Le lis blanc

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Des origines du lis, on connaît peu de choses. Si l’on sait que c’est une plante subspontanée de la région méditerranéenne, qu’elle pousse à l’état sauvage au Liban, en Syrie et en Perse, il y a tout lieu de croire que les lis blancs des îles grecques (Eubée, Crète) et du Péloponnèse sont issus de l’introduction volontaire par l’homme. Son nom même de lilium, selon Fournier, remonterait à une ancienne langue méditerranéenne antérieure au grec et au latin. On peut dire du lis qu’il est probablement originaire du Proche-Orient, même si les plus anciennes traces qu’il a laissées se situent en Crète, tout d’abord à travers une fresque découverte sur le site du palais de Cnossos, vieille de 3700 à 4000 ans, ainsi que sur une série de pithamphores à trois anses décorés de motifs végétaux parmi lesquels des feuilles de lierre, des tiges de papyrus et des fleurs de lis. Ces ornements prouvent que le lis est la plus ancienne plante ornementale cultivée.
En Grèce, où le krininon – le lis – portait le nom magique de « semence d’Ammon », on nous explique qu’il serait né de ce que Hercule – né des amours incestueuses de Zeus avec une humaine, Alcmène – aurait tété le sein d’Héra endormie. Il a été dit que ce fut là un bon moyen pour Hercule « de participer à son tour à la divine immortalité », mais c’est probablement pour se faire accepter d’Héra qu’il aurait agi de la sorte. Quoi qu’il en soit, dans son empressement, le « glouton » Hercule fit jaillir le lait du sein d’Héra dont une partie éclaboussa le ciel, formant la voie lactée ; quelques gouttes tombèrent au sol desquelles naquit le lis à l’immaculée carnation. Par voie de conséquence, le lis devint attribut d’Héra, patronne du mariage et de l’amour conjugal. Parallèlement, cette plante fut surnommée junonia rosa – rose de Junon – pour des raisons identiques par les Romains. Mais celle que les Grecs appelaient « fleur des fleurs » attisa la colère d’Aphrodite. « Née elle-même de la blanche écume de la mer, voyant ce lis d’un blanc si pur, en conçut de la jalousie. Pour se venger, elle dota le lis d’un pistil qui rappelait la verge d’un âne » (1). Ainsi, la symbolique du lis glissa du couple Héra/Junon à celui d’Aphrodite/Vénus. De l’amour conjugal, on passa à l’amour érotique, voire vers une forme de lubricité. Le lis qu’on figurait souvent avec les déesses Pudicita (la Pudeur) et Spes (l’Espérance) devint le sceptre des satyres.

