La matricaire (Matricaria recutita)

Synonymes : petite camomille, camomille commune, camomille sauvage, camomille matricaire.

D’autorité, le docteur Cazin nous informe qu’on « doit rapporter à cette plante tout ce qu’on trouve dans les anciens sur la camomille » (1) que je ne qualifierai pas d’allemande tant cet adjectif est par trop réducteur. Appelons un chat un chat. Ici, il sera question de matricaire, une plante qui tire son nom du latin matrix, faisant bien évidemment référence à la matrice féminine. La matricaire est donc une autre plante de la femme (et pas seulement de la mater, la mère). D’ailleurs, le Dictionnaire botanique et pharmaceutique de 1716 n’écrit-il pas que « son principal usage est pour les maladies froides et venteuses de la matrice » ? Simon Paulli (1603-1680) n’indique-t-il pas la matricaire, associée à la camomille romaine et à l’armoise vulgaire, pour les femmes sujettes aux vapeurs ? Bien avant cela, Dioscoride évoquait les propriétés emménagogues d’une plante s’apparentant à la matricaire. Mais le parthenion de Dioscoride ne s’attache pas qu’à la sphère gynécologique, loin s’en faut. En relation avec ses propriétés vésico-rénales, il est diurétique, élimine les calculs. Cholagogue, il intervient sur certaines affections du foie. Un siècle plus tard, Galien met à profit la matricaire dans les algies et les fièvres. Il faut dire que cette plante est fébrifuge, et c’est avec raison qu’elle est nommée febrifuga dans le Capitulaire de Villis. Febrifuga, ça veut dire qu’elle chasse la fièvre. Et la matricaire s’y connaît pour repousser tout type de choses, un aspect que les anciens Égyptiens n’omirent pas de lui concéder, consacrant cette plante au dieu Soleil. Ce qu’écarte la matricaire, c’est essentiellement la vermine, les poux, les mites, ainsi que d’autres insectes encore. Elle éloigne aussi les miasmes de la mort, à tel point qu’une chair avancée dans la putréfaction en perd l’odeur à son contact, une chose qui m’a profondément perturbé quand je l’ai apprise, car si j’ai toujours été admiratif du parfum de l’huile essentielle de camomille romaine, celui de l’huile essentielle de matricaire m’a, durant longtemps, rebuté par les relents nauséeux de fruits en décomposition, pourrissant, que je reniflais à même le flacon, le seul que j’ai jamais possédé et que je tiens tout près de moi alors que je rédige cet article. Pourtant, elle avait tout pour me séduire : une couleur qu’on ne voit pas tous les jours, une composition biochimique à l’avenant. Aujourd’hui, je peux ouvrir ce flacon sans rechigner. Je ne l’ai pas bêtement jeté (T’es fou ? T’as vu le prix ?) ou donné à quelqu’un. C’est moi qui me le suis procuré un jour, pour une raison qui sans doute m’a échappé. C’est pourquoi je suis assez peu d’accord avec certains olfactothérapeutes ou bien des personnes qui ne le sont pas et n’y connaissent pas grand-chose : ces personnes conseillent de ne prendre en considération que les odeurs aimées, de rejeter les autres, attitude stupide et contre-productive s’il en est. J’ai haï l’huile essentielle de niaouli que je trouvais puante il y a 10 ans. Aujourd’hui, je la trouve tout juste supportable olfactivement parlant. Et un problème bien plus complexe s’impose à moi avec l’huile essentielle d’arbre à thé que je ne puis toujours pas digérer ; mais je reviens à elle de temps à autre et, chose remarquable, c’est l’une des rares huiles essentielles que je n’ai pas abordée sur le blog. C’est un signe. Je ne rejette rien. Je n’appartiens pas à cette tribu de personnes qui se gargarisent chaque jour d’un verre de « lâcher-prise ». La devise du blog est là pour rappeler que je suis des sentiers peu fréquentés mais dans lesquels, néanmoins, je recherche l’équilibre. Ainsi, repousser ce qui déplaît, c’est annoncer à la Lune qu’elle ne possède pas une face non visible de nous depuis la Terre. Si l’on devait mettre un joli petit mouchoir sur toute chose déplaisante, où irions-nous, je vous le demande ? Aussi, et pour le dire très clairement, à l’ouverture et à l’olfaction d’un flacon d’huile essentielle quel qu’il soit, s’il y a rejet, ça n’est pas la faute de l’huile essentielle en question. Si problème il y a, il est de notre côté, chose que ne veulent surtout pas comprendre les béni oui-oui de l’aromathérapie, lesquels vous dirons doctement (la blague !) : « Cette huile essentielle n’est pas pour toi », plutôt que d’aider à apprendre la raison de ce rejet. Et ainsi perpétuer l’idée ridicule selon laquelle l’aromathérapie serait une « médecine douce ». Si l’on fait comme ces pleutres, douce, elle peut l’être. Mais, en ce qui me concerne, j’ai pour habitude de plonger dans la merde, et plutôt deux fois qu’une. Bref. Fin de l’incise.

