Le jasmin en aromathérapie ?

Jasmin_fleurs

Le jasmin poussait au pied de l’Himalaya avant que ce « cadeau des dieux » (1) ne parvienne jusqu’à nous par l’entremise des Arabes qui imprimèrent leur marque sur lui en forgeant son nom qui, de yasmin devint jasmin. Aujourd’hui, le prénom Yasmina témoigne du passé arabo-persan du jasmin.
A travers son périple d’est en ouest (qui rappelle un peu celui de l’oranger amer), le jasmin n’aura rien perdu de ses symboles. En effet, que cela soit dans le sous-continent indien, au Proche-Orient comme en Occident, partout le jasmin symbolise l’amour, la grâce et la beauté. Ce jasmin, présent dans le N° 5 de Chanel (1925), entretient un fort parallélisme avec la rose. C’est ainsi que l’on retrouve ces deux plantes dans le panthéon indien. Le dieu Kama, une sorte de Cupidon, décoche des flèches enguirlandées de jasmin, de rose, mais aussi de fleurs de manguier, etc. Il est vrai que rose et jasmin ont beaucoup en commun : des restes fossilisés très anciens, cinq pétales odoriférants, un parfum complexe et rare.
« Les dieux s’annoncent à la vie par les fleurs » (2). Et c’est à travers les personnes qu’ils touchent qu’ils peuvent s’exprimer. Dans le recueil de contes de Basile, le Pentamerone (1674), « Marziella obtient d’une bonne fée auprès d’une fontaine le privilège que des roses et des jasmins tombent de sa bouche, lorsqu’elle rit » (3). Par ailleurs, il est dit que « le créateur a utilisé les boutons de rose pour dessiner les lèvres, des fleurs de jasmin pour les dents. » Le jasmin serait donc le porte-voix de la parole divine. Est-ce dès lors surprenant qu’en sanskrit le jasmin porte le nom de attahâsaka, en référence à celui qui rit tout haut, Shiva, dieu auquel le jasmin est consacré ? On peut donc dire que le jasmin est de haut lignage, à tel point que, présomptueux parfois, il « dérape » : « Mon odeur pénétrante l’emporte sur le parfum des autres fleurs ; aussi les amants me choisissent-ils pour m’offrir à leurs maîtresses. On me tire des trésors invisibles de la divinité, et je ne me repose que dans les sortes de pièges que forment sur le sein les plis d’une robe » (4). L’on ne peut nier la vertu érotique du jasmin telle qu’elle a été chantée par certains poètes indiens : « Un jasmin en fleur sur la tête, du santal avec du safran sur le corps, une femme très chère et attrayante sur le corps, tout ceci est un reste du paradis céleste. » Séducteur, le jasmin est amour. Il intervient au cours des rites nuptiaux en Inde, avec la rose, alors qu’en Thaïlande, ce sont des guirlandes de ses fleurs qui honorent la maternité. A ce titre, il est très étonnant qu’on ait fait du jasmin l’un des avatars de la vierge Marie…

Arbuste vivace de deux à quatre mètres de hauteur, le jasmin est un grimpant de la famille botanique de l’olivier. Il porte des feuilles composées de 5 à 11 folioles persistantes et lustrées. Les fleurs s’organisent en cymes lâches de 3 à 5 fleurs tubuleuses portant cinq pétales blancs, d’aspect gras et un peu luisant.
Le jasmin dont nous parlerons maintenant est le Jasminum grandiflorum, l’une des 200 espèces de jasmins, qui intéresse surtout la parfumerie et, dans une moindre mesure, l’aromathérapie.

