La scutellaire de Virginie (Scutellaria lateriflora)

Voici une plante dont on parle encore peu, sans doute parce qu’elle a été occultée par sa cousine asiatique, la scutellaire du Baïkal. Pourtant, cela aurait dommage de se priver de tout ce que cette plante a à offrir, puisqu’elle est d’une grande aide dans les troubles du système nerveux, son grand domaine d’élection demeurant les troubles d’anxiété généralisée (mais pas que). Vu le XXIe siècle à la sauce occidentale qu’on est en train de se concocter, je pense que cette plante a tout lieu d’être présente auprès de nous. Rien que de savoir qu’elle existe et ce qu’elle peut faire pour nous, c’est se sentir mieux armé encore face à tout ce que ce monde peut offrir de brutal et d’angoissant.

Une belle lecture à toutes et tous, excellent week-end ! :)

Gilles

Synonymes : toque, grande toque, scutellaire américaine, grande scutellaire, scutellaire bleue, pimprenelle bleue, scutellaire casquée, fleur de casque, bonnet de quaker, chien fou, etc.

« Les scutellaires sont de petites Labiées, peu usitée d’ailleurs, dont le trait caractéristique réside dans la forme du calice dont la lèvre supérieure porte une bosse saillante, formée par une sorte de repli transversal, qui, loin d’être inerte, sous le choc d’un insecte ou de la pluie, ainsi qu’à la fin de la floraison déclenche le rapprochement des deux lèvres et la fermeture du calice. Les corolles violacées ou roses dépassent longuement le calice et leur lèvre supérieure en forme de voûte abrite les quatre étamine à filets parallèles. Les fleurs sont groupées deux par deux au long de la tige et tournées toutes du même côté. Ce sont des plantes des marécages, tourbières, bois et prés humides, ainsi que du bord des eaux »1. Cela, c’est ce dont on peut prendre connaissance si l’on s’attarde à la page 887 du Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de Paul-Victor Fournier, demi-colonne qui s’étend sur des caractéristiques générales avant d’exposer en moins d’un quart de page des informations relatives à la seule scutellaire que compte le territoire national, la scutellaire casquée, alias Scutellaria galericulata, dont le désintérêt flagrant n’apporte rien à la lecture de ces maigres paragraphes. Pour peu qu’on soit curieux, on aura tôt fait d’apprendre que de l’autre côté de l’océan Atlantique, le territoire de l’Amérique du Nord comprend de nombreuses plantes de ce type, dont la plus connue et commune est sans aucun doute la scutellaire de Virginie. Alors que les Européens négligeaient leur scutellaire endémique, les descendants des premiers colons du Vieux Continent en Amérique du Nord apprirent de ces nouvelles scutellaires dont ils croisèrent le chemin. Mais cela ne se fit pas sans mal, comme on peut l’imaginer. Bien avant cela, on se doute bien que les scutellaires firent l’objet d’un usage médicinal par les tribus amérindiennes présentes sur place. Quand on prend connaissance des informations préservées dans les recueils ethnobotaniques, l’on constate à quel point c’est vrai : bien des tribus (parmi lesquelles les Delaware, les Ojibway, les Mendocino, etc.) usaient de plusieurs espèces de scutellaires (S. californica, incana, parvula, angustifolia, elliptica, etc.), et cela pour des maux très variés, ces plantes regroupant des propriétés stomachique, vomitive et laxative, mais aussi tonique nerveuse et emménagogue. Aussi bien remèdes gynécologiques que rénaux, ces scutellaires entraient en ligne de compte dans le traitement de la diarrhée, des frissons fébriles, des troubles cardiaques et des douleurs oculaires. Pour en venir plus précisément à la scutellaire de Virginie maintenant… Les comptes-rendus ethnobotaniques mentionnent le fait qu’elle fut employée par les tribus des Miwok (contre la toux et le rhume) et des Iroquois (pour les maux de gorge, en prévention de la variole). Mais ce qui est plus abondamment relayé dans la littérature, ce sont les relations des Cherokees avec cette scutellaire. Des infusions de racines de scutellaire de Virginie étaient effectivement utilisées par eux comme antidiarrhéique et remède gynécologique dont les vertus emménagogues étaient profitables aux femmes lors des périodes menstruelles. De plus, des décoctions de racines ont été usitées pour aider à l’expulsion de l’arrière-faix (le placenta) après l’accouchement et pour remédier aux douleurs ressenties dans les seins. Cette plante passa encore auprès des Cherokees comme un médicament actif sur la sphère rénale et comme tonique nerveux. Observons qu’aujourd’hui ce sont essentiellement les parties aériennes de cette plante et non pas ses racines qui font l’objet d’une pratique thérapeutique, ce qui peut expliquer qu’entre ce que l’on reconnaît aujourd’hui à la scutellaire de Virginie et ses utilisations