La morelle noire (Solanum nigrum)

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La morelle tire son nom du latin populaire morellus évoquant la couleur brune, mais cette origine proviendrait aussi du bas latin maurella, « brun comme un Maure », ce que souligne l’adjectif niger, c’est-à-dire « noir », tout cela étant très probablement lié à la couleur des baies de la morelle une fois qu’elles sont mûres. Ses nombreux noms vernaculaires en disent davantage à son sujet : herbe à gale, raisin de loup, tomate du diable, crève-chien, tue-chien, herbe aux magiciens…, soit un ensemble d’appellations qui ne sont pas sans rappeler une certaine belladone dont la morelle est une cousine. Malgré cette proximité et cette similitude, nous aurons l’occasion de montrer que la morelle est bien moins virulente que sa grande sœur, que l’on appelle parfois morelle furieuse ! Dans la grande famille des Solanacées, la morelle se classe au rang des « intermédiaires », n’ayant aucune commune mesure avec les solanacées héroïques (1) telles que jusquiame, datura, mandragore et belladone. Si l’on peut comparer la morelle à une autre solanacée dont le niveau de toxicité est équivalent, ce serait la pomme de terre, par exemple.

Chez les Anciens, la morelle tient aussi bien lieu de plante médicinale que de légume cultivé. En effet, les jeunes pousses de morelle, une fois cuites à la vapeur, sont comestibles. Elles furent prisées par les paysans grecs durant la Deuxième Guerre Mondiale, qui leur a imposé des restrictions alimentaires (de même qu’ailleurs on jetait son dévolu sur le topinambour quand la pomme de terre venait à manquer).
Théophraste parle d’une morelle qu’il appelle strychnos, laquelle serait comestible selon le botaniste. Les descriptions de Dioscoride évoquent très largement la morelle noire, alors que celle que Pline désigne sous le nom de strichnus, peu détaillée, ne nous permet pas d’en savoir davantage à son sujet.
La période médiévale est un peu plus prolixe en ce qui concerne la morelle noire. La maurella de Macer Floridus, qu’il dit d’une nature très froide, s’employait en cataplasme contre les douleurs de tête, les dartres rongeantes, le feu sacré, les égilops (ulcères de la paupière). En instillant du suc de morelle dans les oreilles, on en faisait cesser les douleurs (otites). En friction, elle stoppait tant les démangeaisons cutanées que l’hyperménorrhée. En revanche, pour Hildegarde de Bingen, la morelle noire qu’elle appelle nachtschade, est chaude et sèche, mais, tout comme Macer Floridus, l’abbesse souligne les propriétés sédatives et antalgiques de la plante : en effet, Hildegarde appliquait des cataplasmes de morelle sur les douleurs cardiaques et pectorales, sur les pieds et jambes douloureux, les articulations et les enflures, ainsi que sur les dents en cas de douleur dentaire. Cette réputation narcotique et calmante sera largement relayée au Moyen-Âge. Au XIII ème siècle, l’évêque italien Théodore Borgognoni, qui était aussi un chirurgien réputé, employait la morelle noire comme anesthésiant avant d’opérer ses patients. On l’employait encore dans les otites, les phlegmons du sein, on en fit même un topique contre les crises hépatiques et la goutte.
Au tout début de la Renaissance, Matthiole soulignera que la morelle est une plante prompte à « rafraîchir, dessécher et modérer ». En cela, elle entrait comme matière médicale dans une foule d’affections parmi lesquelles les cardialgies, les douleurs néphrétiques, la strangurie, la rétention d’urine, les coups de soleil, les ulcères, toutes affections douloureuses comme on peut le constater.

La morelle noire est une plante au port buissonnant, non sarmenteuse, contrairement à la morelle douce-amère. Ses tiges grisâtres, poilues ou glabres, portent des feuilles pétiolées vert foncé, vaguement ovales et pointues, irrégulièrement dentées. Les tiges, parfois couchées, permettent à la plante d’atteindre une hauteur de 60 cm quand elles sont dressées.
La floraison qui se déroule entre juin et septembre/octobre voit cette plante se couvrir de petites fleurs blanches de 15 mm de diamètre aux proéminentes anthères jaune d’or. Cinq pétales en étoile se recourbent vers l’arrière avec le temps. Les baies, tout d’abord vertes, deviennent d’un beau noir mat à pleine maturité : de petites billes d’un centimètre de diamètre. Chez les sous-espèces du sud de la France, les baies sont de couleur jaune ou orange. Comme ses cousines belladone, datura et jusquiame, la morelle noire dégage une odeur fétide.
Elle est commune en plaine, ainsi qu’en moyenne montagne, mais jamais à plus de 1 700 m d’altitude. Localisée en Europe et en Asie, elle peuple les friches, les terrains vagues et les décombres. Mais, parfois, on la voit s’aventurer dans les champs et les jardins, à tel point qu’elle en devient un adventice gênant pour les cultures.

