d’épouser Akontius, celui-ci obtint le prix de sa ruse » (6). Le coing porta durant longtemps les qualités d’Aphrodite. Par exemple, on le croise au sein d’un poème d’Edward Lear (1812-1888) intitulé Le hibou et le chat, qui raconte leur rencontre et leurs sentiments : « Ils dînèrent de viande hachée et de tranches de coing qu’ils mangèrent avec une cuillère ; et main dans la main, au bord du sable, ils dansèrent à la lumière de la Lune ».
Comment imaginer que les Grecs firent du coing le fruit du mariage tant il est quasiment immangeable à l’état cru, contrairement à la pomme ? Le coing est-il la pomme d’or de l’éternel désir ou bien la pomme d’or de l’éternelle discorde ? Cru, le coing est acide, râpeux et âcre malgré son odeur délicieusement aromatique et épicée. Est-ce là la tentation ? Pour rendre comestible le coing, il faut le cuisiner, le cuire, lui adjoindre d’autres ingrédients. De la même façon, une connaissance brute peut être elle-même âcre et acide. Et doit subir une transformation dans l’être même. Le fruit croqué par Adam et Eve était-il un coing cru dont la consommation expliquerait la « chute » ? Aucune connaissance n’étant immédiate, est-ce là une façon de nous faire prendre conscience à travers la valeur symbolique du coing que la connaissance se distille à l’intérieur de l’athanor humain ?!!!
De là à dire d’emblée que le coing n’est autre que la pomme d’or du jardin des Hespérides, il n’y a qu’un pas, je vous l’accorde. Et, parlant des Hespérides, c’est une autre figure mythologique féminine qui pointe le bout de son nez : Héra. Je ne reproduirai pas ici ce que j’en ai dit dans l’article consacré au pommier. La ruse (encore !) d’Héra pour séduire Zeus durant la guerre de Troie, avec l’entremise d’Aphrodite, pose question. Se peut-il qu’elle mangea une tranche de coing cru ? C’est tout à fait possible, malgré la saveur âcre et acide généralement associée au coing et dont nous avons parlé plus haut. Seulement… il faut savoir qu’il est comestible cru selon son aire de répartition. Plus il pousse sous un climat chaud (comme l’est celui du Portugal et de la Grèce), plus il devient tendre et juteux, la coction solaire en assurant la consommation. En revanche, un cognassier poussant sous nos latitudes ne se verra pas doté d’un tel privilège, il restera râpeux et désagréablement astringent, ce qui est une frustration tant son parfum fruité est une invitation à croquer dedans. Or, Héra n’était point fille du Nord, et je doute fort qu’elle se soit concoctée une petite compote de coings avant d’embrasser Zeus. Aussi, les pommes du jardin des Hespérides seraient-elles finalement des coings comme certains le prétendent. Rappelant la pomme, on le dit maliforme, et Bauhin, au XVI ème siècle, lui avait donné le nom de Malus cotonea sylvestris. Mais, piriforme, il rappelle aussi la poire ; c’est ainsi que dans Cazin lui est attribué le nom latin de Pyrus cydonia. Mais, bien sûr, le coing n’est ni l’une ni l’autre, et les exégètes se perdent en conjectures quant à l’identité des fruits que portaient les arbres du jardin des Hespérides, dont une chose est sûre, ça n’était ni des oranges ni des citrons.

Les Romains ayant conquis la Gaule, ils durent emporter dans leurs bagages le cognassier. C’est pourquoi il a été également en faveur durant le Moyen-Âge, car dès 795, le capitulaire de Louis le Pieux en recommande la culture dans les jardins de l’empire carolingien. On le retrouve en l’image du Quittenbaum hildegardien. L’abbesse de Bingen affirme qu’il « est assimilé à la ruse (encore !!!), qui est tantôt utile, tantôt inutile » (7). C’est ainsi qu’elle reconnaît son utilité au seul fruit, contrairement aux feuilles et au bois du cognassier. Appliqué sur les plaies de mauvaise nature voire ulcérées, le coing permet aussi d’apaiser les douleur de la goutte, il est pour Hildegarde un bon moyen de lutter contre la sialorrhée, une excessive production de salive. A la même époque, les apothicaires mettent au point le diacydonium, une purée de pulpe de coings cuite au miel et additionnée d’épices, lequel semble être l’ancêtre de notre actuelle pâte de coings.
Au XIII ème siècle, le médecin aragonais Arnaud de Villeneuve conseille le coing aux estomacs délicats, alors qu’au début du siècle suivant, le byzantin Actuarius suggère une préparation à base de coings, de sucre et de vinaigre qu’il dit fort profitable aux fébricitants. Mais, au Moyen-Âge, le coing doit sa célébrité grâce au cotignac, un compromis entre la gelée et la pâte de coings. Recette présente au sein du Mesnagier de Paris (1393), celui produit à Orléans reste encore aujourd’hui l’un des plus célèbres. Peut-être était-ce de lui que, dit-on, Jeanne d’Arc se régalait et après elle Louis XIV.
Au XVI ème siècle, François Rabelais, qu’on connaît pour son ironie mordante mais également pour sa grande érudition, fera parler l’un de ses personnages en ces termes : les coings « ferment proprement l’orifice du ventricule à cause de quelque stypticité joyeuse qui est en eux, et aident à la concoction première ». Rappelons que Rabelais, qui fut aussi médecin, écrivit cela il y a un peu moins de cinq siècles et que cela n’est pas forcément intelligible pour nous, de même pour le docteur Leclerc qui railla le caractère « joyeux » de cette stypticité (autrement dit, son astringence qui n’a, effectivement, rien de réjouissant).
A la suite de ces rabelaiseries, on dit le coing diurétique, apte à faire retrouver sa vigueur à l’estomac ; on le qualifie d’anti-émétique et d’antihémorragique. Certains ont même vu des « signatures », mais elles sont si absconses que je ne m’en ferais pas le relais.

