L’huile essentielle de badiane (Illicium verum)

Synonymes : anis étoilé, anis de Chine, étoile de Chine.

Il paraît que la badiane, originaire d’Asie, se trouvait cultivée en Égypte antique pour ses bienfaits médicinaux. Mais elle n’est pas connue pour avoir conquis le reste du monde dans la foulée. La plus ancienne mention qu’on fait d’elle en Europe ne remonte qu’en 1588. La badiane fut ramenée pour la première fois en Grande-Bretagne par le marchand anglais Thomas Cavendish, de retour des Philippines. Ce n’est qu’en 1601 que Charles de l’Écluse en donne une description, tentative fort hasardeuse, surtout lorsque d’une plante l’on ne décrit qu’un fragment, ici les carpelles soudés entre eux par un point axial, et qui s’ouvrent par une fente située sur le dessus, à travers laquelle on peut voir des graines (mais pas dans tous, certaines enveloppes restant vides). Ces semences lisses, luisantes et ovoïdes ne sont pas plus grosses qu’un haricot mungo. Avec aussi peu, comment imaginer l’allure générale de cette plante qui fabrique des fruits étoilés aussi étonnants ? Oui, comment savoir à quoi ressemble cet arbrisseau (?), arbuste (?), arbre (?) semper virens originaire des régions tropicales et subtropicales d’Asie (Vietnam septentrional et ex Cochinchine ; Inde ; Chine : régions montagneuses du Yunnan et du Tonkin). Le climat y est pour beaucoup dans la conformation de cet arbuste qui peut devenir un petit arbre d’une dizaine de mètres de hauteur (le chiffre de 18 m est parfois avancé). Il porte néanmoins un feuillage toujours vert, constitué de feuilles vert foncé, coriaces et luisantes, oblongues-lancéolées (15 cm de long sur guère plus de 3 à 4 de large). Quant à ses fleurs, si l’on n’y prend pas garde, on croirait être en face d’une petite cerise joufflue qui pend dans le vide au bout d’un assez bref pétiole qui peut, en effet, beaucoup rappeler les queues de cerise. Ne dérogeant pas à la règle des fleurs appartenant à la famille des Magnoliacées, ces fleurs développent, parait-il un suave parfum. Puis vient le fruit. Nul doute qu’il a dû susciter bien des observations et remarques, et pas moins de croyances et de légendes. Et l’attraction dont il a fait l’objet s’entend toujours au travers de son nom latin, illicium, qui signifie « appât » et par extension « séduction ». Cette étoile asiatique rencontra un fort succès, en particulier en Chine où, durant le règne de la dynastie Song (960-1279), la badiane, tant remède que parfum religieux, permettait de payer l’impôt : pour cela les provinces chinoises méridionales s’obligeaient à verser à l’empereur un tribut exprimé en piculs, unité de mesure traditionnelle équivalent, à peu près, à 60 kg.

On a donné à la badiane (du persan bādiān, « anis, fenouil ») le joli nom d’anis étoilé en raison de la forme par laquelle les graines de cet arbre asiatique s’organisent entre elles. Plus féminine que masculine, la badiane peut accompagner les rites de prospérité et de fertilité en favorisant les grossesses. Si elle intervient sur l’amour, elle peut également être employée pour favoriser la chance dans les jeux de hasard et les rêves prémonitoires. Et si l’on n’y parvient pas, une poignée de badianes glissée sous l’oreiller permet d’assurer un sommeil calme et paisible, ce qui n’est déjà pas si mal lorsque celui-ci se dérobe. Enfin, la badiane permet de dissoudre certaines nœuds énergétiques, de purifier une pièce et de se protéger du mauvais œil. Comme un ami me l’a appris depuis peu, on peut aussi broyer la badiane et la déposer sur un charbon ardent. Ce qui, m’a-t-il dit, était divin. Pour avoir testé, je suis bien de son avis.

La badiane de Chine en phyto-aromathérapie

Je choisis volontairement de lui attribuer le nom de badiane, qui se trouve être son nom d’origine (dans notre langue), non pas pour risquer la confusion avec l’anis vert (Pimpinella anisa), mais simplement pour rendre à César ce qui est à César, et afin de ne pas donner l’impression que l’une de ces huiles essentielles marcherait, non seulement dans les pas de l’autre, mais également sous son ombre. De plus, je crois que désigner une plante inconnue de nous par le nom d’une autre qu’on connaît bien, c’est déposséder cette plante de son identité première, c’est lui retirer le droit d’avoir existé avant l’apparition d’un quelconque colon. Par exemple, combien savent comment s’appelaient les Amériques avant que les Européens n’y impriment longuement leur marque ?
Concernant la badiane, ce sont donc les « fenouils à huit cornes » (bā jiǎo hui xiang, du mandarin bā jiǎo qui veut dire « octogone ») que l’on distille, généralement lorsqu’ils sont secs, d’aspect brun rougeâtre, et dont la saveur très aromatique, à douce odeur anisée, est plus fraîche que chaude (c’est d’ailleurs par l’adjectif « fraîche » qu’on qualifie habituellement cette épice).
Un pied de badianier offre, à pleine maturité, jusqu’à 40 kg (voire 60 parfois) de badianes, dont la distillation à la vapeur d’eau permet d’obtenir une importante quantité d’huile essentielle. Selon qu’elles sont sèches ou fraîches, l’on n’atteint pas le même niveau de rendement : les badianes fraîches se distillent en deux jours pour un rendement de 2 à 4 %, tandis que les sèches exigent davantage de temps (60 heures parfois), pour un rendement deux à quatre fois plus important (8 à 9 %). Malgré une durée de distillation relativement longue, la production d’huile essentielle par le badianier est telle qu’on peut s’autoriser à la céder à un tarif assez bon marché.
Liquide, mobile et fluide, cette huile essentielle est généralement incolore, voire jaune très pâle, parfois plus ou moins ambrée.
D’un point de vue de la composition biochimique, la faveur est accordée aux éthers, comme ces quelques chiffres permettent de s’en apercevoir :

