Le carvi (Carum carvi)

Synonymes : cumin des prés, cumin de montagne, cumin de Hollande, anis des Vosges, anis bâtard, faux anis, chervis, crantz.

Parce qu’on a fait dériver le français carvi et l’anglais caraway de l’arabe karwija, lui-même emprunté au grec kâron, cela a donné la prime illusion que le carvi provenait de quelque fantastique et merveilleuse contrée orientale. Contrairement à ce qu’indique Nicolas Lémery au XVII ème siècle, le carvi ne porte pas le nom du pays d’Asie dont il fut ramené. Il ne s’agit donc pas d’une épice « exotique » comme la cannelle et le clou de girofle, cette plante étant endémique à l’Europe, à l’Asie centrale et septentrionale. On l’y rencontre à l’état spontané dans les prairies montagneuses de ces vastes régions. En France, elle est localisée dans l’Est, le Sud-Est, le Centre et les Pyrénées, et se plaît surtout en altitude, sur des sols ensoleillés perchés jusqu’à 2000 m d’altitude.
« La plante qui le produit a eu l’honneur d’être mentionnée par César : dans ses commentaires De bello civili, il parle d’une racine appelée chara qui, mêlée avec du lait, fut d’un grand secours aux soldats de Valérius » (1). Il y a tout lieu de croire qu’il s’agit là d’un autre « carum », Carum bulbocastanum (ou Bunium bulbocastanum) dont les surnoms de terre-noix, noix de terre ou encore châtaigne de terre, indiquent bien la présence souterraine d’une racine tubérisée, qui plus est comestible. Pour marquer l’antériorité des usages du carvi, sachons que l’on a retrouvé de ses graines sur certains sites néolithiques européens.
Au Moyen-Âge, il fréquente aussi bien les cuisines que les apothicaireries. Aux côtés de la carvitas, la carotte, le careium apparaît clairement dans le capitulaire carolingien bien connu. « On sait que Charlemagne veillait avec un soin minutieux à tous les détails de sa fortune particulière ; la vente des produits de ses domaines, comme l’achat des denrées nécessaires à l’entretient de sa famille et de ses officiers, ne se faisaient qu’après avoir été soumis à son approbation. Les plantes énumérées dans le capitulaire nommé de Villis, sont celles que le grand empereur faisait cultiver dans les jardins de son palais » (2). Ce caractère précautionneux et sourcilleux explique sans doute pourquoi l’empereur ne misait pas sur de mauvais chevaux : en effet, pourquoi faire cultiver et imposer la culture d’une plante qui ne lui aurait rien rapporter ?

Depuis Aetius, l’on sait la valeur carminative du carvi. Cette réputation ne sera jamais démentie. En toute fin du XVI ème siècle, on le rencontre sous la plume de Shakespeare qui vantera les vertus digestives du carvi dans sa pièce de théâtre Henri IV. Au XVII ème siècle, Nicholas Culpeper précise, dans Le médecin anglais (1652), que le carvi est « bénéfique dans tous les cas de refroidissements à la tête et à l’estomac et possède une certaine efficacité qui lui permet de combattre les flatulences et de provoquer les émissions d’urine ». Un demi-siècle plus tard Jean-Baptiste Chomel relatera un mode opératoire pour le moins original afin de chasser les vents hors des intestins : « On prend un pain tout chaud sorti du four, on le saupoudre avec cette graine pilée, on l’arrose de bonne eau-de-vie et on l’applique sur le ventre » (on trouvera plus simple dans la section Modes d’emploi ^.^).

