Le fragon petit houx (Ruscus aculeatus)

fragon

Synonymes : petit houx, faux houx, houx frelon, houx bâtard, fragon épineux, fragon piquant, buis sauvage, buis piquant, myrte épineux, myrte sauvage des Anciens, épine de rat, fisse-larron, brusc bruc, housson, plante des jambes légères, etc.

Comme nous le voyons par la liste ci-dessus, on n’a pas chômé pour attribuer au fragon une multitude de noms vernaculaires. Notons au passage que l’épine de rat se retrouve dans le nom allemand de la plante, maüsedorn (= épine de souris). Quant à l’anglais, il l’affuble d’un très surprenant butcher’s broom (= balai de boucher. Pour en comprendre la signification, rendez-vous ICI) ! En italien, il est plus proche du nom latin du fragon, avec son bruscolo. Fournier nous explique que « ruscus était déjà le nom latin de ces plantes dans l’Antiquité. Quant à fragon qui apparaît au XII ème siècle sous la forme fregon, il dérive de ruscus, souvent transformé postérieurement en bruscus, d’où frisgones dans les glossaires du Moyen-Âge » (1). Une hypothèse faisant remonter le mot fragon au celte existe également : frisgo ou frisco, qui semble signifier « houx ».

Dioscoride avait déjà relaté les vertus diurétiques du fragon et son action dissolutive sur les lithiases urinaires. Il le disait aussi bon pour provoquer les règles. Il procédait à des macérations vineuses de baies et de « feuilles » (nous verrons plus loin pourquoi je mets ce mot entre guillemets), ainsi qu’à des décoctions de racines. Il relève aussi l’emploi culinaire des jeunes pousses. Pline, qui n’en dit pas davantage, l’appelle myrte épineux (on se demande bien où il est allé chercher ça…).
Au Moyen-Âge, les médecins arabes « semblent avoir de bonne heure utilisé ces mêmes propriétés, car la plante figure dans les plus vieilles listes de simples recueillies par les incunables » (2). Mais c’est bien peu de chose. En revanche, du milieu du XVI ème siècle jusqu’au début du XVIII ème siècle, on s’applique à en poursuivre le portrait thérapeutique. En 1554, Matthiole conforte Dioscoride en reprécisant les propriétés diurétiques du fragon. Mais nous restons là dans le domaine du raisonnable, contrairement à ce qui va maintenant suivre. Le petit houx « fut, de la part des médecins de [l’école de médecine] de Montpellier, l’objet d’éloges où l’on discerne difficilement la part de la légende et celle de la réalité. C’est ainsi que Lazare Rivière raconte qu’un mendiant, atteint depuis trois ans d’une volumineuse ascite, fut guéri après avoir pris, sur le conseil d’une bonne femme de la campagne, une décoction de petit houx pendant un mois. Barthélemy Chabrol, affirme avoir vu une ascitique qui, après avoir copieusement usé de la racine de petit houx, rendit sans interruption par la vulve environ 80 livres de sérosité [soit environ 40 kg !]. Non moins merveilleux est le cas cité par Jean Bauhin : c’est celui d’une tisserand des environs de Montbéliard dont l’hydropisie avait envahi les pieds et l’abdomen et dont le scrotum avait atteint le volume d’une tête d’enfant : une décoction de petit houx et de fenouil le délivra si bien qu’il put venir à pied exprimer sa reconnaissance à Bauhin » (3). Alors ? Fantasme ou réalité ? Tout ceci semble époustouflant et grandiose, tandis qu’un peu plus tard, Pitton de Tournefort, plus sage, évoquera les pouvoirs du petit houx « propres à emporter les obstructions des viscères et à faire passer les urines ». Si le petit houx est si efficace que ça, comment expliquer que, par la suite (XVIII ème – XIX ème siècles), on n’en entende plus parler ? En tout cas, la médecine populaire continuera à en faire un large usage, le fragon étant l’une des plantes très communément recommandées contre la goutte, les œdèmes, les calculs, les maladies des voies urinaires, les engorgements viscéraux, l’ictère et, chose peu fréquemment dite, la carence en fer. Là encore, j’ignore en quoi cela peut être une réalité. En revanche, cet élément entre en parfaite résonance avec le statut de plante de Mars qu’on a attribué au fragon selon l’astrologie médicale. En effet, le métal associé à Mars est bien le fer. Quelles autres signatures la plante offre-t-elle permettant d’asseoir ce statut de plante martienne ? Les plantes de Mars sont réputées pour leurs racines médicinales, voilà qui tombe bien car seul le rhizome du fragon présente un intérêt thérapeutique. Des racines, donc. Rubéfiantes, qui plus est. A ma connaissance, celles du fragon ne le sont pas. Les plantes de Mars sont aussi des plantes épineuses. Là, c’est mieux. On appelle le fragon myrte épineux, et ce n’est pas pour rien. Il est ligneux, coriace, robuste, piquant, tout à fait typique de Mars. Poursuivons. Une plante de Mars est remarquable par l’âcreté de son bulbe. S’il n’est pas ici question de bulbe mais de rhizome, celui-ci est bel et bien âcre. Le fragon expose également d’évidentes signatures visuelles : des « feuilles » en forme de fer de lance et des baies rouge écarlate rappelant bien évidemment Mars. En dehors de cela, on peut dire sans l’ombre d’un doute que le fragon entretient une réelle relation avec le sang, en particulier avec sa circulation. L’intrépidité et la témérité de Mars, la planète rouge, y sont-elles pour quelque chose ?

