La busserole (Arctostaphylos uva-ursi)

Synonymes : bousserole, buxerolle, buisserolle, bouisserolo, petit buis, arbousier traînant, cerise d’ours, raisin d’ours (c’est la traduction exacte du mot arctostaphylos).

La busserole est l’une des grandes absentes de la littérature médicale de toute l’Antiquité, et nous ne chercherons donc pas à en deviner l’hypothétique présence derrière une plante x ou y, pas ou peu identifiable, rencontrée dans l’œuvre de tel ou tel personnage antique. Le Moyen-Âge ne fait guère mieux si l’on considère que les documents les plus anciens la concernant ne remontent qu’au XII ème siècle : certains livres anglais en relatent l’usage, elle est même mentionnée dans un herbier gallois du XIII ème siècle, intitulé Les médecins de Myddfai, manuscrit constitué de 188 paragraphes et répertoriant 175 plantes.

En France, c’est un homme davantage connu comme écrivain que comme médecin (bien qu’il l’ait été) qui, le premier, souligne les effets diurétiques de la busserole. Écoutons Rabelais : « Il lui prit une chaude pisse qui le tourmenta fort, mais ses médecins le secoururent bien, avec force drogues diurétiques et lui firent pisser son malheur », écrit-il, décrivant Pantagruel en proie à une infection urinaire. Rabelais fut formé à la médecine dans la célèbre école de Montpellier dans les années 1530, laquelle abrita plus tardivement dans ses murs un autre médecin, Charles de Barbeyrac (1629-1699) qui, lui aussi, conseillait la busserole « pour calmer les douleurs néphrétiques et faire disparaître les mucosités et le sable de l’urine ». Mais tout cela ne reste qu’embryonnaire, ce n’est que sur l’impulsion du médecin viennois Dehaen – qui est celui qui a sans doute le mieux apprécié la valeur thérapeutique de la busserole – que cette plante se recommande à « tous ceux qui présentent une suppuration prolongée et abondante, rebelle aux autres moyens thérapeutiques, vers le système urinaire, les reins, l’uretère, la vessie, l’urètre, le scrotum, le périnée, sans aucune empreinte vénérienne et en dehors des signes évidents d’un calcul », écrit-il dans le Ratio medendi in nosocomio practico en 1758. A la suite de l’établissement de ces propriétés médicinales, nombreux seront les praticiens à se succéder, entrant dans la voie tracée par Dehaen pour éprouver cette plante que l’on dit être le meilleur remède des suppurations de l’appareil urinaire : Girardi, Murray, Hartmann, Bergius, Cullen, Hufeland, Planchon, Kluyskens et tant d’autres encore. Bien sûr, autant d’enthousiasme eut ses détracteurs, à l’image de Deserratz qui, en 1767, se dit peu convaincu par la busserole, mais il y a, assez souvent, pas loin du Capitole à la roche tarpéienne. Profitons-en pour préciser que les qualités thérapeutiques de la busserole dépendent de plusieurs facteurs : le lieu où pousse la plante influençant sa composition biochimique (ce qui est valable pour l’aromathérapie l’est aussi pour la phytothérapie), l’époque de l’année à laquelle s’est effectuée la récolte, le mode de préparation des parties végétales sélectionnées (dans le cas de la busserole, ce sont les jeunes feuilles que l’on soumet à la dessiccation puis que l’on pulvérise), et, bien évidemment, l’état du patient comme l’avait fait remarquer Dehaen à propos des propriétés antilithiasiques qui ne peuvent fonctionner chez tous : certains patients « n’ont éprouvé aucun soulagement, ce qui tenait aux conditions fâcheuses dans lesquelles ils se trouvaient ». L’hygiène alimentaire en est une. L’on sait depuis qu’une cure de busserole doit s’accompagner d’un régime alimentaire le moins acide possible afin que la plante puisse agir avec son plein potentiel.
Malgré ce coup d’arrêt tout relatif, le chemin thérapeutique de la busserole, bien que ralenti, ne s’arrête pas là. Joseph Roques, autre grand médecin français du début du XIX ème siècle, attire notre attention sur d’autres recommandations permettant au remède d’être le plus efficient : la busserole a toutes les chances de bien fonctionner tant que ce diurétique puissant est accompagné de préparations à même d’en molester les effets les plus énergiques. C’est pourquoi, pour soulager le patient, Roques conseille « les boissons douces, émulsives, tempérantes, comme l’eau d’orge, l’eau de graines de lin, le lait d’amandes » (1).
Ce diurétique, détersif, antiseptique, antiputride et sédatif des voies urinaires qu’est la busserole n’a pas été dédié qu’à cette seule sphère, ayant, au passage, offert bien des services aux niveaux intestinal et, dans une moindre mesure, gynécologique et pulmonaire : vu les effets de la busserole sur les affections vésicales et rénales, on semble s’être dit qu’elle pouvait faire de même sur la sphère respiratoire, à travers l’une de ses plus rebelles affections, la tuberculose (ou phtisie). Il n’en est rien, malgré ses tanins, et, d’ailleurs, Cazin appelle à la prudence : ces médicamentations relèvent d’une époque où les diagnostics des affections de la poitrine étaient peu avancés, ainsi a-t-on assez souvent considéré un simple catarrhe bronchique ou une hémoptysie comme un symptôme tuberculeux évident.

