Le coq et ses symboles

Katsushika Hokusai (1760-1849), Coq, poule et poussin, avec décor de misère (Tradescantia). Vers 1830-1833.

Il y a quelques semaines, le chant de la grenouille nous avait ramenés auprès des contes de notre enfance. De la mare située là-bas, au-delà du chemin, s’élevaient encore ce matin les voix cacophoniques de ces animaux dont nous avons montré l’évidente relation à l’astre diurne. Non loin de là, un autre chant – faut-il parler de cri ? – plus sporadique, fait entendre ses quatre syllabes, onomatopée fort célèbre, plus encore que le brekekekex koax koax d’Aristophane : coco, coco, cocorico (dont est issu le mot coq, apocope si l’on veut, du cri de l’animal, comme si, chez lui, tout ne se résumait qu’à cela). C’est là une forme écrite issue du bas latin coccus attesté dès le VIe siècle après J.-C. Un coup d’œil au clocher de l’église visible depuis le lieu où j’écris ces lignes me confirme qu’à son sommet ne s’y trouve pas le coq métallique que, parfois, l’on y voit juché (c’est surtout l’apanage des églises dédiées à saint Pierre). Ce symbole fort rappelle que le coq a autant à voir avec le temps – il joue le rôle d’horloge de par sa fonction de marqueur temporel (tout en tenant compagnie à celle qu’on voit souvent en haut des clochers), mais aussi avec l’espace : sa position élevée (qui semble être le reflet de la supériorité du spirituel sur le temporel) oscille au gré des vents : on peut le croire jouet des vents facétieux, ce qui ferait du coq un animal inconstant, mais cela ne lui permet-il pas d’embrasser le paysage d’un seul coup d’œil circulaire ? Le coq du clocher et celui qui projette son puissant cri dans la basse-cour (au contraire du sempiternel caquetage des poules) sont aussi les témoins de lieux particuliers, à dominante campagnarde, que d’un temps qui ne fonctionne pas de la même façon qu’en ces endroits où rugissent les klaxons et le vacarme de la Grande Cité.

La girouette (le weathercock anglais souligne bien le rapport que possède cet instrument avec la météo) surmontée d’un coq, permet donc à ce dernier de diriger son regard perçant dans toutes les directions. En tous les cas, il est de bonne compagnie avec la cloche dont l’airain sonore joue peu ou prou le même rôle que lui : depuis un peu avant l’an 1000, l’on considère que cette association chasse les démons, les mauvais esprits et tout un tas d’autres calamités (tonnerre, brouillard, maladies et fièvre, animaux « malfaisants » : souris, serpent, etc.). Le principal pouvoir du coq, c’est bien celui-ci : écarter les puissances infernales, les faire même disparaître, grâce à son chant qui est la manifestation de la diurnité divine et solaire qui va bientôt éblouir le monde de toute sa splendeur. L’ombre s’efface devant la lumière et ne se projette jamais en elle : il n’existe pas de rayon d’ombre. Annonciateur de l’initiation salvifique, le coq propulse son cri au point du jour, héraut du soleil qui annonce la fin de la nuit et le début de l’aube. Ce salut adressé au soleil, évident signe de joie, est censé marquer l’instant où l’ardeur et la foi doivent se ranimer. Il faut reprendre l’ouvrage, appeler le juste à la prière, secouer les dieux, réveiller l’humanité en la libérant des rets du sommeil. Le cri du coq, c’est la constante « vigilance de l’âme attentive à percevoir dans les ténèbres finissantes de la nuit les premières clartés de l’esprit qui se lève »1. Parce que lumière, le coq est aussi intelligence comme le souligne le livre de Job2. A cette clarté de l’esprit s’allie la blancheur du jour. Sans qu’on s’explique bien pourquoi cette prodigieuse capacité, le coq blanc est capable de mettre en fuite cet autre symbole solaire qu’est le lion. On a associé à la crête du coq le même symbolisme que celui de la crinière du lion : dans les deux cas, il est question de couronne, d’un attribut qui marque la primauté et la royauté. Les chroniqueurs médiévaux expliquaient ce pouvoir par le fait que le coq blanc mettrait en fuite des démons à l’allure de lion (à la suite, cela aurait concerné tous les lions, quels qu’ils soient). « Au crépuscule, quand le coq se tait, vient la nuit et son cortège de démons malfaisants : la nuit est noire, le coq est blanc »3. Peut-on voir dans cette image la persistance d’une infime fraction lumineuse dans le plus sombre des abymes ? Quand tout paraît inextricablement compliqué, ne subsiste-t-il pas une once d’espoir et de courage ? Maints lieux et époques reconnurent dans le coq un symbole solaire : par exemple, le dieu crétois Velchanos, apparenté à Zeus, possède un coq comme emblème. Lorsque Léto, enceinte des œuvres du même Zeus, accouche d’Artémis et d’Apollon (qui est un symbole de la lumière naissante), un coq se tient non loin. Au Japon, des offrandes, des incantations, le chant d’un coq sont censés rappeler la déesse du soleil Amaterasu qui est allée se terrer dans la grotte céleste Ame no Iwato. Cela assurerait le moyen de ré-insuffler de l’énergie au soleil au moment crucial du solstice hivernal (en quelque sorte, un sol invectus extrême-oriental). Associer le soleil au coq, c’est assurément faire entrer la protection dans toutes les maisons : on disait de bon présage le fait de voir un coq se promener dans la salle commune des fermes, plus sûr garant de la joie et du bonheur des habitants. Et si pas de coq en chair et en os, l’image de cet animal dessinée sur la porte d’une maison la protège des énergies pernicieuses.

