Le gayac (Guaiacum officinale)

Synonyme : gaïac, gaïac blanc, guayaque, bois des Indiens, bois des Français, bois sain, bois saint (translation de l’haïtien gayacan), palo santo, vera, jasmin d’Afrique, bois de vie, arbre de vie.

Dans chaque cale de navire, il y a toujours une bande de rats qui s’y promènent, et l’on ne se soucie pas toujours du passager clandestin qu’eux-mêmes peuvent transporter par la voie des eaux, sans que les hommes ne s’en doutent, se contentant de les chasser à coups de pieds quand ils viennent à les croiser. Ainsi en était-il lors de la traversée de l’océan Atlantique par Christophe Colomb à la fin du XVe siècle, et pas moins au retour, sinon davantage… En effet, « en plus des trésors du Nouveau Monde, les marins de Colomb rapportaient, de leurs amours avec les Indiennes, une nouvelle maladie qu’on a d’abord appelée  »malum galicum » ou mal galicien »1, attendu que Colomb débarqua en Espagne à son retour. De la péninsule ibérique, ce mal transita en Italie par la France, mutant au passage en malum gallicum, « mal français ». Accompagnant telle une armée de rats pesteux en marche celle des hommes, la maladie voyagea incognito, bien au chaud dans leurs entrailles, tandis que ceux-ci se ruaient sur des terres ennemies à la manière d’un continent qui n’a pas vu chair ferme depuis des lustres qu’il traverse ces langueurs aqueuses et amères au sel dilué qui lui poisse jusqu’aux plis de la peau. Mais mal leur en pris, une souffrance étrange les affecta peu à peu, ce qui les mena – excusez du peu – à une véritable débandade, ce qui est tout de même un comble pour une maladie dont on imagina qu’elle pût avoir son siège dans le giron de la belle Aphrodite ! A l’aide d’armées cosmopolites telles qu’on pouvait en voir à la fin du XVe siècle par exemple, les soldats malades purent essaimer à leur gré dans toute l’Europe, la maladie emprunta non seulement la voie des convois militaires, mais également celle des permissionnaires et de ceux qui, bien incapables de soulever la moindre rapière, furent renvoyés chez eux, y répandant, comme de juste, cette maladie « à laquelle chacun voudra donner le nom du voisin »2. Ainsi fut-elle tour à tour française, napolitaine, allemande, polonaise et même étrangère. Ce phénomène se fractalisa : ce qu’il était à l’échelle d’un continent, il le devint aussi à celle d’un pays. Un régionalisme épidémique se mit en place en France : la peste de Bordeaux concurrença le mal de Niort, celui de Poitiers tint la dragée haute à la gorre de Rouen, etc., chacun se considérant au-dessus de tout soupçon et cherchant avant tout à accabler et ostraciser son voisin.

L’Europe venait tout juste d’accoucher de la Renaissance qu’à son berceau se penchait la fée Syphilis.