traditionnelles par les Cherokees, il n’y ait aucune corrélation apparente dans beaucoup de cas. Malgré les quelques sources d’informations concernant l’ethnobotanique amérindienne de la scutellaire de Virginie, rien ne semble vraiment affirmé à propos des fondements ancestraux de l’utilisation historique de cette plante qui pousse un peu partout sur le territoire nord-américain et qui, par conséquent, a dû voir passer des dizaines de générations amérindiennes successives. Malheureusement – et c’est un fait qu’il importe de mettre en lumière –, « une grande partie de la médecine traditionnelle des peuples autochtones d’Amérique du Nord a été perdue en raison de la décimation de la population et du déplacement de leurs terres par les conquérants européens »2. De langue iroquoise, la nation cherokee vivait initialement dans une zone située à l’est/sud-est des États-Unis actuels au moment où les premiers colons entrèrent en contact avec elle (cf. carte). Les guerres entretenues entre les Cherokees et les Blancs eurent pour conséquence la reddition de vastes étendues de terres au profit de ces derniers. La découverte d’or sur le territoire de la Géorgie n’arrangea pas non plus les affaires des Cherokees, déjà fragilisés par l’Indian Removal Act, loi de déportation des Indiens votée par le Congrès les 24 avril et 26 mai 1830, et qui entérinait le déplacement de plusieurs tribus le long de la « Piste des larmes », funeste entreprise réalisée de 1831 à 1839, période marquée par le traité de New Echota du 29 décembre 1835 qui força les Cherokees à céder toutes les terres qu’ils occupaient à l’est du Mississippi. Outre les morts que cela occasionna, de nombreux savoirs furent abandonnés, égarés et détruits en chemin. Or, à l’époque de cette déportation des Cherokees en direction d’un Ouest moins prospère, la scutellaire de Virginie n’était entrée que récemment dans la pharmacopée étasunienne : bien que mentionnée pour la première fois dans la décennie 1775-1785, elle faisait déjà partie bien avant cette date de la pharmacopée domestique des colons européens, celle-là même qui s’était construite au fur et à mesure des contacts entretenus avec les diverses tribus amérindiennes présentes sur place. Comment donc continuer à apprendre si l’on soustrait la source d’information principale ? Ce faisant, on se coupe de toute une fraction étendue de savoirs accumulés au fil des générations par les Amérindiens. Malgré un usage relativement récent de cette plante par la pharmacopée des États-Unis, au XIXe siècle, on en savait assez pour affirmer les traits caractéristiques suivants : la scutellaire, considérée comme diurétique et emménagogue, brille surtout par les grands services qu’elle rend en tant que tonique du système nerveux : elle favorise le sommeil et calme les convulsions épileptiques. Cette plante qui lutte contre l’irritabilité est fort utile dans tous les cas où elle peut faire prévaloir ses qualités neurotoniques et sédatives face à la chorée, à la danse de Saint-Guy, aux tremblements, au delirium tremens, à l’hystérie, à la schizophrénie, à la monomanie et à « cette condition indéfinie connue sous le nom de nervosité »3. Aujourd’hui, confortée dans ces observations précurseuses dans le domaine de la santé mentale et nerveuse, la médecine moderne assure que « la scutellaire est un traitement sûr pour presque tous les dysfonctionnements du système nerveux de nature légère ou chronique, allant de l’insomnie à la peur en passant par les maux de tête nerveux, et comme revigorant-palliatif de base lorsqu’il s’agit d’évacuer le stress »4. Et dire que l’irruption des opiacés et surtout des médicaments anxiolytiques issus de la chimie de synthèse a failli décider de l’arrêt de l’utilisation de cette plante par la médecine ! Quand on constate déjà ce qu’elle sait faire et ce qui nous reste à révéler de son profil thérapeutique, l’on se dit qu’il aurait été dommage que cette plante se perde elle-même tout à fait, ce qui aurait pu alors être l’occasion d’un commentaire grinçant de ma part quant à l’utilité de déplacer/tuer des centaines/milliers de gens si c’est pour en arriver là. Mais non, je ne me l’autorise pas, je préfère continuer à grandir au contact de la scutellaire de Virginie, plante qui parait tout à fait adaptée à mes conditions : en adéquation avec les personnes minces, elle est particulièrement remarquable en ce qu’elle les aide à éviter de brûler l’énergie par les deux bouts, puisque, en général, elles sont guère capables de conserver longtemps de bonnes réserves, ne mesurant pas l’étendue de l’énergie accumulée (ou encore son manque), ce qui explique que, très souvent, ces personnes vivent au-dessus de leurs moyens énergétiques. Or, vivre sur un grand pied quand on n’a pas le sou n’est point trop commode !

