Le cyprès (Cupressus sempervirens)

Vincent Van Gogh, Route de campagne en Provence la nuit (mai 1890).

Synonymes : cyprès commun, cyprès de Provence, cyprès d’Italie, cyprès mâle (variété horizontalis), cyprès femelle (variété fastigiata).

« Qui n’a dans la mémoire ces paysages méditerranéens où le sombre cyprès dresse sur le bleu violent du ciel ses étroites colonnes endeuillées ? » (1). Cette fascination dont parle Fournier – du moins pour moi cela en est une – peut nous paraître comme faisant partie intégrante du paysage provençal. Pourtant, cet hôte si typique de la Mare nostrum n’en est pas originaire, de même qu’il n’est pas indigène en France. Si on l’y voit, c’est parce qu’il a été apporté en Europe occidentale et mis en terre. Sans cela, Vincent Van Gogh n’aurait jamais pu réaliser la série arlésienne des cyprès, dont le fameux Nuit étoilée de mai 1889, dans lequel se blottit un petit village dont la flèche de l’église monte au ciel de même que la monumentale pointe sommitale de ce cyprès qui mange et obscurcit l’espace du côté gauche de la toile.
Avant d’embellir la Côte d’Azur et de jouer l’utile rôle de rempart face au vent et au sable (2), le cyprès prit racine en Asie mineure, où sa présence est consignée dans un vieux texte assyrien du XVI ème siècle avant J.-C. Au temps du roi Asir bel Nisêsu, Assyriens et Babyloniens attestent un emploi déjà fort ancien, puisque le cyprès était préconisé contre « les douleurs et démangeaisons du fondement ». Eh oui, les Anciens étaient, bien sûr, eux aussi affublés d’hémorroïdes ! Si le cyprès a plutôt tendance à s’élever vers les cimes des cieux, il faut admettre qu’il y a 3500 ans, il fut invité à sonder ce qui se passe au fond de la culotte, et il ne s’est jamais départi de cette antique réputation depuis. Il s’agit donc d’une fidélité qui remonte fort loin. A Babylone, des tablettes d’argile portant des caractères cunéiformes (c’est-à-dire en forme de « clou » ou de « coin », du latin cuneus) relatent l’existence du cyprès qui fut, en compagnie du saule, l’une des principales plantes de la pharmacopée babylonienne.
Très anciennement naturalisé, on le retrouve sur deux îles méditerranéennes, la Crète et Chypre, amené là par les Phéniciens. De là, il essaime en Grèce et en Italie (avec quelques difficultés d’acclimatation d’après Pline), puis à l’ensemble du pourtour méditerranéen (Midi de la France, Espagne, Maroc, Égypte…), tout en suivant un chemin inversement dirigé vers le nord de l’Inde et la Chine.

En Grèce, le cyprès était tout à la fois un médicament et la matière permettant d’honorer les divinités. C’est ainsi que Pythagore le recommandait pour cette fonction avec le cèdre, le laurier, le myrte et le chêne. Plus prosaïquement, Hippocrate utilisait le bois de cet arbre contre les affections utérines, la chute du rectum avec hémorragie, les hémorroïdes et leurs séquelles (marisques). Quand le malade n’était pas affecté par ces douloureuses pathologies, on lui ordonnait de se rendre dans un bois de cyprès afin que le pulmonique bénéficiât de ses saines exhalaisons. Un diffuseur atmosphérique géant et naturel, en somme.
Étrangement, l’on ne retrouve aucune des indications hippocratiques dans l’œuvre de Dioscoride. Il remarque la vertu diurétique du cyprès qu’il qualifie de remède urinaire, ainsi que son action sur la sphère respiratoire (oppression thoracique, dyspnée, asthme, toux, etc.), qui lui font employer les galbules concassés mis à macérer dans du vin. Les cônes du cyprès intervenaient aussi dans les désordres gastro-intestinaux (crachement de sang, diarrhée, flux de ventre, dysenterie). « Incorporés avec de la cire, mis sur l’estomac, le fortifient » (3). Ces galbules étant des drogues à tanin, ces préconisations sont tout à fait heureuses, de même que l’astringence couplée au pouvoir cicatrisant de ces cônes. Pulvérisées ou simplement broyés, mêlés à des figues sèches ou à des graines de lupin, cuits dans du vinaigre, puis emplâtrés, ils convenaient aux tumeurs du type apostume, aux ulcères rampants, aux manifestations visibles du charbon, aux plaies, étant non seulement résolutifs, mais hémostatiques. Bien plus tard, Serenus Sammonicus se démarque très nettement de ce tableau thérapeutique, conseillant le cyprès en cas de douleurs vésicales, de goutte, d’affections aux parties génitales masculines (prostatite ? il ne le dit pas…), enfin « contre les ruptures, les douleurs et les contractions des nerfs ». Passée sous silence par Hildegarde (elle ne conseille le cyprès que face à la diarrhée et pour amender le corps de sa faiblesse générale), la propriété anti-hémorroïdaire du cyprès réapparaît dans d’autres ouvrages majeurs du Moyen-Âge : le Circa instans, l’Hortus sanitatis, et surtout l’Arbolayre qui conseille une décoction aqueuse de feuilles et de galbules de cyprès contre les hémorroïdes fluentes. Ajouter de la poudre de cyprès dans les aliments est aussi très profitable contre cette affection, puisque « ce y vault moult ».

