L’orme champêtre (Ulmus campestris)

Synonymes : orme commun, orme pyramidal, ormeau pédonculé, ormeau, yvet, ipreau.

Si la botanique a un père, celui-ci est sans doute Théophraste. Ce philosophe grec du IV ème siècle avant J.-C., dont l’approche du végétal prête quelque peu à sourire aujourd’hui sur certains points, a eu au moins le mérite en son temps de faire le distinguo entre l’orme sujet de cette étude et un autre, l’orme de montagne, tandis que bien plus tard Pline en distingua quatre, dont l’un était dit d’origine « gauloise ». Dans le même temps, nous retrouvons un orme dans les écrits de Dioscoride, qui établit à son sujet quelques données médicinales : « L’écorce, les feuilles et les branches de l’orme ont une vertu astringente. Les feuilles broyées et appliquées avec du vinaigre remédient à la maladie de ‘sainte main’ (?) et cicatrisent les plaies […]. La plus grosse partie de l’écorce bue au poids d’une once avec du vin, ou avec de l’eau froide, purge le flegme. La décoction des feuilles et pareillement de l’écorce de la racine, appliquée en la manière de fomentation, fait aussitôt consolider les fractures des os » (1). Ses vertus vulnéraires, qui ne font pas de doute, furent bien établies par Galien. On les devine aisément dans les propos de Dioscoride, en particulier lorsqu’il précise l’action bénéfique de l’orme sur les croûtes « lépreuses » et l’exanthème.

Par la suite, sur la question de l’orme, on oscilla longtemps entre préceptes médicaux et magie, à une époque où ces deux disciplines ne se présentaient plus dos à dos, mais plutôt main dans la main, au grand dam de ceux qui observèrent, bien longtemps après, ce passage où l’on vit « les pratiques insensées de la magie, de la théurgie et de l’astrologie » (2) être introduites aussi bien en médecine qu’en philosophie, deux disciplines qui, jusqu’alors, fonctionnaient très bien ensemble (par exemple, Hippocrate était aussi bien médecin que philosophe). Ainsi a-t-on vu un Marcellus Empiricus proférer au IV ème siècle après J.-C. une recette faisant intervenir l’orme contre la toux purulente, ayant plongé dans la consternation ceux qui ont eu l’audace d’en prendre connaissance bien des siècles plus tard. Même Matthiole, au XVI ème siècle, se référait encore à cette propriété, et il fut jugé peu digne par Fournier quatre siècles plus tard pour cette raison, de même que certains pharmaciens du XIX ème siècle, accueillant avec bienveillance les travaux de Paracelse, considéraient qu’il avait dû être frappé de folie en ce qui concerne la théorie des signatures. Il faut faire un considérable effort pour prendre entièrement connaissance des dires des Anciens, surtout n’en pas rire dès la première ligne, tant il est peu aisé d’entrer dans un système de pensée aussi éloigné du nôtre. Les cinq premiers aphorismes hippocratiques sont toujours fort utiles pour remettre les choses en perspective et engendrer de bien salutaires méditations : « La vie est courte ; l’art est long ; l’occasion est fugace ; l’expérience est trompeuse ; le jugement est difficile ». Ce qui n’est pas compris est souvent réfuté. Pourtant, cette théorie des signatures, dont s’est inspiré Oswald Crollius, indique à propos de l’orme, en raison de son écorce profondément crevassée, qu’il est un remède des maladies cutanées. Nous verrons plus loin si Crollius se trompait ou pas. Mais de Crollius, nous sommes encore loin. Est-il déraisonnable d’imaginer qu’un arbre chargé d’une histoire mythologique riche comme la sienne ait pu avoir une implication dans la vision que certains ont eu de lui, bien des siècles après qu’on ait pensé que ces vieilleries étaient révolues ? Il est des novateurs qui vont puiser, par le biais de très anciennes racines, certains savoirs remis alors en perspective et augmentés.