Si l’on qualifie le carvi de cumin des Vosges ou d’anis vert, c’est pour rendre compte des liens qu’entretient le carvi avec les graines aromatiques que sont anis et cumin. Ce sont toutes des plantes qui se ressemblent beaucoup mais qui bien entendu conservent des caractéristiques qui font leur particularité.
Plante bisannuelle (ou pérenne à vie courte), le carvi ressemble beaucoup à la carotte sauvage, y compris par son épaisse racine en pivot dont l’odeur fleure bon la carotte. Totalement glabre, le carvi porte une tige bien dressée, creuse, longitudinalement striée, de 40 à 60 cm de hauteur. Les feuilles radicales, sans pour autant être filiformes comme celles de l’aneth ou du fenouil, sont très découpées et rappellent effectivement celles de la carotte sauvage, à la différence que celles-ci sont velues. Les feuilles supérieures, longuement pétiolées, sont dites bipennatifides, formées de folioles linéaires, incisées et disposées en croix, comme verticillées autour de la côte principale, et flanquées de deux folioles-stipules. Les fleurs minuscules aux pétales bifides s’épanouissent au printemps (mai-juin, parfois juillet). Principalement blanches, elles peuvent apparaître lavées de rose. Elles sont portées par huit à seize rayons de longueur inégale, formant ombelle sans involucre. Les fruits du carvi, à l’image de ceux du cumin, sont des akènes doubles formés de deux graines accolées l’une à l’autre, tout d’abord vertes puis brunes en séchant. Longues de 3 à 7 mm (selon la variété), elles sont légèrement arquées et marquées de cinq côtes longitudinales (contre neuf pour le cumin).
Naturellement, le carvi adopte des terrains aux sols argilo-calcaires ou argilo-siliceux. Ces terres doivent être fraîches, mais non gorgées d’humidité, légères et fertiles. Le carvi élit domicile aux abords des jardins cultivés ou abandonnés, dans les prairies, au bord des chemins, sur les pâturages montagnards.
Le carvi est cultivé en plusieurs endroits du monde : Europe (Allemagne, Pays-Bas, Norvège, Suède, Espagne), Afrique du Nord (Algérie), Russie, États-Unis, etc.

Le carvi en phyto-aromathérapie

La petite graine du carvi, avant de brunir en séchant, est tout d’abord verte et sent l’orange douce. Mais ce n’est jamais en cet état qu’on l’utilise en thérapeutique, l’on attend avec patience qu’elle ait atteint l’ultime stade de son développement. Une fois pleine et entière, elle n’a peut-être plus ce parfum d’agrume, mais contient des substances qui ne sont pas moins intéressantes : des substances azotées (le cinquième de son poids), de l’amidon (4 à 5 %), du sucre (2 à 4 %), des polysaccharides, du mucilage, une huile végétale de couleur verte (7 %), des matières cireuses et résineuses, des corps protéiques et des flavonoïdes. Ce qui surpasse, si l’on peut dire, tout cela, c’est une phénoménale fraction d’essence aromatique (jusqu’à 9 % !). C’est elle qui confère au carvi une odeur proche du fenouil et une saveur rappelant l’anis vert, mais plus chaude, piquante et un peu âcre, très aromatique. Le produit issu de l’hydrodistillation des graines broyées ou pulvérisées ne s’éloigne guère de ces caractéristiques gustatives et olfactives : chaude mais douce, l’huile essentielle de carvi partage ce côté épicé, parfois un peu boisé, mais n’est en aucun cas un fac-similé de l’huile essentielle d’anis vert. Très liquide, mobile, presque incolore à jaune très pâle, cette huile essentielle n’est pas fantasque dans sa composition biochimique puisque moins de dix molécules forment 99,80 % du totum. Sur les plus hautes marches du podium, l’on place une cétone monoterpénique, la D-carvone (51,50 %), diamétralement opposée au limonène (46,25 %) sur le référentiel électronique. Les autres molécules (myrcène, β-phellandrène, cis et trans-carvéol, cis et trans-dihydrocarvone) se partagent la portion congrue.
La carvone « écrase » un peu le limonène. On pourrait imaginer que cette huile essentielle sentirait un peu le citron, or ça n’est pas le cas. Elle développe, au contraire, un parfum d’orange douce bien décelable, mais jamais au tout début de l’inspiration. Elle ne vient qu’après, comme si elle devait se frayer un chemin dans cette masse de carvone, dont on connaît, parce que cétone, la grosseur et la lourdeur.