Ces indications médicales ne sauraient faire oublier le caractère sacré qu’eut le cyprès pour de nombreuses civilisations. Par exemple, qu’en Égypte il fasse partie des ingrédients rituels composant le kyphi, nous renseigne sur cette dimension. En Grèce, on comptait un certain nombre de bois sacrés composés de cyprès, à proximités des temples dédiés à différentes divinités : Apollon, Hermès, Rhéa, Laïs, Bellérophon, Asclépios, etc. Mais c’est tout particulièrement en tant que symbole des divinités infernales ou « sombres » que le cyprès est connu. On cite parfois Chronos ou Beroth, déesse chthonienne chypriote (4), mais, par-dessus tout, c’est immanquablement Hadès chez les Grecs, Pluton chez les Romains, qui voit ses prêtres se couronner de rameaux de cyprès. Les poètes, pour beaucoup d’entre eux, rendent volontairement sinistres les lieux qu’occupe cette divinité du dessous : « C’est un chaos, ce sont des rochers hérissés de pierre ponce, qui n’aiment que le cyprès lugubre dressé tout autour. C’est au milieu de ce séjour que Pluton a élevé sa tête marquée par les flammes et la cendre blanche des bûchers » (5).
Pourtant, le cyprès n’était-il pas considéré en Perse comme l’arbre primitif du paradis des anciens Iraniens, arbre attribué à une divinité tout au contraire solaire comme Ormuzd ? Ces derniers « voyaient, dans la forme du cyprès, dont la pointe aiguë se dresse vers le ciel, le représentant végétal du feu générateur […] ; c’est pourquoi on le trouvait devant tous les temples consacrés au feu, dans la cour du palais royal, et au centre même des jardins de plaisance qui étaient censés reproduire, quoique faiblement, le souvenir du paradis perdu » (6). De cela, le cyprès de Zoroastre d’Abarkouh, en Iran, vieux de près de 4500 ans, en est le témoin, et nous oblige à nous souvenir qu’aux temps des prophètes, l’on rendait un culte à ces cyprès remarquables par leur taille. De tels arbres étaient alors « l’emblème le plus auguste et le plus général de la divinité féminine [nda : sans doute la grande déesse Mère] dans un double rôle de génération et de mort » (7). Probable que le poète Horace n’a retenu du cyprès que cette dernière valeur. Pour lui, de même que pour Sénèque, il ne peut être autre chose qu’un arbre triste, puisqu’il sait – et n’accepte pas – que le cyprès lui survivra nécessairement. Virgile n’est pas loin de penser de même, mais sans injecter dans ses paroles autant de mauvaise humeur que l’auteur des Odes mort à moins de 57 ans et qui, précisons-le, se fichait pas mal de l’« autre vie », n’entretenant que le regret de la perte de celle-ci, terrestre. Qu’il ait su qu’à Rome l’on plantait des cyprès à l’abord des tombes, qu’on le plaçait sur les bûchers et à la porte des maisons en deuil, a dû le crisper quelque peu : ce grand machin droit et tout noir, devant cet autre machin raide et blanchi à la cendre du Tartare !… Non, décidément !
Dès lors qu’on évoque le monde infernal, on ne peut passer à côté de la mort et de la tristesse qu’on lui a culturellement associée (8), symbolique dont le cyprès funéraire (mais pas forcément funeste, comme nous allons bientôt le découvrir) est porteur depuis des temps très anciens. Réagir à la manière de Virgile, d’Horace ou encore d’Ovide et de Shakespeare plus tard, c’est se fourvoyer sur l’identité du cyprès (qui n’a jamais demandé à être planté dans les cimetières) et n’en considérer qu’une facette. Observons le fragment mythologique dans lequel prend pied Cyparissos de Kéos, qu’au temps d’Ovide l’on ne comprenait déjà presque plus. Ce jeune Crétois vivait avec un cerf apprivoisé qu’il blessa par mégarde avec un javelot. Inconsolable face à la mort de l’animal, désirant lui-même mourir à son tour, il fut métamorphosé en cyprès (9). Apollon s’adressa à l’homme devenu arbre en ces termes : « Moi, je te pleurerai toujours, toi, tu pleureras les autres et tu t’associeras à leur douleur ».
Si l’on s’arrête là… Mort, perte, tristesse, mélancolie. Voilà pourquoi le cyprès est, avec l’if et le lierre, un arbre funéraire hôte des cimetières, symbole du deuil et du chagrin. Mais si l’on va plus loin, au-delà… Cyparissos devait très certainement être un dieu-arbre dont l’animal sacré, le cerf, est le symbole de la renaissance perpétuelle de la vie (les bois de cerf, bien qu’ils chutent chaque année, repoussent toujours, et plus grands…). Unir, dans un seul mythe, deux emblèmes, l’un végétal, l’autre animal, possédant tous les deux une portée sémantique identique, n’est-ce pas une manière de rendre compte du fait que si le cyprès incarne l’idée de mortalité et de finitude, il est tout aussi porteur d’immortalité ?
De par sa verticalité, et son solide ancrage en terre, et même si plié par le vent il ne rompt pas, il représente pour les Chinois la passerelle permettant d’unir le Ciel et la Terre. C’est pourquoi on utilisera particulièrement l’huile essentielle de cyprès en tant qu’huile de transition et de séparation, afin d’adoucir les peines des personnes trop focalisées sur leur passé, qui sont incapable de se projeter en avant sans crainte, peureuses et inquiètes à l’idée que l’avenir, le fatum, leur réserve un mauvais tour. Une huile essentielle parfaite pour Horace !