  • Éthers : trans-anéthol (90 % en moyenne), cis-anéthol (0,35 % ; la réglementation de la pharmacopée européenne exige de ne jamais dépasser le seuil de 0,50 % concernant cette molécule), méthyl-chavicol ou estragol (0,30 %)
  • Monoterpènes : limonène (3,50 %), α-pinène (0,90 %)
  • Aldéhydes : anis-aldéhyde (0,20 %)

Note : cette huile essentielle ne contient pas de safrol.

Propriétés thérapeutiques

  • Apéritive, digestive, stomachique, carminative, antispasmodique du tractus gastro-intestinal : on use de la badiane « dans les cas où il y a lieu de provoquer simultanément une stimulation et une sédation de l’appareil digestif » (1)
  • Expectorante, mucolytique, régulatrice du rythme respiratoire
  • Tonique, stimulante, positivante
  • Anti-inflammatoire, antalgique
  • Emménagogue (?), œstrogen like, galactogène
  • Régulatrice du rythme cardiaque et de la circulation sanguine
  • Régulatrice du système nerveux, antispasmodique puissante
  • Tonique neuromusculaire
  • Antiseptique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, atonie digestive, digestion lente, indigestion, flatulence, gaz et fermentation intestinale, météorisme, ballonnement, aérophagie, aérocolie, spasmes gastro-intestinaux, contractions gastro-intestinales douloureuses, crampe d’estomac, gastralgie, entéralgie, entérocolite, dyspepsie, colique, nausée, vomissement d’origine nerveuse, éructation (2)
  • Troubles de la sphère respiratoire : encombrement des voies respiratoires, asthme, bronchite asthmatiforme, toux spasmodique
  • Troubles locomoteurs : fatigue musculaire et articulaire, contractions musculaires douloureuses, douleur dorsale, rhumatismes
  • Troubles de la sphère gynécologique : oligoménorrhée, favoriser la montée de lait chez la femme qui allaite, ménopause
  • Soins bucco-dentaires, douleurs dentaires