Afin d’étoffer le portrait thérapeutique de la scutellaire de Virginie, ajoutons encore ses bons effets sur nombre d’affections nerveuses telles que l’excitabilité, l’agitation, l’incapacité de contrôle et de coordination des mouvements musculaires, les secousses, les soubresauts, les névralgies, le délire marmonnant, et même jusqu’aux enfants dont les dents se font et qui sont rendus irascibles pour cela, capables même d’enrager facilement, à la manière de ces adultes qui pètent les câbles (nerveux), sortent de leurs gonds au point d’être hors d’eux-mêmes, tous états d’extrême tension prête à voler en éclats à la faveur d’un stimulus imprévu, un bruit trop fort et soudain très souvent (ces réactions excessives au bruit rappellent ce que nous avons dit au sujet de cette autre plante nootrope qu’est le gotu kola). Être hors de soi. Cette image n’est-elle pas saisissante ? Où se trouve-t-on lorsqu’on est mis en dehors de soi-même ? Imaginez-vous le pouvoir bien trop puissant du stimulus capable de nous faire quitter notre propre place et forcer notre esprit à battre la campagne ? Un tel stimulus a tant de pouvoir sur nous, qu’en peu d’effort il nous désarme, dissocie corps et esprit même pour un temps bref, scinde en deux parts ce qui devrait former une unité. On est donc à la merci de ce qui provoque ce stimulus particulier (lieu, circonstance, personne…) quand on sort de ses gonds. Le mieux, bien entendu, serait de l’identifier au plus vite afin de le neutraliser pour qu’il ne fasse plus peser sur nous le poids de ses menaces. Sur ce point, la scutellaire de Virginie peut nous venir en aide. Si le kawa (Piper methysticum) est impliqué dans « les troubles phobiques, paniques et obsessionnels compulsifs », l’orpin rose (Rhodiola rosea) et le safran (Crocus sativus) le sont dans la dépression, et le jujubier (Zizyphus jujuba), la fleur de la passion (Passiflora incarnata) et maintenant la scutellaire dans tous ce qui concerne les troubles anxieux. L’anxiété est un bien grand mot qu’il importe de rendre avec plus de netteté et de précision, plusieurs degrés de stress séparant un malaise léger d’une peur panique. Quelle que soit l’identité exacte de cette anxiété, on observe souvent des répercussions d’ordre somatique grevant l’économie du corps de problèmes de santé et accablant les individus qui en sont les victimes de difficultés dans le fonctionnement social et professionnel. Aux comorbidités connexes habituelles de l’anxiété, s’ajoutent les signes physiques de sa manifestation dans le corps, c’est-à-dire une pâleur du visage, une transpiration anormale, de l’hyperventilation, des troubles de la déglutition (dysphagie, nausée) et du tractus intestinal (diarrhée), des palpitations cardiaques, des tensions dans la tête et dans les muscles, etc. Eh bien, face à tout cela, sachez que les flavonoïdes de la scutellaire de Virginie se lient aux récepteurs cérébraux impliqués dans la modulation de l’anxiété, que cette plante contient encore de la glutamine, un acide aminé qui, bien qu’il ne soit pas « essentiel », est impliqué dans la réponse immunitaire de l’organisme face au stress oxydatif qui connaît de graves conséquences à travers des maladies neurodégénératives et neuropsychiatriques telles que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, la dépression et, donc, l’anxiété. Enfin, par la présence d’acide γ-aminobutyrique (GABA), la scutellaire est capable d’inhiber l’anxiété. Grâce à la scutellaire, qui me paraît être l’une des grandes plantes nootrope dont le XXIe siècle a/aura besoin, l’humeur s’améliore globalement sans affecter les capacités cognitives ou le niveau énergétique général. « Les avantages les plus souvent rapportés par les patients à leurs praticiens étaient d’être plus calmes, de constater une amélioration des habitudes et de la qualité du sommeil et une meilleure capacité à faire face aux situations stressantes. Les effets positifs étaient l’élévation de l’humeur, l’énergie accrue, le fait d’être plus concentré et de se sentir généralement plus détendu »5. On pourrait même convier la scutellaire de Virginie à la gestion de la schizophrénie numérique. C’est en lisant le petit livre qu’accorde Anne Alombert à ce sujet (récemment paru aux éditions Allia), que je me suis dit que cette lecture concomitante à la rédaction de cet article ne tenait rien du hasard. L’on sait que la surexposition informationnelle aux écrans, outre qu’elle provoque des troubles psychiques, détruit aussi les capacités d’attention, cette même attention dont je parlais conjointement à mon article sur le gotu kola. Ce trouble de déficit de l’attention est la résultante d’une surcharge cognitive et informationnelle vectrice de stress et d’anxiété. Or la scutellaire n’est-elle pas bien capée pour lutter contre une telle anxiété ? A la condition de seconder ses efforts en se coupant au mieux de la source stressante impliquée par cette hyper-connexion aux écrans et aux réseaux. Peut-être êtes-vous l’une des nombreuses victimes de l’économie de l’attention qui mobilise votre hypervigilance, jamais à votre profit, mais à celui de quelques lobbys soucieux d’industrialiser les esprits, car « dans un monde surchargé d’informations, les attentions individuelles deviennent une ressource rare, qu’il s’agit de canaliser et d’orienter afin d’influencer les comportements des agents dans la bonne direction »6, celle-là même souhaitée par les mêmes lobbys, à vos dépens, bien entendu. Comme la scutellaire permet de s’amender de diverses addictions (tabac, café, alcool) et d’assurer un sevrage aux barbituriques et autres anxiolytiques de synthèse, je me suis demandé dans quelle mesure elle pouvait avoir une implication pour aider à décrocher des écrans et de l’industrie mortifère qui va avec… Ce qui serait souhaitable, sachant que la pratique assidue des réseaux sociaux aggrave l’anxiété et la dépression7. Or, ce qui traverse votre attention sculpte votre cerveau. A quoi peut bien ressembler un cerveau exposé à un tel déluge de stimulations répétées et de qualité aussi médiocre généralement, hum ? ^.^

