
Synonymes : herbe sacrée/sainte (de même en anglais « holy herb » et en allemand « heiligekraut »), herbe aux sorciers/sorcières, herbe aux enchantements, herbe à tous les maux, guérit-tout, veine de Vénus, tête de saint Jean, verveine sauvage, verveine des champs, herbe du foie, herbe de sang, colombaire, menthe de chat, pisterion, etc.
Si je vous parle de verveine, sans doute qu’à l’évocation de ce nom, vous aurez une douce odeur citronnée qui emplira vos narines. Sauf que celle qui va être abordée aujourd’hui n’est pas la verveine parfumée dont on fait des infusions relaxantes invitant au sommeil, vous savez bien, cette plante qui porte des feuilles semblables à celles du pêcher et provenant d’Amérique du Sud. La verveine du jour, c’est celle qu’on qualifie d’officinale. C’est une plante aux tiges grêles, aux feuilles insignifiantes et aux fleurs minuscules, qui apprécie les lieux maigres. Parfois comparée à du fil de fer, c’est vrai qu’elle ne paie pas de mine, tant et si bien que c’est à peine si on la remarque lorsqu’on vient à passer à côté d’elle.
Comment une plante aussi anonyme a-t-elle pu attirer autant l’attention des Anciens et jouir d’une popularité qui s’illustre par les noms vernaculaires qu’elle porte encore ? En effet, herbe sacrée, herbe à tous les maux, guérit-tout, herbe aux enchantements, herbe aux sorciers, etc., en disent long sur le prestigieux passé de cette plante anodine aux fleurs sans odeur, une plante dont les « propriétés sont difficiles à préciser et, semble-t-il, aussi faibles que vagues »1. A toutes les époques, il y eut quelqu’un pour remettre en cause les usages et propriétés de la verveine, très probablement parce que la connaissance qu’on en avait (ou que l’on s’en faisait) alors ne cadrait pas avec un excès de zèle. Malgré cette charge massive répétée et encaissée au fil du temps par cette plante d’apparence fragile, force est de constater qu’elle se classe toujours parmi les classiques herbes magiques, même si, plus que de l’utiliser, on ne fait qu’en parler. Mais ne restons pas à la surface des choses. Entrons donc dans le détail.
La verveine a été une plante magique très populaire. Mais si on doit la comparer à d’autres plantes par la grâce et la beauté, l’on comprend bien que ce n’est pas en vertu de ces deux atouts que la verveine tire la majeure partie de ses pouvoirs. Elle n’en a pas moins été qualifiée de larme d’Héra (ou d’Isis), de sang d’Hermès, d’herbe d’Héraclès, de plante de Déméter (et de Perséphone), de veine de Vénus, de canne de Zeus, etc. Un demi panthéon y passe, « mais aucun mythe ne semble lui avoir réservé de rôle particulier »2. Effectivement. Au contraire de l’anémone, de la myrrhe ou encore du laurier, on ne lui voit occuper aucun de ces rôles dépeints par les poètes antiques. Peu importe. Pour mieux saisir l’importance de la verveine, il n’est qu’à considérer les divers rituels par lesquels on parvenait à se rendre maître d’elle. Écoutons Pline tout d’abord : « La verveine doit être cueillie vers le lever de la constellation du Chien, sans être vu de la Lune et du Soleil ». Une fois arrachée de la main gauche, on la brandit en direction du ciel, sans doute pour se concilier les dieux (et très certainement aussi pour éloigner la plante du sol, de crainte de voir ses pouvoirs y retourner). A ces prescriptions, on en ajoutait d’autres : on évitait de regarder la plante (le dieu en face ; humilité), on la cerclait une à trois fois afin d’y condenser les forces de la plante. On procédait à moult offrandes propitiatoires, formules et prières conjuratoires. Souvent, on déterrait la plante à l’aide d’un objet de métal précieux (or, argent) ou bien formé par des parties animales dures (corne, dent, os). Ce