Au XX ème siècle, Botan réaffirme les pouvoirs diurétiques et antiseptiques de la plante. Il écrit que l’on « met cette double propriété à profit toutes les fois qu’il s’agit de guérir des inflammations accompagnées de purulence » (2). Leclerc, qui n’a rien ignoré de ce que ses prédécesseurs ont pu constater au sujet de la busserole, fait l’observation suivante : les feuilles du poirier agissent à la manière de celles de busserole. Voici ce qu’il en dit : « leur infusion se comporte comme un bon diurétique, capable d’exercer sur l’urine une action antiputride analogue à celle de l’uva-ursi : elle trouve donc son application dans les cystites, dans la bactériurie, dans la lithiase urinaire : sous son influence, le volume de l’urine augmente, le liquide excrété s’éclaircit et perd de sa fétidité et l’on obtient la sédation des phénomènes douloureux dont la vessie est le siège » (3). Les feuilles de poirier ne sont donc en aucun cas un succédané mais un utile remplaçant dans le cas où l’impossibilité serait de se procurer des feuilles de busserole. Il va sans dire que l’association des deux végétaux est tout à fait envisageable.

La busserole est un sous-arbrisseau vivace et semper virens dont la durée de vie peut atteindre le siècle. Propre aux zones montagneuses (600-2400 m), en France, elle est présente dans les Alpes, les Pyrénées, les Cévennes, plus rare dans le Jura et les Vosges, exceptionnelle en Bourgogne et en Auvergne. Acclimatée jusque dans les zones arctiques, cette plante est aujourd’hui présente en Amérique du Nord, en Asie septentrionale, ainsi qu’en Scandinavie, partout où elle trouve un sol à sa mesure : étendues caillouteuses, prairies, landes, forêts de conifères (pins, mélèzes).
La busserole – qui fait grandement penser à la gaulthérie – partage avec elle certaines caractéristiques botaniques : une faible hauteur et un port étalé. Rampante, la busserole est formée de longs rameaux s’étendant parfois à près de deux mètres de la racine mère. Ces rameaux, flexibles, brun rougeâtre, autorisent la plante à se multiplier par marcottage, d’où les denses et touffues surfaces qu’elle forme. Un aspect dru, un feuillage serré composé de petites feuilles épaisses, coriaces, spatulées, augmentent la ressemblance avec la gaulthérie. Marque distinctive : le verso des feuilles de la busserole est marqué d’un réseau de veinules bien visible malgré le vert pâle des faces foliaires inférieures.
De mars à juin, la busserole porte des grappes pendantes de fleurs en forme de cloche, groupées par trois à douze. Petites, n’excédant pas 6 mm, elles sont majoritairement blanches et rosâtres sur le pourtour. Dès août, elles laissent place à des baies rouges et lustrées contenant chacune cinq à dix graines.