Modes d’emploi

  • Infusion de badiane.
  • Décoction de badiane.
  • Poudre de badiane absorbée dans un véhicule adapté.
  • Teinture alcoolique.
  • Huile essentielle : en interne, sur une brève période (trois jours consécutifs ; Valnet indiquait des précautions presque identiques au sujet, non pas de l’emploi de l’huile essentielle, mais de la simple badiane en phytothérapie) ; en externe : diluée, en application locale par le biais d’une huile végétale idoine. Diffusion atmosphérique. Olfaction.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Toxicité : bien plus puissante que l’anis vert, l’on dit de l’huile essentielle de badiane qu’elle est moins recommandable, alors qu’il suffit simplement de diviser les doses et de réduire le temps d’utilisation. A fortes doses, l’huile essentielle de badiane est stupéfiante au niveau du cerveau et de la moelle épinière, et elle peut causer des vomissements, des vertiges et des épisodes convulsifs. A propos de la toxicité d’Illicium verum, Fournier notait ceci dans son Dictionnaire : « elle détermine l’hypersécrétion des muqueuses, avec nausées et vomissements, nervosité, tremblement, ivresse, hématurie, perte de l’intelligence, congestion cérébrale et pulmonaire, convulsions épileptiformes, parfois même suivies de mort » (3). Par ailleurs, au-delà de cinq gouttes prises pures, l’huile essentielle de badiane serait neurotoxique et abortive ! Tout cela est-il bien sérieux ? Ne s’agit-il pas là du résultat d’une falsification avec ce que l’on appelle le faux badianier ou badianier du Japon (Illicium religiosum) ? La taxinomie binominale est très pratique, puisqu’elle permet, à un adjectif près, de distinguer telle plante d’une autre, et de ne pas prendre des vessies pour des lanternes. Mais qu’en est-il dès lors que deux plantes portent le même nom ? Ce fut le cas avec ces deux badianiers. Illicium verum et Illicium religiosum eurent tous deux comme synonyme Illicium anisatum ! A la seule différence, c’est que l’un (le verum) fut identifié par João de Loureiro (1717-1791), botaniste portugais qui connaissait tout de même un peu le badianier de Chine pour avoir commit une Flora cochinchinensis (1790). Et le second, (le religiosum), par Carl von Linné (1707-1778), quasi contemporain du précédent, qui, donnant l’adjectif « anisatum » au faux badianier ou badianier du Japon, a dû faire se fourvoyer bien du monde au XVIII ème siècle, et même après. Si l’Illicium est dit anisatum, c’est parce qu’il dégage un fort parfum anisé, ce qui n’est pas le cas d’Illicium religiosum dont le parfum est considéré comme plus proche de celui de la cardamome ou du laurier noble, à la saveur, non pas douce, mais très amère. C’est de lui dont il faut se méfier, son huile essentielle (bien évidemment interdite à la vente sur le territoire national) contenant, non pas du trans-anéthol, mais des lactones sesquiterpéniques toxiques telles que l’anisatine et la néoanisatine, présentes dans le shikimi, tel que les Japonais l’appellent, au côté d’une substance dérivant du nom de la plante, la sikimine, un mot apparemment tombé en désuétude, mais dont le corps qu’il recouvre était déjà signalé comme particulièrement toxique à la fin du XIX ème siècle (4). Comme si la toxicité de l’un avait fait de l’ombre à l’autre, l’huile essentielle de badiane de Chine fait partie, avec celles d’anis vert et de fenouil, du groupe des quelques huiles essentielles à délivrance spécifique, car « ces huiles essentielles pourraient être détournées de l’usage thérapeutique pour un emploi apéritif » (5). Injonction qui n’est pas toujours respectée, puisque après rapide enquête auprès de plusieurs vendeurs français, il s’avère que dans 15 % des cas, les huiles essentielles d’anis vert et de badiane sont disponibles à l’achat par quiconque, et celle de fenouil dans pas loin de 45 %. Ce qui veut dire que les préconisations, interdictions par voie de décrets ministériels ou autre, certains s’assoient dessus, mais ça, on le savait déjà. Après, il ne suffit pas d’interdire un produit : le consommateur, doué de raison, non infantilisé, devrait pouvoir se dire (ou qu’on lui dise tout gentiment) que l’huile essentielle de badiane est non recommandée chez les nourrissons et les enfants (qu’en feraient-ils ?), chez la femme enceinte, puisque œstrogen like (et donc carrément interdite en cas de mastose, d’hyperœstrogénie et d’antécédents de cancers hormono-dépendants). De toute façon, l’apéritif, ça n’est ni pas pour les enfants, encore moins pour les femmes enceintes. Et d’ailleurs, puisque nous y (re)venons…
  • Sachons que la badiane « entre dans la composition de liqueurs digestives et apéritives, aussi diverses qu’universelles » (6). Diverses dans l’unité de ton ? Je ne crois pas, si l’on doit considérer les anisettes, pastis, raki et autre ouzo, qui n’ont, bien évidemment, rien d’universel et tant mieux, tant ces boissons sont des pis-allers du plus mauvais effet : le « pastaga », outre l’extrême vulgarité qui le nimbe, est l’une des pires boissons qui se puisse trouver dans ce domaine. Non seulement son pH est trop élevé, mais sa résistivité l’est tout également. Selon la bio-électronique, c’est une « boisson très mauvaise, à rejeter » (7). Il est plus profitable d’employer la badiane pour réaliser un hypocras, ou bien pour parfumer le thé et le café, comme cela se fait en Asie. En tant qu’épice, elle est très appréciable en confiserie et en pâtisserie, et son rôle condimentaire lui vaut une place dans l’élaboration de certaines poudres d’épices comme le colombo et le « cinq épices » (badiane, poivre de Sichuan, fenouil, cannelle et clou de girofle). De même, elle participe à l’assaisonnement des viandes, poissons et autres dimsum.
  • Enfin, la badiane, sous sa forme d’huile essentielle, fait aussi le délice du parfumeur, pouvant se trouver en note de tête dans la composition de parfums dits chyprés, fougères, etc.
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    1. Henri Leclerc, Les épices, pp. 103-104.
    2. « La médecine chinoise lui attribue une saveur piquante, qui tiédit l’organisme et harmonie l’énergie de l’Estomac. En règle générale, elle régularise le Qi et chasse le froid. C’est pourquoi les Chinois, qui la connaissent bien, la préconisent pour soigner les troubles digestifs dus à un excès de Froid dans l’Estomac » (Philippe Maslo & Marie Borrel, Guérir par la médecine chinoise, pp. 176-177).
    3. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 140.
    4. Cette plante « doit son nom au rôle qu’elle joue dans les cérémonies funèbres : c’est le shikimi qu’on plante devant les tombes dans des vases en bambou et qu’on plaçait autrefois devant les nobles Japonais qui se suicidaient par le procédé cérémonial du hara-kiri » (Henri Leclerc, Les épices, p. 104).
    5. Fabienne Millet, Le guide Marabout des huiles essentielles, p. 38.
    6. P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 30.
    7. Roger Castell, La bioélectronique Vincent, p. 90.

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