Note 1 : la carvone existe sous deux forme, la D et la L. La seule différence concerne le pouvoir rotatoire : la D-carvone est dextrogyre, la L-carvone lévogyre. La carvone du type D présente dans l’huile essentielle de carvi, se trouve à l’identique dans celles d’aneth, de cardamome, etc., alors que la L-carvone apparaît dans l’huile essentielle de menthe verte par exemple. D et L-carvone possèdent la même composition biochimique mais leur parfum à chacune est différent ! Cela explique que l’huile essentielle de carvi ne sente pas la menthe.
Note 2 : le carvi est parfois exploité pour sa racine et ses parties aériennes fleuries. Des deux l’on tire une huile essentielle, mais elles restent des produits bien peu connus par chez nous.
Note 3 : l’on se préoccupe assez peu de ce qu’il advient du gâteau après distillation (gâteau : résidu de la distillation, c’est-à-dire les plantes contenues dans l’alambic après la distillation achevée). Celui du carvi est un bon engrais et un tourteau agréable pour nourrir le bétail.

Propriétés thérapeutiques

  • Apéritif, digestif, carminatif (plus puissant encore que l’anis), stomachique, antiputride intestinal, vermifuge
  • Cholagogue, cholérétique
  • Expectorant, mucolytique, améliore le souffle
  • Fortifiant du cœur, régulateur du rythme cardiaque (en cas de perturbation d’origine digestive)
  • Diurétique, dépuratif rénal, sudorifique (?)
  • Galactogène, emménagogue léger, stimulant ovarien
  • Sédatif, calmant, antispasmodique
  • Antinociceptif
  • Anti-infectieux : antibactérien sur germes Gram + et Gram -, parasiticide
  • Fortifiant et stimulant cérébral

Note : l’action conjuguée du limonène et de la carvone favorise la production de glutathion-S-transférase, une enzyme détoxicante qui agit au niveau du foie.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, dyspepsie, lourdeur d’estomac, indigestion, paresse d’estomac, ballonnement, aérophagie, météorisme, fermentation intestinale, flatulence, spasmes nerveux et crampes gastro-intestinales, diarrhée séreuse, colique (venteuse, spasmodique, du nourrisson ; sauf en cas d’irritation phlegmasique), constipation atonique, halitose, parasites intestinaux (4)
  • Troubles de la sphère pulmonaire : encombrement bronchique, toux, bronchite catarrhale aiguë
  • Troubles de la sphère gynécologique : règles difficiles et/ou douloureuses, aménorrhée, dysménorrhée, insuffisance lactée
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire : cardialgie, palpitations, éréthisme cardiaque
  • Soins bucco-dentaires, maux de dents
  • Tintement d’oreille, écoulement auriculaire
  • Insuffisance hépatobiliaire
  • Colique néphrétique
  • Troubles du système nerveux : dépression nerveuse, états nerveux légers, fatigue intellectuelle et nerveuse
  • Maux de tête
  • Larmoiement
  • Vertige
  • Accès fébrile