Le lis, qui fut à l’Occident ce que le lotus représentait pour l’Orient, était connu des Égyptiens, mais, très étrangement, il n’apparaît pas dans les pratiques religieuses. En revanche, ce que l’on sait, c’est que les anciens Égyptiens en développèrent la culture et le destinèrent à la parfumerie : au V ème siècle av. J.-C., (au moins), on avait connaissance de la manière dont extraire le parfum du lis (extraction par expression).
Chez les Hébreux, le lis porte le nom de schuschan, un mot qui aura donné le prénom féminin actuel, Suzanne. Mais ce mot désigne également la rose ! Nous verrons, au fur et à mesure que nous avancerons dans cet article que rose et lis sont indéniablement liés à plus d’un titre.
Le christianisme aura lui aussi utilisé le lis comme emblème. Dans la Bible, il est dit que le lis est amour et beauté. Dans le Cantique des cantiques (Ancien Testament), on peut lire la phrase suivante : « Comme un lis parmi les chardons, telle est ma bien-aimée parmi les jeunes filles ». C’est une métaphore derrière laquelle se dissimule l’idée de l’élection, du choix divin, et que l’on retrouve dans l’évangile selon saint Matthieu (Nouveau Testament) quand Jésus proclame ceci : « Observez les lis des champs comme ils croissent : ils ne peinent ni ne filent. Or, je vous dis que Salomon lui-même dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux… »
Dans le symbolisme chrétien, les archanges Uriel, Michel, Raphaël et Gabriel portent une épée, un bâton de pèlerin, un livre et un lis, qui représente ici la miséricorde divine. C’est une fleur qu’on associe parfois à saint Joseph et à saint Antoine, protecteur des mariages (Héra et Junon en filigrane), mais il faudra attendre de longs siècles pour que l’on fasse du lis une fleur mariale et gommer la connotation érotique jusqu’alors attribuée au lis blanc. Au Moyen-Âge, il est, avec la rose, la fleur la plus réputée. Ne la trouve-t-on pas en tête du fameux Capitulaire de Villis (fin VIII ème – début IX ème siècle) sous le nom de lilium ? Et, à la même époque, sous la plume du moine poète, Strabo : « C’est dans le lis qu’une tradition sacrée fait résider la Virginité brillante : quand cette vertu n’a point subi l’assaut des troubles de la turpitude, quand l’ardeur d’un coupable amour n’est point venue la briser, alors le lis embaume de son propre parfum » (2). Clairement, Strabo milite pour le symbolisme de pureté et de virginité du lis qui sait s’affranchir de la caractéristique luxurieuse qu’on lui a anciennement prêté.
Le mot lis (lys) est apparu en français dans la seconde moitié du XII ème siècle. Il est celui que Macer Floridus (XI ème siècle) et Hildegarde (XII ème siècle) désignent encore par le mot latin lilium. Et, au XII ème siècle, semblent se superposer plusieurs éléments. C’est à ce moment qu’il est dit que le culte de la Vierge atteignit son apogée en Occident, coïncidant avec l’arrivée du lis en Europe occidentale, une plante qu’on dit plausiblement introduite par les Croisés (même si l’on sait que le lis est parvenu en Europe bien avant). Dès lors, on réaffirme, comme le fit Hildegarde, le caractère divin du lis : « La Création entière est le jardin divin… Je vois le Ciel car je vois tout ce que Dieu créa, le Lis, la Rose… » (3). Encore acoquinées, ces deux fleurs se succèdent chez Macer Floridus (21. Rosa, 22. Lilium) et chez Hildegarde (Physica – Livre I, chap. 22 : Rosa, Livre I, chap. 23 : Lilium), tandis qu’elles s’entremêlent chez Strabo : dans le long passage terminal qu’il consacre à la rose, il parle tout autant du lis (4).
Hildegarde, tout comme Strabo, est sensible au parfum du lis : « Le parfum de la première poussée des lis et le parfum de leurs fleurs réjouissent le cœur de l’homme et suscitent en lui de juste pensées » (5). Il n’en va pas toujours de même dans d’autres contrées et époques. Dans certaines traditions le lis conserve toujours son symbolisme de sexualité fertile, sans doute en raison de la forme priapique du pistil de cette fleur (du latin pistillum, pilon, ça ne s’invente pas). L’on verra aussi que des auteurs plus récents ne partagent pas l’enthousiasme de Strabo pour le lis quand ce dernier proclame que « leur suave odeur simule dans une fleur tous les parfums de Saba ! » (6). Au contraire de Joris-Karl Huysmans qui ne prendra pas part à cet avis dans son roman daté de 1898, La Cathédrale : « Son parfum est absolument le contraire d’une odeur chaste ; c’est un mélange de miel et de poivre, quelque chose d’âcre et de doucereux, de pâle et de fort ; cela tient de la conserve aphrodisiaque du Levant et de la confiture érotique de l’Inde. » Et paf ! Les pieds dans le plat liturgique, le père Huysmans ! Bref, malgré ces quelques soubresauts, le lis n’en restera pas moins, avec la rose, l’un des fidèles attributs de la Vierge (on le surnomme encore parfois lis de la Vierge, lis de la Madone…).
Il est aussi étonnant d’avoir vu se développer le culte marial et l’amour courtois à la même période. Le lis, qui est symbole d’amour intense, signale aussi le caractère irréalisable de cet amour : celui du servant pour sa Dame, du dévot pour la Vierge. Et c’est cette virginité que désigne la symbolique du lis : la blancheur, la pureté, l’innocence aussi, sont des traits symboliques du lis qui s’entremêlent les uns aux autres. Dire du lis qu’il est candide, cela ne veut pas dire qu’il confine à une naïveté sans égal, car, par son nom latin de Lilium candidum, le lis nous signifie qu’il est éclatant, à l’instar de la lumière des astres. Intégralement immaculé, il est donc tout destiné à la Vierge Marie.