Boîte en bouleau à décor de coq et de soleil.

Si jamais l’on doit quitter le domicile, voici comment l’on procède dans les pays slaves : on fabrique de petites boîtes en écorce de bouleau, que l’on remplit de pois secs ou de graines de pin, et dont on orne ensuite le couvercle d’un coq. La fonction de cet objet, une fois passé au cou, est très simple : on l’agite dès qu’on se sent en proie à une émotion un peu trop pénible, le bruit provoqué par la boîte permettant de mettre en fuite les esprits malicieux. Il va sans dire que les principaux symboles – coq et bouleau – n’ont pas été choisis au hasard : l’arbre tout comme l’animal sont des emblèmes de la lumière solaire. Aux deux symboles présents sur cet objet, l’on peut rajouter les deux couleurs que sont le rouge et le doré qui viennent davantage renforcer la valeur de protection de ce talisman. Pas étonnant qu’en Perse l’on ait laissé les coqs se balader en liberté dans les cimetières (pour briser la nuque à quelque démon en goguette) ou pour en chasser les vampires (Roumanie). Dans la Materia medica, Dioscoride écrivait que « la décoction de coq dissout les humeurs noires, crues, grosses, visqueuses »4. Que disais-je ? Que le coq est un repoussoir à ordures, un débordoir à saletés louches et malsaines ! Cela explique son caractère sacré dans bien des endroits du monde (que nous avons déjà nommés et quelques autres : Inde, Italie, etc.).

