La sanicle (Sanicula europaea)

Synonymes : sanicle d’Europe, sanicle mâle (1), senic, herbe aux vaches, herbe au chêne, herbe au charpentier, pied d’alon, herbe de saint Laurent.

Voici une plante qui se sera tenue à l’écart de l’Antiquité gréco-romaine : de même qu’il règne, au sujet de ses noms (2) une unanimité évidente, il en va de même en ce qui concerne l’ignorance dans laquelle furent placés les auteurs antiques à propos de la sanicle. L’on ne peut tout connaître, et l’Antiquité ne se résume pas qu’aux deux seuls mondes grec et romain, à l’égal du Moyen-Âge qui n’est pas une notion s’appliquant à la seule Europe, un point que l’on a trop tendance à oublier.
La toute première à faire mention d’une utilisation thérapeutique de la sanicle n’est autre que la très grande sainte Hildegarde, qui aménage une belle place dans son Physica à cette plante que, déjà, elle appelle Sanicula, du latin sanus, « sain » et sanare, « guérir » ; autant dire qu’elle porte en elle un potentiel que ne lui dénieront pas les successeurs d’Hildegarde. Mais, pour le moment, demeurons quelques temps au XII ème siècle, siècle d’Hildegarde, où l’on apprend le bien que l’abbesse pense de la sanicle, ce qui ne gâche rien : « La sanicle est chaude, et il y a en elle beaucoup d’éléments purs » (3). Elle est bonne pour les « viscères » malades et l’estomac. Grâce à sa racine, « elle chasse les humeurs de l’estomac et guérit les entrailles malades » (4). Hildegarde, si elle fait, selon moi, clairement référence aux capacités cicatrisantes de la sanicle, me semble souligner également ses vertus hémostatiques, c’est-à-dire que, comme le dit plus clairement Fournier, « elle hâte sensiblement la cicatrisation et dissipe les collections sanguines » (5). Hormis cela, dans son texte, il y a un indice qui me donne cette sensation qu’Hildegarde tenait la sanicle en belle estime : bien qu’elle la préconise fraîche, elle en conseille aussi la dessiccation afin, très certainement, d’avoir cette plante sous la main à tout moment de l’année, et ce qu’elle dit à ce sujet est tout à fait audacieux : « Faire sécher la sanicle au soleil, lentement, pour qu’elle ne perde pas ses vertus : car les vertus des plantes ne disparaissent pas, lorsqu’elles sèchent au soleil, mais lorsque c’est le feu qui les sèche » (6).
Malgré cette première introduction, la sanicle ne s’impose qu’à partir du XV ème siècle, étant affublée de noms divers comme c’était alors de coutume, chaque auteur la désignant à sa propre façon (diapensia, consolida minor, ferraria minor, etc.). Au XVI ème siècle, on n’en finit pas de se précipiter au devant de la sanicle : les plus grands auteurs du siècle ne manquent pas d’y faire référence : Fuchs, Bock pour qui elle est une panacée à l’égal de la verge d’or (Solidago virga aurea), Tabernaemontanus, Ryffius, Lonicer, qui lui accorde le statut de « plante cicatrisante des barbiers » (qui n’étaient pas que raseurs au XVI ème siècle, mais aussi « chirurgiens »). Mais la sanicle, ça n’est pas que l’herbe aux coupures ou l’herbe au charpentier (comme on appelait l’achillée millefeuille pour des raisons similaires), c’est aussi l’herbe aux brûlures, et aux brûlures graves si l’on en croit l’hagiographie de saint Laurent qui a donné à la plante l’un de ses noms vernaculaires. Laurent, martyr chrétien du III ème siècle après J.-C., contrariant je ne sais plus quel empereur romain, fut passé au gril (au sens propre) sur les ordres de ce dernier. Narquois, le saint jeta à la face du bourreau la phrase suivante : « Retourne-moi, maintenant, que l’empereur ait de la viande bien cuite à manger ». Je pense que c’est un petit peu exagéré. En revanche, l’empereur, qui venait d’inventer le barbecue, s’empressa d’aller déposer le brevet auprès de l’INPI, parce qu’à l’INRI, ils assurent vraiment pas un clou… Un ange (tré)passe… Haem… ^_^