qui était par-dessus tout surprenant, c’était cette habitude qu’on avait d’approcher la plante à reculons. Tout d’abord, on prétend que ça permet de dérouter les démons. Mais cela sert surtout à remonter le cours des forces : « Peut-être que cette approche à contresens est-elle aussi la seule qui permette d’accéder à l’envers du visible. On marche beaucoup à reculons dans les mythes et les contes »3. Aussi bizarre que cela puisse maintenant nous paraître, ces cérémonies de facture très solennelle avaient un sens qui, très certainement, nous échappe. Ce qui valait hier n’a plus cours aujourd’hui, ce qui explique que, selon Pierre Lieutaghi, la verveine « n’est plus qu’une petite herbe anonyme. Nul ne s’agenouille plus avant de l’arracher »4. Sans doute parce que la divinité pour laquelle on procédait ainsi a disparu du champ des préoccupations de la plupart des humains. La récolte rituelle de la verveine a aussi été abordée par Thierry Thévenin : « La verveine a parfois fait l’objet de pratiques de cueillettes rituelles particulières, qui témoignent du très grand respect que les ‘anciens’ ont pu lui accorder »5. Vu le peu d’égard qu’on consacre à la verveine à l’heure actuelle, il ne faut pas être grand clerc pour saisir que c’est davantage la divinité à travers elle plus que la plante elle-même qui est tenue en grand respect. Pour mieux comprendre cela, convions Mircea Eliade à l’éclaircissement de notre propos : « La valeur magique et pharmaceutique de certaines herbes est due […] à un prototype céleste de la plante, ou au fait qu’elle a été cueillie pour la première fois par un dieu […]. L’efficacité des herbes cueillies ne vaut que pour autant que celui qui les cueille répète ce geste primordial de la guérison […]. Il ne s’agit pas purement et simplement de cueillir une plante, une certaine espèce botanique, mais de répéter une action primordiale pour obtenir une substance saturée de sacré »6. Ainsi, faut-il voir dans la verbenaca des Anciens la seule verveine officinale ou bien un de ces rameaux sacrés, les verbenae, qui pouvaient tout autant être myrte, olivier, sauge que verveine ? En prenant en compte ce qu’énonce Eliade, on outrepasse le sentiment de confusion lisible dans les pages antiques, en particulier quand on convoque, pour la même plante, plusieurs noms différents et que parmi eux certains désignent d’autres plantes proches ou pas du tout. Par exemple, chez les Grecs et les Romains, il est possible d’entrevoir l’ombre d’une verveine (peut-être l’officinale) derrière cette hiera botanê (id est : herbe sacrée), ou bien encore ce peristerêon ou cet aristerêon. Sont-ils des mots qui désignent tous la même plante ? Il y a peu de chance pour que ce soit le cas, et si l’on se concentre uniquement sur l’idée de verveine primordiale, alors cela n’a pas beaucoup d’importance. C’est pour cela, qu’en lisant Pline et Dioscoride, contemporains l’un de l’autre, il est difficile de savoir s’ils ont décrit tous les deux la même verveine. Il n’est qu’à considérer le seul Dioscoride pour constater l’iniquité de la démarche. Par exemple, la « verveine » dont Dioscoride mentionnait qu’on arrosait les salles de festin de son eau était-elle Verbena officinalis ? Certains ont prétendu que non parce que la verveine officinale est parfaitement inodore et que, conséquemment, on n’aurait pas pu en tirer la moindre eau parfumée. Mais ceux-là ignorent-ils que les verveines les plus méridionales forment davantage d’essence aromatique (bien que peu, avouons-le) ? Tout cela est-il bien pertinent ? Certainement pas si l’on observe la verveine en tant qu’idée intellectualisée et non comme espèce botanique matérialisée. Tournons-nous donc vers des choses plus intéressantes.
