La gratiole (Gratiola officinalis)

Synonymes : herbe de Dieu, grâce de Dieu, gratia dei, séné des prés, hysope des haies, petite digitale, centauroïde, centauroule, herbe à la fièvre, herbe à pauvre homme.

Gratiole, gratia dei, grâce de Dieu. Vieux nom d’apothicairerie. De même qu’avec le dompte-venin, il est possible de s’attendre, une fois de plus, à un remède miraculeux. Hildegarde de Bingen avait assez souvent tendance à clôturer les chapitres du Physica en ces termes : tel remède guérira l’homme malade, sauf si Dieu s’y oppose, auquel cas il lui faudra mourir. Or, quand la grâce divine s’en mêle, il est raisonnable d’espérer une merveilleuse issue à bon nombre de maladies. Les différents surnoms de la gratiole confirment que cette plante a bien été placée sous les auspices de Dieu : elle tiendrait du séné, de l’hysope, de la digitale et de la centaurée. Une plante héroïque donc, que, étrangement, l’Antiquité et le Moyen-Âge ont oublié de faire figurer aux côtés des indémodables sauge et autre herbe sacrée telle que la verveine. Cela explique que la gratiole débute sa carrière sur le tard, et par la porte botanique tout d’abord : elle est figurée dans un herbier vénitien daté de 1536. Mais la médecine ne tarde pas à rapidement s’emparer d’elle : l’on voit le médecin italien Andrea Cesalpino (1519-1603) s’y intéresser, mais surtout Matthiole qui la présente ainsi : « Herbe très amère à saveur en même temps astringente, elle purge violemment aussi bien fraîche que desséchée, et elle fait évacuer la bile et les mucosités. Contuse et appliquée sur les plaies, elle les guérit rapidement ». En ce siècle, ainsi qu’au suivant, on administrera effectivement la gratiole comme purgatif et hydragogue à des doses si élevées que les cures étaient très souvent couronnées de succès, mais s’accompagnaient de décès aussi rapides qu’avait été prompte la purgation ! Cela justifie peut-être le désamour dont la gratiole a été la victime dans les siècles suivants, jusqu’au XIX ème, où elle était pratiquement inusitée. L’on ne peut dénigrer une plante au motif qu’elle présente une dangerosité certaine ; mais il est vrai qu’une frilosité excessive ne peut se conjuguer à un emploi pertinent et judicieux, de même qu’un aveuglement méprisant le caractère héroïque et drastique d’une plante. Regardez la grande digitale pourpre avec laquelle la gratiole s’apparente : si l’on avait abandonné cette plante à cause de sa toxicité manifeste, l’on n’aurait jamais su, qu’au-delà de ses propriétés diurétiques initialement reconnues et mises en application, cette plante est, tout comme la gratiole, un puissant et précieux médicament du cœur.

Petite plante vivace, la gratiole se dresse au-dessus du sol à l’aide de tiges quadrangulaires, glabres et droites. Ses feuilles, ovales ou lancéolées, s’opposent une à une le long de la tige qu’elles engainent, étant sessiles, c’est-à-dire dépourvues de pétiole. Vert jaunâtre le plus souvent, elles sont marquées longitudinalement par trois à cinq nervures bien visibles et parsemées de petits trous translucides. A l’aisselle des feuilles s’égrènent, une à une, des fleurs solitaires fichées sur un long pédoncule. De mai en octobre, l’on voit cette plante se parer de fleurs tubuleuses, au calice quadrilobé, le plus souvent blanches lavées de rose, de lilas et de jaune, ou bien entièrement roses.
Commune surtout dans le Centre et l’Ouest, rare ou absente par ailleurs, la gratiole exige des lieux très humides en basse altitude : bordure des ruisseaux, chaussée des étangs, proximité des marais.