La scutellaire de Virginie est une robuste plante vivace d’assez petit gabarit (60 à 80 cm) aux tiges quadrangulaires élancées, dressées et très ramifiées, portant des feuilles arquées en gouttière, régulièrement opposées le long des tiges. Grossièrement crénelées, ces feuilles sont couvertes de fins poils glandulaires. Survenant dès le mois de juin, la floraison de la scutellaire bleuit la plante de petites fleurs hermaphrodites tubuleuses en forme de « casque ».

La scutellaire prospère sur les environnements bien ensoleillés (quoi qu’elle puisse tolérer d’être exposée à mi ombre), sur des sols humides mais bien drainés d’une très grande partie de l’Amérique du Nord s’étendant, d’est en ouest, de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique, et du nord au sud, de l’Ontario à la Floride. Au sein de cette vaste étendue territoriale, on la croisera surtout en bordure d’étang (je l’imagine bien tenir compagnie à Thoreau lorsqu’il passa ses 2 ans, 2 mois et 2 jours près de l’étang de Walden ^.^) et de rivières (ripisylves), à proximité des canaux, des marais, des tourbières et des prairies très humides.

La scutellaire de Virginie en phytothérapie

Demeurée longtemps concentrée sur la racine de la scutellaire du Baïkal, plante plébiscitée depuis des siècles par la médecine traditionnelle chinoise, la phytothérapie occidentale a cru bon devoir se tourner en direction de la plus commune des scutellaires du continent nord-américain. En comparaison, l’usage de la scutellaire du Baïkal est beaucoup plus ancien, comme l’atteste cette information : « En 1973, au nord-ouest de la Chine, on découvrit 92 tablettes en bois dans une tombe datant du IIe siècle de notre ère. Parmi les plantes prescrites sous forme de décoctions, de teintures, de pilules et d’onguents, figurait la scutellaire du Baïkal »8. Du côté de la scutellaire de Virginie, l’on ne constate rien de tout cela, attendu que les tribus amérindiennes, dont les colons ont « hérités », n’ont laissé aucune information manuscrite et que le plus ancien usage (re)connu de cette plante par les colons, remonte au temps où ceux-ci se permirent de rester à l’écoute des savoirs autochtones ancestraux, ce qui est plus pratique, avant même de les faire disparaître une bonne fois pour toute, d’une manière ou d’une autre…