Bien plus grave encore attend la sanicle. Il s’avère, si l’on prend en considération les informations dernières (qui précèdent cette histoire de saint coiffé de laurier qui ne lui a pas servi à grand-chose apparemment, hormis, peut-être, à aromatiser sa viande) et que l’on remonte à sainte Hildegarde, il s’avère donc que seuls les praticiens germaniques prêtent attention à la sanicle. En France, c’est d’une toute autre farine dont on fait son pain. Les XIX ème et XX ème siècles montrent bien comment l’on accueillit la sanicle de part et d’autre de la frontière franco-allemande : versant germanique, l’abbé Sébastien Kneipp recommande chaudement la sanicle, tandis que Dinant, son continuateur, établissait il y a environ une centaine d’années une liste récapitulative de l’ensemble des vertus médicinales de la sanicle. Côté français, l’on est moins dispendieux en éloges : ce ne sont pas les trois ou quatre lignes qu’accorde le docteur Leclerc à cette plante qui prouveront le contraire. Pourtant, le Dictionnaire de Trévoux, qui est bien une production hexagonale du XVIII ème siècle, jugeait la sanicle en faveur : « cette plante est détersive et vulnéraire ; on l’emploie pour les pertes de sang, pour déboucher et fortifier les viscères. Elle est très utile dans les pertes de sang, les hémorragies, la dysenterie ». Ce qui est, il faut bien l’avouer, une belle synthèse des propriétés thérapeutiques de la sanicle. Mais en France, l’on doute (merci Descartes) lorsqu’on est homme de science, mais l’on n’en est pas moins crédule dès lors qu’on appartient à la vaste masse du peuple. C’est ce que Cazin semble lui reprocher lorsqu’il écrit ceci dans les environs de 1850 : « la confiance populaire dans les vulnéraires a pour effet, comme tous les remèdes innocents, d’empêcher de recourir à des moyens rationnellement indiqués et plus efficaces » (7). C’est dire à quel point Cazin estimait peu la sanicle qui, pourtant, en tant que vulnéraire, remplaça assez souvent la teinture d’arnica qui, douée de l’énergie qui est la sienne, est loin d’être un innocent remède !

Les botanistes ont rangé la sanicle dans la famille des Apiacées, laquelle contient des géantes (berce, angélique, fenouil) et des plantes au port plus modeste mais pas moins intéressantes : carvi, coriandre et cumin, par exemple. C’est donc dans ce second groupe que se classe la sanicle, compte tenu de sa hauteur : 25 à 40 cm, très exceptionnellement 50. Mais elle se distingue des petites et grandes Apiacées de bien des manières. De l’épaisse souche de cette vivace aux grêles racines apparaît une rosette basale de feuilles, chose assez peu courante chez les Apiacées. Longuement pétiolées, palmées, divisées en trois à cinq lobes bien découpés et dentés, de couleur vert foncé et d’aspect luisant, elles évoquent davantage une pivoine qu’une apiacée. Sur la hampe florale striée et glabre, d’allure gracile, l’on voit quelques feuilles à l’état de miniature, puis, d’avril à juillet, une maigre ombrelle de fleurs qui ne se singularise pas par sa régularité, comme aiment généralement le faire les membres de cette famille botanique. Ses fleurs, petites, blanchâtres ou rosées, portant cinq pétales, produisent des diakènes globuleux couverts d’aiguillons crochus, rapprochant par là la sanicle d’une autre apiacée célèbre, la carotte.
La sanicle, présente tant en Europe qu’en Asie, élit plus particulièrement domicile en plaine ainsi qu’en moyenne montagne, pourvu qu’il s’agisse de régions humides et non siliceuses. Ainsi, les bois de feuillus aux sols frais et humifères plaisent à la sanicle, en particulier les hêtraies, à l’instar de l’aspérule odorante. Il est aussi possible de dénicher cette plante dans les haies ombragées et les talus buissonnants.