Jasmin_feuilles

Le jasmin en aromathérapie

Absolue : description et composition

On pourrait être tenté de qualifier cette substance d’huile essentielle tant elle en a toutes les apparences. Mais, dans le cas du jasmin, on parlera d’absolue. Ce n’est pas une coquetterie de sa part, il porte le nom du produit qu’on obtient quand on utilise le procédé d’extraction par solvants volatiles. La distillation à la vapeur d’eau a bien été essayée avec le jasmin, mais cela semble être un procédé beaucoup trop agressif pour ces fleurs fragiles qui restituent toute cette violence à travers une huile essentielle âcre et peu séduisante, pour la parfumerie du moins.
On se rappellera une scène tirée du célèbre film Le parfum dans laquelle on voit le personnage principal déposer délicatement des fleurs sur un châssis en verre recouvert de graisse animale. C’est une technique qui porte le nom d’enfleurage [Vidéo – durée : 1 mn]. La matière grasse va petit à petit extraire les composés aromatiques des pétales, puis le tout sera lavé afin de séparer l’absolue ainsi obtenue. C’est une technique très longue et coûteuse, abandonnée depuis les années 1930, même s’il est vrai qu’elle est encore sporadiquement employée artisanalement afin d’obtenir les plus belles absolues de jasmin destinées à des produits de très grand luxe. Aujourd’hui, la technique dite d’extraction aux solvants volatils facilite le travail, même si le jasmin doit passer par maintes et maintes étapes. Tout d’abord, on obtient la concrète, une matière épaisse et cireuse, puissamment parfumée, que l’on traite ensuite à l’éthanol afin de dissocier cire et molécules aromatiques. Ceci fait, on peut parler d’absolue de jasmin, un liquide à la densité élevée (0,95-0,97, soit celle de l’huile essentielle de patchouli), brun orangé, au parfum capiteux, sucré, doux et floral. Tout ceci est bien évidemment approximatif et très incomplet, puisque la grandeur d’une absolue de jasmin dépend de multiples facteurs. Pour qu’il rende le meilleur de lui-même, le jasmin doit être l’objet d’attentions drastiques de la part du producteur. La récolte tout d’abord qui débute mi-juillet pour s’achever trois mois plus tard. Mais l’absolue obtenue au fur et à mesure diffère selon la saison, l’heure de récolte, etc.
Le cycle végétatif du jasmin est tel qu’une exploitation jeune produit de 1 200 kg à 2 000 kg de fleurs à l’hectare, pour en produire plus du double par la suite. Le mois d’août est unanimement reconnu comme la période offrant les meilleurs crus d’absolue de jasmin. Les fleurs sont plus lourdes, il en faut 8 à 10 000 pour constituer un kilogramme, alors que les fleurs d’octobre sont plus légères (14 000 pour 1 kg). Les récoltes d’automne accroissent davantage le travail des cueilleurs pour une qualité qui n’est pas forcément au rendez-vous. On a aussi remarqué que le rendement maximal avait lieu au mois d’août, à condition que les journées ne soient pas trop chaudes, car une température élevée est nuisible à la qualité des absolues. On constate alors une accentuation de la note eugénolée alors que celles qui sont recherchées sont celles de l’indol et de la jasmone. C’est à l’aurore et au crépuscule que le parfum du jasmin est idéal. Aussi les fleurs sont-elles cueillies très tôt le matin (apex olfactif après une nuit à 17° C), puis rapidement traitées dans des usines proches, car trop fragiles et précieuses pour être trop longuement livrées à elles-mêmes. Pensez donc, il faut ramasser sept millions de fleurs pour fabriquer un kilogramme d’absolue, soit environ 700 kg de matière végétale. Par la suite, une fois la production achevée, l’absolue, tout comme les huiles essentielles, passe par les analyses (point d’ébullition, point de fusion…) ainsi que par la CPG et le SM afin d’en déterminer le profil biochimique. Ce ne sont pas moins de 260 molécules qui sont alors identifiées !

  • Esters : 42 %
  • Diterpénols : 28 %
  • Triterpènes : 6 %
  • Cétones : 4 % (dont la jasmone rappelant l’odeur de la pêche)
  • Sesquiterpénols : 3 %
  • Monoterpénols : 3 %
  • Phénols : 2 %
  • Composés azotés (dont l’indol à l’odeur de musc animal)

Cette richesse moléculaire fait que l’on retrouve dans d’autres plantes des molécules communes. C’est ainsi que dans l’absolue de jasmin, apparaît un peu de romarin, de menthe poivrée, de jonquille, de clou de girofle, de thé vert, de gardénia, de tubéreuse, d’absinthe, de fleur d’oranger, de patchouli… C’est peut-être cela qui vaut au jasmin d’apparaître dans des parfums aussi bien hespéridés, fleuris, ambrés, cuirs, chypres que boisés. Opium d’YSL, Joy de Patou, etc., le jasmin est là.

Propriétés thérapeutiques

  • Sédative et apaisante du SNC, inductrice du sommeil
  • Anti-inflammatoire
  • Antispasmodique
  • Expectorante
  • Antibactérienne
  • Emménagogue, tonique de l’utérus
  • Cicatrisante, adoucissante et assouplissante cutanée, antioxydante, régulatrice du taux de sébum
  • Aphrodisiaque

A noter : les feuilles du jasmin contiennent des substances anti-ulcéreuses et antioxydantes.

Usages thérapeutiques

  • Anxiété, tension nerveuse, stress, dépression (y compris post-partum), sommeil difficile, insomnie d’origine nerveuse, fatigue, asthénie
  • Douleurs nerveuses, musculaires et articulaires : névralgies, spasmes musculaires, crampes, migraine d’origine nerveuse
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux nerveuse, toux spasmodique, catarrhe bronchique
  • Troubles gynécologiques : syndrome prémenstruel, dysménorrhée, règles douloureuses, douleurs utérines
  • Préparation à l’accouchement (une semaine grand maximum avant le terme)
  • Troubles cutanés : irritation, peaux sèches et fragiles, coupure, rides, brûlure
  • Frigidité, impuissance, anorgasmie

Modes d’emploi

  • Voie cutanée diluée
  • Olfaction
  • Diffusion atmosphérique (si vous êtes riche ^^)

Contre-indications, remarques, usages alternatifs

  • Ni chez la femme enceinte (sauf la dernière semaine), ni chez le nourrisson et l’enfant.
  • Des réactions cutanées allergiques sont possibles, ainsi que nausée et maux de tête à fortes doses (mais vue la taille des flacons d’absolue de jasmin, cela devrait vous dissuader d’en faire un usage massif ^^).
  • Il va sans dire qu’employer le jasmin en aromathérapie peut rapidement s’avérer coûteux. C’est pourquoi je vous propose quelques alternatives économiques :
    -Les fleurs sèches de jasmin restent relativement peu onéreuses et offrent l’intérêt de pouvoir être employées par voie interne (en infusion, compter 5 à 10 g de fleurs sèches par litre d’eau).
    -Ces mêmes fleurs peuvent faire l’objet d’une macération dans l’huile d’olive. Le mode de fabrication est identique à celui de l’huile rouge.
    En Asie, on utilise les fleurs pour aromatiser certains desserts et parfumer le thé noir.

  1. Il était presque normal qu’une telle plante ait vu le jour près de la chaîne himalayenne dont on sait qu’elle abrite la demeure de certains dieux.
  2. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome , p. 149
  3. Ibid.
  4. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 175

© Books of Dante – 2015

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