Le lis, en tant qu’arme des rois, a beaucoup fait couler d’encre quant à sa véritable identité. S’il est une fleur plus conforme à ce que nous montre la science héraldique, c’est sans doute de l’iris des marais dont il s’agit (pour des raisons que j’exprime ici) et « on peut se demander maintenant si le lis qui revient si souvent sur les écussons, spécialement sur ceux des rois de France et de la ville de Florence, peut être considéré comme un symbole d’innocence, de candeur et de pureté ; mais on devrait, en ce cas, s’expliquer le choix d’un tel symbole en des temps presque barbares, et on se trouverait fort embarrassé pour proposer une solution probable » (7). Le lis ayant, comme le lotus, pouvoir de génération, n’est-il pas impossible que la fleur de lis royale cherche à montrer une volonté de perpétuation ininterrompue et de multiplication ?
D’Ovide à Théophile de Viau, le lis fut aussi l’arme des poètes. Le premier place le lis dans les mains de Perséphone qui n’est alors que la jeune fille Koré, pleine d’insouciance et d’ingénuité. C’est en effet lui qu’elle cueille, avec la violette, avant de subir le violent rapt d’Hadès. Quant au second, il fait partie de ces poètes des XVI ème et XVII ème siècles qui désignèrent à travers l’expression « les roses et les lis » la carnation féminine idéale de leur temps, et que l’on retrouve dans le poème intitulé Le matin. En voici la dernière strophe :

« Il est jour : levons-nous Philis,
Allons à notre jardin,
Voir s’il est comme ton visage,
Semé de roses et de lys. »

Vous vous en doutez certainement, le lis blanc ça ne sert pas qu’à décorer les églises et à célébrer les mariages (8). Même si on le pense uniquement ornemental, il faut savoir qu’on l’utilise en médecine depuis au moins le temps de Dioscoride (Ier siècle ap. J.-C.). Ce médecin grec employait le lis pour guérir les brûlures, les plaies, les vieux ulcères, le zona, ainsi que pour ses vertus cosmétiques (atténuation des rides, nettoyage de la peau du visage…). Pour Pline, le lis est l’égal de la rose. Il lui attribue des propriétés similaires.
Au Moyen-Âge, qui est un peu l’âge d’or du lis, les médecins le préconisent pour des raisons assez semblables. Strabo le recommande pour les blessures, les abcès et les morsures de serpent, à la condition qu’il soit écrasé au pilon et mêlé à du vin de Falerne, qui avait alors très grande réputation, et ce depuis l’Antiquité romaine (Pétrone évoque ce fait dans son Satiricon). Plus tard, Macer Floridus semble reprendre Strabo, puisqu’il écrit qu’un cataplasme de feuilles de lis neutralise l’effet de la morsure des serpents et que son bulbe, pris avec du vin, constitue un puissant antidote aux empoisonnements que peuvent occasionner les champignons vénéneux. Par le lis, bien des affections cutanées peuvent être traitées selon Macer Floridus : les cors, les durillons, les brûlures, les dartres, les taches cutanées, les enflures, les abcès, les rides, etc. Il le dit cicatrisant, maturatif, sudorifique, dépuratif du sang, astringent et emménagogue, soit un ensemble de propriétés et d’usage dont l’école de médecine de Salerne se fera l’écho en vers :

« Au miel adjoint, des nerfs il guérit la coupure,
Et d’un membre noirci la récente brûlure ;
Il efface la ride au visage altéré
Et la tache livide au corps régénéré. »

Matière médicale suffisamment précieuse pour qu’on plante entre chaque bulbe des pieds de menthe et de thym pour en écarter les nuisibles, le lis n’aura pas échappé à Hildegarde de Bingen. En écrasant feuilles et racine, en mêlant le tout à de la farine, elle concocte un onguent pour les éruptions cutanées et les abcès. Le bulbe broyé et mélangé à de la graisse animale formait un emplâtre contre ce que l’abbesse appelait la « lèpre blanche » (a-t-elle un rapport avec ce que l’on nomme aujourd’hui la lèpre anesthésique ?) Enfin, dans le Grand Albert, on trouve la recette d’un cataplasme contre la maladie du charbon, c’est-à-dire l’anthrax.
Au XVIII ème siècle, Chomel vante une eau de lis détersive et adoucissante, qu’il emploie dans des affections aussi diverses que les maux de gorge, la dysenterie et la pleurésie. Par la suite, on n’entend plus vraiment parler du lis en termes médicaux, mais on le retrouve au XX ème siècle sous les plumes de Leclerc, Fournier, Valnet et Bardeau, ce qui n’est pas rien, puisque c’est grâce à eux que ce qui suivra bientôt a été rendu possible !