Si le cyprès est qualifié d’arbre de vie, c’est en raison de sa pérennité et de son évident caractère semper virens. Cette persistance, cette durabilité (10) à vouloir se montrer toujours vert, s’accompagne de l’imputrescibilité de son bois dont la résine le rend inattaquable par la vermine, ce qui explique que les Égyptiens, horrifiés par le ver, aient taillé des sarcophages dans du bois de cyprès (11), de même que les cercueils des dignitaires de bien des sociétés antiques (et jusqu’aux cercueils des papes : une longue tradition justifie l’emploi du bois de cyprès : Jean-Paul II n’y a pas dérogé lors de son décès survenu en 2005). Précisons que « comme tous les arbres phalliques, le cyprès est, tout à la fois, un symbole de génération, de la mort et de l’âme immortelle » (12). Ce phallisme est indissociable des aspects symboliques que nous avons abordés jusqu’à présent : à Rome, ainsi qu’en Grèce et en Turquie, l’on plantait un cyprès à la naissance d’une fille, présageant par-là sa future dot, autre manière allégorique de lui souhaiter un mari. A son départ de la maison de ses parents, le cyprès était coupé, non pas en signe de deuil comme je l’ai pu lire (la jeune fille va se marier et sans doute avoir des enfants : où est le deuil dans tout ça ?). Peut-être propitiatoire, le cyprès est avant tout une figuration végétale du jeune homme, c’est plus précisément l’amoureux : alors que l’amoureuse est représentée par une rose en Orient, un narcisse en Crète, un arbre à sucre (un érable) en Russie, dans toutes ces régions son équivalent masculin est un cyprès, masculinité que l’on retrouve dans la flèche d’Éros et le sceptre de Zeus, qui étaient tout deux façonnés dans du bois de cyprès.
Il importe de relativiser et de ne pas faire parler les légendes et les croyances à tort et à travers. Par exemple, « en Sicile […], le jour des Morts, les enfants […] détachent aussi des branches de cyprès et de romarin, et rentrent joyeusement avec elles dans les maisons. Cette joie ne peut signifier autre chose que la vie bienheureuse des trépassés » (13). Planter un cyprès à la naissance d’une fille comme dot (on a fait de même du peuplier en Italie) ou à l’abord d’une maison procède de multiples intentions : assurer protection, adresser des souhaits de bienvenue, mais aussi fournir, quand le moment sera venu, le bois suffisant pour remplacer la poutre maîtresse de la maison quand l’ancienne viendra à rendre grâce. N’est-ce point pareil dans les cimetières ? Outre que le cyprès offre son pouvoir protecteur aux défunts dans l’au-delà, l’on taille aussi dans son bois les quatre planches clouées entre elles pour former un cercueil. De ces arbres droits comme des i, l’on passe à la poutre et aux planches bien horizontales, l’homme transitant d’une position debout à la suivante, couchée : cela dessine un cycle perpétuel, celui de la naissance et de l’ensevelissement, celui de la création sans laquelle il n’existe pas de destruction. (Tu as besoin d’anti-oxydants pour que tes cellules te fassent paraître presque aussi jeune que tu ne l’es, mais tu ne pourrais te passer de l’oxygène indispensable à ton existence.) Et d’un achèvement résulte, humus putride qui accueille la jeune graine qui rêve de germer, l’infime et ténu souvenir d’un recommencement, d’une résurrection : « Adam fut enterré dans la vallée de l’Hébron, et de son corps naquirent trois arbres provenant des graines célestes : un cèdre, un cyprès et un pin » (14). L’incorruptible cèdre, mêlé au cyprès endeuillé, est flanqué du pin, souvent substitué par le palmier, végétal phénix de résurrection, et de l’olivier, symbole de l’onction. L’on dit que ces arbres s’entremêlèrent ou n’en formèrent plus qu’un, et que c’est dans son bois que l’on tailla la croix christique, inversant le symbolisme, nous présentant nous plus un mourant couché, mais, malgré lui, forcé de conserver une position verticale. Origène expliqua que le cyprès est d’une très bonne odeur, celle de la sainteté, parce qu’« il représente le secret de Dieu » (15).
Protecteur, le cyprès était sculpté par les Romains qui plaçaient des statues à l’effigie de Priape tout autour de leurs champs et de leurs jardins. De cette manière, le cyprès écartait les indésirables. Il joue le même rôle tout autour des cimetières, le Cupresso protège des âmes errantes, des feux follets et des démons, comme le rapporte Hildegarde de Bingen, dans son Physica : « Si quelqu’un est envoûté par le diable ou par la magie, prends de ce bois qui est au centre de cet arbre, creuse-le avec une tarière et recueille dans un vase de terre l’eau d’une source vive, en la faisant passer par ce trou du bois […]. Que cette eau lui soit donnée à boire, quand il est à jeun, neuf jours de suite, parce qu’il est tourmenté ou envoûté par le diable, par des fantômes ou par la magie, et il ira mieux » (16). Le bois de cyprès était donc considéré comme un talisman contre les entités démoniaques, puisque « le diable fuit avec dédain tout ce qui est vertueux, parce qu’il n’a lui même aucune vertu » (17).