Poursuivons donc l’inventaire des aspects favorables qu’on a associés au coq au fil du temps (en Chine, l’idéogramme ki signifie tout à la fois « coq » et « de bon augure »). Bien qu’il soit parfois considéré comme ridicule lorsqu’il grattelle son tas de fumier, ce n’est pas toujours qu’une bête occupation : en effet, on prétend que le coq y enterre ses perles, c’est-à-dire les œufs qu’il pond. C’est à son jabot et à sa crête rouge qu’on reconnaît cet animal si hardi qu’il est admirable pour protéger ses poules – « dormez tranquilles ; après tout, je suis là pour vous défendre », les rassure Chantecler5 – en particulier contre plus fort que lui : les chroniques médiévales le croyaient assez puissant pour mettre en déroute le lion comme on l’a vu, mais aussi le loup. En vrai, un coq peut parfaitement réussir à mettre en fuite un renard ou un faucon. Courageux comme un coq, à l’inverse de la poule (mouillée) symbole de couardise (mais qui n’a jamais vu une maman poule, « mère Courage et ses enfants » ?). Si le coq agit ainsi, c’est non seulement en raison de l’affection qu’il porte à ses poules, sa largesse généreuse en faisant un symbole de la bonté. Non, c’est qu’il a aussi un rang à tenir : la poltronnerie ne peut se combiner à une crête arrogante irriguée de sang, des barbillons tout aussi écarlates, des ergots acérés (pour monter sur ses grands chevaux, c’est mieux), un plumage caudal qui ne manque pas de panache ! Sans cela, comment donc le coq pourrait-il être fier comme un pou6 ? Attirer tous les regards, les jeunes coqs savent faire, les vieux (beaux) un peu moins. Et il est vrai qu’à cette fierté s’associe souvent la séduction, parce que plus que la concupiscence, ce que recherche le coq, c’est surtout la convoitise qui peut dégénérer en jalousie en cas de concurrence : le coq, généralement non partageur, est prêt à défendre bec et ongles son harem face à la prétention d’un autre coq, d’où les combats fréquents, humiliants quelquefois, mortels de temps en temps. Quand le coq voit rouge, il développe effectivement une énergie de feu ! Normal, puisque le coq ardent qu’on livre aux combats est fort souvent dédié au dieu Mars (Arêos neottos). Ainsi sacrifiait-on un coq au dieu de la guerre afin de s’assurer la victoire dans la bataille. Les Lacédémoniens procédaient de la sorte. Peu avant la victoire de Marathon remportée par les Athéniens en 490 avant J.-C., Miltiade le Jeune fit assister les soldats à des combats de coqs afin d’en enflammer l’ardeur. Selon Johannes Goropius (1519-1573), les Danois emportaient deux coqs à la guerre, dont l’un d’eux avait pour fonction préliminaire d’exciter les hommes au combat. Parce qu’ils étaient particulièrement farouches à la bataille, les Cariens, ancien peuple d’Anatolie, étaient surnommés « coqs » par les Perses. Enfin, dans la mythologie grecque, on croise un personnage, Idoménée, qui, parce que descendant d’Hélios, portait un coq sur son bouclier, symbole guerrier que Pallas Athéna arborait sur son casque.

Les combats de coqs, dont l’Angleterre, l’Inde, l’Extrême-Orient sont très friands, étaient fort prisés également en France durant le XVIIe siècle, ce qui n’est pas rien à l’époque du Grand Siècle, où régna pour une bonne part pas moins que le Roi Soleil. Le jeu de mots aisé entre gallus (le coq) et Gallia (la Gaule) était facile et remonte à l’époque des Romains, mais ce n’est que plus tardivement, à la fin du Moyen âge, que le coq devint un des emblèmes des rois de France (et plus largement de la France elle-même). Plusieurs rois de France furent surnommés gallus : Charles VII (1403-1461), né à l’Hôtel Saint-Pol (!) à Paris, puis Louis XII (1462-1515) et Charles VIII (1470-1498). Au début du XVIe siècle, le coq se place, emblématiquement parlant, aux côtés de la couronne et de la fleur de lys. « Lucide, fier, courageux, attribut du Soleil, de Mars et de Mercure, emblème générique des anciens Gaulois, le coq est l’image même du roi de France »7.

Marc Chagall, En écoutant le coq (1944).