Très nombreuses, réparties sur au moins trois continents (Europe, Asie, Amériques), les scutellaires sont, parmi plusieurs centaines d’espèces (un nombre qu’on estime entre 350 et 470), six à sept dizaines à présenter des intérêts pour le thérapeute. Malgré cette vaste distribution et une représentativité fort étendue, il apparaît que d’une espèce à l’autre, les composants phytochimiques, s’ils conservent peu ou prou les mêmes fonctions (se protéger face aux prédateurs, s’adapter aux conditions météorologiques, etc.), se localisent diversement selon la plante considérée : alors que la médecine traditionnelle chinoise s’en va déterrer la scutellaire du Baïkal afin de tirer partie de sa racine comme matière médicale, on n’observe rien de comparable au sujet de la scutellaire de Virginie : en effet, si dans les racines de cette dernière plante, on trouve à peu près les mêmes composants que dans la scutellaire asiatique, ceux-ci y sont présents en beaucoup plus petites quantités : c’est que le mode d’accumulation de ces substances diffère selon les espèces. C’est pourquoi l’on préfère accorder plus d’attention aux parties aériennes de la scutellaire de Virginie qui possède dans son feuillage ce que la scutellaire du Baïkal stocke dans ses parties souterraines. Bien que davantage connue et étudiée, j’ai volontairement laissé de côté la scutellaire du Baïkal, premièrement parce qu’on en utilise la racine (il faut donc tuer la plante, et j’ai du mal avec la plupart des remèdes racines pour cela, surtout s’ils sont issus de plantes qui se cultivent mal ou pas/peu), qu’on l’emploie de manière bien trop large et qu’elle en vient donc à se raréfier. Je ne puis donc pas faire la promotion d’une plante sur laquelle pèse la menace d’une extinction. Celle-là, j’aimerais qu’on la laisse tranquille et qu’on la substitue par une plante plus courante, exploitable de manière raisonnée et moins risquée pour la survie de l’espèce (ce qui ne veut pas dire qu’il faut reporter la pression sur celle-ci !…). Cela tombe très bien : la scutellaire de Virginie est toute trouvée pour jouer un rôle médical en phytothérapie, sans pour autant complètement se confondre avec sa cousine asiatique, l’une n’étant pas la copie-carbone de l’autre. En tous les cas, la phytopharmacothérapie n’a pas à rougir d’accueillir une telle plante dans ses rangs, car elle vaut mieux que d’être seulement une cousine américaine éloignée de la menthe poivrée ! Au vu de ce qui va suivre, vous allez très rapidement vous rendre compte que mes recherches, loin d’être vaines, m’amènent à présenter une plante dont il aurait été fort dommage de se priver. Entamons donc le recensement des composants biochimiques qui ont agité les méninges des chercheurs ces vingts dernières années (je serai le plus bref et ordonné possible ^.