Le topinambour (Helianthus tuberosus)

 

Synonymes : hélianthe tubéreux, artichaut du Canada, artichaut de Jérusalem, patate de Virginie, poire de terre, tartouffe, cartofle, crompire, etc.

« Le topinambour pâtit d’un manque d’attrait certain des ménagères qui le considèrent comme un légume pauvre », se lamentait Jean Valnet dans son ouvrage dédié aux fruits, aux légumes et aux céréales (1). Et encore, il écrivait cela à une époque où ce tubercule était loin d’avoir été réhabilité, bien au contraire. Mais d’où vient que le topinambour ait été aussi peu estimé ? Écoutons ce que Simone de Beauvoir confiait dans ses Mémoires d’une jeune fille rangée à propos des repas que préparait sa mère : elle « confectionnait des omelettes sans œufs et des entremets à la margarine, où le saccharose remplaçait le sucre ; elle nous servait de la viande frigorifiée, des biftecks de cheval et de tristes légumes : crosnes, topinambours, bettes » (2). C’était là la condition de beaucoup de monde durant la guerre de 1914-1918 où l’alimentation, sujet crucial, se bornait à des tickets de rationnement. Aussi crosnes et topinambours devinrent-ils des aliments de la pénurie. Or « celui qui a nourri les hommes en période de disette mérite pourtant plus la reconnaissance que la mise en quarantaine », s’exclame Jean-Luc Daneyrolles (3). Certes, mais la synesthésie topinambour/guerres mondiales est parfois indépassable. Pendant longtemps, le topinambour a trop rappelé la consommation qu’on en fit, tant durant 14-18 que 39-45. Bien qu’il soit aussi riche que la pomme de terre ou le cul d’artichaut, on lui a conservé longtemps cette étiquette d’aliment famélique, quitte à en être réduit à l’arracher de la glèbe hostile à mains nues, parce que, en ces temps sombres et troublés, l’on manquait même de pioches. Le topinambour, ça n’est pas alors que la faim inassouvie, c’est aussi le froid, la peur, le départ des fils à la guerre, le sang, c’est le légume du traumatisme, c’est l’odeur terreuse et fade de ceux qui s’en souviennent. A la guerre comme à la guerre, serait-on tenté de suggérer. Mais ça n’est là qu’un argument spécieux balayant du revers de la main toutes ces années d’atrocités durant lesquelles, pour beaucoup, le topinambour fut l’un des avatars. Le topinambour, contrairement à la pomme de terre, s’accommode très bien des terrains pauvres, mais la pomme de terre, également fruit de la terre, il faut bien, elle aussi, l’extraire de sa gangue terreuse. Enfin, c’est ce que l’on aurait fait si l’on en avait eu durant la Seconde Guerre mondiale. Mais de patates, il n’y en avait guère, les kartoffel étant réquisitionnées par les Allemands, dont d’aucuns, nazis entre autres, jugèrent à propos d’abandonner à ces « bougnoules » de Français rutabagas et topinambours, aliments juste assez dignes de ces sous-hommes.

Chez mes grands-parents maternels, qui se décrivaient comme cultivateurs, outre l’établi de mon grand-père où je fabriquais à l’aide de chutes de planches des camions et de petits meubles pour mes playmobil, il y avait le jardin tout clôturé dans lequel je passais beaucoup de temps. Année après année, je constatais bien que dans un de ses recoins que couvrait d’ombre le feuillage d’un tilleul rond comme un ballon, revenaient des plantes toutes rangées le long d’un vieux muret de pierres, semblables à des tournesols pas très hauts, portant parfois des fleurs qui les rappelaient mais de taille beaucoup plus petite. Que pouvaient donc bien faire ces plantes remisées en cet endroit où rien d’autre ne poussait ?, me questionnais-je, intrigué. Un jour où nous étions à table, chacun devant son assiette de soupe, je posais la question à ma grand-mère : « Dis mémé, c’est quoi ces grandes plantes qui poussent en dessous des framboisiers ? » Elle n’a pas répondu tout de suite, a jeté un œil en direction de mon grand-père qui, manifestement, n’avait pas fait attention à mon interrogation. Puis, elle a dit : « Oh, ça, c’est des saletés. Topinambours qu’on les appelle ». Mon grand-père a failli s’étrangler avec une cuillerée de soupe puis est passé par toutes les couleurs. Ne m’expliquant pas ce que ce mot de topinambour pouvait bien avoir comme raison de provoquer une telle réaction, je sus néanmoins par la suite que mon grand-père tenait en horreur ce légume pour en avoir mangé durant toute la guerre. On préconise souvent de planter les topinambours en bordure de jardin parce qu’on les juge, avec raison, trop envahissants. Et si rien ne pousse à proximité, hormis les herbes folles qui ont l’audace d’y déposer leurs graines, c’est parce que le topinambour épuise la terre. Mais je persiste à croire encore aujourd’hui que les topinambours du jardin de mes grands-parents occupaient une place à part, relégués dans ce coin inculte où l’on ne se rendait jamais, histoire de leur faire comprendre qu’ils étaient persona non grata et que cette distance qu’on leur imposait devait aussi permettre de tenir en respect cette période de guerre et d’occupation dans l’esprit de mes grands-parents.