Quittons les rivages médicaux et parlons mythologie et symbolisme : Pline disait de l’orme qu’il représentait la majesté et la prospérité du peuple romain, les Celtes qu’il était arbre de la générosité. Chez les Grecs anciens, l’orme était l’un des arbres d’Hermès, messager des dieux, dont les ailettes font écho à celles que portent les fruits de l’orme. En effet, l’on disait que les samares accompagnent les âmes des défunts devant le juge suprême ou en direction d’Hadès. Ce qui fait donc de l’orme un arbre psychopompe. Et l’aspect funéraire n’est pas loin. La longévité de l’orme, qui n’excède cependant pas 500 ans, semble accréditer cette hypothèse. Quelques fragments mythologiques nous confirment le rôle funéraire de l’orme : « lorsqu’Achille tue le père d’Andromaque, il érige en son honneur un tombeau autour duquel les nymphes viennent planter des ormes » (3). Orphée, dont la lyre charmait les rochers et les arbres, fit paraître une forêt d’ormes à la mort d’Eurydice. En relation avec le monde des morts, l’orme l’est aussi avec celui des songes, d’où ses surnoms d’arbre aux rêves, d’arbre de Morphée ou d’Oneiros. Il est donc également un arbre prophétique, à l’instar du chêne et de tant d’autres encore. D’après ce que l’on apprend auprès de Virgile, l’orme faisait partie des arbres présents dans les Enfers : « Au centre d’une cour, étendant ses rameaux et ses bras chargés d’ans, se dresse un orme touffu, immense : les Songes vains, selon la légende, y ont leur siège et sont collés sous chacune de ses feuilles ». Si par « songes vains », l’auteur de l’Énéide entend, à la manière des songes de la porte d’ivoire, des rêves menteurs et trompeurs, l’on acceptera difficilement que l’orme puisse être alors un arbre de bon augure. Aujourd’hui, l’expression « attendez-moi sous l’orme » est une manière de dire qu’on ne se rendra pas au rendez-vous qu’on avait fixé, qu’on ne tiendra ni promesse ni engagement. L’orme est donc un arbre à lapin et songes vains seraient donc synonyme de vœux pieux. La symbolique de l’orme s’est retournée contre lui à travers cette anecdote. Mais elle n’est jamais que parcellaire. Pour rendre compte du fait que l’orme est un arbre puissant, au sens symbolique du terme, il suffit de dire que l’on rendait la justice sous un orme dans le sud de la France au Moyen-Âge. Ceci dit, il n’y a pas que dans le midi de la France qu’on rencontre de tels ormes. Il y a, dans le 4 ème arrondissement de Paris, face à l’église Saint-Gervais (4), un orme planté en 1935. Mais, à son emplacement, se sont succédé des générations et des générations d’ormes, et cela depuis au moins le début du XIII ème siècle. C’était un lieu de réunion pour des questions d’argent et de justice. L’un de ces ormes fut également un remède précieux, des guérisseurs de la capitale s’en venaient près de lui, dans la nuit, afin d’en détacher l’écorce qui leur permettait de constituer leurs remèdes.

Avant de quitter la mythologie grecque, encore un fragment sur lequel apporter quelques réflexions, même si, en lui-même, il ne nous apprend pas grand-chose. Donc, selon la vaste et parfois contradictoire mythologie grecque, l’orme serait issu de la métamorphose de l’une des trois gardiennes du jardin des Hespérides, c’est-à-dire les filles d’Atlas que sont Églé, Hespérie et Érytheis. Mais rares sont les poètes à avoir consigné ce fait, Apollonios de Rhodes tout au plus, qui signale cette chose intéressante : « Alors, d’arbres qu’elles étaient, elles prirent de nouveau exactement leur aspect de naguère ». L’auteur des Argonautiques, qui s’extasie devant cette « étonnante merveille », ne nous dit pourtant rien du bien-fondé de cette métamorphose qui apparaît ici réversible, ce qui est un fait d’une extrême rareté au sein de cette mythologie, où la métamorphose végétale permet à la jeune fille/femme/nymphe/etc. – que la plupart du temps une espèce de rustre poursuit d’assiduité répétée et lassante – de trouver refuge en un arbre dans lequel sa pureté sera préservée. Quand, dans un mythe, il nous est dit, à un moment donné, que les dieux prennent en pitié unetelle ou telle autre, cela signifie qu’ils lui accordent la possibilité de conserver intégralement sa pureté (et partant sa virginité) en la changeant en un arbre lui-même symbole de pureté. Durant l’Antiquité, l’on ne parle pas de sexualité des végétaux, c’est pourquoi bien des plantes sont vues comme des temples au sein desquels s’incarner. Si l’on soustrait la nymphe – prenons Leukè, par exemple – des agaceries d’Hadès, on la change en un peuplier blanc qui devient comme sa demeure, c’est-à-dire, du moins, aussi pur qu’elle. Tout au contraire, cela en dit long sur l’état de « sainteté » des poursuivants…