Face à ce nouveau fléau, l’on en rechercha tout d’abord les causes : occultes, pernicieuses ou divines, elles suggéraient des modes de transmission aussi variés qu’invraisemblables. L’une d’elle nous a été léguée par Jérôme Fracastor (1478-1553) qui, « plutôt que d’accuser les conséquences du libertinage, […] invente une punition infligée par Apollon à un berger, Syphilis, qui avait eu le tort de soulever une peuplade d’Amérique à la révolte »3. C’est du moins ce qu’on peut lire dans le poème en trois livres qu’il fit paraître en 1530, Syphilidis sive Morbi Gallici. Mais certains esprits plus éclairés du même siècle ne mirent pas bien longtemps à établir la relation de cause à effet. Fernel et Rabelais furent de ceux-là : l’acte voué à Vénus est responsable de la contagion syphilitique, vénérienne donc, d’autant qu’il est des lieux et des personnes (ruffians, maquerelles, etc.) qui en favorisent inexorablement la reptation à la plupart des membres de la société. (Cependant, il faut savoir que les transmissions peuvent s’opérer de personne à personne en dehors de tout cadre sexuel, et ce d’une foule de manières que l’on n’imagine pas toujours en être les responsables.) Étonnamment, Fracastor ne semble pas ignorer la cause de la syphilis, écrivant par ailleurs qu’« il faut haïr la belle Vénus et redouter la contagion pour les tendres jeunes filles ». Bref. Toujours est-il que face à cette morbifique nouveauté, il fallut bien faire quelque chose. Certains conseillèrent de ne pas trop s’attarder durant les jeux amoureux. Hum. D’autres de faire attention à la prédisposition naturelle que l’on pourrait avoir à attraper cette maladie, chose que l’on ne peut apprendre sur soi-même qu’au moment où l’on signe un contrat avec dame Syphilis. Fallope – celui des trompes – imagina un ingénieux système de préservatif que tout mâle devait chausser précédemment à l’acte, mais j’ai quelques doutes quant à la qualité hermétique du dispositif. Enfin, certains, plus timorés, enjoignirent leurs semblables à se méfier, tout bonnement (id est : s’abstenir). Une telle catastrophe sur le plan sanitaire fut contrecarrée – autant que faire se put – par des modes opératoires diversifiés et faisant la part belle à l’imagination, « de là, tant de drogues diverses, tant de méthodes différentes, tant d’essais infructueux, tant de procédés ridicules ! »4. La panique et l’incompréhension peuvent faire faire bien des choses. Que voyons-nous trop cela en nos contrées depuis deux ans !… Cependant, l’on mit en œuvre, en tout premier lieu, ce que l’on connaissait déjà : ce bon vieux duo de la saignée et de la purgation (on ne sait jamais…^.^), la fumigation générale, les frictions et les emplâtres, etc. « Heureusement, la nymphe America avait indiqué des remèdes, en particulier des plantes et le mercure – le collègue Mercure pouvait bien contrecarrer Apollon ! »5. Eh oui, après en avoir expliqué la cause, Jérôme Fracastor nous livre, à la manière des antiques poètes grecs et romains, les révélations que les Muses auraient aimablement portées à son attention. Objet d’un premier emploi empirique, le mercure, dans des mains inexpertes, occasionna bien plus de dégâts qu’il ne régla la problématique syphilis, le mauvais emploi et l’abus qu’il en fut fait provoquèrent davantage de décès que la maladie par ses seuls moyens. Les débordements mercuriels expliquèrent les faveurs qu’on fit au gayac « rapporté du Nouveau Monde par Gonzalez, le trésorier de l’île Hispaniola, qui l’avait utilisé pour sa propre maladie »6, après qu’un indigène lui ait appris quel remède pouvait guérir l’affection dont il souffrait. Les chroniques nous relatent, avec une pointe d’enthousiasme, qu’il « fut non seulement délivré de ses douleurs, mais encore parfaitement guéri »7. Ce qui ne put laisser de marbre Ulrich von Hutten (1488-1523) qui datait l’importation du gayac en Europe à 1515 (ou 1517). Il s’en fit l’ardent propagandiste, attendu qu’avant de faire la connaissance de l’arbre gayac, il fit celle de dame Vérole. En 1521, il témoigna de la cure thérapeutique à base de bois de gayac qu’il endura afin d’endiguer les dommages du mal dans un ouvrage récemment traduit en français, De guaiaci medicina et morbo Gallico (La vérole et le remède du gaïac, ISBN : 9782251346090). Au rang des dithyrambes et autres pompeux éloges, l’on se souviendra du médecin de Charles-Quint, Nicolas