Cependant, l’histoire du topinambour n’est pas circonscrite à la seule période douloureuse des deux guerres mondiales. Si le rutabaga, malgré ses syllabes chantantes, est un mot d’origine suédoise, l’on peut s’interroger sur la provenance de ce nom à coucher dehors qu’est le mot topinambour qui apparaît bien exotique tout de même : c’est le cas, le topinambour étant américain, poussant à l’état sauvage au Canada ainsi qu’aux États-Unis. Bien avant l’arrivée des colons, cette plante entrait déjà dans l’alimentation des Hurons et des Algonquins qui la firent connaître aux Européens au tout début du XVII ème siècle, lesquels l’introduisirent en France aux environs de 1610 sous diverses appellations (truffe du Canada, tartifle, artichaut du Canada, etc.), de même que la pomme de terre eut les siennes durant un temps avant qu’on ne se fixe sur son nom actuel. Donc, la patate, c’est un « fruit » comestible issu de la terre d’Amérique du Sud, le topinambour c’est pareil, à l’exception de sa localisation géographique : l’Amérique septentrionale. Aussi, l’on s’explique mal pourquoi le topinambour fut baptisé en relation avec la tribu des Tupinambas originaire d’Amazonie. Leur nom francisé, Topinamboux, rapproche encore cette tribu du légume souterrain. Expliquons comment les Tupinambas qui n’ont jamais vu un topinambour de toute leur vie ont pu se confondre avec lui. Au tout début du mois d’avril 1613, six Tupinambas foulèrent le sol français. Exhibés comme des bêtes de foire – attitude propre aux colonisateurs –, ces indigènes dont plusieurs périrent, sans doute en raison du climat ou de maladie, parvinrent en France concomitamment au topinambour. L’on s’empressa donc, pour je ne sais quelle raison, de transmettre au tubercule le nom de cette tribu amazonienne, ce qui fit croire pendant longtemps que le topinambour était d’origine brésilienne. Mais bon, à l’époque, vus de France, Tupinambas, Hurons et Algonquins, tout ça, c’était des sauvages, d’où qu’ils proviennent. On ne se préoccupa plus des Tupinambas, mais on procéda à la culture en grand du topinambour en France, un légume racine dont l’adoption par le peuple français fut autrement facile que celle de la patate que l’on boudait pour ne pas dire plus, avant que cette tendance ne s’inverse au XVIII ème siècle. Le succès du topinambour ne peut cependant faire oublier qu’il a ses détracteurs (il y en a toujours et pour tout). Ainsi, le médecin français Philibert Guybert (1579-1633) n’est pas l’un de ses supporters : « je suis d’avis que l’on laisse cette viande barbare à ceux qui sont si fous qu’ils n’aiment que ce qui est étranger et à qui on a fait passer la mer pour trouver mieux, puisque nous avons en France d’autres racines plus saines et plus agréables ». Est-ce du chauvinisme ou bien cette opinion est-elle animée du désir de ne pas prendre part à ce que nous appelons bio-piraterie ? Je penche davantage pour la première solution, teintée, me semble-t-il, de xénophobie. Par ailleurs, on l’accuse de causer des flatulences, ce qui s’avère bien réel chez certaines personnes mais pas toutes. Aussi, celles qui en sont les victimes ont-elles toutes les raisons de dénigrer le topinambour. Malgré cela, il parvint à tirer son épingle du jeu, car on ne traite jamais un mauvais film de topinambour, mais de navet, bien que le mot topinambour demeure une des insultes que le capitaine Haddock profère sans difficulté aucune. Hergé avait-il, lui aussi, maille à partir avec le topinambour ?