Au Moyen-Âge, on croit retrouver la matricaire dans les écrits d’Hildegarde de Bingen. Ce n’est probablement pas de là qu’on a appelé la matricaire « camomille allemande ». Le capitulaire carolingien y est peut-être pour quelque chose, mais vue l’étendue de l’empire de Charlemagne aux VIII ème – IX ème siècles, il est permis d’en douter : il est bien plus vaste que l’Allemagne actuelle. La matricaire, très cultivée en Allemagne et en Europe de l’Est, l’est aussi dans les Balkans et en Égypte. Alors pourquoi pas « camomille grecque » ou « camomille égyptienne » ? Peut-être sont-ce les regards que firent peser Jérôme Bock et Tabernaemontanus, deux « Germains », sur la matricaire qui donna à cette plante son surnom de camomille allemande. En tous les cas, les deux hommes, bien que distants d’un siècle, s’entendirent pour lui accorder des vertus digestives et vulnéraires et, Lazare Rivière, un Français, remit au goût du jour ses qualités fébrifuges. Ajoutons à cela que le Petit Albert propose une recette « pour se préserver de la goutte : Ce mal est causé par Saturne. Prenez à l’heure de Mars, ou de Vénus, l’herbe nommée matricaria, que vous pilerez et mêlerez avec le jaune d’un œuf cuit, en façon d’omelette, et mangez-en à jeun, cela vous préservera tout à fait de la goutte » (2), une observation fort docte puisque les affections par rétention relèvent essentiellement de la planète Saturne et l’on accorde à la matricaire de pouvoir parfois dissiper les points douloureux de la goutte, mais, comme le souligne le docteur Leclerc, « si elle ne sidère pas complètement la douleur, elle l’émousse dans de fortes proportions » (3).

Si la matricaire s’y entend pour chasser, elle attire aussi sur ceux qui en ont besoin des bénéfices certains. Aussi n’est-ce pas un hasard si cette plante voisine des habitations était régulièrement semée aux abords des maisons. Protectrice, son infusion permettait la lustration des propriétés. Attractive et répulsive, la matricaire « macérée dans du vin donne une boisson qui neutralise l’effet de la piqûre des serpents » (4), elle constitue, en outre, une excellente « consolation des hypocondriaques » (5), une recommandation que l’on retrouve quelque peu dans l’élixir floral de matricaire qui apaise les tempéraments agités, les enfants à l’humeur changeante, ceux qui pleurent et se vexent facilement.

La matricaire que, bizarrement, l’on surnomme « petite camomille » est bien plus haute que la camomille romaine, puisqu’elle atteint sans peine une taille de 50 cm. En revanche, elle est annuelle. Ses tiges rondes et dressées, particulièrement rameuses, portent des feuilles découpées en forme de filaments. Ses caractéristiques fleurs capitulaires se distinguent de celles de la camomille romaine, en cela que le cône de fleurs tubulées jaunes est beaucoup plus bombé que chez la romaine où il est davantage aplati. Autre critère de distinction : les ligules blanches et stériles de la matricaire s’arquent vers le bas en cours de floraison, laquelle a généralement lieu entre mai et août, répandant un parfum fort et marqué.
Très commune en Europe, la matricaire est également présente sur d’autres continents (Asie, Afrique, Amérique du Nord). En France, l’on aura toutes les chances de la découvrir sur des sols pauvres en calcaire. Parmi ses divers domiciles, elle compte les lieux incultes (terrains vagues, pierreux et rocailleux, décharges), les abords des champs cultivés (quand elle ne pénètre pas à l’intérieur), les prés et les clairières, les bordures de chemins. Il lui arrive même de s’aventurer le long des ruelles de villages.

La matricaire en phyto-aromathérapie

Pour le phytothérapeute, seuls comptent les capitules de la matricaire. On y trouve des substances courantes : tanin, résine, mucilage, lévulose, acide salicylique, flavonoïdes (apigénine, rutine, lutéoline, anthémidine), acides (oléique, palmitique, stéarique, cérotinique). D’autres qui le sont moins dans ces pages : triacontane, choline, acide anthémique. Une coumarine du nom d’ombelliférone rapproche la matricaire de la piloselle épervière.
Pour l’aromathérapeute, le capitule a aussi son importance car c’est de lui qu’on extrait l’huile essentielle de matricaire au rendement un peu plus élevé que celui de camomille romaine (0,8 à 1 %). Assez épaisse, cette huile est tout d’abord bleu foncé, puis elle verdit et brunit à la lumière et par l’influence de l’oxydation de l’air. Sa composition biochimique l’éloigne de beaucoup de la camomille romaine, quand bien même on confond fréquemment ces deux plantes :

  • Oxydes sesquiterpéniques (dont oxyde de bisabolol A, oxyde de bisabolol B, oxyde de bisabolone) : 50 %
  • Sesquiterpènes (dont béta-farnesène et chamazulène, responsable de la couleur bleue de cette huile essentielle) : 40 %
  • Sesquiterpénols : 6 %
  • Monoterpènes : 1 %