Du cyprès, l’on connaît surtout son allure fastigiée (de fastigium, « faîte »), haute colonne étroite et profilée qui peut grimper jusqu’à 30 m. C’est là la caractéristique de la forme cultivée, celle-là même qu’on a plantée en masse dans le Midi pour s’abriter du vent et des bourrasques d’arène. Quant à la forme sauvage ou dite encore « mâle », elle possède des branches bien plus horizontales. C’est d’elle qu’on tire la matière végétale nécessaire à l’extraction de l’huile essentielle de cyprès. Dans un cas comme dans l’autre, le cyprès est toujours très ramifié, et chacun de ses rameaux porte de minuscules feuilles écailleuses emboîtées les unes dans les autres. Bien que n’étant pas des aiguilles, ces feuilles persistent sur l’arbre entre 2 et 4 ans, ce qui lui confère sa parure constamment verte.
Sur un même pied, l’on observe des fleurs mâles et d’autres femelles, les premières en forme de cônes jaunâtres, les secondes verdâtres, desquelles naîtront les cônes globuleux qu’on appelle galbules, plus ou moins sphériques, de couleur gris verdâtre veiné de rose violacé. Longs de 4 cm au maximum, chacun d’eux est constitué de 8 à 14 écailles hexagonales tout d’abord juxtaposées (le cyprès s’y connaît en pavage du plan ^.^) jusqu’à maturité. A ce stade, les écailles s’écartent les unes des autres tout en brunissant et en se lignifiant, afin de permettre à leurs petites graines ailées de s’envoler dans le souffle du vent.
En France, le cyprès est surtout présent dans deux zones géographiques dans lesquelles il fructifie, c’est-à-dire le Midi et l’Ouest. Il devient plus rare dans le Nord et dans l’Est, aux climats peu adaptés à son tempérament.

