Les pimprenelles : la petite (Poterium sanguisorba) et la grande (Sanguisorba officinalis)

Grande pimprenelle

« La pimprenelle qui, de nos jours, ne sert plus qu’à aromatiser la salade »… (1). Bon, ça commence bien. Leclerc disait cela dans les années 1920. Voyons voir ce que l’un de ses illustres devanciers nous raconte au sujet de la pimprenelle, « plante vivace que tout le monde connaît plutôt par son usage en cuisine qu’en médecine […] C’est une plante, ajoute Cazin, dont la médecine peut très bien se passer » (2). Voilà qui est bien pis. Mais j’ai suffisamment de ressources pour démontrer, à l’instar du docteur Leclerc, que la pimprenelle n’est pas que l’aimable condiment apportant, aux dires de Platine de Crémone, « appétit et volupté », alors que La Bruyère Champier considérait une salade sans pimprenelle insipide aux gourmets. Mais si l’on poursuit la lecture de l’œuvre du bibliothécaire du Vatican que fut l’homme de Crémone, on y apprend que les feuilles de pimprenelle ajoutées au vin « rafraîchissent, stimulent et réjouissent », ce qui laisse suggérer quelques propriétés autres que culinaires, bien que, au temps de La Bruyère Champier et de Platine, la pimprenelle (la petite) était aussi en faveur que le persil, couramment cultivée dans les potagers pour un usage condimentaire. Mais il est fort heureux qu’à cette époque, le XVI ème siècle en gros, on ait aperçu en la pimprenelle autre chose que l’agrément d’une fade salade ou d’un ennuyeux brouet. En effet, contrairement à ce qu’affirmait Cazin au milieu du XIX ème siècle (à cette époque, les pimprenelles étaient déjà tombées dans un menaçant oubli), les pimprenelles étaient alors connues de longue date comme hémostatiques (poumons, estomac, intestins, utérus), qui plus est tant internes qu’externes, considérées comme astringentes, vulnéraires, anticatarrhales et diurétiques. Un bref survol de la littérature de cette époque nous apprend que, astringentes actives (Matthiole), les pimprenelles interviennent en cas d’hémoptysie et d’ulcères (Fernel), de dysenterie (Lazare Rivière), d’hémorroïdes (Thomas Bartholin), de métrorragie (Guy Riedlin), etc. Cependant, notons que nous sommes à une époque charnière, en particulier aux environs du milieu du XVI ème siècle. En effet, Léonard Fuchs attribue le nom de sanguisorba à la grande pimprenelle en 1542, un terme qui s’explique assez aisément grâce à ses deux racines latines : cette plante permet de résorber (et non d’absorber comme on peut le lire ici ou là) le sang d’une plaie, vertus hémostatique et antihémorragique qui expliquent les surnoms de sorbaria, sorbastrella, etc. parfois associés à cette plante. Outre le sang, les pimprenelles interviennent auprès d’un autre liquide organique, l’urine, du moins sur les conduits qui la véhiculent et qui, parfois, se trouvent entravés, voire carrément obstrués. Par exemple, Fabrice Bardeau nous raconte que Galien (II ème siècle après J.C.) considère la pimprenelle comme lithontriptique, c’est-à-dire « briseuse de pierres », une propriété qui ressort de période en période, et que certains adeptes de la théorie des signatures justifieraient par l’habitude qu’a la petite pimprenelle de vivre sur des sols secs et pierreux, entre les « pierres disjointes des vieux murs », etc. Les pimprenelles ont beau être légèrement diurétiques, intervenir parfois en cas de strangurie (Fernel), on peut se demander où des auteurs comme Gesner et Galien sont allés chercher que la pimprenelle permettait d’expulser les sables des reins et la pierre de la vessie… Le premier des deux sans doute chez le second, lequel même Galien affirme que de son temps sa « pimprenelle » permettait de provoquer le flux menstruel. Singulière vertu d’une plante censée le minimiser ! A défaut de pierre, c’est un os qui se présente à nous. Il est, aujourd’hui, communément admis que les deux pimprenelles furent ignorées de l’Antiquité et même du Moyen-Âge (à ce titre, si vous lisez quelque part que selon sainte Hildegarde, la pimprenelle serait « tout juste bonne à servir d’amulette contre les incantations » (3), il est bon d’accueillir cette information avec réserve). Fournier, qui s’y connaissait un peu, mentionne que le seul personnage médiéval à faire, soi-disant, référence à une pimprenelle, Ibn El Beithar, ne doit pas être considéré comme tel, non pas qu’il se serait trompé, mais que ses successeurs se seraient, eux, égarés au sujet de cette fameuse pimprenelle que d’aucuns semblent avoir reconnue. Bref, tout cela semble procéder d’une monumentale confusion au sein de laquelle une chatte ne retrouverait pas ses petits, c’est tout dire. J’ai, moi-même, sous le nez, un fatras de notes, et je n’y vois goutte. Je vais, cependant, tenté d’être clair. La pimprenelle est ainsi appelée, d’après Nicolas Lémery, en référence à un vieux mot, bipinella, « à cause que ses feuilles sont rangées deux à deux le long d’une côte ». Mais, à ce titre, le frêne, l’aigremoine, le sorbier, etc. sont aussi des bipinella. A la décharge de Lémery, à l’époque où il écrivait cela, le grand Linné n’avait pas encore frappé. Avant lui, la pimprenelle, c’était la pimpinella, la pipinella et autres du même tonneau, pipinella dans lequel on « retrouve » le mot piper, « poivre », à mettre en relation avec le parfum condimentaire de la pimprenelle, une saveur poivrée que, bien évidemment, elle ne possède pas, au contraire d’autres comme celle du concombre, cucurbitacée se rapprochant de ce que nous dit Jean-Baptiste Porta du peponella, pimprenelle à odeur de melon (lequel ? Des melons, il en existe des tas, certains n’ont même pas d’odeur). Laissons la parole au Napolitain : « sous le pied qui la foule, elle s’anoblit : car, ainsi écrasée, elle fait monter aux narines une odeur de melon et les réjouit par un parfum merveilleusement suave. » Melon, concombre, c’est kif-kif bourricot allez vous me dire. Mais je n’en ai pas terminé. Vous pensiez vous échapper aussi facilement ? Tss. Poursuivons. Déjà qu’on pédale bien dans la choucroute ou dans la semoule, au choix, le grand, l’illustre Linné, qui a dû picoler un brin, aurait mieux fait de se taire quand il a décidé d’associer le mot pimpinella à des plantes appartenant à la famille des Apiacées, les boucages dont l’anis vert, qui porte toujours le nom de Pimpinella anisum, boucages qui tirent leur nom de leur odeur de bouc, on est donc loin du concombre ou du melon, même si l’anis vert n’est pas concerné par des effluves caprins. Donc, non seulement Linné transfère pimpinella à cette fratrie botanique, mais utilise le nom latin Poterium pour en affubler la petite pimprenelle. Poterium, émanant du grec potêrion, renvoie, explique Fournier, à la « dénomination d’un sous-arbrisseau épineux des sables humides chez les écrivains de l’Antiquité » (4). Voilà, c’est encore plus clair qu’auparavant. Merci M. Linné. Cet homme devait boire, vous dis-je. Les botanistes, c’est un peu comme les grammairiens, ils ne sont pas exactement connus pour être des poètes. Ainsi, il eut été plus simple de faire de la petite pimprenelle une Pimpinella minor, et de la grande une Pimpinella major. Bref. Comme il est bien inutile d’ajouter de la confusion là où il y en a déjà beaucoup, passons, s’il vous plaît, à l’étape suivante, autrement plus intéressante, non sans avoir précisé qu’au début du XVIII ème siècle, Jean-Baptiste Chomel donnera un portrait assez complet de cette plante avant que de la voir tomber dans le plus immérité des mépris : « Cette plante, dit-il, excite les sueurs et pousse les urines ; elle arrête les hémorragies […], elle purifie le sang. Ceux qui sont sujets à la gravelle (sable dans les reins, calculs), se trouvent bien de son infusion dans l’eau commune à froid. »