Les Germains, quant à eux, firent de l’orme un arbre sacré et féminin qu’ils associèrent au hêtre pour eux masculin, de même qu’il l’est pour les Scandinaves : c’est sous les traits d’une femme que l’orme Embla se présente, tandis que l’homme primordial, Ask, s’apparente au frêne, ce qui ne peut surprendre. Au XII ème siècle, Hildegarde conserve à l’orme son caractère sacré et met particulièrement l’accent sur l’eau dans laquelle baignent des feuilles d’orme : « Celui qui a des frayeurs, boira de cette eau, à température modérée, et ses frayeurs s’évanouiront. Celui qui fait chauffer de l’eau avec cette seule espèce de bois et s’y baigne écarte de lui la méchanceté et la mauvaise volonté ; il devient bienveillant et son esprit en est rendu joyeux [NdA : ce qui rappelle le caractère généreux accordé à l’orme par les Celtes]. L’arbre lui-même a, par nature, une certaine puissance, si bien que les esprits aériens ne pourront pas faire passer par lui leurs illusions, fantasmes et injures » (5). Ce qui nous éloigne fort de l’arbre aux songes vains. De toute façon, au sujet de l’orme, il est très clair qu’Hildegarde a perçu des traits de caractère que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.

Du temps de Matthiole, au XVI ème siècle, il était encore question de l’orme. Ce dernier employait l’écorce de la racine de cet arbre pour élaborer des décoctions censées agir sur des troubles articulaires et musculaires, sur la douleur de la goutte. Il accordait aussi tout son intérêt aux galles de l’orme, déjà repérées par Dioscoride, et bien avant encore par Théophraste qui les prenait pour les fruits de cet arbre. Ces « vessies » – ainsi en parle Dioscoride – contiennent un liquide qu’on appelle l’eau d’orme, suc doux et mucilagineux, dont l’excellente vertu vulnéraire était usitée d’après Matthiole pour laver les plaies, redonner de l’éclat au visage, faire la peau plus belle (dixit Dioscoride !), remédier aux maux oculaires, etc. Enfin, « vers l’automne, l’eau s’étant évaporée, on trouve au fond des galles un résidu jaune et noirâtre, le baume d’ormeau, jadis réputé contre les affections de poitrine » (6).