Modes d’emploi

  • Infusion aqueuse ou vineuse de semences. Compter la valeur de 4 g par litre d’eau en infusion pendant 10 mn à couvert.
  • Décoction de semences.
  • Teinture alcoolique : dans 12 parties d’alcool, verser une partie de semences de carvi. Autre : 40 g de carvi en macération dans un litre d’alcool pendant 8 à 10 jours. Filtrer, exprimer. Pour embrocation, friction.
  • Liqueur : 40 à 70 g de carvi en macération dans un litre d’eau-de-vie pendant deux semaines. Filtrer, exprimer. Ajouter 200 à 500 g de sucre roux en poudre.
  • Poudre de semences dans un véhicule aqueux (bien touillée dans un lait d’amande par exemple).
  • Huile essentielle : en interne (sur une durée brève), en externe (diluée dans une huile végétale d’amande douce par exemple), en olfaction.
  • Application locale de semences chaudes nouées dans un linge.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Cazin notait que la culture du carvi le rend plus « docile », et lui fait perdre une partie de son âcreté naturelle (on observe un phénomène similaire chez le fenouil ; en réalité, chez bien des végétaux). Sa racine grossit, devient succulente. Ces modifications s’appliquent aussi aux semences dont le parfum gagne en intensité.
  • Récolte : elle se déroule en toute fin de période estivale, en fait dès que les semences sont parfaitement mûres. L’on peut couper les ombelles au sécateur ou à la faux (si la surface est importante). On laisse sécher sur place s’il n’y pas de raison de craindre une averse ou bien dans un lieu spécialement dédié à cet effet, pendant deux ou trois jours. On bat, puis l’on vanne, comme le blé.
  • Toxicité : la D-carvone, bien qu’elle soit une cétone monoterpénique, fait partie de ces molécules les moins délicates à employer, équivalent à la verbénone en terme de potentiel toxique. Sa toxicité par voie orale est assez faible, plus faible encore par les voies cutanée, rectale et vaginale. Pour preuve, l’huile essentielle de carvi n’est pas inscrite sur la fameuse liste qui recense une poignée d’huiles essentielles placées sous monopole pharmaceutique (armoise vulgaire, absinthe, sauge officinale, hysope officinale, etc.). Il n’en reste pas moins que cette huile essentielle est déconseillée chez le bébé, le jeune enfant, les femmes enceintes et allaitantes, les personnes neurologiquement fragiles. Aux doses non thérapeutiques, cette huile essentielle est potentiellement neurotoxique et abortive.
  • Alimentation : toutes les parties du carvi cultivé (racine, feuilles, jeunes pousses, graines) sont comestibles. La racine se cuisine comme le panais ou la carotte (ainsi la consommait-on dans les pays du Nord) et le feuillage se prépare cru comme la salade ou cuit à la manière des épinards. Mais l’histoire culinaire du carvi a surtout retenu la valeur condimentaire de sa semence, épice populaire dans toute l’Europe du Nord et l’Europe centrale. Les paysans suédois et allemands en parfumaient les soupes, certains ragoûts, le pain (cf. le pumpernickel allemand), les fromages, comme cela se fait encore en Hollande (gouda) et en Alsace (munster). Chez les Anglais, il assaisonne les pâtisseries, les confitures. On peut en ajouter utilement à une compote de rhubarbe. Il est l’indispensable ingrédient de certaines spécialités d’Europe centrale : le goulasch en Hongrie, la choucroute en Allemagne et en Autriche, l’ančka en République tchèque. De plus, le carvi accompagne à merveille la viande de porc et la charcuterie, le poisson et les crustacés. On peut l’intégrer en petite quantité dans une sauce et l’accompagner de graines de moutarde et/ou de coriandre lors de la préparation de conserves au vinaigre. C’était encore, autrefois, le condiment du marin de la mer du Nord et l’on en ajoutait souvent à la pâte de ce qu’on appelait le biscuit de mer. Enfin, on l’emploie en confiserie (on en fait des dragées qui ressemblent aux « anis de Flavigny ») et en liquoristerie, élément essentiel du kümmel que l’on élabore surtout aux Pays-Bas et en Allemagne.
  • Cosmétique et parfumerie : nombreux sont les produits faisant appel au carvi : bains de bouche, dentifrices, savons, après-rasage, parfums, etc.
  • Usage vétérinaire : l’huile essentielle de carvi, additionnée d’alcool, peut être employée en friction contre la gale démodécique affectant le chien. « Le carvi fait partie des plantes aromatiques que tout cultivateur soucieux de préserver, par des moyens naturels, la bonne santé de son bétail doit mêler aux graminées et aux légumineuses des prairies. La plante sèche est appréciée des vaches et des moutons ; elle facilite leur digestion, combat les fermentations et favorise la sécrétion lactée » (3). Elle est donc parfaitement recommandée dans l’insuffisance lactée de la vache, les coliques, les spasmes stomacaux, la disparition de l’appétit, etc.
  • D’un point de vue plus spirituel, « les Hollandais prétendent que manger du carvi aiguise la mémoire et aide à passer les examens. Ses graines aideraient les artistes à trouver l’inspiration » (4). Enfin, le carvi était utilisé pour composer des philtres d’amour puisqu’il était, dit-on, le garant de la fidélité conjugale…
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    1. Henri Leclerc, Les épices, p. 106.
    2. Émile Gilbert, La pharmacie à travers les âges : Antiquité, Moyen-Âge, Temps modernes, p. 93.
    3. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 160.
    4. François Couplan & Gérard Debuigne, Petit Larousse des plantes médicinales, p. 262.

© Books of Dante – 2020

Une réflexion sur “Le carvi (Carum carvi)

  1. Bonjour Gilles,

    Sais-tu qu’il existe un petit jardin de passionnés à l’entré de Noirmoutier qui cultive les plantes du jardin de Charlemagne ?

    Bien à toi,

    Ulrich de Naturorama

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