Comme très souvent durant l’Antiquité, les usages magiques d’une plante s’allient à ses emplois médicinaux. Comme s’il n’y avait presque aucune différence entre ces deux domaines aux frontières poreuses. Il n’est donc pas très étonnant que l’herbe aux enchantements ait vu ses usages empiéter largement sur le territoire de la magie. Si Dioscoride n’est pas très loquace sur la question des emplois magiques de la verveine7, Pline est beaucoup plus prolixe en ce qui concerne l’utilisation de la verveine en magie. Selon lui, elle pourrait agir aussi bien sur les lieux que sur les personnes. Mais il se moque, et Macer Floridus de même 1000 ans après lui, de ce qu’en peuvent bien faire les mages (il se gausse entre autres de certains magoi qui prétendent soigner une blessure par arme blanche à l’aide de la verveine ) : « Quelque libérale que puisse être la nature de ses dons, ce que les mages disent de la vertu de cette herbe me semble devoir être rangé parmi les contes de vieilles femmes »8. Ce qui ne nous arrange guère, puisque c’est très justement cette destination vers laquelle nous allons maintenant nous diriger. Cela serait dommage de s’en priver tant les usages magiques de la verveine sont multiples et variés. De manière succincte, disons que chez les Romains, la verveine était l’une des plantes permettant de balayer les autels dédiés à Jupiter. On en lavait les instruments de culte et elle entrait même dans la composition de philtres et d’amulettes (par exemple, sa racine portée au cou permettait de s’affranchir d’un certain nombre de maux variés). On voit bien à quel point cette plante fut tenue en haute estime durant l’Antiquité, sa réputation de guérisseuse sur plusieurs plans s’illustrant à travers les points principaux qui vont maintenant suivre :
- La paix, le bonheur et la concorde : la verveine y concourt en faisant disparaître toute idée de haine. Au temps des Romains, les verbenarii – autrement dit les ambassadeurs de la paix – se présentaient face aux ennemis en brandissant un rameau de verveine. Par cette action, on définissait les confins d’une propriété, d’un territoire, tout bonnement d’un pays, en s’assurant les moyens que la paix entre Rome et les autres peuples ne soit pas rompue. Par extension, elle devint le symbole de la propriété agricole, car elle garantissait la jouissance paisible des terres, ainsi que la fructification des vignes, le développement des fermes. Au-delà, elle fut aussi considérée comme propice au travail et aux affaires, ainsi qu’aux revenus qu’ils occasionnent. En suspendre dans les maisons et dans les divers lieux d’activités professionnelles était fréquent pour cela. De la verveine suspendue à la poutre d’une maison permet d’assurer à ses habitants santé et opulence.
- La protection : cela apparaît nettement ci-dessus. Ce n’était pas une fonction de la verveine propre qu’au monde romain : il n’y a pas si longtemps, en Normandie, il n’était pas rare de suspendre des couronnes de verveine aux solives des maisons. De quoi protège-t-elle donc ? Des maléfices, des apparitions fantomatiques, des esprits malins, des démons, des entités diaboliques, de l’envoûtement. Chez les Romains, « une simple gerbe de verveine ou de sauge, suspendue au-dessus de la porte pour en éloigner le mauvais œil […] était le seul parfum qui embaumât leur demeure »9. (Les Romains, avant même de se livrer avec profusion aux fumigations généreuses de ce sublime encens venu d’Orient, offraient à leurs dieux des émanations parfumées provenant de plantes parfaitement banales, celles-là même qu’ils avaient à portée de la main.) Globalement, la verveine était réputée comme plante de protection et de dégagement.
- La purification : la verveine portait chez les Grecs le nom de loustragô (du grec, luô, « laver » et du latin lustratio, « purification »). C’est à base de verveine que les Romains conçurent l’eau lustrale destinée à la lustration, c’est-à-dire à la purification. On lustrait donc les maisons en les aspergeant de cette préparation de verveine, ce qui avait pour conséquence d’apporter la gaieté et la bonne humeur aux habitants, mais également l’harmonie.
- La divination : herbe messagère, la verveine était aussi connue des druides (on estime que le mot verveine proviendrait du celte ferfaen), et elle occupait une fonction importante pour aider les capacités prophétique des druides et des druidesses à se manifester. Les prophétesses s’en couronnaient la tête afin de mieux rendre leurs oracles. Les ovates celtes (principalement des devins) absorbaient des infusions de verveine avant de procéder à des séances divinatoires. « La verveine tient son pouvoir de quelque intime ressemblance mystique avec la branche lumineuse du ciel »10, c’est-à-dire la foudre. C’est pour cela qu’elle est herbe révélatrice, qui dévoile ce qui, autrement, resterait du domaine de l’indicible et du dissimulé (cela explique peut-être pourquoi, d’un point de vue plus profane, on ait dédié cette herbe à sainte Lucie en Sicile : en lui adressant une prière, on pouvait bénéficier des pouvoirs ophtalmiques de la verveine, cette plante étant censément bénéfique face à l’anémie du nerf optique). En tous les cas, la verveine est plante de l’expression orale d’un pouvoir : on pense, en effet, que verbena pourrait avoir quelque rapport avec le mot verbum, « le verbe, la parole ». De ce verbum découle aussi le moderne verve qui, à travers une de ses acceptions, renvoie non pas à la profusion extatique désordonnée, mais aussi à l’inspiration : cela rappelle, entre autres, que la vaticinatrice de Delphes, la pythonisse, était, elle aussi, couronnée de rameaux de verveine.