Angelo de Gubernatis mentionne, dans sa Mythologie des plantes, que la pimprenelle est une herbe chère aux femmes. « Dans certains endroits du Piémont, on place la pimprenelle sur le ventre des femmes enceintes, dans l’espoir de faciliter les couches. [On] suppose que c’est avec la même intention que la belle-mère, en Corse, recevant la belle-fille sur le seuil de sa maison, lui présente la quenouille et le fuseau garnis de pimprenelle » (5), lui souhaitant la bienvenue, qu’elle puisse apporter bonté et habileté, paix et joie, garanties d’une longue vie et d’une mort sainte. De plus, en Italie, l’on disait que la pimprenelle ajoutait à la beauté des femmes et avait une intrication certaine dans le domaine amoureux : « point de salade sans pimprenelle, point d’amour sans une belle demoiselle. »

Petite pimprenelle : vivace de 20 à 60 cm. Elle pousse en touffe. Les feuilles sont groupées en rosettes basales. Elles comptent entre 3 et 12 paires de folioles profondément dentées. Les fleurs sont verdâtres ou teintées de rouge. Elles se présentent sous forme de masses globuleuses de 1 à 2 cm de diamètre. Il est bon de distinguer les fleurs femelles (celles qui rougissent l’inflorescence) des fleurs mâles qui se situent au-dessous, étamines pendantes et anthères jaunes.
Assez fréquente, elle fleurit de mai en septembre et pousse sur pelouses sèches et rocailles, et ce jusqu’à une altitude de 2 000 m.

