Le groseillier rouge (Ribes rubrum) et le groseillier à maquereau (Ribes uva-crispa)

Groseilles à maquereau

Vous êtes un fervent lecteur de Dioscoride et cela fait déjà un bon bout de temps que vous (re)lisez de long en large, et même en travers, les six livres de la Materia medica afin de prendre connaissance du docte avis que ce médecin grec du Ier siècle après J.-C. avait au sujet des groseilles ? Ne cherchez plus. Ne vous égarez pas davantage dans ces antiques dédales. N’allez même pas questionner Hippocrate, Paul d’Egine, Pline, le pseudo-Apulée, Galien, Aëtius, ou même encore un agronome comme Columelle ou un cuisinier comme Apicius. Cela ne servirait de rien, vous leur feriez perdre leur temps et vous le vôtre. Pourquoi ? Parce que, aussi époustouflant que cela puisse être, les Grecs et les Romains n’avaient aucune connaissance de l’existence du groseillier ! Vu l’étendue des empires grec et romain, cela en bouche un coin. Cela signifie donc que le groseillier coulait des jours heureux loin de ces envahisseurs montant toujours plus au nord pour mettre bon ordre au sein de cette barbarie : chez les Grecs et les Romains, le mot « barbare » ne reflète pas forcément leur mépris, il désigne les gens qui ne sont ni Grecs ni Romains, ceux qui sont au-delà de leur sphère plus ou moins civilisée. Ça en fait, du monde ! Revenons-en à nos barbaresques groseilles. Mais attention, parce que pour les Romains, il y a aussi les barbares du sud (Carthage et compagnie). Il n’en faudrait pas déduire que le groseillier est de provenance méditerranéenne, comme certains l’ont cru, voyant dans le ribes des Arabes l’ancêtre d’un arbrisseau aussi septentrional que ne l’est pas Syracuse, ville sicilienne baignée et dorée de soleil. L’aire d’origine du groseillier représente une langue de terre allant de la Grande-Bretagne au Kamtchatka en passant par la Sibérie, tous lieux considérés, en principe, comme n’étant pas la destination privilégiée des frileux. Alors pourquoi Marie Stuart, après son mariage avec François II, aurait dit que la gelée de groseille est pareille à « un rayon de soleil dans un pot » ? Tout d’abord, sachons que bien avant cette limpide allocution, le groseillier n’a pas encore atteint les portes de Reims. A la fin du XII ème siècle, l’on apprend que le groselier porte des groseles. C’est peut-être l’une des plus anciennes mentions de cette plante en (très) vieux français, qui n’est pas née, pouf, comme ça ! de la cuisse de Jupiter. Ce mot, grosele, proviendrait du francique krusil, lui-même dérivé d’un adjectif, krus, qui veut dire crépu. C’est, bien évidemment, une référence à la groseille à maquereau dont l’actuel adjectif, crispa marque encore cette caractéristique botanique que ne partage pas la groseille rouge : en effet, la groseille à maquereau ressemble à un gros raisin velu et hirsute. D’après Fournier, le nom de genre, Ribes, proviendrait du suédois rips et du danois ribs, termes « transformés » en Ribes par J. Thal en 1588. On est plutôt dans le nordique, là, non ? Même l’allemand s’y met : est expliqué que le nom même de groseillier proviendrait de krauselbeere. Après que Rutebeuf lui ai ajouté un « L » (groiselle) et que François Villon se soit plaint d’elle comme si elle incarnait un des tourments de l’amour, nous voyons les groseilles, tant rouges et à maquereau, être cultivées dès le XVI ème siècle, bien qu’avant cela l’on trouve nomination du groseillier rouge en 1480 (Herbarium de Mayence) et sa figuration dix ans plus tard (Bréviaire Grimani), et, enfin, du groseillier à maquereau dans le De natura stirpium de Jean de la Ruelle daté de 1536. Dans ces conditions, c’est surtout, semble-t-il, l’aspect culinaire de la groseille qui prime, bien qu’on trouve dans le Grand Albert une recette à base de feuilles de groseillier censée lutter contre les piqûres de serpents venimeux (vieille rengaine : je crois bien que durant l’Antiquité et le Moyen-Âge, toutes les plantes y sont passées…). Mieux que ça, et bien avant les premiers balbutiements de divers auteurs au sujet des propriétés thérapeutiques des groseilles, nous voyons naître la gelée de groseille au XIV ème siècle, dont Bar-le-Duc est la capitale. Cette ville a pu s’enorgueillir longtemps de la gelée de groseille « à la plume d’oie », instrument permettant d’épépiner les groseilles. Pendant des générations, de mère en fille, dès l’âge de six ans, l’on devenait épépineuse de groseilles, un travail manuel long, méticuleux, fastidieux, à raison de 2 à 4,5 kg de groseilles par jour. Lorsque de folles nations entrèrent en guerre il y a un peu plus d’un siècle, l’on comptait encore 3000 de ces épépineuses à Bar-le-Duc contre seulement cinq 75 ans plus tard. Aujourd’hui, je pense qu’on peut les ranger sous l’étiquette « métiers d’autrefois ».