- L’amour : s’il existe au moins une divinité qui se détache du lot dont nous avons détaillé le contenu un peu plus haut, c’est sans équivalence Vénus. La verveine, plante d’Aphrodite, permet de régner sur la gorge et la poitrine, ainsi que sur les organes génitaux, tous armes d’insinuation massive par lesquelles la verveine intensifie le désir et préside aux naissances. C’est pour cela qu’on décorait les représentations de la déesse de rameaux de myrte et de verveine, en particulier sous sa configuration d’Aphrodite victorieuse (Aphrodite nikephoros ou Venus victrix). C’est vrai qu’on a expliqué le verbena comme la contraction douloureuse de Veneris herba. Afin de renforcer la relation de la plante à la déesse, on l’a aussi dite herba colombina (colombaire, herbe aux colombes), attendu que cet animal est un emblème zoologique de Vénus. Dans George Sand, ne voit-on pas les amoureux se donner rendez-vous dans un pigeonnier désaffecté ? Selon Van Helmont, la verveine était une plante magique par excellence. Il importait de la cueillir à l’heure de Vénus au jour du Soleil11. Ceci fait, on la plaçait durant sept jours entiers dans de l’alcool pur, et, une semaine, jour pour jour, heure pour heure où elle aura été cueillie, on s’en lotionne les bras, des épaules jusqu’aux mains (car c’est avec les bras que l’on embrasse). « Puis l’on se présente à l’être aimé en lui offrant aussi un brin de verveine ou une infusion de cette fleur [….]. Le rite est curieux en ceci que, pour parler comme Chrysis dans Aphrodite12 : ‘Les bras, ô mon miroir, sont les vrais chaînes de l’Amour’ »13. Se frotter de verveine permet, par attachement et affection, de voir l’objet de son désir se réaliser (en stimulant la capacité de visualisation). Matthiole le relatait au XVIe siècle et la population, dans certaines campagnes italiennes, en était fermement convaincue : la verveine, qu’on s’en frotte ou qu’on la porte sur soi, permettait de fixer la tendresse. La verveine mena carrière au sein des rites conjugaux jusqu’en toute fin de XIXe siècle en France (et probablement même après) : par la verveine, on conjurait les mauvaises pensées et les sortilèges au moment où la nouvelle épouse entrait dans la maison de la mère de son mari. On parsemait alors le seuil de la maison de feuilles de verveine à son passage. Faire intervenir la verveine à travers des rituels amoureux recherche donc un objectif d’appropriation. En effet, placer un être sous l’emprise de la verveine, n’est-ce pas vouloir délimiter la propriété que l’on souhaite avoir sur lui ? En ce cas, la verveine répondrait au sens de verberare, c’est-à-dire « frapper », verbena désignant aussi le sceau dont on frappait un traité. Ainsi, la verveine assurait-elle le frappement, par scellage, d’un rituel magique, une entente sur un pacte (à travers la formule consacrée : « votre sort est scellé »). La verveine assura des services dans des domaines annexes à l’amour : la fécondité, la vigueur redoutable aux jeux de Vénus, le badinage, le retour de l’être infidèle et des relations distantes perdues de vue. Pour toutes ces raisons, on élaborait parfois des philtres amoureux, ce qui est bien un pléonasme, puisque le mot philtre provient du grec philtreîn qui veut dire « aimer ». En tous les cas, il est toujours question de ne pas savoir/pouvoir se satisfaire uniquement de soi, comme nous y invite la formule magique « j’aime », qui « se dit en latin amo, abrégé de a me eo, ‘je vais hors de moi’ »14. Mais parce que Vénus implique toujours cette alternance d’épisodes d’attraction et de répulsion, nous pouvons glisser de la concorde à la discorde, de l’amour à la haine, du « bien » à ce que certains pourraient, mal commodément, désigner comme « mal ». Mais « disons la vérité tout de suite : il n’y a pas une chose existante en elle-même et qui soit le Mal. Le Mal est un acte, et non pas un être. Le mal est l’acte d’un être libre, et bon par lui-même, qui diminue et vicie son être ou l’être d’autrui, au lieu de l’augmenter et de l’évertuer »15. Ainsi, la verveine n’a-t-elle pas toujours été herbe amoureuse. Par exemple, le Livre des Cyranides nous indique qu’il suffit de placer sous l’oreiller d’un homme de la verveine durant sept jours pour qu’il n’ait pas de rapport sexuel faute d’érection. Selon Savonarole, mâchée pendant le même laps de temps, elle permet d’atteindre le même objectif. Et si l’on fait perdurer cette manducation pendant quarante jours, on accède à la chasteté. Plus pernicieux, si l’on jette de la poudre de cette herbe de discorde « entre deux amants, ils auront peu de temps après des différents et des bruits ensemble »16. Avec la verveine, l’on pouvait autant réunir que séparer, et parfois, cela empruntait des voies plus alambiquées, comme voici. Une vieille incantation du XVIIe siècle nous explique comment provoquer une querelle au sein d’un couple dont on convoite l’un des membres : « Le premier vendredi de la nouvelle Lune, il faut avoir un couteau neuf et aller cueillir une verveine. Il faut se mettre à genoux, la face tournée vers le soleil levant, et coupant ladite herbe avec le couteau, dire ‘Sara isquina safos, je te queille, herbe puissante, afin que tu me serves à ce que je voudray’. Puis vous vous levez sans regarder derrière vous. Étant dans votre chambre, vous la ferez sécher et pulvériser, et vous ferez avaler cette poudre à la personne »17.
Comme il est aisé de le constater, la verveine était bien souvent invitée à participer aux rituels magiques, parfois davantage comme un élément du décor que pour une fonction bien précise ou que l’on ne comprend plus : par exemple, dans les Métamorphoses d’Ovide (Livre VIII), la verveine intervient au début du rituel de rajeunissement du père de Jason commandé par Médée, sous l’œil attentif de la déesse Hécate dont la verveine est justement l’une des plantes dédiées. Mais le poète ne nous en dit pas davantage.
D’un point de vue strictement thérapeutique, l’on ne peut pas dire que le Moyen âge ait fait grand cas de la verveine. Par exemple, est-on certain que l’Ysena de Hildegarde soit bien Verbena officinalis ? Parce que dans les textes, jusqu’au XVe siècle, la confusion avec l’aigremoine était plus que fréquente. Quelques indications (maux de gorge, ictère, douleurs dentaires), si elles peuvent faire penser aux attributions de la verveine, ne permettent en aucun cas de trancher en sa faveur. Et même lorsque Hildegarde explique que l’Ysena fait fuir la vermine (qui n’est pas autre chose qu’un esprit malin de l’ancien temps !). Bien après, ici ou là dans les textes médicaux, l’on ne peut s’empêcher de glisser quelque allusion aux pouvoirs magiques de la verveine, afin de les vanter sans en avoir l’air ou bien de les démolir : « Les démonographes, les sorciers, les magiciens, les enchanteurs en composaient des breuvages, des philtres qui, en frappant l’imagination, en égarant l’esprit des personnes faibles ou crédules, les rendaient imbéciles ou maniaques »18. Comme vous avez la dent dure, docteur Roques, constamment à blâmer ceux qui s’écartent de la seule voie soi-disant toute tracée. C’est d’autant plus dommageable en un siècle où Michelet allait s’atteler à la délicate tâche d’honorer la Sorcière par un récit fort célèbre (bien que fantaisiste à certains égards). Roques ne rapporte aucun usage de son temps, hormis quelques spécificités qu’on doit aux empiriques, à une petite Fadette tout droit surgie d’un roman de George Sand, et dont les modes d’action, alliant