La gratiole en phytothérapie

Parfaitement inodore, la gratiole n’est cependant pas dénuée de saveur, laquelle, peu agréable, est amère et nauséeuse. Elle tire cette particularité d’une substance résinoïde très amère, un glucoside nommé gratioline. Puis viennent de l’acide gratiolonique, du gratiolone et de la gratiolocrine, auxquels s’additionne la molécule qui rapproche la gratiole des digitaliques, c’est-à-dire la gratiotoxine dont la présence concerne avant tout les feuilles, la racine étant, quant à elle, davantage considérée comme éméto-cathartique. Au profil biochimique de cette plante, ajoutons une huile grasse, du tanin, une gomme, de l’acide malique et divers sels minéraux (calcium, potassium, sodium, silice).

Propriétés thérapeutiques

  • Laxative (doses faibles), purgative énergique (doses fortes), vomitive, vermifuge
  • Diurétique, hydragogue
  • Stimulante et tonique cardiaque
  • Fébrifuge
  • Vulnéraire

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation rebelle, occlusion intestinale, parasites intestinaux (ténia)
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : urémie, rhumatismes chroniques, goutte
  • Œdème et infiltration : hydropisie, ascite, engorgement des viscères abdominaux, œdème des membres inférieurs
  • Affections cutanées : ulcère de nature cancéreuse, ulcère de jambe, dermatose, maladies cutanées chroniques, dartre, gale
  • Troubles de la sphère génitale masculine : orchite, tuméfaction testiculaire, anaphrodisie
  • Troubles osseux : carie osseuse, douleur ostéocope
  • Troubles du système nerveux : névrose, hypocondrie
  • Fièvres intermittentes

Note : en homéopathie, la teinture-mère de gratiole se destine aux affections gastro-intestinales (inflammation gastrique, aigreur, brûlure et crampe d’estomac, diarrhée, atonie intestinale) et génito-urinaires (leucorrhée, gonorrhée, catarrhe vésical).

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles ou de sommités fleuries.
  • Décoction de racines.
  • Teinture-mère (plante entière).
  • Poudre de racines.
  • Macération vineuse de feuilles.

Note : la dessiccation n’altère que très peu les propriétés de la gratiole. L’emploi de la plante sèche permet d’en mitiger les effets énergiques.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : elle se réalise en début de floraison ou pendant.
  • Séchage : à l’ombre et au sec.
  • La question du dosage tient toute son importance avec une plante comme la gratiole : on estime que un à deux grammes de racine provoquent une purgation alors qu’une quantité doublée devient vomitive. Le mode de préparation a aussi une conséquence sur l’effet recherché. Par exemple, les principes cardiotoniques de la gratiole passent difficilement dans l’eau, contrairement à l’alcool. Ainsi, infusion et décoction n’exposent pas aux mêmes risques que l’alcoolature.
  • La gratiole est contre-indiquée chez les personnes sujettes à une irritation ou une inflammation chronique ou aiguë du tube digestif, aux diarrhéiques et aux dysentériques. C’est une plante « à ne donner qu’aux personnes ayant un estomac et des intestins indemnes », prévient Valnet (1).
  • Toxicité : aux doses idoines, les substances tonicardiaques de la gratiole ne s’accumulent pas dans l’organisme, ce qui rapproche cette plante du muguet et la distingue de la digitale pourpre. Outre le fait que la racine de gratiole suscite parfois un sentiment de malaise et d’angoisse causé par de fausses envies de vomir, la gratiole n’en reste pas moins une plante agissant comme la plupart des drastiques dès lors que le seuil de toxicité est atteint et dépassé. Cette toxicité, nourrie par une trop grande énergie dont sont coupables des doses exagérées, s’exprime, bien évidemment, sur l’ensemble du tube digestif (irritation gastro-intestinale, nausée, superpurgation, diarrhée incoercible), ainsi que sur la sphère rénale, y occasionnant irritation et inflammation. L’on constate aussi une surexcitation utérine causant ménorragie et perte du fœtus chez la femme enceinte. Enfin, la perturbation des rythmes respiratoires et cardiaques entraînent collapsus et décès.
  • Chez l’homme sain, l’usage de la gratiole produit des désordres visuels comme, par exemple, la coloration de la vision en vert.
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    1. Jean Valnet, La phytothérapie, p. 293.

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