Le cyprès en phyto-aromathérapie

Aujourd’hui, si je vous dis « cyprès », vous devriez immédiatement penser « huile essentielle ». C’est un fait. On rencontre plus couramment cet arbre sous cette forme, plutôt que celle, en vrac, de feuilles et de galbules qui, au reste, ne sont pas autorisés à la vente libre en France. Ce qui fait que le regard ne croise pas le cyprès, par le biais de ses feuilles et de ses galbules, dans les boutiques de bien-être et de produits biologiques. Pour bien des personnes, le cyprès ne se résume donc qu’à un petit flacon de verre ambré. Pourtant, il y a un siècle et plus, la matière médicale se satisfaisait parfois des feuilles, mais surtout des galbules cueillis avant maturité lorsqu’ils sont verts, aux écailles encore soudées entre elles, et quelquefois le bois, bien que plus rarement, et l’écorce des jeunes rameaux.
L’on connaît beaucoup mieux la composition de l’huile essentielle de cyprès, du fait de sa sur-représentation par rapport aux autres parties brutes, même si elle est issue d’eux. A travers une seule huile essentielle, il est parfois difficile de s’imaginer la forme d’une feuille, la couleur d’une fleur, la rudesse de l’écorce d’un arbre…
Outre des données biochimiques portant sur cette huile essentielle, il n’y a pas grand-chose d’autre à se mettre sous la dent à propos des éléments constitutifs du cyprès. Contraint à la brièveté, je puis néanmoins vous indiquer la présence de flavonoïdes et de polyphénols, d’une grande quantité de tanin, de divers sels minéraux (fer, calcium, potassium, phosphore) et enfin d’une fraction aromatique dont la proportion est estimée autour d’1 %. Pour en obtenir l’huile essentielle, on distille les rameaux feuillés à galbules à l’aide de la vapeur d’eau. Le cyprès oblige à une distillation longue, parce que fractionnée (3 heures de distillation suivies de 8 heures de repos, puis reprise de la distillation pour trois dernières heures). Le rendement reste assez faible, variant de 0,5 à 1,2 %. Il ne faut pas pour autant faire de cette huile un produit aussi précieux que certains voudraient bien nous le faire croire (toutes les huiles essentielles le sont). En effet, la matière première qui en permet l’obtention n’est pas aussi rare que cela.
Après analyses de plusieurs chromatographies en phase gazeuse, il apparaît que la part belle moléculaire est allouée aux monoterpènes. J’ai établi des chiffres moyens :

  • Monoterpènes : 82 % dont α-pinène (48,5 %), δ-3-carène (17,9 %), β-myrcène (3,1 %), limonène (2,6 %), sabinène (2 %)
  • Sesquiterpènes : 5,1 % dont germacrène D (2 %)
  • Esters : 3,6 % dont acétate de terpényle (3,1 %)
  • Sesquiterpénols : 2 % dont cédrol (1,1 %)

Très légère (densité : 0,87), l’huile essentielle de cyprès est généralement incolore, mais peut aussi apparaître jaune très pâle. Son parfum boisé, balsamique, résineux et ambré lui vaut d’être utilisée en parfumerie, domaine dans lequel elle se double d’un absolu, afin d’entrer dans la composition de parfums aux notes de chypre et de fougère. Fraîche, forte et tenace, l’huile essentielle de cyprès est aussi employée en savonnerie.

Propriétés thérapeutiques

En bon arbre de vie qu’il est, le cyprès n’apprécie pas trop quand la circulation se fait difficile et stagnante. D’ailleurs, on notera avec délice et bonheur le parallèle que l’on peut faire entre l’arbre et l’homme : ils possèdent chacun deux circuits circulatoires (sève montante et sève descendante pour l’arbre, système veineux et système artériel pour l’homme). En effet, le cyprès aime quand ça bouge et ça circule. Ce n’est pas pour rien si le cyprès est un tonique circulatoire, un décongestionnant veineux et un vasoconstricteur. Il porte son action sur les troubles de l’insuffisance veineuse. Il a donc un rapport avec le sang qu’il canalise et qu’il évite de stagner, mais qu’il bloque également dans ses épanchements accidentels (bien des propriétés psycho-émotionnelles sont inspirées de ces caractéristiques).