Poll, qui prétendait que 3000 syphilitiques furent amendés de leur affliction grâce à une décoction de bois de gayac qui les en affranchit comme dans un enchantement. Ce fut, dit-on, le cas d’Érasme (1466-1536) : après de multiples tentatives mercurielles de se défaire du mal, une seule cure de gayac le délivra tout à fait. Il n’en fallut pas plus pour faire du gayac un véritable don du ciel pourvoyant à la protection, à la force et, par voie de conséquence, à la guérison. Ce qui stérilisa un peu la croyance qui voulait qu’on réservât le mercure aux malades de la seule Europe, les autres, les sauvages, pouvant bien se contenter de ce qu’ils avaient sous la main pour soigner et guérir cette terrible maladie, le gayac entre autres. Ainsi absorbait-on, deux fois par jour, une décoction de râpures de bois de gayac. Puis l’on se couvrait chaudement afin que ce bois sudorifique fasse suer ce qui est mauvais dans la nature de l’homme, c’est-à-dire les vilaines humeurs. Mais tout cela ne fonctionna pas toujours et n’empêcha pas Ulrich von Hutten de mourir de sa syphilis à l’âge de 36 ans ! Pour camoufler cet insuccès relatif, l’on tenta bien de restituer aux « Américains » ce qui leur appartenait de fait et de droit, qu’il n’y avait pas meilleur remède que celui qui, comme la perle, sommeille auprès du dragon. (Il est drôle, après ça, de constater que Cartier met du gayac dans un parfum qu’il appellera Le baiser du dragon… ^.^) Prétendant que le climat influence l’action des remèdes, on expliqua qu’on guérissait plus facilement la syphilis dans les pays d’Amérique où elle sévit par le seul emploi de végétaux qui y abondent, comme le gayac, dont les résultats européens contrastés seraient à mettre sur le compte d’une relative incompatibilité entre le syphilitique européen et ce remède venu d’ailleurs, ce qui est pour le moins tiré par les cheveux ! Peu importe, cette perle d’importation fit encore bien des émules, la « ptisane » de copeaux de bois de gayac conserva pendant longtemps une réputation antisyphilitique bien prononcée. C’est ce que l’on peut encore constater fin XVIIe siècle chez Pierre Pomet, puis un siècle plus tard dans l’œuvre de Desbois de Rochefort, enfin dans Roques (1837). Au début du XXe siècle, le gayac n’était plus que le second couteau de la remédiation syphilitique par le mercure, ce qui n’évita pas, plus tôt, Joseph Roques de prétendre détenir la preuve de l’efficacité du gayac sur la syphilis, aux dépens du mercure, souvent vanté comme beaucoup plus efficace. Mais, entre les exagérations et les inexactitudes, il est bien légitime de se poser des questions : ce sudorifique de premier ordre qu’est le gayac est-il oui ou non un remède des maladies vénériennes ? C’est ce que pensait Desbois de Rochefort, qui signalait aussi son efficacité contre le pian. Qu’est-ce que c’est que ça ? Eh bien, à la veille de la Révolution française, l’on n’en connaît pas la cause exacte, puisqu’elle fut découverte en 1905 par le bactériologiste italien Aldo Castellani sur l’île de Ceylan : un spirochète, bactérie Gram -, du nom de Treponema pertenue. Eh bien ? Eh bien, il se trouve que la même année, Fritz Schaudinn et Erich Hoffmann mirent la main sur un énergumène du même acabit à Berlin, Treponema pallidum, qui est l’agent infectieux responsable de… la syphilis. Le pian et la syphilis sont donc deux maladies provoquées chacune par des bactéries très proches l’une de l’autre. Or, il se trouve que « chez l’homme, l’affection ressemble par beaucoup de points à la syphilis, elle est inoculable, très contagieuse, mais non vénérienne »8. Dans le pian, on observe des lésions cutanées (chancre pianique) qui font écho aux chancres vénériens de la syphilis qui siègent sur la vulve, la verge et les muqueuses anales et buccales. Il est bien possible qu’on ait pris l’un pour l’autre, bien que dans le pian les muqueuses soient toujours épargnées. Bien trop d’affections manifestant leur bouillonnement interne par des éruptions cutanées furent trop rapidement qualifiées de « peste », de « lèpre » et de je ne sais quoi d’autre du même tonneau. Mais n’est pas la lèpre qui veut. Ni la peste, d’ailleurs. Il serait tentant de les fourrer dans le même sac, mais pour bien marquer qu’il s’agit de deux maladies distinctes, le pian « ne confère pas l’immunité contre la syphilis, et celle-ci n’immunise pas contre le pian »9.