^). Allez, c’est parti ! : des alcaloïdes indoles (mélatonine, sérotonine), des phytostérols (β-sitostérol, daucostérol), des polyphénols (verbascoside, acide caféique, acide p-coumarinique), des glycosides phénylpropanoïdes (martynoside) et phényléthanoïdes (leucosceptoside A), des iridoïdes (catalpol), des dihydropyranocoumarines (scutéflorine A, scutéflorine B, décursine). Pas mal jusque-là, hein ? Mais ça, c’est juste le hors-d’œuvre. Accrochez-vous pour la suite ^.^ On va souffler avec des trucs faciles, tiens : tanins, acides organiques (acide férulique, etc.), vitamine C, polysaccharides. Voilà que ça se complique maintenant avec les lignanes (syringarésinol 4-O-β-D-glucopyranoside), les triterpènes pentacycliques (acide ursolique) et les diterpénoïdes néolédanes (scutellaterine A, scutellaterine B, scutellaterine C, ajugapitine et scutécyprol A). Cependant, la palme d’or revient au grand groupe des flavonoïdes et apparentés : la scutellaire de Virginie en contient tant qu’il a fallu que j’en limite le nombre aux plus fréquemment cités dans la littérature scientifique, ce qui n’est pas de la tarte, sachant que chaque année il s’en découvre de nouveaux dans la même plante ! Voici ceux dont on parle prioritairement depuis ces deux ou trois dernières décennies : la baïcaline, la baïcaléine, la scutellarine, la latériflorine, la wogonine, l’ikonnikoside I et l’oroxyline A. Additionnons-y la fournée suivante : dihydrobaïcaline, wogonine 7-β-glucuronide, isoscutellarine, isoscutellarine 8-O-β-D-glucuronide, scutellaréine, apigénine, apigénine 7-O-β-glucuronide, apigétrine, lutéoline, lutéoline 7-β-glucuronide, hispiduline, naringénine, naringénine 7-O-β-glucuronide, oroxyline A-7-O-glucuronide, dihydro-oroxyline A, chrysine, 2-méthoxy-chrysine-7-O-glucuronide, dihydrochrysine, etc. Comme si ça ne suffisait pas, sachez qu’il existe une fraction aromatique dans les parties aériennes de cette plante, bien qu’elle ne me semble pas faire l’objet d’un commerce particulier au sein des articles d’aromathérapie. Voici néanmoins quelques données chiffrées qui permettent, comme d’habitude, de rendre compte des disparités biochimiques selon le lieu de provenance des plantes. On va ici comparer une huile essentielle de scutellaire de Virginie typiquement nord-américaine (plante cultivée et distillée dans l’état du Montana, aux États-Unis) avec une autre d’origine iranienne.

Iran :

  • sesquiterpènes (75 à 80 %) : dont δ-cadinène (27 %), calaménène (15,2 %), β-élémène (9,2 %), α-cubénène (4,2 %), α-humulène (4,2 %) et α-bergamotène (2,8 %) ;

USA :

  • diterpénols : dont octénol (27,5 %), phytol (14,8 %) ;
  • sesquiterpènes : dont β-caryophyllène (8,8 %), trans-α-bergamotène (4,1 %), α-humulène (3,2 %), germacrène D (1,5 %) ;
  • phénols : dont thymol (2,6 %), carvacrol (1,1 %) ;
  • monoterpénols : dont linalol (1,1 %).