A peu près à la même époque où la culture en grand de nos deux groseilliers est instaurée, apparaissent les premiers écrits concernant leurs propriétés médicinales. Du groseillier rouge, Jean Daléchamps écrit qu’il « est bon aux fièvres ardentes ; il refroidit l’estomac trop échauffé, étanche la soif, apaise le vomissement et ôte l’envie de dormir, il fait revenir l’appétit perdu. Il sert aux cœliaques et lientériques et à ceux qui ont des défluxions bilieuses. Il apaise l’ardeur du sang et dompte l’acrimonie de la bile et sa fureur. » En 1578, dans Le jardin médicinal, Antoine Mizauld aborde le groseillier à maquereau et en fait un portrait assez équivalent à celui de Daléchamps : cette groseille, encore verte, est particulièrement astringente et mûre offre la possibilité rafraîchissante d’apaiser non seulement la soif mais également les chaleurs internes au corps. Indiquée dans les flux de ventre (colique, dysenterie), elle fait aussi merveille sur les vomissements et les flux menstruels. Bien mûres, ces groseilles conviennent aux constipés (constipation de la femme enceinte par exemple), « réveillent doucement le péristaltisme intestinal et lénifient les muqueuses à la manière d’un salutaire émollient » (1).

Ces deux groseilliers sont de petits arbrisseaux dont la taille oscille entre 60 et 150 cm. Écorce brune pour le groseillier rouge, elle est grisâtre et épineuse chez le groseillier à maquereau. Leur feuillage caduque forme des feuilles trilobées, assez semblables à de petites feuilles de vigne, dentées, crénelées, vert clair sur la face supérieure, vert blanchâtre au-dessous. Plus précoce, le groseillier à maquereau fleurit dès le mois de mars, alors que le rouge patiente jusqu’en avril pour cela. Contrairement aux fleurs vert jaunâtre massées en grappes du groseillier rouge, le groseillier à maquereau développe des fleurs isolées par paquet de deux ou trois à l’aisselle des feuilles. Ainsi, le groseillier rouge produit des grappes pendantes de baies plus ou moins fournies aux environs du mois de juillet, alors que, un mois plus tôt, le groseillier à maquereau s’orne de gros fruits de pas loin de 5 cm dans les variétés les plus monumentales.
A l’état sauvage, ces deux arbustes se rencontrent assez fréquemment, bien que moins souvent qu’autrefois. L’on note leur présence dans les haies, les buissons, les rocailles, les bois clairs, à l’exception de la région méditerranéenne.