Sur une toile du peintre Marc Chagall (1887-1985), l’on voit un motif crucial et récurrent dans son œuvre : un coq. Cette toile de 1944 nous le montre rouge vif et flamboyant, en train de pondre un œuf. Or, ignore-t-on que lorsqu’il arrive à un coq de pondre un œuf… hum… il peut, si jamais cet œuf vient à être couvé par un crapaud ou un dragon, en naître un basilic, c’est-à-dire une terrifiante bestiole chimérique, coq serpentiforme à crête blanche (est-ce de ce « coq »-là que le lion s’effraie tant ?). Le basilic, qui n’est jamais que l’antithèse du coq, est une redoutable créature à côté de laquelle il est préférable d’avoir affaire à la coquecigrue, créature burlesque forgée par Rabelais à partir de morceaux de coq, de grue et probablement de cigogne. Le coq de Chagall n’a pas de rapport avec le basilic, tout au contraire il est la représentation de l’énergie universelle, celle-là même que la médecine traditionnelle chinoise fait circuler en partie dans le méridien du Rein, canal à la base de la force vitale et de l’énergie reproductrice. A ce méridien, régi par le principe de l’Eau, les Chinois ont fait correspondre le coq de l’astrologie chinoise. Ainsi, le coq astrologique et le méridien énergétique véhiculent-ils une commune énergie yang, l’autorité, le courage, le plein d’assurance (l’individu se transforme en véritable poule mouillée si l’énergie yin vient à sur-dominer). Selon l’astrologie chinoise, le type coq est doué de franchise (on n’imagine pas un coq timoré, le matin, au moment de sonner le réveil) et donc à une certaine forme de liberté (qui confine, il faut le dire, à la témérité parfois). Très intelligent, capable de beaucoup de vivacité pour se tirer d’affaire8, le coq chinois est reconnu pour son aptitude à la mémoire (sauf lorsque, vieillissant, affublé d’une mémoire de vieux coq, il devient oublieux au point de sauter du coq à l’âne). Comme il aime l’apparat, il étale sa vanité en faisant son coq. Par son caractère changeant (girouette, tiens !), il passe pour inconséquent. Par exemple, « prendre l’image du coq, qui manifeste sa superbe et vit au milieu d’un harem, est une façon de souligner qu’une fois l’hommage rendu à l’une de ses poules il se désintéresse totalement des conséquences de ses actes »9. Il n’est donc pas étonnant qu’on ait fait du coq un animal guerrier, car « notre agressivité, notre réactivité, notre fuite (adrénaline) ou bien notre calme [NdA : toutes qualités requises au combat] sont gérés par le Rein »10. Et quand le coq ne se bat pas, il met tout son caractère fougueux au service de sa grande ardeur sexuelle, cet animal polygame étant vu comme largement sensuel, au point, parfois, d’en devenir lubrique (certains auteurs médiévaux allèrent jusqu’à imaginer que, à l’issue d’un combat, le vainqueur s’autorisait à « couvrir » le vaincu pour finir d’asseoir sur lui sa domination). Mais ce que l’on retient, c’est avant tout la fécondité et la fertilité dont il est capable de faire preuve (d’ailleurs, par magie sympathique, les testicules de coq ont pour vocation, quand on les invite dans la confection d’une recette aphrodisiaque, de rendre à l’homme sa prime vigueur). Mais qu’il fasse chou blanc, et c’est l’explosion : ce non assouvissement du désir peut mener à une colère agressive et frustrée. C’est pourquoi, au Tibet, le coq, en particulier lorsqu’il est rouge, représente avec le serpent et le porc, l’un des trois poisons : ce coq rouge désigne l’excessif attachement, l’entrave du désir et de la convoitise, la soif inextinguible. A ces véritables détraquements symboliques, l’on peut ajouter les autres suivants : la poule qui chante comme un coq est de très mauvais présage, tandis que le coq qui pousse son cri, non pas à l’aube mais au crépuscule, annonce le décès d’une personne du voisinage, quand il ne se fait pas le relais de phénomènes météorologiques désastreux (grêle, tempête, etc.). C’est un coq tout pareil que décrit la mythologie nordique : Gullinkambi (= « Crête d’or ») chante à une seule occasion : pour avertir de l’imminence du désastre, c’est-à-dire le Ragnarök. Symbole de vigilance guerrière, il est juché sur les plus hautes branches d’Yggdrasil et observe, au loin, d’où viendront les géants. Un coq au fait de l’arbre cosmique alertant des dangers est une représentation assez similaire à celui que l’on fiche au sommet des églises : c’est un symbole de protection de la vie, ce qui apparaît de même dans ce conte des pays slaves, Le coq d’or, sentinelle vigilante : « Aussi longtemps que tout sera tranquille alentour, il restera coi ; mais dès qu’une menace de guerre se fera sentir, d’où qu’elle vienne, qu’il s’agisse d’une invasion ou de tout autre péril, mon petit coq aussitôt dressera sa crête, jettera un cri, et, battant des ailes, se tournera du côté d’où menace le danger »11. Dans la mythologie grecque, on voit aussi au coq cette fonction de guetteur : Alectryon, compagnon d’Arès, faisait le guet à chaque fois que le dieu de la guerre désirait passer la nuit avec son amante Aphrodite. Pourtant, une nuit, il céda au sommeil. Héphaïstos surprit les deux amants et, de colère, Arès métamorphosa Alectryon en coq. Le coq permettant d’écarter un péril, c’est une force qu’on nommait alké, d’où le terme aléktryon qu’utilise Homère : c’est le « protecteur », le « défenseur » (ce mythe n’est pas circonscrit qu’à la Grèce, un motif similaire s’observe pareillement en Inde).