prières et application, s’apparentent davantage à une médecine magique populaire des campagnes qu’à la médecine prônée par Joseph Roques. La verveine ne peut donc l’intéresser en aucune manière, tout simplement prêter le flanc à sa vindicte acerbe (on connaît bien l’opinion de Roques face aux charlatans et aux amuseurs de foire). Il ira même jusqu’à se gausser de ses semblables : « Les pharmacologues surannés regardent la verveine comme un puissant vulnéraire […]. Voilà le charme des amulettes renouvelé », grince-t-il19. Il faut bien dire, qu’en plein milieu du siècle des Lumières, Jean-Baptiste Chomel rapportait un usage pour le moins curieux concernant la verveine : « L’herbe fraîche pilée, mise dans un petit sac de toile suspendu au cou, soulage les douleurs de la migraine, suivant Rivière qui tient ce remède de Forestus »20. Ce qui a tout l’air d’affaires superstitieuses, en l’état où on les trouve chez les païens, et telles que dénoncées par Nicolas Lémery à la fin du XVIIe siècle. C’est surtout qu’on a la sensation de venir à rebours : Chomel nous renvoie à Lazare Rivière (XVIIe siècle), qui, lui-même, nous expédie en plein XVIe siècle (Forestus) ! Pourtant, classée parmi les ophtalmiques, luttant contre les inflammations oculaires, la verveine est censée nettoyer et éclaircir les yeux. Mais non, impression persistante d’être miro ! Bref. Faisons tout de même un état des lieux des capacités médicales qu’on accordait sans barguigner à la verveine aux XVIIe et XVIIIe siècles, avant même qu’elle ne tombe dans l’oubli dans les années 1780-1800. D’observations diverses et variées, nous pouvons conclure que la verveine est apéritive, céphalique, fébrifuge, détersive, vulnéraire et résolutive. Propre encore à la colique venteuse, elle atténue la lithiase tant du rein que de la vessie, s’avère galactogène, habile à conjurer les « pâles couleurs » et la jaunisse. On la recommande encore face à une affection particulièrement douloureuse : les points de côté. On exploitait toutes ces propriétés en préparant des décoctions, des infusions dans le vin blanc, en pilant la plante sous forme de cataplasme, en exprimant le suc de la plante.
Après cela, c’est le grand saut dans le néant. Desbois de Rochefort ne lui accordait plus qu’une seule vertu céphalique, à laquelle il n’attachait que peu de confiance. Puis Cazin en relata les anciens emplois, sans paraître en avoir grande opinion lui-même, signalant ses usages populaires ayant encore cours de-ci de-là. Et encore, conclue-t-il : « Les vertus attribuées à la verveine ne reposent de l’aveu des médecins de nos campagnes, que sur des faits douteux, de fausses observations ou des préjugés »21. Hop, fermez le ban !
Petite plante vivace (50 cm : cela me semble être sa taille la plus élevée, mais peut-être n’est-ce qu’un mirage après tout), présente en de nombreux points d’Europe tempérée, d’Asie (Chine, Japon) et d’Afrique (Maghreb), la verveine officinale fabrique des tiges raides tétragones à angles scabres qui, bien que creuses, opposent une franche résistance lorsqu’on tire dessus. Légèrement purpurine et velue à la base, la verveine possède des feuilles deux à trois fois pennées, opposées, dont les folioles dentées et très profondément découpées forment une manière de rosette tapissante au niveau du sol. De cette masse foliaire, émergent dès le mois de mai des hampes florales sur lesquelles s’égrènent de minuscules fleurs étoilées (3 à 4 mm) de couleur habituellement mauve à lilas clair (il leur arrive d’être blanches). A contrario, chacune d’elles donne naissance à un gros fruit lisse et allongé d’un centimètre. Brun noirâtre lorsqu’il est parfaitement mûr, surmonté d’un bec bref, il se divise en quatre akènes distincts.