Puis, pendant environ deux siècles, il est assez juste de dire que l’orme ne fit plus guère parler de lui, du moins parmi les rangs des grands pontes de la médecine officielle. Sans doute resta-t-il cantonné à la médecine des campagnes, marquée par la forte valeur empirique qu’on lui octroie le plus souvent. Peut-être. Jusqu’à ce que le bouche-à-oreille ou bien une vieille astuce dénichée dans un grimoire poussiéreux ne fasse ressurgir à la lumière tel ou tel remède. Cela m’a tout l’air d’être le cas pour l’orme, dont l’histoire ne me semble être qu’une suite de redécouvertes. « Beaucoup de choses renaîtront, qui étaient depuis longtemps oubliées », écrivit le poète Horace. Ainsi, dans les années 1780-1800, un certain nombre de thérapeutes anglais remirent l’orme à l’honneur. De l’ensemble de leurs expérimentations il ressort que l’orme est remarquable et souverain comme topique, entre autres face aux irritations cutanées, dartres rebelles, ulcérations anciennes et sordides, eczéma chronique, jusqu’à devenir, au tournant du XIX ème siècle, une médication fort « à la mode dans toute la France […] qui a réussi… surtout à ceux qui l’ont vendue », raillait François-Joseph Cazin une cinquantaine d’années plus tard (7), période à laquelle la désuétude dans laquelle était de nouveau tombé l’orme justifia sans doute ces rudes paroles. Peu importe, l’orme trouva, auprès d’une kyrielle de médecins allemands, un bon public, tout préparé à lui restituer ses lettres de noblesse. Mais en attendant ce renouveau salvateur, en France, la cupidité, la bêtise et, sans aucun doute, un mélange des deux, jetèrent l’orme dans de bien curieux fourvoiements. Sur la base de son efficacité avérée dans bon nombre d’affections cutanées, l’on s’est hasardé à vanter la décoction de seconde écorce d’orme dans des affections qui n’en relèvent hélas pas. Citons en l’occurrence l’éléphantiasis, l’ichtyose et la lèpre. Ce qui interroge, forcément. L’orme, malgré toute sa bienveillance et les prodigieux pouvoirs dont il a su faire preuve, est bien dans l’incapacité, à lui tout seul, de venir à bout de telles maladies, dont on a bien compris qu’elles présentaient toutes des manifestations d’ordre cutané, mais qui ne sont jamais que la partie émergée de l’iceberg. Au plus fort d’une délirante bouffée d’optimisme, l’on a présagé que l’écorce de l’orme, qui présente le même aspect craquelé et déchiré que les stigmates les plus visibles de ces trois affections, pouvait exercer sur elles une action salutaire. Parlons-en un peu, d’ailleurs, de ces trois maladies, ce qui sera le moyen assuré de nous rendre compte jusqu’où peut mener l’exagération.

L’éléphantiasis, qui se caractérise par une difformité des membres inférieurs surtout, est la conséquence d’un œdème provoqué par défectuosité du système lymphatique. Certes, l’on a bien reconnu, à l’orme, des qualités contre l’ascite et l’hydropisie, mais est-ce là suffisant ? En tous les cas, l’histoire médicale de l’orme a retenu que cet arbre fut (autrefois et à fréquence qui reste à déterminer) usité contre l’éléphantiasis dans sa forme « nostras », à bien distinguer de celle provoquée par filariose, c’est-à-dire l’éléphantiasis tropical induit via parasitisme du système lymphatique par des vers filaires. Quant à l’ichtyose, bien malin sera celui qui en discernera le type dans les écrits des Anciens. Aujourd’hui, par l’appellation « ichtyoses acquises », on regroupe l’ensemble des ichtyoses qui ne sont pas d’origine congénitale. Dans tous les cas, ces affections provoquent à la surface de la peau des craquelures du derme dont a dû s’emparer la théorie des signatures, si l’on considère ce que disait Oswald Crollius au sujet de l’orme. L’ichtyose est, hélas, une affection héréditaire qui dure toute la vie. On a pu la soigner mais non la guérir. Et la lèpre ? Qu’en dire ? Eh bien, de cette maladie d’origine bactérienne aux effets divers et variés, l’on retient avant tout les déformations qu’occasionnent les attaques successives d’un agent bactérien (Mycobacterium leprae) sur le visage, provoquant des atteintes cutanées, muqueuses et nerveuses, ainsi que des tumeurs sur la peau et le long du trajet des nerfs. Là encore, il n’est pas impossible que les horribles atteintes mutilantes de la lèpre donnèrent l’idée d’employer l’orme pour en amender quelques peu les séquelles. Si tel n’est pas le cas, on pense qu’il permettait de soigner des affections qui simulaient cette maladie terrible et hideuse, alors que l’écorce, du remède, n’en fut sans doute que l’adjuvant plus ou moins puissant. Peut-être même alla-t-on jusqu’à croire l’orme capable de miracle. Par exemple, évoquons l’évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux, dans la Drôme, qui officiait au VII ème siècle. A lui seul, son nom est presque une explication : Martinus de Ulmis, francisé en Martin des Ormeaux. Ce saint, que l’on fête le 23 juin, se retira près de Taulignan en raison d’une maladie incurable qui le frappa : la lèpre, d’après ce que dit la légende. Dès lors, on peut facilement rattacher l’orme à la lèpre, comme remède en assurant la guérison (du moins, le tentant).

