Le grémil (Lithospermum officinale)

Synonymes : herbe aux perles, graine perlée, millet perlé, perlière, larmille des champs, gremon, thé d’Europe, thé de Fontainebleau, graine d’amour, blé d’amour, millet de soleil, herbe aux yeux.

Si vous êtes passionné par la science botanique des herbettes, peut-être aurez-vous déjà croisé le grémil, tout aussi charmant que le myosotis. En revanche, si vous un néo-phyto-thérapeute en herbe, bien que la famille botanique qui abrite cet hôte se nomme les Borraginacées, nul doute qu’il vous sera tout bonnement inconnu malgré son parentage avec la bourrache, splendide étoile d’azur aux anthères d’or.
Qu’est-ce donc que ce grémil ? Décortiquons son nom français, que l’on coupera en deux pour ce faire : grès et mil. Le mil forme de petites graines rondes à peu près de la taille de celles du quinoa. Le grès est un minéral extrêmement dur. Il est donc question de billes relativement coriaces et solides, ce qu’atteste, du reste, son nom latin, lithospermum : du grec litho, « pierre » et sperma, « semence, graine ». Même Dioscoride le confirme : cette plante « est ainsi nommée pour la dureté de sa pierreuse graine » (1). C’est pourquoi « la graine bue avec du vin blanc rompt les pierres et provoque l’urine » (2), ce en quoi Pline ajoutera qu’« aucune herbe n’indique avec plus de certitude à quel remède elle est destinée », c’est-à-dire briser la pierre ou faire œuvre lithontriptique pour être plus moderne. Il est fort malheureux que la graine perlière du grémil présente une analogie avec celle du mil : chez Dioscoride, on lui trouve le nom de millium solis, que le Moyen-Âge, qui pourtant ne s’en sert aucunement, transposera en « grain de soleil » ou « millet de soleil », par probable corruption du millet soler des Arabes, tirant son nom d’une montagne, le Soler, où, dit-on, le grémil croît en abondance.
Les auteurs de l’Antiquité surent, par je ne sais quel moyen, rester très vivaces durant tout le Moyen-Âge, période durant laquelle, il faut le dire, on innove assez peu sur la question médicale. L’on voit un Macer Floridus pomper honteusement l’œuvre des Anciens sans payer son écot à Hygie, ou si peu. Il y a Matthiole, bien sûr, figure phare de cette période que l’on nommera Renaissance bien après sa mort. Grand commentateur de Dioscoride, il remet un peu d’ordre grâce à sa publication de 1554. C’est ainsi que, au sujet du grémil, il ne lui reconnaît pas sa soi-disant propriété de briseur de pierre, pas plus que Jean Bauhin : « Je ne crois pas, dit-il, que cette graine, ni tout autre remède, puisse briser les calculs vésicaux, mais je concède qu’elle fait expulser les humeurs épaisses et la gravelle ». Voilà donc que l’antique signature est battue comme plâtre. Si les Anciens ont tort, c’est une bonne chose, s’ils ont raison, c’est regrettable. Or, comment trancher quand l’on sait qu’au XX ème siècle l’on se posait encore la question de savoir si le grémil est bien lithontriptique ou pas ?

Bien que presque personne n’en remarque la présence, le grémil est une plante vivace, c’est-à-dire qu’elle se rappelle à notre bon souvenir chaque année, dans les mêmes lieux. Mais comment se re-souvenir d’une plante dont on ne s’est jamais souvenu au moins une fois ? C’est bien là le problème du grémil : qu’il soit là ou pas, c’est presque kif-kif bourricot. Pourtant, sa souche épaisse n’est-elle pas capable de construire de rudes tiges droites et rameuses de près d’un mètre de hauteur, c’est-à-dire de la taille d’un demi-homme, à peu près ? Ça se remarque quand même, non ? Le grémil n’accroche pas forcément les regards mais les doigts : il est rude et rugueux un peu partout, en plante minérale qu’il est. Ses feuilles alternes ne s’embarrassent pas de pétiole ; lancéolées, elles rappellent que la plante dont elles sont l’émanation ne sont pas de celles qui s’enorgueillissent d’un long pétiole. Il y a bien, dans le grémil, une unité de ton, l’idée d’une robustesse, comme un tank muni de toutes petites tourelles : les fleurs blanchâtres, ou vert jaunâtre quand elles ont peur, du grémil sont solitaires, à pédoncule très bref. Si, échappant à la tourmente, elles parviennent à fructifier, chaque fleur offre quatre semences « osseuses », petites, luisantes, d’un blanc nacré de perle. L’on comprend que, pour ce trésor, le grémil veuille protéger sa forteresse. Ce qui explique qu’il ne court pas les rues, car comment pourrait-il se faire oublier dans ce cas ? Il préfère les lieux ou l’on ne va pas ou si peu fréquemment : les terrains incultes, les bois frais et calcaires. C’est là où il se trouve le mieux, dans toute la France, plus ou moins rare, voire totalement absent par place, jamais remarqué par le perçant regard de l’aigle royal en altitude, là où ne se rend pas le grémil.