Dans les flores, on dit la verveine très fréquente, en colonie. Je n’ai pas cette impression, quand bien même il est vrai que l’on ne trouve jamais ce que l’on ne recherche pas. Pourtant, le 15 août dernier, en me promenant, j’ai emprunté un itinéraire inhabituel qui m’a amené à arpenter un sentier serpentant au sein d’un bois clair et en bordure duquel se tenaient, fait remarquable, quelques pieds de mélisses, mais surtout une colonie de verveines, au nombre si conséquent qu’il m’a été impossible d’en distinguer les individus les uns des autres. Cette configuration contraste grandement avec les cas, beaucoup plus fréquents me semble-t-il, où cette espèce, se trouvant isolée, expose le spectacle navrant de sa désolante maigreur, d’autant plus si elle vient se jucher en ces lieux incultes que sont décombres, décharges, pieds des vieux murs (c’est pas pour faire sa Cosette, c’est juste que la verveine est très gourmande en azote qu’elle trouve à profusion dans ces coins-là). On la voit aussi frayer sur les talus, s’aventurer même dans les prés. Mais comme elle est la plupart du temps dédaignée par les animaux qui, de toute façon, ne la recherche pas, elle ne redoute pas les coups de dents des herbivores ruminants et placides de nos campagnes.
Du coup, j’en ai cueillis tout juste sept brins. Une éternité que je n’avais pas ramené avec moi un peu de verveine, plante qui m’appelle très fortement en ce moment. Aussi, pourquoi donc se refuser à elle ?

La verveine officinale en phytothérapie
A l’heure actuelle, la verveine, bien que toujours officinale par son nom, n’est plus une panacée. Au XIXe siècle, Cazin se plaignait que, peu étudiée, on ne savait pas ce qu’elle contenait. C’est une plante dont on ignore encore aujourd’hui, parce que justement oubliée, les interactions qu’elle peut entretenir avec d’autres médications.
Essentiellement concernée par ses sommités fleuries, la verveine n’est pourtant pas tout à fait dénuée de composants biochimiques intéressants, tanin et principe amer en tête. Mais l’analyse chimique est beaucoup plus généreuse aujourd’hui : l’on sait, par exemple, que la verveine recèle ce que l’on appelle des iridoïdes dont la verbénaline, la verbénine, l’hastatoside et l’aucubine. Mais aussi des hétérosides phénylpropaniques (comme l’eukovoside et la verbascoside), des flavonoïdes, des saponines, diverses enzymes (émulsine, invertine), du mucilage, enfin une infime fraction d’essence aromatique (0,06 %. C’est-à-dire qu’il faut distiller un quintal de cette plante pour en tirer tout juste 60 g d’huile essentielle). Parfois (il y a longtemps, comme l’expliquent Antonin Rolet et Désiré Bouret), la distillation valait aussi pour la verveine officinale du Midi quelque peu odoriférante : « Remarquons, disent-ils, que certaines plantes médicinales étant également utilisées en parfumerie ou en distillerie, le producteur et le récolteur auront toujours la ressource de passer à l’alambic les portions mal séchées, ou mal cueillies, ou les débris inutilisables en droguerie, ou encore l’excédent de la récolte »22.
Propriétés thérapeutiques
- Apéritive, digestive, améliore l’assimilation des aliments, stimulante de la vésicule biliaire, draineuse hépatique
- Antirhumatismale, antinévralgique
- Expectorante, antitussive
- Astringente, résolutive, vulnéraire, détersive
- Dégage les stases sanguines, décongestionne les œdèmes, redonne de la vivacité à la circulation du sang, dépurative du sang
- Fébrifuge
- Sédative légère, tonique du système nerveux central, antidépressive légère
- Active sur les contractions utérines, active de façon bénéfique sur les œstrogènes et la progestérone, augmente la sécrétion lactée
- Remède oculaire : « Le chat se réjouit de la présence de la verveine parce que cette plante fortifie ses yeux »23 ^.^
Usages thérapeutiques
- Troubles de la sphère gastro-intestinale : spasmes gastriques postprandiaux, somnolence après repas, douleur gastrique, insuffisance biliaire, hernie intestinale (ombilicale), hépatique aiguë, ictère
- Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : maux de gorge, asthme, névralgie auriculaire, affections fébriles (paludisme ?)