Mais le gayac, si l’on ne sait pas vraiment dans quelle mesure il peut mériter le titre de « spécifique de la syphilis », est un arbre qui a su faire ses preuves auprès des affections bucco-dentaires (douleur dentaire, ramollissement des gencives, carie, gangrène, cautérisation des nerfs dentaires), mais par-dessus tout en direction des affections rhumatismales : « Il est certain que la continuité de l’usage de la résine de gayac produit presque des miracles dans la goutte et les rhumatismes rebelles à tous les autres moyens »10, en particulier la goutte tophacée, c’est-à-dire relative à un dépôt de cristaux d’acide urique. Pour prendre son pied, ce n’est pas l’idéal, mais cela vaut mieux que cette grande simulatrice de syphilis, imitant tant et tant un grand nombre d’autres maladies, qu’avant l’invention des antibiotiques venus la combattre, l’on ne savait sans doute plus trop à quel saint se vouer.

Arbre à croissance lente, le gayac ne se permet guère d’atteindre la taille d’un petit noyer. Ce qui fait toute la modestie du diamètre de son tronc recouvert d’une écorce de couleur gris roussâtre qui se détache facilement à la façon des lenticelles du platane. Semper virens, les feuilles du gayac sont composées généralement de quatre folioles, parfois de six, qui s’opposent, sessiles, le long du pétiole. Rondes à presque oblongues, ces folioles vert tendre sont finement nervurées à leur surface. Enchâssées dans un calice velu brandi par un long pédoncule qui ne l’est pas moins, les fleurs du gayac se réunissent en faisceaux ombelliformes. D’un joli bleu azur ou pervenche, elles comptent cinq pétales et une dizaine d’étamines. Quant aux fruits, ils sont parfaitement originaux, adoptant un peu la forme d’un blason d’armoiries. Ces capsules cordiformes un peu anguleuses et charnues, tout d’abord vertes, forcissent sous la pression intérieure qui les anime, passent au jaune ou au orange franc, s’ouvrant à maturité sur une amande brun rougeâtre.

Le gayac est un arbre typique d’Amérique centrale, autant des petits pays qui forment le lien entre le nord et le sud de ce vaste continent, que les îles qui baignent au large de la mer des Caraïbes, c’est-à-dire Cuba, la Jamaïque, la République dominicaine. Également continental comme nous l’avons dit, le gayac prospère au nord de l’Amérique du sud, sur les zones côtières de pays tels que le Brésil, le Surinam, le Venezuela et la Colombie.

Das Franzosenholz : le bois français. Les préjugés ont la vie dure. On sous-entendait par-là : bois qui soignait le mal dit français, c’est-à-dire la syphilis.

Le gayac en phyto-aromathérapie

Si vous avez l’impression de tomber dans des annales vieilles de cinq siècles, ne vous en étonnez pas, la séance de dépoussiérage que j’ai fait subir au gayac a résisté au poids de l’histoire : le gayac, même pour moi, passe pour des ces improbables remèdes qu’un distrait apothicaire aurait égaré dans un bocal isolé, tout en haut d’une étagère, se demandant bien ce qu’il pourrait en faire, aujourd’hui qu’est bien passée la ferveur sainte que l’on sut profuser autrefois en l’honneur du bois de vie ! Mais le flacon d’huile essentielle de gayac que j’ai sous les yeux et le nez ne permet aucun doute : le gayac n’est pas qu’un fantasme hérité des médecins de la Renaissance. Tentons donc d’en savoir un peu plus à son sujet.

Autrefois, le bois de gayac était importé en imposantes bûchettes de 400 à 500 livres, mais cela ne se fait plus guère de nos jours. « Ce bois n’a besoin d’autre choix que d’être bien net et sans aubier [NdA : la couche claire située entre le cœur et l’écorce ; cf. photo ci-dessous], à quoi il est fort sujet ; ainsi ceux qui voudront l’avoir de la qualité requise, l’achèteront en bûches ; et après en avoir ôté le blanc qui est l’aubier, feront râper ou hacher le bois qui est noir, pesant, dur et fort résineux »11. Par cette préconisation, Pierre Pomet conseillait de ne se concentrer que sur le cœur du bois, d’odeur balsamique, de saveur âcre et amère. Très compact, d’une densité élevée (jusqu’à 1,36), ce bois, sombrement coloré, arbore des teintes brun verdâtre/olivâtre, brun noirâtre, voire brun roussâtre.

Aujourd’hui, l’on ne fait plus râper le bois de gayac par le pharmacien, mais il y a 500 ans, il fallait bien indiquer les conditions sine qua non pour pouvoir en user comme il était convenable de le faire. Exiger que l’on s’exécutât ainsi devait soi, permettait d’éviter les pratiques de malappris consistant à incorporer dans la masse du bois de gayac des copeaux d’aubier rejetés par le soin médical, mais dont l’addition dans la balance aurait pu se traduire par une note plus lourde à payer.