La sanicle en phytothérapie

Cette plante, fortement recommandée par nos voisins germains au cours de toute sa carrière médicinale, n’aura que très peu, nous l’avons souligné, dépassé le cadre des frontières, comme si elle avait été bloquée par le Rhin, les Vosges et les Alpes. Peut-être s’est-elle cantonnée dans certaines de ces régions, hormis les Alpes, la sanicle n’étant en rien une plante de très haute altitude. Il est bien possible qu’une forme de suspicion à son endroit l’ait dénoncée comme suspecte et donc indigne de confiance dans ses soi-disant propriétés étalées comme autant de merveilles. Bref. Malgré ce scepticisme tout français, au moins savons-nous que la petite sanicle peut s’utiliser par le biais de toutes ses parties : racine, sommités fleuries, feuilles ou la plante dans son intégralité. Plante de saveur astringente et amère, elle nous renseigne sur quelques-uns de ses composants (une résine, un principe amer et du tanin), à quoi s’ajoute une âcreté résiduelle en bouche bien plus prononcée quand la plante est sèche, précise Cazin. Au-delà de ces quelques éléments, ajoutons tout de même une forte proportion de saponine (13 %), du mucilage, de l’allantoïne, une essence aromatique, de la vitamine C, enfin des acides : le premier d’entre eux, l’acide rosmarinique, nous l’avons déjà croisé à travers les articles dédiés à la sauge officinale et à l’origan vulgaire ; le second, c’est l’acide chlorogénique, substance également présente dans l’artichaut, la bardane, le tournesol et surtout le café, possédant d’intéressantes propriétés anti-oxydantes.

Propriétés thérapeutiques

  • Astringente, détersive, vulnéraire, résolutive, cicatrisante
  • Apéritive, stomachique
  • Dépurative
  • Anti-inflammatoire
  • Hémolytique
  • Anti-œdémateuse

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : rhume, toux, maux de gorge, bronchite, hémorragie pulmonaire (crachement de sang : la sanicle est un utile adjuvant dans le traitement de la phtisie), engorgement pulmonaire
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : engorgement intestinal, hémorragie gastro-intestinale, diarrhée, dysenterie
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : hémorragie urinaire (hématurie), engorgement rénal
  • Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, douleur utérine, métrite, métrorragie
  • Affections cutanées : écorchure, griffure, coupure, blessure, plaie, contusion, ecchymose, brûlure, engelure, ulcère, etc.
  • Autres hémorragies : saignement de nez, hémorroïdes
  • Inflammation gingivale et palatine
  • Scorbut

Modes d’emploi

  • Infusion de la plante fraîche.
  • Décoction de la plante fraîche.
  • Suc frais.
  • Macération alcoolique et vineuse (vin blanc).
  • Teinture-mère.
  • Cataplasme de plante fraîche broyée.
  • Poudre de plante sèche.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles peu avant floraison, la racine au début de l’automne (septembre/octobre).
  • Risques de confusion : dans certains ouvrages, on use d’un nom vernaculaire tel que « sanicle des montagnes » pour désigner non pas une autre espèce de sanicle, mais de toutes autres plantes : la benoîte officinale (Geum urbanum), les astrances (Astrantia minor, Astrantia major), les saxifrages (Saxifraga sp.).
  • Substitution : la sanicle possède des propriétés similaires à d’autres plantes que l’on peut lui préférer : la potentille, la renouée bistorte, l’aigremoine, etc.
    _______________
    1. La sanicle femelle étant l’astrance, Astrantia minor.
    2. Sanicle en français, wundsanikel en allemand, wood sanicle en anglais.
    3. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 40.
    4. Ibidem, pp. 40-41.
    5. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 859.
    6. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 41.
    7. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 853.

© Books of Dante – 2018