  • Anti-infectieux : antifongique, antibactérien, antiviral, antiseptique atmosphérique
  • Régulateur du système neurovégétatif, rééquilibrant du système nerveux, stimulant général, immunostimulant, neurotonique, positivant (?)
  • Anti-inflammatoire, analgésique
  • Décongestionnant veineux et lymphatique, veinotonique, vasoconstricteur, rend son élasticité aux parois des veines, antihémorragique
  • Mucolytique, expectorant, antispasmodique bronchique, antitussif
  • Emménagogue, œstrogen like léger, régulateur du système hormonal féminin
  • Décongestionnant prostatique
  • Diurétique (bois)
  • Anti-oxydant, antiradicalaire
  • Astringent, détersif (galbule), cicatrisant
  • Antisudorifique (huile essentielle), sudorifique (bois)
  • Fébrifuge léger (bois)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère circulatoire : hémorroïdes, varice, varicosité, phlébite, fragilité capillaire, insuffisance veineuse, drainage lymphatique, œdème des membres inférieurs, jambes lourdes, rétention hydrolipidique, cellulite, hypertension
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dysenterie, dysenterie infantile, flux muqueux, sang dans les selles, hématémèse, constipation chronique des personnes âgées et des asthéniques, paresse intestinale, collapsus rectal
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite, énurésie infantile, incontinence, vessie hyperactive, hématurie, congestion et adénome prostatiques, prostatite, écoulement urétral
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : rhume, bronchite, bronchite chronique, encombrement bronchique, hémoptysie, tuberculose pulmonaire, toux (spasmodique, quinteuse, sèche, rebelle, coquelucheuse), maux de gorge, trachéite, laryngite, pharyngite, aphonie, acouphènes
  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, dysménorrhée, règles tardives et/ou abondantes, pertes blanches, congestion pelvienne, troubles liés à la ménopause
  • Affections cutanées : plaie, brûlure (premier et deuxième degré), ulcère variqueux, engelure, herpès labial, eczéma, soin des peaux grasses, coup, bleu, hématome, transpiration fétide et/ou excessive, vergetures
  • Troubles locomoteurs : rhumatismes, engorgement articulaire, crampe musculaire
  • Troubles du système nerveux : irritabilité, stress, asthénie, fatigue nerveuse, psychique et émotionnelle, insomnie, deuil
  • Parotidite, hyperthyroïdie (?)
  • Alopécie
  • Autres hémorragies passives : saignement de nez

Note : la médecine traditionnelle chinoise use d’une autre espèce de cyprès, le cyprès de l’Himalaya (Cupresssus torulosa), un bel et grand arbre. Curieusement, si la médecine traditionnelle chinoise s’adresse aux feuilles et aux rameaux, elle ne semble pas faire appel aux galbules, bien plutôt aux graines qu’ils contiennent : elles « nourrissent le cœur, calment l’esprit, lubrifient l’intestin, facilitent le transit » (18).
Selon les préceptes de cette médecine, feuilles, rameaux et graines s’adressent aux méridiens du Cœur et du Foie. Les graines seules s’occupent aussi de celui de la Rate/Pancréas, les feuilles et les rameaux du méridien du Gros intestin.