Grande pimprenelle : grande plante vivace pouvant atteindre 1,50 m, la pimprenelle officinale ressemble beaucoup à la précédente par ses feuilles : en touffes, imparipennées, feuilles inférieures en rosettes. Nombreuses folioles, 9 à 25, par feuille, allongées et dentées, elles sont vert foncé et luisantes au-dessus, vert-bleuâtre en dessous. Un épais rhizome porte des tiges dressées et rameuses, fines, portant des glomérules de fleurs minuscules et rouge-brun. Floraison régulière entre juin et septembre.
Tout aussi commune que sa petite sœur, elle grimpe jusqu’à 2 000 m. En revanche, on ne la rencontre pas dans la région méditerranéenne compte tenu qu’elle ne supporte pas les sols secs qu’affectionne la petite pimprenelle. Elle opte donc pour des prairies humides ou tourbeuses, des bordures de ruisseau ou bien encore, des sous-bois humides.

Les pimprenelles en phytothérapie

Ici, nous ne nous encombrerons ni de minor ni de major, parce que nos deux pimprenelles possèdent d’identiques propriétés. Des deux l’on peut employer les parties aériennes fleuries ainsi que les racines. Il est dommage que les analyses biochimiques n’aient pas fourni plus que le peu que je vais maintenant dérouler : la proximité thérapeutique des pimprenelles avec d’autres rosacées des prés et des abords de chemins telles que l’aigremoine et les potentilles appose une évidente signature : une forte proportion de tanins, en particulier dans les racines. Nos deux plantes contiennent aussi saponines et flavonoïdes. Quant à la petite pimprenelle, une belle fraction de vitamine C accompagne une essence aromatique qui lui donne une « exquise saveur de concombre affinée d’une pointe d’ambre et de musc » (6).

Propriétés thérapeutiques

  • Antihémorragiques, hémostatiques, astringentes, vulnéraires, résolutives
  • Anti-inflammatoires (?)
  • Apéritives, digestives, carminatives, stomachiques, modératrices des sécrétions intestinales
  • Diurétiques légères
  • Antiseptiques

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : entérite (y compris glaireuse et sanguinolente), diarrhée, diarrhée infantile, dysenterie, dysenterie amibienne, entérocolite, entérocolite du nourrisson, fermentation intestinale, ballonnement
  • Troubles de la sphère gynécologique : métrorragie, règles excessives, leucorrhée
  • Affections bucco-gingivales : inflammations de la bouche et de la gorge, angine, aphte, gencives saignantes
  • Affections cutanées : blessure, brûlure (d’où les surnoms de great et small burnet que portent ces deux plantes en anglais), plaie, plaie atone, ulcère, contusion, irritation cutanée, coup de soleil
  • Autres hémorragies : hématurie, hémoptysie, hémorroïdes

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles fraîches
  • Décoction de racines
  • Suc frais des parties aériennes
  • Teinture-mère
  • Alcoolature
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Dans la masse de matière assez importante que j’ai pu consulter, je n’ai rencontré rien qui puisse faire des pimprenelles des plantes qui causeraient quelques problèmes, hormis en qualité de plantes fourragères : leur forte teneur en tanins oblige à ne pas laisser les animaux s’en repaître inconsidérément.
  • Récolte : les feuilles de mai à septembre, les racines à l’automne.
  • Alimentation : seule la petite pimprenelle fait office dans l’art culinaire comme condiment aromatique et légume, en particulier lorsque ses feuilles sont jeunes. Ces feuilles, au goût de concombre comme nous l’avons dit, instillent aussi celui du poivron vert au niveau des papilles gustatives. Finement ciselées, elles rehaussent une salade ou un plat de crudités, ajoutées à une soupe, elles peuvent y prendre la place du céleri ou de l’épinard. Quant aux fleurs, à l’âpre saveur de noix verte ou de châtaigne crue, elles aromatisent à merveille les salades, les fromages blancs aux herbes, les omelettes, les potages, les mayonnaises, les sauces pour poissons, etc.
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    1. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 123.
    2. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 760.
    3. Henri Leclerc, Les épices, p. 117.
    4. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 759.
    5. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 287.
    6. Henri Leclerc, Les épices, p. 118.

© Books of Dante – 2017

Petite pimprenelle