Propriétés thérapeutiques

  • Tonique du système nerveux, trophorestauratrice du système nerveux central, sédative, calmante (sans causer de perte d’énergie ni de vigilance), antispasmodique, anticonvulsivante, anxiolytique, antipsychotique, relaxante, neuroprotectrice, euphorisante (à doses appuyées)
  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antivirale
  • Hépatoprotectrice, antidiabétique (par inhibition des cellules pancréatiques)
  • Diurétique, protectrice du système urinaire
  • Anticancéreuse, antiferroptose, inhibe la métastase des cellules cancéreuses, anti-angiogenèse, anti-néoplasique
  • Cardioprotectrice, stimulante de la circulation sanguine dans la région pelvienne
  • Anti-inflammatoire, anti-oxydante puissante, antiradicalaire
  • Astringente légère
  • Décontractante musculaire
  • Effet œstrogénique (in vitro)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie nerveuse, reflux gastro-œsophagien, anorexie, affections intestinales de nature inflammatoire
  • Troubles de la sphère gynécologique : maintien d’un cycle menstruel fonctionnel, promotion de la fertilité féminine, syndrome prémenstruel, règles douloureuses, douleur dans les seins
  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, rhume, rhinite allergique, asthme, infection grippale (abaisse la fièvre si elle est trop élevée, calme la toux et la sensation d’essoufflement, réduit les palpitations cardiaques, l’irritabilité et l’anxiété que suscitent de tels épisodes)
  • Troubles du système nerveux : stress, anxiété, angoisse (et crise d’angoisse), nervosité, agitation, hyperactivité, TDAH, choc nerveux, crise de panique, épreuve péniblement nerveuse (examen, entretien d’embauche, etc.), déprime, état dépressif, dépression légère, insomnie et autres troubles du sommeil, épuisement nerveux et mental (après un épisode infectieux, par exemple), épilepsie, convulsions, sclérose en plaques, encéphalomyélite, migraine d’origine nerveuse, addiction (tabac, alcool, café), sevrage (barbituriques, anxiolytiques)
  • Troubles locomoteurs (dont beaucoup d’origine nerveuse) : fibromyalgie, ostéomyélite, contractures et spasmes musculaires (muscle tendu, contracture dorsale, nuque raide, mâchoires serrées…), tics nerveux, névralgie, arthrose, arthrite rhumatoïde, rhumatisme
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : hyperlipidémie, prévention des maladies cardiaques ischémiques (comme l’infarctus), maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires
  • Affections cutanées : allergie cutanée, piqûre d’insecte, herpès labial
  • Insolation sévère
  • Affections cancéreuses : fibrosarcome, carcinogenèse9

