Solstice d’hiver, sapin et lumières

Tout comme le solstice d’été, le solstice d’hiver a toujours été un marqueur temporel fort et l’occasion de célébrations et de festivités. En Égypte antique, ce moment unique dans l’année était fêté avec de petites pyramides de bois décorées et surmontées d’un disque solaire. Des lampes à huile étaient accrochées à l’entrée des habitations afin d’illuminer les rues comme en plein jour. De la nourriture et de la bière étaient offertes aux esprits de l’autre monde. En Perse ancienne, Khoram rooz, le jour du Soleil, faisait suite au solstice. Des feux étaient allumés durant la nuit, on procédait à prières et offrandes. A Rome, lors des Saturnales qui avaient lieu en décembre, des feux étaient aussi embrasés. Le nord de l’Europe honorait cette date avec les feux nouveaux propres au monde celte. En Afrique du Nord, on ornait les habitations de lanternes et de rameaux de laurier, un arbre éminemment solaire. Tout cela avait pour but de conjurer l’hiver, la nature dépouillée, l’obscurité… parce que, bien sûr, le solstice d’hiver marque la porte solsticiale ascendante, il symbolise la renaissance solaire, mais aussi la gestation, la conception et la germination des plantes sous l’influence grandissante du Soleil.

Dans cette nature morne et décharnée, les arbres à feuilles persistantes brillent de leur verdeur. Que ce soit le laurier, le lierre, le genévrier ou le houx de la Rome païenne, il est toujours question de force, de courage, de constance, de longévité et d’immortalité quand on évoque ces végétaux. C’est pourquoi des rameaux de différentes espèces étaient cueillis pour ornementer l’intérieur des maisons. Non seulement décoratifs, ils participaient aussi à la protection de la maisonnée, en particulier ceux aux feuilles piquantes comme le houx et le genévrier. Ce sont justement des végétaux semper virens, particulièrement résistants et endurants, qui sont choisis pour incarner cette vivacité encore fragile qu’est le retour imminent de la lumière qui, de jour en jour, grappille peu à peu quelques minutes. Le point le plus bas qu’est le solstice d’hiver est un instant délicat, qu’il faut savoir et pouvoir protéger. C’est pourquoi l’on cherche à supporter le soleil dans son dernier instant de chute, afin de l’exhorter à revenir briller sur le monde. Sol invictus et Yule sont, par exemple, tout à fait représentatifs de cette vision.

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A la fin du Moyen-Âge, on remplace les gerbes de rameaux par des arbres entiers que l’on fait pénétrer à l’intérieur des maisons, du moins est-ce ainsi que l’on procédait en Allemagne, où on a jeté son dévolu sur le sapin dès 1419. Cet engouement est si vif qu’en 1521, en Alsace, on s’efforce de surveiller les forêts afin d’éviter un trop grand abattage d’arbres. Que l’on passe de la branche à l’arbre, il demeure cependant une constante : cette végétation est décorée, très souvent de noix et de pommes, dont la symbolique de fécondité, trop évidente, n’est plus à expliquer. Puis, peu à peu, cette décoration va se sophistiquer. C’est ainsi qu’apparaissent des sujets en forme d’étoile, de croissant, de sabot, de cœur, de sapin, etc., qui possèdent comme points communs d’être au moins dotés d’une pointe et de tous représenter l’opulence sinon l’abondance. Sous forme de cornes, de bois de cerf ou d’animaux les portant (bélier, bouc, cervidé), ces sujets ornementaux renvoient à la même logique : la défense et la protection, mais aussi la fécondité dont ces animaux hautement prolifiques sont les avatars. Ces arbres portaient également le feu, on y accrochait de petits cierges, des lumignons, des lanternes… On y suspendait aussi fleurs, rubans, petites pâtisseries, etc.

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Le sapin, qui est le plus souvent un épicéa, longtemps associé aux rites nordiques du solstice d’hiver, est à l’image de l’arbre générateur et anthropogonique formant l’axe du monde, et dont la bûche n’est que le fragment. Indissociable de la cheminée, la bûche marque la différence d’avec le solstice d’été où le brasier est extérieur, alors que le solstice hivernal se concentre, lui, sur l’idée de foyer intérieur qui, avant de désigner l’habitation, faisait référence à son point crucial, la cheminée, lieu de l’entretien de la vie sociale de la famille et, tout comme le sapin, symbolisation de l’axe du monde figuré par son conduit qui s’élève vers le ciel.
La bûche solsticiale devait être choisie parmi les plus belles. En chêne, on convoquait la robustesse, issue d’arbres fruitiers la fécondité. Le plus grand respect lui était accordé. On la bénissait en la lustrant avec un rameau de buis, parfois on l’arrosait de vin cuit ou d’huile, tout en accompagnant ces rituels de souhaits pour l’année à venir. Il était fréquent d’allumer la bûche à l’aide d’un tison prélevé sur la bûche de l’année précédente. Le bois de chêne était souvent retenu. Bois dur et très dense, il a l’avantage de se consumer lentement, contrairement aux résineux qui flambent littéralement. La nuit du solstice étant très longue, on ne pouvait se permettre de voir la bûche être totalement calcinée trop tôt dans la nuit, car, au cœur du foyer qu’est la cheminée, la bûche est placée là, pour que, en brûlant continuellement, elle tienne, par la chaleur dégagée, au dehors de la maison les entités malsaines qui auraient l’audace de s’aventurer à l’intérieur en empruntant le conduit de cheminée ! Les cendres de cette bûche faisaient elles aussi l’objet d’un pieu respect. C’est souvent qu’elles étaient répandues dans les champs et les jardins pour en assurer la prospérité future.

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Aujourd’hui, les choses sont quelque peu différentes. On sait bien que le classique sapin de Noël est la résultante d’une volonté de l’église chrétienne d’effacer les anciens rites païens de Yule et de Sol invictus, par exemple. Mais cet avènement ne s’est pas fait en un jour, le rôle du sapin dans les rites solsticiaux étant particulièrement inféodé aux régions d’Europe centrale et septentrionale. L’on a dit que l’ancêtre du sapin de Noël était allemand, et c’est encore d’Allemagne que proviendra l’habitude de fêter Noël avec un sapin. En effet, la belle fille de Louis-Philippe, Hélène de Mecklembourg, épouse allemande du duc d’Orléans, fera installer un tel sapin aux Tuileries dès 1837. Cependant, la France reste relativement réticente à cette coutume jusqu’au début du XX ème siècle, alors que l’idée se propagera aisément au monde anglo-saxon (Grande Bretagne, Amérique du Nord) dès le milieu du XIX ème siècle, mais sera peu populaire en Italie à la même période comme le soulignait Angelo de Gubernatis en 1878.

© Books of Dante – 2016