La mercuriale (Mercurialis annua)

Mercuriale annuelle (pied mâle)

Synonymes : ortie bâtarde, rimberge, ramberge, foirole, foirotte, foirande, chiole, cagarelle, caguenlit, caquenlit.

Si l’on remonte 2500 ans en arrière, on trouve une mercuriale entre les mains d’Hippocrate qui guérissait la surdité en instillant le suc de cette plante dans les oreilles. Il en avait également remarqué les propriétés purgatives. A sa suite, les hippocratiques des V ème et IV ème siècles avant J.-C. en notèrent les vertus laxatives et diurétiques. « Ils lui attribuaient, en outre, une action quasi merveilleuse sur l’utérus, action que n’ont retrouvée aucun de leurs successeurs et qui, très vraisemblablement, ne repose que sur une confusion de nom, la mercuriale étant également nommée en grec parthenion » (1). Voilà qui commence bien ! C’est ainsi que la Collection hippocratique évoque un breuvage destiné à soigner les affections de la matrice à base de feuilles et de graines d’une mercuriale qui n’en était très certainement pas une ! Ce mot – parthenion – fait bien sûr référence au temple d’Athéna à Athènes, un parthenion qui renvoie à la jeune fille vierge plus qu’à la parturiente. Faisons remarquer que, en terme de divinités olympiennes, il existe une certaine rivalité : il n’échappe à personne que derrière le mot Mercurialis se cache le dieu Hermès qui « a été considéré comme l’inventeur […] de la Mercurialis annua, appelée aussi parthenion, bien que, sous ce nom cette plante appartienne spécialement à la déesse-vierge Athéné » (2). Inventeur, le mot est sans doute quelque peu inexact ; si l’on en croit Pline, les propriétés de cette Hermu poa (herbe d’Hermès) auraient été révélées aux hommes par le dieu. Je ne suis qu’à moitié d’accord avec ce que dit Angelo de Gubernatis : si la mercuriale peut s’associer à une vierge, c’est davantage avec la sœur d’Apollon, la chaste Artémis, en particulier dans son aspect lunaire, ce qui fait que je rejette d’idée d’Henri Corneille Agrippa selon lequel la mercuriale est une plante mercurienne, et m’en remets à un avis beaucoup plus judicieux, celui d’Anne Osmont, qui classe la mercuriale parmi les plantes lunaires. Expliquons pourquoi la mercuriale, malgré son nom, est davantage une plante de la Lune que de Mercure. Tout d’abord, c’est une plante dite froide et aqueuse, ce qui correspond bien à l’astre lunaire. D’ailleurs la mercuriale est impliquée dans la gestion de divers liquides corporels, étant diurétique et hydragogue entre autres, à quoi l’on peut ajouter que ses vertus purgatives lui permettent de dégager les intestins avec douceur, un aspect qui relève de la Lune, corroboré par l’unique signe astrologique associé à cette planète, le Cancer, dont l’un des points faibles se trouve être justement les troubles digestifs dans leur ensemble. De plus, le Cancer, aux fonctions biliaires plus ou moins paresseuses, se trouve bien d’user de la mercuriale qui est cholagogue, c’est-à-dire qu’elle stimule la sécrétion de bile. Enfin, la Lune féminine, impliquant fécondité et enfantement, peut se voir attribuer la mercuriale, non tant comme plante favorisant la fertilité comme le pensèrent les Anciens, mais en tant que simple utilisable au cours de l’accouchement.

