La piloselle épervière (Hieracium pilosella)

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Synonymes : oreille de souris, oreille de rat, veluette.

Quand, il y a longtemps déjà, nous avions abordé la chélidoine, il a été dit que – trait caractéristique de l’Antiquité – elle portait le nom d’herbe d’hirondelle, parce que, disait-on, cet oiseau guérissait ses petits de leurs affections oculaires à l’aide du suc de chélidoine. Ici, les choses se présentent de manière analogue avec la piloselle, puisqu’une légende plus tardive (elle est médiévale) prétend qu’un autre oiseau, l’épervier (ou le faucon), se nourrirait de suc de piloselle afin de perfectionner sa vue. Hierakon, dans lequel on devine le nom latin de la piloselle, Hieracium, était déjà le nom grec de plusieurs Chicoracées, mais il contient aussi Hierax, « faucon » ou « épervier ». On a donc donné à la piloselle ce nom d’Hieracium, « sans que l’on aperçoive d’explication en dehors de légendes populaires » (1). S’il est difficile d’expliquer le rôle du rapace, au moins savons-nous que la piloselle a bien quelques rapports avec la vue. Le choix du faucon n’est peut-être pas si anodin tant on sait à quel point cet oiseau possède une vue perçante. Tout ceci nous a brièvement rattaché à l’Antiquité, mais à cette lointaine époque, il n’est nullement question de piloselle, elle n’est mentionnée par aucun des anciens auteurs antiques : ça n’est qu’au XII ème siècle qu’on la rencontre pour la première fois, consignée par la main de cette grande dame que fut Hildegarde. Elle lui attribue le nom de Musore qui me fait étrangement penser à la manière dont les Anglais la nomment : Mouse Ear. Musore semble contenir le mot Maus, « souris » en allemand (de toute façon, de l’allemand à l’anglais, l’on sait qu’il existe bien des filiations). Bref. Hildegarde nous explique que la piloselle, alias oreille de souris, permet de diminuer les humeurs mauvaises accumulées dans le corps. Sans doute fait-elle référence aux effets diurétiques et dépuratifs de la piloselle, chassant chlorures, urée et autres toxines en dehors de l’organisme. Ensuite, Hildegarde mentionne que la piloselle réconforte le cœur, et je résiste à l’idée que certains se font à ce sujet : affirmer qu’elle serait cardiotonique. Enfin, elle nous transmet une recette mêlant fenouil, galanga, dictame et piloselle : « Cette préparation conserve en bonne santé celui qui l’est déjà et réconforte celui qui est affaibli ; elle facilite la digestion et donne des forces ; elle donne au visage une belle et bonne coloration » (2).
Le nom même de la piloselle émane du Moyen-Âge tardif, et provient de ce que, comme le souligne Gaspard Bauhin (1560-1624), la piloselle est copieusement poilue. Elle est décrite dans l’Hortus sanitatis de 1485 et dans l’Herbarius de 1536. Puis, les principaux auteurs du XVI ème siècle s’emparent d’elle : Tragus (jaunisse, hydropisie), Tabernaemontanus (hémorragies), Matthias de Lobel (lithiase rénale), Matthiole, bien sûr, qui la dit astringente, réfrigérante et desséchante. En 1554, il écrit que « les médecins ont appris qu’elle constitue un remède à la dysenterie et à la métrorragie. De plus, macérée dans du vin un peu âpre, elle amène les plaies, tant internes qu’externes, à se fermer : elle est d’un grand secours contre les vomissements de bile, les crachements de sang, les entérites, les hernies intestinales et toutes les fractures, surtout du crâne. Il ne manque même pas de médecins, surtout contemporains, qui la recommandent dans les affections du foie et de la rate et dans les débuts d’hydropisie. On l’ajoute utilement aux boissons dans des cas de plaies internes et aux emplâtres et baumes vulnéraires, car, non seulement elle cicatrise les blessures récentes, mais elle guérit aussi les ulcères rebelles ».
Au-delà, c’est le trou noir. Il faudra attendre le Dictionnaire de Trévoux, rédigé entre 1704 et 1771, pour retrouver la piloselle. Il y est dit que « la piloselle est vulnéraire et détersive » et que l’on « se sert de son extrait pour les ulcères ». Elle est aussi recommandée en cas de jaunisse et d’hydropisie. Mais tout ceci est fort maigre. Cela n’est qu’au XIX ème siècle que la piloselle connaîtra un regain d’intérêt, bien qu’entre temps la médecine populaire ne l’ait jamais abandonnée. Sa vertu astringente était alors conviée dans les hémorragies passives, les hémorragies utérines et nasales, les diarrhées chroniques, les ulcérations internes. Elle fit partie de la pharmacopée empirique des paysans landais qui éprouvaient la propriété diurétique de la piloselle (urémie). Oui, « les campagnards, qui n’abandonnent pas aussi facilement que les hommes de science les traditions populaires, la mettent encore en usage », constate Cazin dans les années 1850 (3), ayant plusieurs fois assisté, en tant que spectateur, à l’usage qu’en faisaient les paysans du Calaisis contre les lithiases rénales, alors que, dans le même temps, des « hommes de science » se penchaient sur la piloselle et se concentraient sur ce qui ne fait pas sa spécificité. Mais n’ayons crainte, la piloselle aura sa revanche, mais devra patienter jusqu’au XX ème siècle, tout d’abord avec le Dr Leclerc qui déclare en 1922 que la piloselle possède une action uropoïétique prononcée, tandis qu’elle permet d’abaisser le taux d’urée sanguine. Elle est par ailleurs particulièrement efficace dans les divers troubles azotémiques que sont l’insomnie, les nausées, les céphalées, la dyspnée, etc. En évacuant non seulement l’urée, les chlorures mais encore les corps azotés de l’organisme, elle est un efficace adjuvant de la grippe. Enfin, en 1946, Guérin démontre qu’une décoction de piloselle vient à bout de la fièvre de Malte (ou mélitococcie), une maladie infectieuse provoquée par une bactérie, Brucella melitensis, qui, si elle touche déjà les animaux, est transmissible à l’homme.