« Cet arbre, généralement connu, croît dans toute l’Europe. Sa description est inutile » (8). Pas si sûr… Voici encore cette vieille manie qui se caractérise par ne pas dire ce qui est censément connu de tous ! Apparu il y a près de 65 millions d’années, l’orme est un grand arbre caducifolié à couronne circulaire dont la rapide croissance lui permet d’atteindre 30 à 40 m de hauteur. Son tronc droit est couvert d’une épaisse écorce fissurée, voire crevassée, dont la couleur variable reste toujours sombre (gris, brun ou rougeâtre). De nombreuses petites fleurs à anthères rouge bordeaux apparaissent entre février et avril, soit avant les feuilles. S’organisant en grappes, ces petites inflorescences ne détiennent pas de pédoncule, ce qui les distinguent des fleurs de l’orme blanc. Les feuilles de cet arbre sont dissymétriques, c’est-à-dire que l’une des deux parties ne recouvre pas exactement la seconde. Elles imitent le tronc sur la question de la rugosité, étant, de plus, velues sur leur face inférieur, et dentées doublement comme la lame d’une scie sur leur pourtour. Enfin, la fructification donne lieu à des samares facilement identifiables, formées d’un akène central de couleur rouge pourpre et cernés d’une aile échancrée en son sommet.

Sa large répartition européenne est attestée par la manière dont on appelle l’orme en plusieurs pays d’Europe : ulme en Allemagne, elm en Grande-Bretagne et au Danemark, olmo en Espagne, en Italie et au Portugal, ulm en Roumanie, alm en Norvège, olm aux Pays-Bas, etc. Comme nous pouvons le constater, bien des langues européennes ont conservé une certaine intégrité linguistique à l’orme, Ulmus en latin, lui-même issu d’une vieille langue indo-européenne, signifiant « brun-rouge », en relation avec la couleur que prend parfois le bois de cet arbre. Elle est même allée s’imprimer dans des noms de localités. Par exemple, Ulm, une ville du Bade-Wurtemberg, dans le sud de l’Allemagne, tire son nom même de cet arbre.

Encore assez présent dans les haies et les forêts humides d’Europe (ainsi que d’Asie occidentale), cette espèce d’arbre pionnier n’est plus aussi commun qu’au temps où Cazin négligeait d’en faire la description, puisque sa quasi disparition a été constatée dans la partie ouest de l’Europe ainsi qu’en Amérique du Nord, en raison d’une maladie provenant d’Extrême-Orient, la graphiose, qui affecte les ormes européens depuis 1919. Cette maladie, provoquée par un champignon du nom d’Ophiostoma ulmi, est transmise par un insecte intimement attaché à l’orme, le grand scolyte de l’orme (Scolytus scolytus), entre autres (plusieurs insectes sont responsables, dans les faits). Elle déforme les rameaux et assèche le feuillage qui reste sur branches, faisant passer l’orme pour une espèce marcescente. Vicieuse, cette maladie se transmet aussi par contact racinaire entre deux ormes, c’est-à-dire plus exactement au niveau des soudures souterraines de racine à racine, via un phénomène appelé anastomose dont les bénéfices, pour les arbres, semblent être nombreux, bien qu’il présente ici un inconvénient majeur. C’est pour cette raison que des haies entières d’ormes connectés les uns aux autres furent fauchés par cette maladie, comme des quilles placées en file indienne.