Maintenant, nous avons le loisir de poser cette question : toute cette force ne confine-t-elle pas à la magie, en quelque sorte ? Parce qu’enfin, un animal qui possède la prescience du jour, capable de voir la lumière à l’intérieur de lui-même, n’est-il pas un peu sorcier ? Les amateurs de sciences occultes connaissent très certainement ces très singuliers grimoires que sont Le dragon rouge et La poule noire : un coq n’y déparerait pas, même s’il est vrai que la poule noire se prête plus volontiers comme accessoire de la sorcellerie (davantage qu’un coq, fût-il noir). Le coq noir n’est pas tant l’instrument par lequel la sorcière opère, qu’une image animalière d’elle-même, en particulier si on le surprend à chanter en pleine nuit. Il apparaît comme beaucoup plus redoutable quand la lune surgit, car, alors, « le coq se met à sauter comme un possédé », confessait le théologien Thomas de Cantimpré (1201-1272). Cette relation à l’obscure s’entrevoit encore dans le sacrifice d’un coq noir que la sorcière entreprend afin de métamorphoser les morts en ces créatures mort-vivantes du folklore roumain que sont les strigoï. D’ailleurs, si vous souhaitez apaiser le diable, il faut lui sacrifier un coq noir ou rouge lorsqu’on désire écarter les zar en Éthiopie. Mais ce coq démoniaque de la nuit, noir de ramure et rouge de crête, est surtout une figuration du soleil absent : en effet, s’il est rouge matin et soir, il devient intégralement noir la nuit, à l’exception de cette crête sommitale écarlate, reliquat de la lointaine flamboyance solaire qui n’est plus capable d’éclairer la nuit aux sombres tentures d’encre noire…