Arbrisseau semper virens, le fragon est présent sur trois continents (Afrique du Nord, Asie, Europe). En France, il est surtout localisé au sud et à l’ouest, et çà et là dans le centre (forêt de Fontainebleau, par exemple), appréciant les stations sèches et plutôt calcaires bordant l’Océan atlantique et la Mer méditerranée. Il habite les bois et les coteaux arides, les haies, parfois les falaises maritimes. Un rhizome trapu de couleur gris jaunâtre porte un faisceau de tiges vertes formant un ensemble de 20 à 70 cm de hauteur. Chaque tige porte des cladodes de 2 à 3 cm de longueur qui s’apparentent à des feuilles, mais qui n’en sont pas : il s’agit de rameaux aplatis en forme de feuille, ovales et terminés par une pointe aiguë. Quant aux feuilles, les vraies, sous forme d’écaille, elles sont à peine visibles. Sur la face supérieure de ces cladodes, on trouve entre septembre et avril, de petits fleurs étoilées de 4 à 5 mm et dont la couleur varie du verdâtre au violet. Chacune d’elles est composée de six pièces florales (trois grandes et trois petites) dont on ne sait s’il s’agit de sépales ou de pétales. Aussi les appelle-t-on tépales. Des baies rouges d’1 cm de diamètre apparaissent ensuite.
Joliment décoratif, le fragon petit houx, par son vert sapin et son rouge écarlate, exprime à merveille les couleurs de Noël.

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Le fragon en phytothérapie

Les baies, cladodes et racines du fragon ont quelquefois été employés, mais la partie médicinale majeure du fragon réside dans son rhizome de saveur âcre et un peu amère. Il contient avant tout des saponosides (donnant ruscogénine et néoruscogénine), des stérols, des flavonoïdes, du benzofurane, une résine, une essence aromatique, enfin du potassium et du calcium.

Propriétés thérapeutiques

  • Veinotonique, vasoconstricteur veineux (le plus puissant connu à ce jour, bien davantage que le marronnier d’Inde), préventif des thromboses, antihémorroïdaire, anti-inflammatoire veineux
  • Anti-œdémateux, sudorifique, diurétique éliminateur de l’acide urique
  • Fébrifuge léger (concerne les cladodes)
  • Apéritif
  • Tonique cutané, émollient

Usages thérapeutiques

  • Prévention et traitement des troubles veineux fonctionnels des membres inférieurs : insuffisance veineuse (gonflement, démangeaisons, jambes lourdes, crampe nocturne du mollet), varice, œdème, hémorroïdes, engelure, impatience nocturne, séquelle de phlébite
  • Hypotension orthostatique (chute de tension brutale lorsqu’on se lève)
  • Douleurs prémenstruelles, affections utérines, troubles de la ménopause
  • Lithiases urinaire et rénale, oligurie, urémie, goutte, arthrite
  • Adénite
  • Ictère
  • Atténuation des cernes
  • Engorgements viscéraux atoniques
  • Ulcères cutanés

Modes d’emploi

  • Décoction de rhizome
  • Infusion de racines
  • Infusion de cladodes (4)
  • Sirop des cinq racines (c’est-à-dire les cinq racines dites apéritives : ache, persil, fenouil, asperge et fragon, lequel dernier est tout de même minoritaire dans cette préparation. Il existe un autre mélange portant le même nom, mais il ne contient pas de fragon : chiendent, fraisier, guimauve, réglisse, asperge)
  • Crèmes et pommades (dans le commerce : contre les poches sous les yeux et les cernes)
  • Suppositoires (dans le commerce : contre les hémorroïdes)

Précautions d’emploi, contre-indications, autres usages

  • Le fragon peut s’associer à d’autres plantes aux propriétés veinotoniques telles que le cyprès toujours vert, la vigne rouge et le marronnier d’Inde.
  • La récolte des rhizomes s’effectue en deux périodes : à l’automne et aux mois de février/mars.
  • Le fragon est comestible, plus particulièrement ses jeunes pousses qui sont excellentes en guise d’asperges consommées en salade ou dans une omelette par exemple. Dans cette optique, on les récoltera au printemps (mars-mai). Elles sont aisément repérables : toutes jeunes, elles sont de couleur violette et cassent comme du verre. Quant aux baies, de saveur douceâtre, elles ne se prêtent pas à un usage alimentaire de par la présence de saponine qui les rend impropres à la consommation, bien qu’on ne puisse pas véritablement les qualifier de toxiques. En revanche, les semences contenues dans ces baies ont été torréfiées puis pulvérisées au XVIII ème siècle afin d’en constituer un ersatz de café. Il l’était par la couleur, mais l’histoire ne se souvient pas si cela avait bon goût.
  • Un taux de 5 à 6 % de saponine dans les rhizomes pourrait faire du fragon une plante « lavante ».
  • Autres espèces : Ruscus hypoglossum, Ruscus hypophyllum, etc.
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    1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 412
    2. Ibidem
    3. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 46
    4. « Les feuilles donnent une tisane fébrifuge qui réussit parfois là où a échoué la quinine » (Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 413)

© Books of Dante – 2016

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