Le grémil en phytothérapie

On est donc en droit de se dire qu’autant de questions laissées en suspens pendant aussi longtemps trouvèrent, tôt ou tard, des réponses convaincantes. Vous allez être déçu : ça n’est pas le cas. C’est pourquoi l’étude biochimique du grémil souffre d’immanquables lacunes. Cependant, plutôt que de botter en touche, l’on peut dire le peu que l’on sait : la semence du grémil doit sa dureté au calcium et au silicium qui en forment la couche extérieure. Cette même graine est riche de lipides et de mucilage, elle contient encore de la rutine et de la quercétine. A part cela, la plante entière, inodore, de saveur désagréablement acerbe et astringente, accueille du tanin et, signature propre à bien des Borraginacées, des alcaloïdes pirrolizidiniques.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique, stimulant rénal, lithontriptique (?)
  • Rafraîchissant, adoucissant
  • Contraceptif par inhibition des gonadostimulines hypophysaires (?)

Note : restons très circonspect quant à cette dernière propriété qui concerne un autre grémil, Lithospermum ruderale, que les Amérindiens utilisaient dans ce sens. L’on ignore si, d’un grémil à l’autre, elle est transposable. Voilà donc que, sans s’y attendre, elle débarque, telle une escarbille se fichant dans l’œil, sans plus donner l’occasion d’y voir très clair, quitte à en pleurer.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésico-rénale : irritation et inflammation des voies urinaires et rénales, catarrhe vésical, rétention d’urine, lithiase urinaire (?), rhumatismes, goutte
  • Lithiase biliaire (?)
  • Hydropisie
  • Fièvre (en adjuvant)
  • Gonorrhée

Note : le grémil officinal est-il contraceptif ? Je n’en sais fichtre rien. En revanche, la graine de cette plante a été, tardivement il est vrai, employée de la plus étonnante des manières dans le courant du XIX ème siècle. Cet usage concerne des escarbilles telles que poussières et moucherons, bêtes à en pleurer ; et ça gratte, et l’on ne sait comment s’en dépêtrer, minuscule atome terrassant aussi sûrement les titans que nous sommes qu’une moutarde trop forte. Bref. Un médecin eut l’idée de placer une graine de grémil dans les yeux irrités de la présence d’un corps étranger. Humectant la graine, l’humidité oculaire la rend semblable à un œuf de grenouille, parce que : humidité + mucilage = bave ! Ou peu s’en faut. Et notre graine-grenouille, tel un aspirateur de particules, se balade, ratisse la surface oculaire et ne manque pas de capturer le perturbateur, que les mouvements oculaires finissent par éjecter, à la manière du bébé et de l’eau de son bain. Il fallait la trouver, celle-là ! Ne faites pas de même avec une graine de moutarde ; bien que mucilagineuse, elle vous arrachera bien des cris sous sa torture, et il vous en coûtera des larmes par quintal.
Cet usage étonnant et périphérique ne saurait faire oublier que sur la question du grémil en phytothérapie, nous autres Occidentaux, sommes passablement nuls. Invitons donc la médecine traditionnelle chinoise à se joindre à nous, à cela près qu’il ne s’agit pas du grémil officinal, mais d’un autre, Lithospermum erythrorizon, dont la médecine traditionnelle chinoise, contrairement au grémil officinal, n’utilise que la racine de saveur amère et de nature froide : ce qui change grandement les perspectives, le Zicao, tel qu’on l’appelle en chinois, n’ayant strictement rien à voir, thérapeutiquement parlant, avec notre grémil indigène, et bien plus bardé de propriétés que ne le sera jamais l’herbe perlière. Donc, la médecine traditionnelle chinoise, vue sa longue, prodigieuse et riche histoire, a remarqué que ce grémil asiatique intervenait dans bien des cas :

  • Comme remède hépatique : ictère, hépatite aiguë ou chronique,
  • Comme remède des affections génito-urinaires : cystite, vaginite,
  • Comme remèdes des affections cutanées quelle qu’en soit l’origine : acné, dermatose, mycose, psoriasis, érythème et rougeur cutanée, abcès, morsure et piqûre d’insecte, purpurea (la racine de ce grémil favorise aussi l’éruption lors de maladies infectieuses comme la rougeole).

Voilà de quoi faire pâlir davantage les fleurs blanchâtres du grémil autochtone dont, apparemment, on ne sait que faire, malgré les quelques modes d’emploi sous-cités.

Modes d’emploi

  • Infusion et décoction de la plante entière.
  • Décoction de semences.
  • Émulsion de semences.
  • Poudre de semences.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Au registre des précautions et des contre-indications, je n’en ai pas même remarqué la queue d’une seule. Peut-être en existe-t-il, ne serait qu’une toute petite, mais la frilosité, le manque d’intérêt et à gagner, typiquement occidental, par rapport à cet insignifiant grémil, ne permet pas, en cette presque fin de deuxième décennie du XXI ème siècle, d’en dire davantage.
  • Récolte : si rien ne vous arrête, que vous êtes un forcené, sachez que le grémil se cueille, en été c’est préférable, pour ses parties aériennes fleuries.
  • Dans la racine du grémil officinal, bonne nouvelle, l’on trouve un pigment tinctorial de couleur rouge. Mais l’indécision gagne encore sur ce point : faut-il appeler cette substance lithospermine ou alkannine ?
  • Autres espèces : l’une court les prés, l’annuel Lithospermum arvense. L’autre est sujette à un dédoublement de la personnalité, ne sachant si elle est rouge ou bleue : Lithospermum purpureo-caeruleum.
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    1. Dioscoride, Materia medica, Livre III, chapitre 135.
    2. Ibidem.

© Books of Dante – 2018