- Troubles de la sphère vésico-rénale : gravelle, hématurie, hydropisie, œdème, ascite, goutte, rhumatisme
- Autres troubles locomoteurs : arthrite, sciatique, lumbago, entorse
- Affections cutanées : contusion, coup, choc, foulure, plaie, plaie de difficile cicatrisation, ulcère, ecchymose, écorchure, psoriasis et autres dermatoses
- Affections bucco-dentaires : gingivite, abcès dentaire, pulpite
- Troubles de la sphère gynécologique : troubles prémenstruels, règles irrégulières ou interrompues, insuffisance lactée, abcès du sein, préparation à l’accouchement
- Troubles de la sphère circulatoire : engorgement sanguin, hémorroïdes, cellulite douloureuse, engelure
- Maux de tête, céphalalgie rebelle, migraine d’origine nerveuse et/ou liée aux règles, inflammation oculaire
- Troubles du système nerveux : stress, tension et fatigue nerveuse, anxiété, insomnie, convalescence
- Point de côté, point pleurétique douloureux, douleur de la pleurodynie
Modes d’emploi
- Infusion : compter 15 g par litre d’eau. Faire bouillir 10 mn et infuser à couvert.
- Décoction (pour usage externe) : une poignée (40 à 50 g) dans un litre d’eau en décoction durant 10 mn. On peut appliquer cette lotion par le biais de compresse. Variante : une poignée (40 à 50 g) dans un litre de vinaigre en décoction durant 10 mn. On applique la mixture égouttée aussi chaude que possible sur les points névralgiques.
- Macération vineuse de la plante fraîche finement ciselée dans le vin rouge.
- Cataplasme de l’herbe fraîche hachée : en application locale sur la région hépatique pendant 20 mn.
- Plante fraîche pilée avec du sel et du poivre. Utiliser cette mixture en friction sur les points névralgiques douloureux, etc.
- Extrait de plante fraîche : 20 à 25 gouttes deux à trois fois pas jour (confort du foie, drainage hépatique, etc.).
- Poudre de feuilles : nettoie et protège les dents. Peut facilement intégrer la recette d’une pâte dentifrice maison.
Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations
- Récolte : se déroule dès le printemps (avril, mai et juin), tout juste avant floraison. On sectionne à ras de terre les tiges bien garnies de feuilles. Le séchage, très facile, doit s’opérer promptement, seule manière d’assurer une verdeur conservée à la plante sèche.
- La verveine officinale ne doit s’envisager que sur une cure de courte durée. La femme enceinte y fera attention, de même que les personnes carencées en fer.
- Appliquée sur la peau, la verveine fraîche y détermine des empreintes de couleur rouge (cela explique, en partie, son surnom d’herbe de sang).
- En médecine traditionnelle chinoise, la verveine officinale est une plante considérée comme de nature froide et de saveur amère. Pour cela, on lui octroie un domaine de compétence auprès des méridiens du Foie et de la Rate/Pancréas.
_______________
- Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 958.
- Guy Ducourthial, Petite flore mythologique, p. 207.
- Pierre Lieutaghi, La plante compagne, p. 197.
- Ibidem, pp. 198-199.
- Thierry Thévenin, Les plantes sauvages. Connaître, cueillir et utiliser, p. 123.
- Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, pp. 299-301.
- Il fait seulement référence à la confection d’amulettes : « On la nomme herbe sacrée parce qu’elle participe très souvent aux préparations destinées à la purification des lieux, pour l’y pendre et pour la porter sur soi » (Dioscoride, Materia medica, IV, 60).
- Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 157.
- Eugène Rimmel, Le livre des parfums, p. 97.
- Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 1, p. 260.
- En d’autres occasions, on modifiait le jour de récolte : le mardi pour les affaires courantes, le jeudi pour les rituels de guérison, le vendredi pour les incantations.
- Roman de Pierre Louÿs daté de 1896.
- Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, p. 135.
- Le Voile d’Isis, mars 1921, p. 146.
- Ibidem, pp. 146-147.
- Grand Albert, p. 93.
- Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 553.
- Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 197.
- Ibidem.
- Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, pp. 365-366.
- François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 980.
- Antonin Rolet & Désiré Bouret, Plantes médicinales (culture et cueillette des plantes sauvages), p. 23.
- Jean-Baptiste Porta, La magie naturelle, p. 34.
© Books of Dante – 2022

Saint Chronos Merci !
Je suis en émerveillement avec Elle depuis ce printemps et la préserve entre une Mélisse (!) et un basilique, ainsi qu’une autre au pied d’un Echinacea… enfin j’en ai suspendu à l’entrée de ma maison durant tout l’été et en agrémente encore mes bouquets…. Merci beaucoup pour ce beau cadeau 🍀
J’aimeAimé par 1 personne