Ce bois, bien sur, fut soumis au procédé de la distillation. On en tira divers produis que nous listons ci-après à titre de simple curiosité : un flegme, un esprit acide très léger, une huile essentielle pesante, « épaisse et fort puante », une huile médiate légère, enfin un résidu noir comme du charbon. Outre le cœur du bois de cet arbre, l’on prêta aussi attention à son écorce, épaisse et tout aussi compacte. « On la choisira uni, pesante, difficile à rompre, grise par-dessus et blanchâtre au-dedans, d’un goût amer et assez désagréable »12 qu’elle tire de la présence d’une gomme-résine (plus résine que gomme au reste) qui s’écoule librement de l’écorce du gayac quand on vient à la fendre. De couleur brune ou roussâtre, très parfumée mais de saveur âcre, cette substance friable s’avère être peu soluble dans l’eau, mais l’est entièrement dans l’alcool. Autrefois, l’on usait du bois de gayac (son cœur) et de sa résine pour l’extraction d’un phénol auquel on a donné le nom de gaïacol, substance que l’on croise aussi dans la créosote du hêtre. On l’érigeait au titre de remède unitaire, de la même façon que l’on faisait cas du menthol et de l’eucalyptol, c’est-à-dire en rejetant la compagnie des autres molécules. A l’heure qu’il est, on prend soin de ne plus négliger le totum.

Appelons maintenant à plus subtil, d’autant que le gaïacol, qui mord la peau, n’est plus guère employé. On peut en dire autant de l’huile essentielle de gayac, du moins en thérapeutique. Celle-ci est issue de l’hydrodistillation du bois réduit en sciure et copeaux, et du bois des rameaux et grosses branches. Après parfois vingt-quatre heures de distillation, l’on obtient un favorable rendement de 5 à 6 % d’une huile essentielle visqueuse, dont la couleur varie du blanc jaunâtre au marron, en passant par le brun clair. Âcre et caustique lorsqu’elle est pure, elle l’est beaucoup moins lorsqu’elle est diluée dans de l’alcool, ce qui a pour avantage d’en amoindrir la viscosité et d’en faciliter l’emploi. Cette substance aromatique, dite boisée et ambrée, contient une doucereuse touche de rose et d’amande qui donne envie de la déguster à la petite cuillère comme on le ferait d’une agréable friandise. Contrairement à cette monade qu’est le gaïacol, les principaux constituants de l’huile essentielle de gayac ne sont pas des phénols, mais des sesquiterpénols, ce qui explique un caractère dermocaustique beaucoup moins prononcé. Au total, on y trouve environ 83 % de ces molécules dont du bulnésol (40,80 %), du gaiol (ou champacol : 31,50 %), de l’α-eudésmol (2,30 %), du β-eudésmol (3,70 %) et du y-eudésmol (3,50 %). Quelques oxydes et sesquiterpènes ferment la marche et complètent ce portrait bio-aromatique (α, β et δ-guiaène : 3 %).

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse : antibactérienne (Gram + et Gram – ; est plus efficace sur les germes Gram + que l’huile essentielle d’arbre à thé, par exemple), antiseptique des voies respiratoires
  • Stimulante générale, immunostimulante
  • Décongestionnante et tonique veineuse et lymphatique, activatrice de la circulation sanguine, fluidifiante sanguine, anti-thrombotique
  • Anti-inflammatoire, anesthésique
  • Purgative
  • Diurétique, sudorifique
  • Anti-oxydante, antitumorale (?)
  • Cicatrisante
  • Anti-arthritique
  • Anxiolytique
  • Modératrice de la toux

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite chronique, catarrhe pulmonaire chronique, asthme, tuberculose pulmonaire
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme, rhumatisme musculaire (pleurodynie), rhumatisme goutteux, rhumatisme articulaire, douleur musculaire, goutte, arthrite, périostose, nodus
  • Affections cutanées : ulcère (rebelle, syphilitique), dartre, brûlure, pustule, plaie superficielle, herpès labial, acné, adénite
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : écoulement chronique de l’urètre, gonorrhée, lithiase rénale
  • Congestion du petit bassin et des voies utérines
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire
  • Maux de dents, rage de dents
  • Syphilis : d’après ce que prétendaient encore certains auteurs relativement récents (Émile Gilbert 1886, M. Reclu 1889, P. P. Botan 1935)