Les groseilliers en phytothérapie

Que le groseillier noir, alias cassis, n’éclipse pas les groseilliers rouges et à maquereau ! Si le premier est rapidement tombé dans le domaine ecclésiastique (rappelons-nous du chanoine Kir et, avant lui, de l’abbé Bailly de Montaran), les groseilles passeraient davantage pour de petits diables crépus. Le cassis réserve son feuillage à la phytothérapie et ses fruits aux plaisirs de la bouche surtout. Chez les groseilles, c’est un peu l’inverse, des feuilles l’on ne s’en soucie qu’à peine, se préoccupant presque exclusivement de ces fruits en grappes pendantes ou isolés par duo ou trio, qui ont autant de valeur culinaire que médicinale. Il est vrai qu’on aurait pu associer cassis et groseillier rouge du fait d’une morphologie assez semblable et mettre de côté le groseillier à maquereau. Mais, malgré leurs dissemblances physiques, ces deux groseilliers ont bien des choses en commun, à commencer par leur composition biochimique.

  • : Dextrose et lévulose. Les groseilles ne contiennent pas de saccharose.
    ** : Malique, citrique et tartrique.
    *** : Potassium, calcium, brome, fer, phosphore, etc.

Ces deux espèces ont aussi en commun du tanin, une gomme, des vitamines (A, B, C), etc.

Propriétés thérapeutiques

  • Communes aux deux espèces : apéritives, digestives, laxatives, diurétiques, dépuratives sanguines, rafraîchissantes, anti-oxydantes
  • Propres à la groseille rouge : tonique, hémostatique, sudorifique
  • Propres à la groseille à maquereau : reminéralisante, décongestionnante hépatique

Usages thérapeutiques

  • Communs aux deux espèces : troubles de la sphère gastro-intestinale (inflammations gastro-intestinales chroniques, inappétence, constipation, gastrite, entérite), troubles de la sphère vésico-rénale (inflammation des voies urinaires, rhumatismes, goutte), obstruction des viscères abdominaux, fièvre inflammatoire, angine, scorbut, purpurea hémorragique, affections cutanées rebelles
  • Propres à la groseille rouge : troubles de la sphère hépatique (jaunisse, insuffisance, congestion et engorgement du foie ), affections cutanées (coupure, blessure, brûlure**, dartre), troubles de la sphère gastro-intestinale (diarrhée, dyspepsie), hydropisie, lithiase urinaire
  • Propres à la groseille à maquereau : déminéralisation, anémie
  • : Concernent les feuilles.
    ** : A défaut d’huile essentielle de lavande fine ou aspic, voici ce que propose Cazin en cas de brûlure : « La gelée de groseille, appliquée immédiatement après une brûlure du premier ou du second degré, apaise la douleur, prévient l’inflammation et le développement des phlyctènes » (2).

Note : selon la bio-électronique Vincent, « les fruits acides et réducteurs sont utiles pour entretenir la santé » (3). Cela tombe bien car la groseille (bio, bien entendu) possède un pH de 3,5 et un indice réducteur particulièrement intéressant. Cela fait d’elle un excellent fruit rééquilibrant.

Modes d’emploi

  • Avec les deux espèces, l’on peut procéder comme suit : gelée, sirop, suc frais, jus pur ou étendu d’eau.
  • Les feuilles du groseillier rouge se prêtent à décoction et cataplasme.
  • Enfin, les groseilles, qu’elles soient rouges ou à maquereau, peuvent se sécher, puis on les émiette afin d’en préparer une infusion aqueuse.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Les groseilles, quelles qu’elles soient, sont susceptibles de perturber la digestion des personnes affaiblies et/ou délicates.
  • La culture a développé de nombreux cultivars de groseilliers. Chez le groseillier à maquereau, nous voyons les fruits arborer différents coloris (doré, vert foncé, rouge vineux, brun roussâtre), de même que chez le groseillier rouge qui ne l’est pas toujours, car certaines de ces groseilles sont de couleur blanche, d’autres champagne.
  • Les groseilles rouges contiennent un pigment qui teint la laine non pas en rouge mais en jaune. Sacrées farceuses, va !
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    1. Henri Leclerc, Les fruits de France, p. 44.
    2. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 464.
    3. Roger Castell, La bio-électronique Vincent, p. 99.

© Books of Dante – 2018

Fleurs de groseillier rouge