Bien qu’étant un hélianthème comme le tournesol, le topinambour se distingue de lui de la façon suivante : le tournesol emmagasine ses principes nutritifs dans sa tête, le topinambour dans ses pieds. C’est pourquoi les racines du tournesol sont si grêles alors que les capitules du topinambour sont plus petits que ceux du soleil (4 à 8 cm de diamètre), lesquels, de toute façon, fleurissent plus rarement que ceux du tournesol (bien qu’on remarque des variétés plus florifères que d’autres) et surtout plus tardivement : alors que les tournesols baissent la tête, lourde du poids de leurs graines regroupées en spirales, les fleurs du topinambour apparaissent tout juste, aux environs d’octobre, tandis qu’au mois suivant sa tige commence à se dessécher. Ce qui fait que la fructification hasardeuse du topinambour ne permet pas d’en faire, au contraire du tournesol, un quelconque usage. D’ailleurs, il ne se sème pas, on le reproduit par éclat de tubercule, ce même tubercule que, vivace, la plante conserve sous la terre sans avoir à craindre la saison froide. Ceux-ci, de forme plus ou moins ovale ou arrondies (parfois carrément biscornues), adoptent des coloris changeants selon les variétés, ainsi qu’en terme de gabarit : un tubercule de 15 cm de longueur sur 4 à 5 cm de section est déjà un monstre. Sur la question des dimensions, ils valent bien certaines patates dont quelques-unes sont prodigieusement grandes, sans toutefois s’accompagner de parties aériennes telles que le topinambour peut en déployer : des tiges de 1 à 2,5 m de hauteur, parfois 4, et dont la section à la base atteint 5 cm, le rapprochant, une fois de plus, du tournesol.
Le topinambour, principalement cultivé, s’est parfois échappé des cultures, apparaissant alors de façon subspontanée çà et là, en des endroits où devaient autrefois se trouver des jardins ou des lieux de culture en grand.

Le topinambour en phytothérapie

Peut-on véritablement parler de phytothérapie à l’endroit du topinambour ? De diététique serait plus juste. Mais cela est déjà fort convenable sachant qu’il existe bien des connexions entre ces deux disciplines. En tous les cas, l’on ne peut lui dénier son statut d’aliment de santé, comme le prouve sa composition biochimique : de l’eau en quantité variable (74 à 91 %), des sucres (3,6 à 5,2 %), peu de lipides (0,2 %) et de cellulose (0,3 à 1,2 %), des substances azotées (2 à 2,5 %). En terme d’hydrates de carbone, le topinambour en contient plusieurs (pseudo-inuline, inulinine, hélianthine, synanthryne), mais le principal demeure l’inuline (1,5 %). Ces hydrates de carbone, « et en particulier l’inuline, ne sont pas transformés par le foie en glucose et fournissent néanmoins l’énergie thermique et organique nécessaire », explique Fournier (4). Non glucosigènes, ils sont en revanche fructosigènes. Ensuite, vient un faible taux de protéines qui fait que le topinambour abaisse le taux d’urée sanguine. Mais nous n’en avons pas pour autant terminé avec le topinambour : d’autres substances justifient toute sa richesse : acides aminés (asparagine, arginine), choline, bétaïne, albumine, vitamines (A, C), sels minéraux (potassium, etc.).

Propriétés thérapeutiques

  • Nutritif, énergétique, très digestible
  • Laxatif
  • Galactogène
  • Antiseptique

Usages thérapeutiques

  • Profitable aux dyspeptiques, diabétiques, azotémiques, urémiques, glycosuriques, goutteux et rhumatisants, ainsi qu’aux enfants et aux personnes âgées
  • Allaitement
  • Constipation

Modes d’emploi

  • Tubercules en nature dans l’alimentation, cuits à l’eau salée ou à la vapeur.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Les détracteurs que le topinambour a rencontrés au fil de son histoire s’expliquent par sa propriété de provoquer des flatulences, mais pas chez tous, certaines personnes qui le tolèrent s’en trouvent très bien. Ce qui valait autrefois le rejet trouve aujourd’hui une justification scientifique : « Des études ont montré qu’elles [les flatulences] ont pour origine notre flore intestinale, diversement constituée selon les individus. Certains le digèrent, d’autres non, qu’il soit cru ou cuit, et quelle que soit la manière de le préparer » (5). Ce qui nous mène au point suivant.
  • En cuisine : une fois bouilli ou cuit à la vapeur comme précédemment indiqué, le topinambour se prête bien aux purées et gratins que vous accommoderez à la sauce qu’il vous plaira. Cuit à la vapeur, il reste assez ferme, ce qui fait qu’on peut le débiter en tranches qu’il est possible d’incorporer à une salade. Par ailleurs, on peut le sauter à la poêle, le frire comme la pomme de terre et en confectionner des beignets. L’on dit généralement que ses utilisations culinaires sont identiques à celles de la pomme de terre, ce que je crois.
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    1. Jean Valnet, Se soigner avec les légumes, les fruits et les céréales, p. 422.
    2. Citée par Jean-Luc Hennig, Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes, p. 221.
    3. Jean-Luc Daneyrolles, Un jardin extraordinaire, p. 30.
    4. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, pp. 502-503.
    5. Jean-Luc Daneyrolles, Un jardin extraordinaire, p. 36.

© Books of Dante – 2018

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