Modes d’emploi

  • Décoction de bois de gayac : placez 30 g de bois de gayac râpé dans un litre d’eau, et mettez le tout à macérer pendant douze heures. A l’issue, portez à ébullition et faites réduire de moitié. On peut pousser la quantité de bois pour un litre d’eau à 60 g.
  • Macération vineuse de bois de gayac (peu usitée).
  • Teinture de gomme-résine de gayac : on l’utilise à raison de x gouttes par jour (réglées selon l’emploi qu’on en veut faire). Les diluer dans un véhicule adapté en amoindrit généralement le sentiment gustatif.
  • Eau-de-vie gingivale et dentifrice : faire macérer 30 g de bois de gayac râpé dans un demi litre d’eau-de-vie.
  • Pommade : inspirée d’une ancienne formule du Codex et utilisant du gaïacol. Voici comment on peut l’adapter à l’air du temps : lanoline (50 g), glycérine végétale (30 g), cire d’abeille (20 g), huile essentielle de menthe poivrée (1 ml), huile essentielle de gayac (1 ml).
  • Huile essentielle de gayac : voie orale, voie cutanée diluée, dispersion atmosphérique, olfaction.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • L’huile essentielle de gayac ne se recommande pas durant la grossesse et l’allaitement ; on l’écartera de même du périmètre des jeunes enfants. Dans tous les autres cas, l’on évitera d’en faire un usage prolongé, en particulier par voie interne par laquelle une irritation/inflammation intestinale reste possible. Un usage précautionneux s’impose auprès des personnes (très) irritables, couramment sujettes à l’inflammation, présentant une vive sensibilité, etc.
  • Parfumerie : fixatrice des notes de cœur, l’huile essentielle de gayac fait merveille en parfumerie. On la croise aussi dans les domaines de la savonnerie et de la cosmétique.
  • Travail du bois : espèce de « bois de fer », le gayac a su tirer son épingle du jeu auprès de l’ébéniste et du marqueteur, sa solidité et sa dureté (trois fois plus importantes que celles du chêne blanc, c’est dire !) ayant telle réputation qu’elles étaient vouées à la fabrication d’objets dont on souhaitait qu’ils perdurent dans le temps. Autant dire que le gayac ne sait pas ce que c’est que l’obsolescence programmée ! Ainsi en façonnait-on des poulies, des essieux, des hélices de bateau, mais également du matériel de chimie comme on l’apprend à la lecture du Traité élémentaire de chimie que l’on doit au sieur Lavoisier : il fait figurer, à côté du marbre et de la porcelaine, le bois de gayac comme matériau susceptible d’offrir de robustes mortiers et pilons, et autres bistortiers de pharmacien. Plus ludique, le bois de gayac fut employé pour qu’on y taille de grosses boules (ou bourles) pesant parfois jusqu’à 1500 g et dont on joue à travers une pratique qu’en France l’on nomme le boulingrin, francisation de l’anglais bowling green, ce jeu se pratiquant initialement en extérieur, sur gazon.
  • Faux ami : car on a cru reconnaître chez des arbres bien de chez nous des propriétés propres au gayac, on les a « rebaptisés » afin d’appuyer cette similarité parfois fort fantasmée. Ainsi peut-on croiser un gayac de France, qui n’est autre que le buis, et un gayac des Allemands, appellation derrière laquelle se dissimule le frêne.

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  1. André Soubiran & Jean de Kearney, Le petit journal de la médecine, p. 294.
  2. Ibidem, p. 295.
  3. Pierre Delaveau, La mémoire des mots en médecine, pharmacie et sciences, p. 271.
  4. Paul Lacroix Jacob, Recherches historiques sur les maladies de Vénus, p. 173.
  5. Ibidem.
  6. André Soubiran & Jean de Kearney, Le petit journal de la médecine, p. 303.
  7. Paul Lacroix Jacob, Recherches historiques sur les maladies de Vénus, p. 175.
  8. Larousse médical, p. 951.
  9. Ibidem, p. 950.
  10. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 2, p. 225.
  11. Pierre Pomet, Histoire générale des drogues, p. 115.
  12. Ibidem.

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