Avec Dioscoride, on s’éloigne de beaucoup de ces considérations astrologiques, puisqu’on parle alors d’une plante portant le nom de linozôstis ou «herbe aux nœuds » (parce que la mercuriale porte sur sa tige, à intervalles réguliers, des nœuds), plus précisément de deux plantes, l’une mâle et l’autre femelle, ce qui est fort approprié puisque la mercuriale est une plante dioïque. Prenons connaissance de ce qu’en dit Dioscoride : « La mercuriale a les feuilles du basilic, semblables à celles de la pariétaire, mais en moindre nombre […] La plante femelle est très fertile d’une graine en forme de grappe de raisin : mais la graine de la plante mâle pend entre les feuilles, petite et ronde, comme deux testicules attachés ensemble. C’est une plante haute de douze doigts [environ 35 cm], ou plus grande. L’on mange l’une et l’autre avec d’autres herbes pour lâcher le ventre. Sa décoction dans l’eau puis bue lâche la colère et les humeurs aiguës. L’on croit que les feuilles […] de la femelle font engrosser d’une fille et celles de la mâle d’un garçon » (3). Bien entendu, dans cette description se trouve une monumentale erreur : depuis quand un pied mâle porte-t-il des graines ? Chez les espèces dioïques, comme c’est ici le cas, seuls les pieds femelles portent le fruit, de même que la vache porte le veau. Ainsi, si l’on inverse les données, les Anciens préconisaient la plante mâle pour engendrer une fille, la plante femelle pour concevoir un garçon. La signature repérée par les Anciens n’est donc en aucun cas efficiente. Sur la question génésique de la mercuriale, Pline explique que « ce résultat s’obtient si, aussitôt après la conception, on boit le suc dans du vin ou si on mange les feuilles bouillies avec de l’huile et du sel ou crues avec du vinaigre ». Mais comme nous ne sommes pas à une contradiction près, trois siècles plus tard, Serenus Sammonicus nous apprend qu’une « décoction de mercuriale est encore un breuvage auquel on a communément recours » (4) pour favoriser la conception, à condition de l’absorber avant (et non après). Bref. Tout ceci n’est point trop grave, sachant qu’il est possible qu’il persiste cette erreur entre la mercuriale et celle qu’on désignait sous le nom de parthenion. En revanche, Sammonicus dit vrai à propos des vertus laxatives de la mercuriale sur la constipation : « On peut y remédier avec de la mercuriale qu’on a fait bouillir dans l’eau avec un peu de miel » (5).

A l’époque médiévale, la mercuriale est cultivée tant comme légume que comme plante médicinale. On lui réserve des emplois inattendus, recommandée qu’elle est dans la tuberculose par exemple. Par ailleurs, Vigo, qui vécut dans la seconde moitié du XV ème siècle (1460-1520 environ), explique que lorsque la mercuriale « est bouillie dans du bouillon de poule ou de poulet, elle évacue le flegme et la mélancolie » (ce thérapeute aurait-il remarqué la vertu cholagogue de la mercuriale ?), alors que, à peu près à la même période, Brassavole (1534) relate l’usage qui est fait de la mercuriale par les paysans italiens comme purgatif. Elle sera d’ailleurs durant des siècles un des ingrédients de nombreux apozèmes et clystères purgatifs. Au XVI ème siècle, malgré le nombre de praticiens qui s’attachent à la mercuriale, on innove finalement peu à son sujet, on se contente de reprendre les indications de Pline et de Dioscoride. Que ce soit Fuchs, Matthiole, Bock ou Daléchamps, on n’investit par véritablement au-delà de ce que l’on sait déjà, et Jean Bauhin, pourtant botaniste, reste fidèle à la nomenclature des Anciens, c’est-à-dire qu’il conserve à la mercuriale ses caractéristiques mâles et femelles en leur attribuant à chacune un nom : Mercurialis mas et Mercurialis foemina !

La mercuriale, aux racines blanchâtres et fibreuses, porte des tiges droites de section circulaire, glabres, hautes de 30 à 40 cm. Ramifiée dès sa base, cette plante s’orne de feuilles lancéolées, opposées, assez molles, dentées en scie, qui la font effectivement ressembler au basilic, si ce n’était la clarté de la verdure de son feuillage. Plante dioïque comme l’ortie, la mercuriale possède donc des pieds mâles aux nombreuses inflorescences dressées à l’aisselle des feuilles, et des pieds femelles aux fleurs beaucoup plus rares, à deux styles. La floraison s’étale généralement entre juin et octobre (j’en ai vu en fleurs pas plus tard qu’hier). Les fruits forment des capsules à deux coques bivalves, renflées et couvertes de quelques poils raides blanchâtres. Chaque coque ne contient qu’une seule graine que les fourmis se font une joie de transporter à l’instar de celles de la violette odorante, participant ainsi à la dispersion de la plante.
Très fréquente, la mercuriale peuple la plus grande partie de l’Europe, de l’Asie occidentale et de l’Afrique du Nord. On la rencontre le plus souvent dans les jardins, les terrains vagues, à proximité des cultures, en bordures de chemins, jusqu’à une altitude maximale de 1800 m.