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-inflammatoire puissante, antalgique, analgésique, antispasmodique (sur ces deux dernières propriétés, on a remarqué que la matricaire agit plus rapidement et constamment que la camomille romaine), antirhumatismale
  • Anti-infectieuse : antivirale (herpès génital), antifongique (Candida sp.), antibactérienne, bactériostatique (à la dose de 0,0005 % sur Helicobacter pilori, Staphylococcus aureus, Proteus vulgaris), antiparasitaire (pédiculicide)
  • Apéritive légère, digestive, carminative, stomachique, cholagogue, désobstruante hépatique
  • Sédative et calmante de la tension nerveuse, relaxante, inductrice du sommeil
  • Fébrifuge, sudorifique
  • Diurétique
  • Emménagogue
  • Cicatrisante, vulnéraire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie, digestion lente et difficile, gastrite, ulcère gastrique, infection de la muqueuse gastrique (Helicobacter pilori), colite, crampe gastrique, ballonnement, spasmes digestifs, colique et colique du nouveau-né, nausée, nausée matinale de la femme enceinte, acidité gastrique, gastralgie, hernie hiatale, parasites intestinaux (oxyures, ascaris)
  • Troubles gynécologiques : aménorrhée, dysménorrhée, spasmes utérins, règles douloureuses, prurit vulvaire, métrorragie, seins et mamelons douloureux
  • Affections bucco-dentaires : douleurs dentaires, gingivite, stomatite, inflammation buccale
  • Troubles locomoteurs : douleurs rhumatismales, élongation, crampe et contracture musculaire, hernie discale
  • Troubles de la sphère respiratoire + ORL : asthme allergique, rhume des foins, rhinite allergique, otite
  • Affections cutanées : plaie infectée, plaie variqueuse, ulcère, ulcère de jambe, eczéma (sec, ancien, atopique), coupure, morsure, piqûre, écorchure, brûlure, gerçure, crevasse, furoncle, urticaire, acné, psoriasis, pityriasis, démangeaison, irritation du cuir chevelu, teigne, poux
  • Migraine et maux de tête d’origine nerveuse, stress, irritabilité, asthénie nerveuse, surmenage intellectuel
  • Cystite, spasmes vésicaux
  • Hémorroïdes, fissure anale
  • Fièvre intermittente, grippe

Modes d’emploi

  • Infusion de capitules
  • Décoction de capitules (pour un bain, par exemple)
  • Poudre de capitules secs mêlée à du sucre
  • Cataplasme de capitules frais
  • Teinture-mère
  • Huile essentielle : voie interne, voie externe, olfaction, inhalation, diffusion atmosphérique
  • Hydrolat aromatique : il constitue une bonne alternative à l’huile essentielle qui est relativement onéreuse. On lui prête les propriétés suivantes :
    – Antispasmodique : stress, émotivité, troubles du sommeil, digestion difficile, spasmes digestifs
    – Anti-inflammatoire : démangeaisons et irritations cutanées, acné, psoriasis, eczéma, irritations oculaires, conjonctivite, nettoyage des yeux et des paupières
    – Antifongique : candidose buccale
    – Astringent, adoucissant : hypersensibilité des peaux sèches, feu du rasoir, irritation du cuir chevelu, coup de soleil

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle se déroule à l’été (juin-juillet) par temps sec. On cueille les capitules à peine éclos.
  • Séchage : les capitules doivent être séchés rapidement. On prendra soin de bien les étaler et non de les entasser en couche épaisse, sans quoi cette proximité les fait fermenter. Une fois bien secs, on les conserve dans des boîtes hermétiques afin de les garder de la lumière et de l’humidité.
  • L’huile essentielle de matricaire ne présente pas d’inconvénient aux doses physiologiques normales. Seules les personnes potentiellement allergiques prendront l’initiative de faire un test cutané avant tout emploi étendu. On l’évitera aussi durant les trois premiers mois de grossesse. Enfin, attention à la matricaire (en usage phytothérapeutique) chez les sujets nerveux et sensibles : elle peut provoquer une excitation générale et de l’insomnie.
  • Associations : souhaite-t-on renforcer l’effet sudorifique de la matricaire lors d’une grippe, par exemple ? On fera intervenir tilleul, bouillon-blanc, sauge officinale, sureau. Recherche-t-on des effets stomachiques et carminatifs ? Menthe verte, menthe poivrée, carvi, anis, fenouil seront les parfaits alliés de la matricaire.
  • Soins capillaires : la décoction de capitules comme eau de rinçage sur les cheveux blonds permet d’obtenir des reflets dorés.
  • Insectifuge : les capitules de matricaire, placés dans de petits sachets de tissu comme on le fait de la lavande, font fuir les mites loin des placards et du linge de maison.
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    1. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 569
    2. Petit Albert, p. 405
    3. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 212
    4. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 100
    5. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 141

© Books of Dante – 2017

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