Cette grande plante vivace de près de deux mètres de hauteur à pleine maturité voit, à l’automne, son bulbe blanc ou jaunâtre former une rosette basale de longues feuilles vertes. Au printemps, ce sont des tiges florales à feuilles lancéolées qui apparaissent avant de voir la plante se parer à l’été de majestueuses fleurs blanches en trompette composées de trois sépales et de trois pétales formant une structure hexagonale. Très parfumées, leur pollen doré rappelle la couleur du safran.

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Le lis en thérapie

Du lis, on emploie le bulbe et les fleurs, la plante entière en cas de teinture, parfois le pollen. Le bulbe contient des mucilages, des phytostérols et des saponosides. Quant aux fleurs, elles doivent leur parfum à une essence aromatique contenant de la vanilline. On y trouve aussi des flavonoïdes.

Propriétés thérapeutiques

  • Émollient, régénérant, apaisant, raffermissant, adoucissant, résolutif, cicatrisant (le lis favorise le retour d’une épidermisation normale)
  • Maturatif
  • Anti-inflammatoire
  • Diurétique
  • Expectorant

Les fleurs sont avant tout vulnéraires, le pollen antispasmodique et emménagogue.

Usages thérapeutiques

  • Les fleurs

-Affections cutanées : coupure, plaie superficielle, brûlure, ulcère, furoncle, taches de rousseur, bouton de chaleur, eczéma, piqûre d’insecte, couperose
-Contusion, lumbago, luxation, douleurs rhumatismales, goutte
-Douleurs dentaires et douleurs d’oreilles
-Ophtalmie

(Anciennement : congestion, convulsions, épilepsie, empoisonnement du sang).

  • Le bulbe

-Affections cutanées : tumeur enflammée, abcès, furoncle, panaris, anthrax, brûlure, engelure, plaie enflammée, ulcération, gerçure, coupure, érythème, lupus, dermites de radiothérapie, peaux fatiguées, dévitalisées, abîmées
-Maladies inflammatoires de la sphère pulmonaire
-Phlegmon
-Aménorrhée
-Conjonctivite

Modes d’emploi

  • Bulbe : en infusion, cuisson sous la cendre, dans l’eau ou dans le lait, écrasé et réduit en pommade, emplâtre.
  • Fleurs : en infusion (on obtient alors l’eau de lis), en macération dans l’alcool, dans l’huile (le parfum du lis se communique facilement à l’eau, l’alcool et l’huile, mais les pétales perdent rapidement parfum et propriétés à cause de la dessiccation, on les emploiera donc rapidement), hydrolat aromatique (si on distille le lis, on en réserve l’huile essentielle pour la parfumerie).

Contre-indications et autres usages

  • A l’instar des fleurs de muguet, le parfum du lis, fort, pénétrant, entêtant, trop prononcé pour certains, peut provoquer des maux de tête, des vertiges, voire même des syncopes si cette plante est entreposée dans une chambre à coucher.
  • Les bulbes – qui sont comestibles et consommés cuits dans certains pays –, se récoltent toute l’année (mais de préférence à l’automne), tandis que c’est au mois de juillet qu’on ramasse les fleurs.
  • Autre lis, le lis tigré (Lilium tigrinum) est l’un des grands remèdes féminins durant la grossesse. Il évite déprime et mélancolie qui peuvent accompagner cette période. On l’utilise aussi en cas de nymphomanie.
  • En France, on rencontre deux espèces de lis sauvages : le lis orangé (Lilium bulbiferum) et le lis martagon (Lilium martagon).

  1. Michèle Bilimoff, Les plantes, les hommes et les dieux, p. 80
  2. Strabo, Hortulus, p. 49
  3. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 34
  4. Strabo, Hortulus, pp. 48-49
  5. Hildegarde de Bingen, Physica. p. 34
  6. Strabo, Hortulus, p. 35
  7. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 201
  8. Offrir des lis aux jeunes mariés les assuraient d’un bon mariage et d’une abondante descendance.

© Books of Dante – 2015

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