Il y a deux siècles, l’orme était aussi fréquemment planté que le platane sur les places des villages, les mails, le long des routes, etc. « Mais on l’a peut-être un peu trop prodigué dans les plantations des grandes routes, surtout aux environs de Paris, où l’on ne voit que des ormes, toujours des ormes » (9). Qu’en dirait-il, Roques qui râle, aujourd’hui, alors que la population d’ormes parisiens n’est plus que l’ombre d’elle-même ? Pour illustrer la désastreuse étendue de cette catastrophe, nous pouvons signaler qu’au XVII ème siècle, l’orme était la plus répandue des essences parisiennes. Des quelques 30000 ormes que comptait Paris, il n’en reste plus qu’un petit millier. Joseph Roques, qui déplorait la surreprésentation de l’orme par rapport aux autres essences, ignorait bien évidemment tout des connexions actives se déroulant d’un arbre à l’autre dans le sous-sol, et était loin de se douter de ce qui allait arriver à ces mêmes ormes au début du XX ème siècle. Cela nous alerte, au moins, sur la question des peuplements monospécifiques qui sont décidés à l’initiative des hommes : ils permettent une excessive rapidité de la propagation de la maladie par voie racinaire. Il est évident que ces enfilades d’ormes placés à la queue-leu-leu durent être du pain bénit pour la graphiose. Si l’union est censée généralement faire la force, elle peut exposer une population donnée à une circulation d’autant plus aisée d’une maladie que les membres sont très proches les uns des autres, ce qui esquinte forcément cette union et cette force. La seule parade est l’abattage et l’arrachage des ormes malades afin qu’ils ne contaminent pas leurs congénères encore indemnes, ce qui est plutôt brutal mais nécessaire. Cela pose la délicate question de la position de chacun par rapport aux autres dans nos sociétés humaines, pour lesquelles l’on sait bien que les foyers épidémiques sont d’autant plus virulents et contagieux dans des zones plus densément peuplées. Toute ressemblance de mon propos avec une actualité qui tire en longueur depuis près d’une année est, bien entendu, tout à fait fortuite ^_^

Les ormes en phytothérapie

Comme pour beaucoup d’arbres, le choix du thérapeute se porte majoritairement sur l’écorce. Dans le cas de l’orme, sur le liber, c’est-à-dire la seconde écorce des rameaux d’un ou deux ans qui, chez cette essence, est de couleur jaunâtre ou rougeâtre. Pliante et fragile, elle est le plus souvent inodore, de saveur légèrement styptique et amère. On pourrait s’attendre, parlant d’écorce, à une grosse fraction de tanin, mais il n’y en a pas tellement, tout juste 3 %. En revanche, ce en quoi l’écorce de l’orme se distingue, c’est pas sa richesse très abondante en mucilage. De la résine et de l’amidon accompagnent certains sels minéraux, dont une importante proportion de calcium et de silice, et un peu de potassium et de sodium. (Composition des cendres d’orme : calcium 73 %, sodium 10 %, silice 9 %, potassium 2 %.) Remarquons dans l’orme la présence de stigmastérine et de sitostérine, deux phytostérols que l’on retrouve dans la griffe du diable, alias harpagophytum, anti-inflammatoire très à la mode depuis quelques décennies. Enfin, de façon beaucoup plus anecdotique, on employait autrefois les feuilles et le bois, ainsi que ces galles dont nous avons parlées dans la première partie de notre développement.