La piloselle est une petite plante vivace (10 à 15 cm de hauteur le plus souvent, parfois 30 à 50 cm, mais plus rarement). Ses feuilles oblongues, à longs poils blancs au-dessus et duveteuses au-dessous, s’organisent en rosette radicale, caractéristique courante chez de nombreuses plantes, par exemple la primevère. Du centre de la rosette émergent des stolons rampants et feuillus qui s’enracinent de loin en loin et se séparent de la plante mère une fois acquise leur autonomie. Tels de petits pissenlits, les pédoncules gagnent les hauteurs et coiffent leur chef d’un capitule de fleurs jaune soufre entre les mois de mai à septembre. Après floraison, apparaissent des fruits noirs et allongés, surmontés d’une aigrette rayonnante, qui se déplacent par voie aérienne de la même manière que les petits parachutes du pissenlit.
Partout en France, la piloselle reste très commune, à l’exception de la région méditerranéenne, chose d’autant plus surprenante qu’elle est rare dans les lieux où sévit la brucellose dont nous avons parlé qui, elle, est typiquement méditerranéenne. La perle n’est pas toujours à côté du dragon.
Espèce de plaine, la piloselle aime à gagner les sommets : 3000 m d’altitude, c’est sa limite, et apprécie les sols secs et pauvres : lisières de forêts, bords de chemins, prés secs, terres incultes, talus, pieds des vieux murs, dunes… Tout, à peu près, lui réussit, les terrains tant calcaires que siliceux, sans doute parce que la piloselle est une combattante, chose que sa petite taille ne laisse pas augurer. Mais attention, elle est féroce. Il a été observé que les colonies de piloselles se déployaient en cercles concentriques. A l’approche de la piloselle, le millepertuis, le lin, le blé, l’achillée millefeuille perdent du terrain et deviennent chétifs, alors que le thym, le serpolet et le radis lui résistent. Cette agressivité envers d’autres plantes s’explique par la sécrétion de substances allélopathiques par voie racinaire (4). On appelle cela la télétoxie. Mais, parallèlement à cela, on observe un second phénomène : les sécrétions racinaires toxiques de la piloselle saturent le terrain porteur et le centre de la colonie se dénude et se dégarnit : les membres originaux de la colonie périssent ! De télétoxie, on passe à l’autotoxie, du sadisme au masochisme ! Le cercle vidé de ses occupantes et sa couronne toujours verte forment ce que l’on appelle des cuvettes à piloselles, chose qui n’est pas sans évoquer les ronds de sorcières et que l’on n’a jamais consignée comme tel. Cependant, tout n’est pas perdu pour la piloselle : après lessivage du sol par d’abondantes précipitations, de nouvelles piloselles s’y installent derechef. Peut-être devrait-on faire de la piloselle un remède contre la calvitie coronale. Pourquoi pas après tout, sait-on jamais… ^_^
Une guerrière qui se fait hara-kiri, il doit bien y avoir une raison, bien que je ne vois pas laquelle, les arcanes du monde végétal étant si impénétrables… En tout cas, la piloselle porte haut les armes et, chose qui me conforte dans la nature martienne de la piloselle, ces quelques lignes que l’on doit à Olivier de Serres : « le jus de cette plante est employé à la composition d’une trempe pour épées et couteaux, si excellente que les instruments qui en sont préparés, coupent le fer comme du bois, tant il est efficace ».