Modes d’emploi

  • Décoction d’écorce, de galbules concassés, de feuilles.
  • Macération alcoolique de feuilles fraîches.
  • Fumigation humide de feuilles fraîches, fumigation sèche de feuilles sur charbon ardent.
  • Poudre de feuilles.
  • Cataplasme de feuilles fraîches.
  • Huile essentielle : par voie orale (avec mesure, parfois sous contrôle médical), par voie cutanée diluée, par diffusion atmosphérique, inhalation et olfaction.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : si jamais vous avez la chance d’avoir un cyprès sous la main, peut-être pourriez-vous lui demander son concours en récoltant ses galbules encore verts et ses rameaux au printemps.
  • Toxicité : du fait de sa propriété œstrogen like (c’est-à-dire à même de mimer les œstrogènes), l’huile essentielle de cyprès est potentiellement tératogène. On ne l’emploiera ni chez la femme enceinte ni chez celle qui allaite. De même, on ne l’utilisera pas dans les cas suivants : pathologies cancéreuses hormono-dépendantes, hyperœstrogénie, mastose, fibrome…
  • L’α-pinène est possiblement allergisant, aussi veillera-t-on à diluer l’huile essentielle de cyprès dans une huile végétale avant toute application cutanée.
  • Soyez attentif dans vos choix. Il est conseillé de se tourner vers une huile essentielle biologique, 100 % pure et naturelle. Parfois, cette huile essentielle est coupée avec de l’huile essentielle de térébenthine, peu onéreuse à produire. On comprend aisément le motif des falsificateurs.
  • En associant cette huile essentielle à des plantes comme le fragon, l’hamamélis, l’hydrastis, le marronnier d’Inde et la vigne rouge, on peut grandement améliorer la circulation sanguine. Pour la favoriser encore davantage, il faut privilégier dans l’alimentation ce qui contient des flavonoïdes (thé, vin, raisin, pomme, cacao, artichaut, ail, oignon, épinards, brocoli…).
  • Teinture capillaire : d’après Dioscoride puis, beaucoup plus tard, Jean-Baptiste Porta, les galbules du cyprès permettent de foncer les cheveux.
    _______________
    1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 327.
    2. Le cyprès a été beaucoup planté dans certaines régions du Midi de la France pour cette raison, mais cette surpopulation a donné lieu à l’apparition d’inattendus problèmes d’allergie au pollen de cyprès, comme on le rencontre à propos du thuya et du peuplier par ailleurs, et ce pour de semblables raisons (au-dessous d’un certain seuil, il n’y a pas d’allergie ; ce phénomène apparaît lorsqu’on compte x grains de pollen par mètre cube d’air, et que la valeur dépasse le seuil critique).
    3. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 85.
    4. D’après Angelo de Gubernatis, Chypre doit son nom à celui du cyprès. Beroth serait la façon dont on désignait le cyprès en phénicien.
    5. Pétrone, Le Satiricon, p. 181.
    6. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 117. En Grèce, le cyprès était un temple à lui tout seul, surtout quand il forme, en masse, un bois sacré. Au Japon, le cyprès (cyprès du Japon ou hinoki faux-cyprès, Chamaecyparis obtusa) est très usité d’un point de vue cérémonial et religieux : outre qu’on façonne des temples dans du bois de cyprès, cet arbre fournit aussi la matière dont se compose le sceptre du prêtre shinto, le shaku (bien que d’autres essences puissent intervenir pour ce faire : cerisier, cèdre, houx, if, etc.). Ce sceptre, qui rappelle celui de Zeus, nous signale que pour les Japonais, le cyprès appelle aussi l’élément igné : le feu rituel est allumé par le frottement de deux morceaux d’hinoki.
    7. Ibidem, p. 54.
    8. Chez les Grecs antiques, les enfers n’ont pas la même valeur que l’enfer biblique du christianisme.
    9. C’est bien évidemment le cyprès qu’il faut lire dans le nom de Kupárissos, ayant emprunté au sémitique koper qui veut dire « résine » (ce qui peut surprendre : sachons que sous climat chaud, le cyprès exsude une résine qu’il ne produit pas en France).
    10. Parce qu’il l’estimait beaucoup plus durable que l’airain, Platon souhaitait voir les lois inscrites sur des tablettes de bois de cyprès.
    11. Ils doivent sans doute être également effarés de ce mot, sarcophage, qui a été forgé pour désigner leurs boîtes à momies, puisque, étymologiquement il veut dire « manger la chair » ; il y a mieux pour exprimer l’impérissabilité. Mais l’idée comme le mot qui la véhicule doivent parfois être tenus sous silence, comme le rappelait, mi-figue mi-raisin, le docteur Leclerc au siècle dernier : « On fera bien, comme je l’ai déjà conseillé, de formuler le médicament autrement que sous son nom français, le mot cyprès pouvant éveiller dans l’esprit des malades des pensées funèbres ou leur inspirer de ces plaisanteries classiques où l’humanité souffrante plaît à établir entre la Camarde et le médecin les liens d’une indésirable parenté » (Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 98).
    12. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 115.
    13. Ibidem, p. 119.
    14. Michèle Bilimoff, Les plantes, les hommes et les dieux, p. 101.
    15. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 171.
    16. Ibidem, pp. 171-172.
    17. Ibidem, p. 171.
    18. Liu Shaohua & Marc Jouanny, Phytothérapie alimentaire chinoise, p. 76.

© Books of Dante – 2020

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