Pour faire bonne figure et renforcer notre propos, nous n’oublierons pas que nous avons placé orme au pluriel, aussi invitons un autre orme, l’orme rouge (Ulmus rubra), un arbre américain qui a davantage la côte que son confrère européen en ces temps. Celui-ci est également convoité pour son écorce interne, plus riche encore en mucilage, que l’on prélève au printemps sur des arbres âgés d’environ dix ans, puis que l’on fait sécher avant de la pulvériser. Les propos qui vont maintenant suivre sont une synthèse des propriétés et usages thérapeutiques de l’orme champêtre et de l’orme rouge. Leurs qualités étant quasiment similaires, je n’ai pas jugé bon de les distinguer à l’aide de paragraphes bien séparés.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique, dépuratif, diaphorétique
  • Adoucissant puissant, émollient des membranes muqueuses, apaisant des tissus irrités, maturatif des furoncles
  • Tonique, stimulant
  • Astringent, résolutif, cicatrisant, vulnéraire
  • Laxatif
  • Antalgique
  • Antiscorbutique (?)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : atonie digestive, diarrhée, dysenterie, colique, gastro-entérite, diverticulite, irritation du côlon, indigestion, acidité gastrique, constipation, catarrhe des voies digestives
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite chronique et autre inflammation vésicale, « ardeur » d’urine, catarrhe vésical
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, toux, catarrhe bronchique, tuberculose (?), pleurésie (?)
  • Affections cutanées : l’orme est le remède des maladies cutanées rebelles : dermatose invétérée, dartre, eczéma sec, eczéma chronique, ulcère (vieux, sordide, cancéreux), ulcération et éruption d’origine goutteuse, plaie, gerçure, engelure, brûlure, coup, impétigo, furoncle, acné, autre irritation cutanée
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme, douleurs rhumatismales, goutteuses et névralgiques (sciatalgie)
  • Hydropisie, ascite, goutte
  • Fièvre, fièvre intermittente
  • Hémorragie, hémorroïdes
  • Leucorrhée
  • Inflammation oculaire
  • Convalescence, fatigue

Modes d’emploi

  • Décoction d’écorce concassée (accompagnée parfois des feuilles) : compter 75 g par litre d’eau, à faire bouillir jusqu’à réduction de moitié. Passer puis exprimer. Se destine à l’usage interne. Pour agir extérieurement, il importe d’augmenter les doses de seconde écorce. La décoction ainsi obtenue interviendra par le biais de lavements et de compresses. Veiller à la faire refroidir avant de s’en servir.
  • Macération huileuse : faire digérer au bain-marie 100 g de seconde écorce d’orme concassée dans 300 g d’huile d’olive et 100 g de cire d’abeille. Plus simple, mais plus long : laisser macérer à température ambiante 30 g d’écorce d’orme dans 100 g d’huile végétale d’amande douce.
  • Macération vineuse : faire macérer 50 g d’écorce d’orme dans un demi litre de vin rouge allongé de 100 g d’eau-de-vie.
  • Sirop.
  • Pommade.
  • Gélules de poudre de plante.
  • Cataplasme de feuilles fraîches appliquées contuses.

Note 1 : Fournier apportait la précision suivante et bienvenue : « « L’emploi simultané de la décoction et de la pommade donne des résultats certains dans beaucoup de maladies de la peau rebelles » (10).