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La morelle noire en phytothérapie

Bien qu’il ne soit plus tellement courant d’utiliser cette plante dans le cadre de phytothérapie « maison », indiquons tout de même que l’on emploie la plante fraîche au summum de sa maturité, à l’exclusion des racines (la plante sèche est pratiquement inactive). En terme de principes actifs, nous retiendrons surtout la présence d’un alcaloïde dont nous avons déjà parlé lorsque nous avons récemment abordé la pomme de terre : la solanine. Cette substance amère possède des propriétés semblables aux alcaloïdes présents dans la belladone et la jusquiame, mais en beaucoup plus faibles, ce qui, pour autant, n’est pas une autorisation à employer la morelle noire à tort et à travers, ne serait-ce que par la difficulté à estimer justement sa toxicité, une tâche rendue extrêmement ardue pour diverses raisons et qui donnent la curieuse sensation que la morelle est une coquine qui se joue de nous.
Tout d’abord, l’on peut mettre en avant la maturité de la plante. Il nous est conseillé d’employer cette plante au maximum de sa maturité. Or cette dernière est difficilement évaluable et ne donne pas d’indices précis sur la toxicité réelle de telle ou telle partie d’une plante qui se permet le tour de force d’être annuelle, bisannuelle ou vivace quand les conditions le lui permettent. Par exemple, la concentration de solanine diffère selon l’âge de la plante, d’après ce qu’indique Bernard Bertrand. Mais, à première vue, comment savoir si un spécimen a un ou deux ans ? Paul-Victor Fournier mentionne, lui, que la plante, lorsqu’elle est jeune et donc petite, contient peu de solanine, et que son taux augmente dans la plante au fur et à mesure qu’elle avance en maturité et que le fruit mûr représenterait l’apex de la toxicité de la morelle noire, ce que contredit Bernard Bertrand, affirmant que les baies mûres et noires de la morelle ne contiennent pratiquement plus d’alcaloïdes ! Selon cet auteur, les baies de morelle se comporteraient à la manière de celles de la tomate, c’est-à-dire qu’à l’état vert baies de morelle et baies de tomate sont incomestibles car trop chargées en solanine, laquelle disparaîtrait presque à totale maturité de ces deux fruits (pour information, une tomate bien mûre contient, en moyenne, seulement 0,0006 % de solanine, alors que ce taux est sept-cents fois supérieur chez la tomate encore verte). Le problème, avec la morelle, c’est que son fruit est noir bien avant maturité. Ce n’est donc pas la couleur qui indique la maturité de la plante. C’est peut-être cela qui explique que la consommation de ces baies est tantôt inoffensive tantôt problématique. Les faits sont clairs : il a été constaté l’empoisonnement d’enfants mettant en cause ces baies, mais également d’animaux (chiens, oiseaux, moutons, écureuils…), avec, pour certains d’entre eux, le décès à la clé. Par ailleurs, des auteurs ont expérimenté sur eux-mêmes la toxicité de la morelle en absorbant infusion de plante sèche, suc frais, baies, sans dommage pour eux. Fournier relate même que « pendant la Deuxième Guerre Mondiale, on a vu des prisonniers russes en absorber des litres » (2). Alors ? Peut-on conclure que seul l’état d’avancement de la maturité des baies de morelle noire est préjudiciable, ou bien d’autres facteurs entrent-ils en ligne de compte. En réalité, il en va aussi de la quantité absorbée, du biotope qu’occupe la plante, mais aussi de la résistance et de l’âge du sujet, etc.

Propriétés thérapeutiques

  • Sédative
  • Analgésique
  • Narcotique
  • Antispasmodique
  • Diurétique
  • Résolutive

Note : la solanine est caractérisée par une action sédative lente (quatre à six heures), même à hautes doses, mais elle est plus persévérante que la morphine (cf. Fournier, p. 898).

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : spasmes gastriques, entéralgie, hyperchlorhydrie, crise gastralgique, ulcère gastrique, dyspepsie, typhlite, autres gastropathies douloureuses
  • Douleurs rhumatismales, arthrite, sciatique, névrite
  • Spasmes de la vésicule biliaire
  • Coqueluche
  • Affections cutanées : abcès, ulcère, contusion, hématome, brûlure, dartre, panaris, phlegmon, furoncle, chancre, gerçure des seins, fissure des mamelons, prurit (hémorroïdaire, anal, vulvaire), eczéma suintant, parakératose psoriasiforme
  • Troubles de la sphère urinaire : cystite, urétrite, rétention d’urine
  • Troubles de la sphère gynécologique : métrite, salpingite, leucorrhée
  • Troubles de la sphère génitale chez l’homme : orchite

Modes d’emploi

  • Suc frais
  • Alcoolature
  • Décoction de feuilles pour lavage, bain, compresse
  • Cataplasme de feuilles fraîches

Précautions d’emploi

La toxicité de la morelle noire s’exprime surtout en cas de surdosage : douleurs gastro-intestinales, nausée, vomissement, diarrhée, vertige, sifflement d’oreilles, maux de tête, délire, congestion du visage, assoupissement. Au-delà, des phénomènes assez similaires à ceux que produit l’intoxication à la belladone apparaissent (mydriase pupillaire, hallucinations…). Dans le pire des cas, le décès peut survenir.


  1. Toutes les plantes héroïques ne sont pas des Solanacées, puisqu’on trouve dans ce groupe de plantes le pavot et l’aconit. Soulignons au passage que le mot même de « solanacée » provient du latin solamen/solaris qui signifie consoler, réconforter, soulager.
  2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 897

© Books of Dante – 2016

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