S’il aime l’humidité et les sols frais, il lui faut donc de la chaleur à ce petit arbre caducifolié au branchage tortueux qui ne supporte pas la taille ! Ses jeunes pousses et feuilles sont velues. Par la suite, les feuilles se développent : elles deviennent ovales, vert foncé au-dessus et laineuses sur la face opposée. Aux mois de mai et juin, de jolies et grandes fleurs solitaires aux bouts des rameaux déploient leurs cinq pétales blancs veinés de rose pâle, et donneront naissance aux coings, fruits d’automne veloutés et jaune d’or.

Le cognassier en phytothérapie

De même que le pommier, on ne s’est jamais que guère soucié des fleurs et des feuilles du cognassier, et l’attention s’est presque toujours concentrée sur son fruit, le coing qui présente une double facette : sa pulpe et ses pépins. Le coing, qui communique aisément sa fragrance aux substances qui viennent à son contact, est composé d’une pulpe légèrement acide, âpre et surtout très astringente (ces caractères s’affaiblissent au séchage et disparaissent totalement à la cuisson). Constituée d’environ 70 % d’eau, elle contient aussi des sucres (jusqu’à 10 %), peu de protides et de lipides (respectivement 0,5 et 0,2 %), des acides (malique, racémique), de la pectine, de nombreux sels minéraux et oligo-éléments (magnésium, phosphore, calcium, potassium, fer, cuivre, soufre), des vitamines (provitamine A, vitamines B1, B2, B3, C). Quant aux pépins, ils « contiennent, sous une écorce brune et coriace, une substance blanche, douce, mucilagineuse, tellement abondante que 4 g de ces semences donnent la consistance du blanc d’œuf à 120 g d’eau » (8).

Propriétés thérapeutiques

  • Pulpe : tonique, astringente, apéritive, stomachique, tonique intestinale, antidiarrhéique, tonique hépatique
  • Pépin : adoucissant, émollient
  • Feuille : astringente légère, fébrifuge légère, sédative, détersive et cicatrisante des plaies

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée et diarrhée chronique (chez l’enfant, le vieillard, le tuberculeux, le convalescent), dysenterie, entérite aiguë, aigreur d’estomac, digestion difficile, atonie digestive, flatulences, manque d’appétit, vomissement, irritation des voies digestives, insuffisance hépatique, prolapsus rectal, fissure anale, hémorroïdes
  • Troubles de la sphère respiratoire ; maux de gorge, toux coquelucheuse, bronchite, hémoptysie
  • Troubles buccaux et gingivaux : aphte, gingivite, boursouflement gingival
  • Troubles gynécologiques : hémorragie utérine, métrorragie, leucorrhée atonique, prolapsus utérin
  • Affections cutanées : crevasse, escarre, excoriation, engelure, brûlure, eczéma, gerçure (lèvres, mamelon), démangeaison et irritation des seins, irritation cutanée, sécheresse cutanée, dartre, rides
  • Affections oculaires : conjonctivite, ophtalmie aiguë ou chronique
  • Faiblesse générale, convalescence
  • Nervosisme, insomnie

Modes d’emploi

  • Suc de coing étendu d’eau
  • Sirop de coing
  • Mucilage de pépins étendu d’eau
  • Infusion de coing, de fleurs et/ou de feuilles
  • Décoction de semences
  • Décoction de pulpe de coing
  • Ratafia, liqueur de coing
  • Macération vineuse de coing
  • Macération alcoolique de pelures de coing
  • Gelée, rob, compote

Suggestion de recette : comptez un joli coing entier découpé en tranches fines. Faites le bouillir dans un litre d’eau jusqu’à ce que le volume ait diminué de moitié. Ajoutez 50 g de sucre en cours de cuisson. Variante : remplacez l’eau par du vin, cela rendra cette décoction d’autant plus astringente, du fait des tanins contenus dans le vin rouge. Préconisée en cas de diarrhées rebelles.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Attention de ne pas abuser du coing, en particulier des recettes à base de pulpe cuite car des occlusions intestinales sont possibles.
  • Comestible, le coing est utilisé pour confectionner confitures, gelées, pâtes de fruits, tartes et gâteaux, liqueurs, etc. Au Maroc, il accompagne parfois certains plats de viande. Quant aux fleurs, elles peuvent être confites au sucre, préparées en gelée à l’instar des pétales de rose, et permettent de décorer joliment une assiette.
  • Autrefois, les coiffeurs utilisaient le mucilage de pépins de coing pour lisser les cheveux. On appelait cela la bandoline.
  • Élixir floral : chez la femme, il vise à équilibrer vie active et vie familiale. Il est aussi conseillé aux femmes qui élèvent seules leurs enfants.
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    1. Cydonia est une transformation du nom de la ville grecque de Kydonia, actuelle La Canée, en Crète occidentale.
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 299
    3. « La fille dite ‘épiclère’ est celle qui se trouve seule descendante de son père : elle n’a ni frère, ni descendant de frère susceptible d’hériter », Wikipédia.
    4. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, pp. 525-526
    5. Henri Leclerc, Les fruits de France, p. 121
    6. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 105
    7. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 162
    8. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonnée des plantes médicinales indigènes, p. 311

© Books of Dante – 2017