Note 2 : la décoction d’écorce fraîche prend une teinte rouge soutenue et un aspect très visqueux en raison de l’importance de mucilage contenu dans ses tissus.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : le liber se détache des jeunes rameaux avant la floraison de l’orme, c’est-à-dire, selon les régions, avant les mois de février, mars et avril.
  • Le bois dur, compact, d’aspect rougeâtre, de l’orme champêtre lui vaut parfois d’être surnommé orme rouge (à différencier de celui d’origine américaine dont nous avons parlé). C’est un précieux bois d’œuvre de grande résistance. On a constaté une longue conservation de son bois dans l’eau et les terrains humides. Ses emplois industrieux sont nombreux : menuiserie, charpenterie, ébénisterie, charronnage, archerie, etc. De plus, l’orme forme un excellent bois de chauffage, un bon charbon et des cendres riches en calcium.
  • Les feuilles furent concernées par moins d’usages, mais l’on en a remarqué néanmoins le caractère comestible, tant pour le bétail que pour l’être humain. (Cuites, elles se cuisinent comme le chou et les épinards. Dioscoride évoquait déjà la comestibilité des feuilles d’orme.) Enfin, çà et là, elles adoptèrent la fonction d’ersatz de tabac et, en Russie, en les infusant, on obtenait un succédané de thé.
  • Autres espèces : – L’orme des montagnes (Ulmus glabra = Ulmus montana = Ulmus scabra) ; – L’orme subéreux (Ulmus fulva) qui entre dans la formule du thé Essiac canadien ; – L’orme d’Amérique (Ulmus americana) ; – L’orme blanc (Ulmus laevis = Ulmus effusa).
  • Faux-amis : – Attention de ne pas confondre l’orme avec un autre arbre à l’orthographe très proche, l’orne (Fraxinus ornus) qui, en réalité, n’est pas autre chose qu’un frêne ; – L’orme de Samarie : malgré son nom d’orme, il a été botaniquement classé parmi les Rutacées (la famille des orangers). Bien qu’il n’ait aucun rapport avec l’orme, on lui a pourtant donné le nom de l’hamadryade que la mythologie grecque a associée à l’orme, c’est-à-dire celui de Ptéléa. Précisons que Ptéléa, l’une des huit hamadryades, était autant dryade que nymphe. Son statut d’hamadryade (du grec hama « avec » et drûs « bois ») était peu enviable. En effet, une hamadryade était une « nymphe des bois qui naissait et mourrait avec l’arbre dont la garde lui était confiée, et qui ne pouvait jamais le quitter » (11). Aujourd’hui, l’orme de Samarie porte le nom latin de Ptelea trifoliata. La botanique, tout comme la mythologie, n’est pas exempte de bizarrerie.
  • Élixir floral : le docteur Edward Bach aura été sensible au charme de l’orme, comme en témoigne l’un de ses élixirs floraux, Elm, qui, hélas, répond parfaitement aux besoins qu’impose la société occidentale actuelle. Cependant, bien qu’inscrit dans le groupe du découragement, Elm cherche avant tout à faire face à de brefs défauts de confiance passagers. Cette fleur de la responsabilité s’adresse à « ceux qui font un bon travail, suivent leur vocation et espèrent faire quelque chose d’importance, ceci souvent pour le bien de l’humanité. Ils connaissent des périodes de dépression quand ils sentent que la tâche qu’ils ont entreprise est trop difficile et hors de portée du pouvoir d’un être humain » (12). Comme c’est compréhensible…

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  1. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 94.
  2. Maurice Klippel, La médecine grecque dans ses rapports avec la philosophie, p. 42.
  3. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 270.
  4. Je vous conseille aussi de faire un petit tour du côté de la rue des Barres, artère tout à fait charmante, située derrière l’édifice ecclésiastique.
  5. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 181.
  6. Gérard Debuigne & François Couplan, Petit Larousse des plantes médicinales, p. 206.
  7. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 666.
  8. Ibidem, p. 665.
  9. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 445.
  10. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 704.
  11. Wiktionnaire.
  12. Edward Bach, La guérison par les fleurs, p. 106.

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3 réflexions sur “L’orme champêtre (Ulmus campestris)

  1. Bonjour,
    J’ai remarqué que la gemmothérapie n’était pas citée dans cet article (je n’ai pas consulté si c’était le cas dans les autres). Or c’est une forme thérapeutique simple d’utilisation et efficace. Vous trouverez plein d’informations dans l’ouvrage « La phytoembryothérapie » de F. Ledoux et G. Gueniot ou « Traité de gemmothérapie » de Philippe Andrianne.
    Merci pour votre blog et tout le travail que cela représente
    Sincères salutations
    Céline

    Aimé par 1 personne

    • Bonjour Céline,

      En effet, vous ne trouverez dans aucun de mes articles des références à la gemmothérapie, et cela pour une raison très simple : je n’y connais rien.
      Je vous remercie pour les références, sans doute m’aideront-elles à combler mes lacunes dans ce domaine.
      Je vous souhaite un beau dimanche et merci encore pour votre message.

      Gilles

      J’aime

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