Mercuriale annuelle : pied femelle à gauche, pied mâle à droite

La mercuriale en phytothérapie

Cette plante est inféodée à la même obligation que la pariétaire : on en usera strictement qu’à l’état frais, car une fois sèche, elle se caractérise par une inertie dont on ne peut plus rien tirer ou presque. Cela explique qu’elle soit de moins en moins employée depuis l’urbanisation progressive de la population française, alors qu’autrefois la société beaucoup plus rurale n’avait qu’à tendre la main pour cueillir cette plante qui pousse un peu partout dans la campagne.
D’odeur fétide, de saveur amère/salée peu agréable (c’est tout de même une euphorbiacée), la mercuriale est composée de gomme, d’amidon, de chlorophylle, d’une huile volatile, de quelques éléments minéraux dont le soufre et le nitrate de potassium (ce qui rapproche la mercuriale de la pariétaire), d’un principe amer… Particularité : deux molécules à odeur de poisson, méthylamine et triméthylamine, complètent le tableau, auquel il faut ajouter un pigment analogue à l’indigo, l’hermidine. Complétons toutefois ce portrait en mentionnant que les graines de la mercuriale contiennent des saponines hémolytiques, ce qui en rend l’emploi bien délicat. Mais dans la pratique, la mercuriale usitée étant récoltée juste avant floraison, l’on n’est donc pas confronté à ce problème.

Propriétés thérapeutiques

  • Purgative douce, laxative
  • Diurétique, hydragogue
  • Cholagogue
  • Tonique
  • Antilaiteuse
  • Émolliente

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, constipation de la femme enceinte, constipation opiniâtre
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : mal de Bright (insuffisance rénale chronique), goutte, rhumatismes
  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, ménopause, suppression de la sécrétion lactée, favoriser l’expulsion des lochies
  • Hydropisie
  • Fièvre continue ou intermittente
  • Croûte de lait

Modes d’emploi

  • Infusion
  • Décoction, décoction émolliente (en compagnie de mauve, de bouillon-blanc, de violette, etc.), bouillon d’herbe (avec cerfeuil, laitue, bette)
  • Suc frais
  • Mellite de mercuriale (= sirop simple de suc frais et de miel)
  • Sirop de longue vie ou miel de mercuriale (= sirop composé comprenant iris, bourrache, buglosse, gentiane, vin blanc et miel)
  • Teinture-mère
  • Cataplasme de feuilles fraîches ou cuites

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : on cueille la plante entière à l’exception des racines juste avant floraison, soit en mai-juin.
  • Séchage : tout comme la pariétaire, la dessiccation amoindrit les effets de la mercuriale.
  • Toxicité : si la dessiccation et la décoction ôtent à la mercuriale beaucoup de sa virulence, les cas d’intoxication sont réels et affectent autant les animaux (vaches, porcs) qui la consommeraient fraîche que l’être humain. La mercuriale fraîche souvent utilisée dépose dans l’organisme des substances qui s’y accumulent, portant préjudice, à la longue, au tube digestif ainsi qu’à l’appareil urinaire : « On constate de l’indigestion, des douleurs intestinales, des nausées, de la diarrhée suivie quelquefois de constipation avec irritation violente de l’intestin, des mictions fréquentes et douloureuses, de l’hématurie, finalement des lésions de gastro-entérite et de néphrite, en même temps que la faiblesse générale, la précipitation et la violence des battements du cœur, de violents maux de tête et le tremblement des membres. La mort peut même s’ensuivre » (6). A la lecture de ce tableau toxicologique, reconnaissons au moins que l’on peut difficilement soustraire à la mercuriale ses propriétés purgatives, laxatives et diurétiques que, bien sûr, elle réalise à des doses idoines. Ce n’est donc pas le fait d’une lubie que d’accompagner la mercuriale de plantes émollientes telles que la mauve ou le bouillon-blanc. Résumons :
    – Mercuriale fraîche à haute dose : purgative énergique, voire drastique.
    – Mercuriale fraîche à dose correcte : purgative douce.
    – Mercuriale cuite ou sèche : laxative.
    En conclusion, entre l’évacuation normale des intestins et la sensation que l’organisme éjecte hors du corps contenu et contenant (le bébé et l’eau du bain en quelque sorte ^^), il y a une forte marge qu’il nous faut observer par le respect de l’état de la plante au moment de son usage et des doses administrées.
  • Autre espèce : la mercuriale des bois (Mercurialis perennis). Plante vivace à rhizome beaucoup plus virulente que la mercuriale annuelle.
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    1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 631.
    2. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 1, pp. 238-239.
    3. Dioscoride, Materia medica, Livre IV, Chapitre 169.
    4. Serenus Sammonicus, Préceptes médicaux, p. 42.
    5. Ibidem, p. 37.
    6. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 631.

© Books of Dante – 2017

Les fleurs d’une mercuriale mâle que Dioscoride comparait à des grappes de raisins