Modes d’emploi

  • Infusion des sommités fleuries (fraîches comme sèches) : comme la scutellaire n’est pas très fan de l’eau bouillante et des longues ébullitions qui dénaturent la plante, il est préférable de procéder ainsi : faites bouillir la quantité d’eau voulue, patientez quelques instants afin qu’elle tiédisse un peu et à ce moment seulement, versez la plante dans l’eau à raison d’une à deux cuillerées de plante sèche pour la valeur d’une tasse d’eau et laissez infuser pendant 10 à 15 mn.
  • Poudre : conditionnée le plus souvent sous la forme de gélules titrées, il arrive aussi de pouvoir se procurer de la poudre de scutellaire en vrac. En ce cas, l’on compte ½ cuillerée à café délayée dans ½ verre d’eau tiède.
  • Teinture : certains, qui la disent préférable à l’infusion de l’herbe (surtout si elle est sèche), préconisent d’élaborer une teinture de scutellaire fraîche de la manière suivante : placez, si vous en avez, une part de plante fraîche dans cinq parts d’alcool le plus fort possible. Durant la première semaine de macération, ouvrir le bocal tous les jours et mélangez bien vigoureusement à la cuillère, puis les deux semaines suivantes, remuez juste le bocal une fois par jour. A l’issue, passez, filtrez et exprimez. Si l’alcool utilisé pour cette opération s’avère trop faible pas sa teneur (40-50°), il faudra sans doute songer à étaler la durée de macération à six semaines. En terme de dosage, l’on convient qu’ils sont (peuvent être) plus appuyés lorsqu’on a affaire à une teinture « maison » : ¼ de cuillerée à café dans ½ tasse d’eau chaude trois fois par jour est amplement satisfaisant. En revanche, avec l’extrait hydro-alcoolique de scutellaire que j’ai repéré dans le commerce, il en va tout autrement : on considère une dose de 5 à 20 gouttes diluées dans un verre d’eau comme convenable.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : sur les pieds âgés de deux à quatre ans, on prélève les parties aériennes abondamment fleuries au milieu de l’été (juin-septembre), puis on les fait sécher en les suspendant tête en bas sur une ficelle. Quand la matière végétale craque souplement sous les doigts, on détache les feuilles et les sommités fleuries des tiges principales.
  • On rencontre souvent l’information d’après laquelle la scutellaire de Virginie serait hépatotoxique. Cette fausse réputation provient de lots adultérés par la présence de plantes du genre Teucrium (germandrées) dont certaines sont hépatotoxiques. A l’état sec, il est difficile de distinguer les unes de l’autre, ce qui autorise les mélanges frauduleux. Seules des analyses poussées permettent de déceler les lots problématiques. Cependant, la scutellaire de Virginie pourrait endommager le foie chez les sujets prédisposés à cette fragilité. Cette hépatotoxicité relative disparaît néanmoins à l’arrêt des prises.
  • Tout au contraire de ce sombre portrait, la scutellaire de Virginie est généralement une plante bien tolérée, sans aucune toxicité marquée et dont les effets secondaires, relativement mineurs, se soldent par un sentiment de somnolence en journée, des troubles digestifs légers, des nuits agitées emplies de rêves tout en vivacité (ce qui peut être intéressant ^.^ Certaines tribus amérindiennes mentionnèrent l’usage de cette plante pour obtenir des visions…). En revanche, en cas de surdosage (de la teinture essentiellement), l’on voit surgir des phénomènes plus « inquiétants » (vertige et étourdissement, stupeur et tremblements, convulsions, tics nerveux, sentiment de confusion, irrégularité du rythme cardiaque, etc.).
  • Si la scutellaire de Virginie est compatible avec la lactation et l’allaitement, elle doit tout à fait être évitée durant la grossesse car susceptible de provoquer une fausse couche.
  • La scutellaire de Virginie est incompatible avec la prise de « calmants » (du type benzodiazépines) et d’alcool.
  • Il s’avère possible d’associer cette plante avec d’autres médicinales à visée sédative et calmante : la damiana, la lavande officinale, la mélisse citronnée, le millepertuis, la passiflore, l’eschscholtzia, etc.
  • Médecine vétérinaire : en Amérique du Nord, cette plante est utilisée auprès des animaux de compagnie en proie à l’anxiété, à ceux qui supportent difficilement le transport automobile et ceux qui sont potentiellement sujets aux crises d’épilepsie.
  • Autres espèces : la scutellaire à casque européenne (S. galericulata), la petite scutellaire (S. minor), la scutellaire barbue (S. barbata), la scutellaire de Cuba (S. havanensis), etc.

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  1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 887.
  2. Source.
  3. John W. Fyfe, Specific diagnosis & specific medication, p. 715.
  4. Matthew Wood citant Michaël Moore, Traité d’herboristerie énergétique, p. 420.
  5. American skullcap (Scutellaria lateriflora) : an ancient remedy for today’s anxiety ?, Brock et al, 2010.
  6. Anne Alombert, Schizophrénie numérique, p. 20.
  7. Source.
  8. Larousse des plantes médicinales, p. 134.
  9. « L’oroxyline A […] a un grand potentiel dans le traitement de multiples cancers, y compris le cerveau, le sein, le col de l’utérus, le côlon, l’œsophage, la vésicule biliaire, l’estomac, l’hématologie, le foie, les poumons, la bouche, les ovaires, le pancréas et la peau. Toutefois, l’absence d’études pharmacocinétiques, d’évaluations de la toxicité, d’études de normalisation des doses et d’effets indésirables limite l’optimisation de ce composé en tant qu’agent thérapeutique » (Source).

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