Pourtant, comme l’on sait, la lumière apparaît toujours, même minime, au bout du tunnel. Dans un conte rapporté par Giambattista Basile au début du XVIIe siècle, l’auteur raconte l’histoire de Mineco Aniello qui débute dans la ville de Grotte Noire. Cette obscurité, c’est, pour lui, le monde de la nuit et de la vieillesse. Cet infortuné vieillard ne possède en tout et pour tout qu’un coq nain, qu’un jour il décide d’aller vendre au marché afin d’en tirer la menue monnaie capable de faire taire sa faim lancinante pour quelques jours. Voilà que deux nécromants s’approchent. L’un d’eux s’exprime auprès de l’autre dans une langue qu’il croit inconnue de Mineco Aniello : « Ce coq est vraiment notre chance, avec cette pierre qu’il a dans le citron ; nous la ferons sertir sur un anneau et elle exaucera tous nos vœux »12. Mais l’autre, pas né de la dernière pluie, entend bien ce qui se jargonne et fausse compagnie aux deux larrons alors qu’il est encore temps. Il prend néanmoins celui de casser la tête à son coq, en extirpe la pierre – lapillus alectorius, la prodigieuse pierre de coq – la fait monter sur un anneau de laiton et prononce le vœu de jeunesse, mais aussi celui de posséder un palais si luxueusement garni que le roi, ébahi par tant de richesses, lui accorderait la main de sa fille sans barguigner. Mais les deux nécromants parviennent à lui dérober la bague, ce qui condamne Mineco Aniello à revenir à son état initial : mauvaise fortune et pas bon cœur ! Malgré sa condition nouvellement diminuée, il s’aventure à la reconquête de sa bague magique et parvient jusqu’au royaume de Sombre Cave. Après force péripéties, il atteint au but. La perte de la bague le prive de soleil et le plonge dans la nuit. Un fait est notable : dans le conte, c’est à la faveur d’une noire nuit d’encre qu’il se réapproprie sa bague, donc le soleil. Il y a donc bien, même dans les situations les plus désespérées, un rayon de lumière qui guide un tant soit peu ceux qui sont égarés dans les ténèbres.

Pour conforter cette note positive, précisons les fonctions psychopompes du coq : il était vu ainsi par les anciens Germains, mais aussi par les Grecs, puisqu’il tient parfois compagnie à Hermès dont la fonction de transporteur d’âme est parfaitement identifiée. C’est pour faire prévaloir les qualités psychopompes du coq que Socrate, au moment de son exécution, formule auprès de Criton une requête bien particulière : celle de sacrifier un coq à Asclépios. Le dieu de la médecine, fils d’Apollon, qui guérit grâce aux serpents, « était précisément ce dieu qui, par ses médecines, avait opéré des résurrections sur terre, préfiguration des renaissances célestes »13. Ainsi le coq est-il, à l’instar du serpent, un guérisseur. De plus, « dans l’analyse des rêves, le serpent et le coq sont tous les deux interprétés comme des symboles du temps »14. La fabuleuse union des deux, tout au contraire, méduse : du basilic, l’on peut dire qu’il rend le temps éternel, tuant instantanément au premier regard.

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  1. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 283.
  2. Le Livre de Job, XXXIX, 36.
  3. Michel Pastoureau, Bestiaires du Moyen âge, p. 69.
  4. Dioscoride, Materia medica, Livre II, chapitre 41.
  5. Le Roman de Renart, p. 31.
  6. Ce mot n’a ici aucun rapport avec la p’tite bébête qui court. Pou, poul ou pol encore sont d’anciens noms désignant le coq. Ainsi, 1 poul + 1 poule = 1 poulet ! Ils prêtaient autrefois le dos à la concurrence de gal/jal, termes d’ancien français issus du latin gallus.
  7. Michel Pastoureau, Bestiaires du Moyen âge, pp. 197-198.
  8. C’est sa vanité qui faillit bien perdre Chantecler lors de sa confrontation avec Renart. Mais son intelligence le sauva d’un méchant péril, à la barbe de Renart, le gabeur gabé pour l’occasion !
  9. Pierre Delaveau, La mémoire des mots en médecine, pharmacie et sciences, p. 224.
  10. Michel Odoul, Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi, p. 106.
  11. Contes de Pouchkine et des pays slaves, p. 153.
  12. Giambattista Basile, Le conte des contes, IVe journée, 1er conte, p. 318.
  13. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 282.
  14. Ibidem, p. 283.

© Books of Dante – 2022