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La piloselle épervière en phytothérapie

C’est une plante médicinale dont toutes les parties peuvent être soumises à une pratique phytothérapeutique, mais il convient de l’employer fraîche car une fois sèche, elle est presque entièrement dénuée de propriétés. La racine, comme beaucoup d’Astéracées, contient de l’inuline, les parties aériennes une grande quantité de tanin, un principe amer, des flavonoïdes, du mucilage, une coumarine (ombelliférone), divers acides (caféique, chlorogénique), enfin une forte proportion de manganèse. De même que le pissenlit, quand on coupe une tige de piloselle, un latex blanc se répand aussitôt. C’est peut-être la seule fraction de la piloselle que l’on emploie à l’état sec.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique énergique éliminatrice de l’urée et des chlorures, dépurative
  • Astringente, vulnéraire, détersive, cicatrisante
  • Anti-infectieuse : antifongique, antibactérienne (sur Brucella melitensis et Brucella abortus)
  • Apéritive, cholagogue, cholérétique
  • Anti-œdémateuse
  • Hypocholestérolémiante
  • Stimulante

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésicale et rénale : excès d’urée sanguine, oligurie, néphrite, lithiase rénale, albuminurie, goutte
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : catarrhe intestinal chronique, diarrhée, dysenterie, inappétence (mâchée, la racine augmente les sécrétions salivaires)
  • Troubles de la sphère respiratoire : maux de gorge, congestion pulmonaire, asthme, coqueluche, bronchite, difficultés respiratoires (dyspnée)
  • Œdèmes et rétention d’eau : ascite, œdème des cardiaques, œdème des membres inférieurs
  • Grippe : bien que la piloselle ne soit pas un spécifique de la grippe, elle en est le précieux auxiliaire, « elle se recommande dans tous les cas, fort nombreux, où il convient d’exonérer l’organisme de ses déchets » (5)
  • Troubles de la sphère cardio-circulatoire : artériosclérose, hypertrophie du cœur
  • Affections cutanées : plaie, plaie ancienne, blessure, ulcère, furoncle, mycose unguéale
  • Hémorragies : saignement de nez, métrorragie, plaie interne
  • Asthénie, fatigue générale
  • Fièvre de Malte (brucellose)
  • Inflammation oculaire, faiblesse de la vue

Modes d’emploi

  • Infusion de parties aériennes
  • Décoction de parties aériennes
  • Teinture-mère
  • Onguent
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : peu avant floraison, ce qui, selon les régions, concerne les mois de mai à juillet.
  • Toxicité : la piloselle en est dénuée ; de plus, elle n’est ni irritante, ni nocive pour les voies digestives, il est donc loisible d’en faire de longues cures sans crainte. Cependant, les personnes sujettes à de l’hypotension se garderont de la piloselle.
  • Association : la piloselle peut être conseillée avec d’autres plantes diurétiques telles que le thé vert, la prêle, l’orthosiphon, etc.
  • Autres espèces : l’épervière des murs (H. murorum), la piloselle orange (H. aurantiacum), la piloselle des prairies (H. caespitosum), etc.
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    1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 367
    2. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 52
    3. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, pp. 757-758
    4. Déjà, en 1951, L. Guyot avait observé l’action inhibitrice de la décoction de racine de piloselle sur la germination d’un certain nombre de plantes domestiques.
    5. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 369

© Books of Dante – 2017

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