La busserole en phytothérapie

Les petits feuilles vernissées de la busserole sont l’ingrédient majeur offert par cette plante sans odeur ; si les baies sont acides, âcres et farineuses, les feuilles, également âcres, sont surtout astringentes, indice de la présence de tanin dont le taux est variable (15 à 40 %). Ajoutons-y de la résine (5 %), de la chlorophylle (6 %), de la pectine (2 %), de la gomme (3 %), de l’acide gallique (6 %), un peu d’essence aromatique (0,01 %), des acides citrique, quinique et formique, des flavonoïdes, et surtout de l’arbutine (1,6 à 17 %) et de la méthylarbutine. Notons que, globalement, la composition biochimique de la busserole est très variable selon la localisation géographique : n’ayons pas peur d’utiliser le mot chémotype. Ainsi la busserole autrichienne et suisse présente un profil à méthylarbutine, tandis que la busserole d’Espagne, de Pologne, de Scandinavie et de Finlande se caractérise par sa haute teneur en arbutine.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique puissante éliminatrice de l’acide urique, antiseptique, antiputride, détersive et sédative des voies urinaires
  • Astringente, antidiarrhéique, antihémorragique
  • Anti-inflammatoire
  • Tonique des muscles utérins
  • Antibactérienne (sur Escherichia coli)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite, cystalgie, catarrhe des voies urinaires, urétrite, urétrite blennorragique, incontinence urinaire, rétention urinaire, petite lithiase urinaire, hématurie, albuminurie, urine fétide, purulente, muqueuse et sanguinolente excrétée par miction douloureuse, engorgement prostatique, hypertrophie de la prostate, colique néphrétique, pyélonéphrite, goutte
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, diarrhée chronique, diarrhée infectieuse, dysenterie, entérite, entérocolite
  • Troubles de la sphère respiratoire : catarrhe bronchique, hémoptysie, maux de gorge
  • Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, ménorragie, accouchement difficile (parfois accompagné de métrorragie). A ce niveau, la busserole opère de la même façon que l’ergot de seigle sans toutefois en présenter les inconvénients : à forte dose, la busserole possède « une action excitante sur l’utérus, action qu’on a mise à profit pour hâter des accouchements entravés par défaut de contractions, et dans la rétention du placenta » (4)

Modes d’emploi

  • Décoction prolongée de feuilles suivie d’une macération
  • Poudre de feuilles sèches
  • Teinture-mère

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les jeunes feuilles en septembre et en octobre.
  • La busserole est contre-indiquée en cas de grossesse, d’allaitement, de constipation chronique. Son emploi peut provoquer nausée, vomissement, perte d’appétit, sensation d’anxiété. Les enfants âgés de moins de douze ans l’éviteront.
  • Association : myrtille, fenouil, bruyère, queue de cerise, buchu.
  • Le pouvoir antibactérien de la busserole n’agit qu’en cas d’alcalinité des urines. Conjointement aux prises de busserole, l’on conseille l’emploi du bicarbonate de soude et d’éviter l’ingestion d’aliments pouvant acidifier les urines durant la cure.
  • Puisque nous parlons de cure, Fournier indiquait que « l’élimination rapide de l’arbutine […] invite à rapprocher le plus possible les temps d’absorption » (5). Un siècle avant lui, Cazin évoquait des exemples de traitements s’étant étendus sur des mois, alors qu’aujourd’hui l’on reste fort bien prudent à ce titre, préconisant des cures de sept à dix jours consécutifs, sans excéder cinq cures par an.
  • Matière tinctoriale : les feuilles permettaient la teinture de la laine et du cuir. Leur décoction additionnée de sulfate de fer offre une couleur noire, avec de l’alun elle devient grise.
  • Dans les pays nordiques, feuilles et rameaux de busserole servaient au tannage des peaux. Leur forte proportion de tanin explique aussi pourquoi l’on ne doit effectuer aucune préparation à base de busserole avec des instruments en fer.
  • Les baies sont comestibles mais fades. La cuisson les améliore.
  • Les prises de busserole colorent les urines en vert olive ou vert brunâtre. Cela n’a rien d’inquiétant.
  • Autre espèce : la busserole alpine (Arctostaphylos alpina). Espèce rare dans les Alpes poussant entre 1900 et 2500 m d’altitude, elle est plus fréquente dans les Pyrénées. Elle se distingue de l’autre busserole par son feuillage caduque et des baies bleu foncé, presque noirâtres. On lui accorde des propriétés analogues à celle de l’uva-ursi.
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    1. Joseph Roques, cité par François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 215.
    2. P. P. Botan, Dictionnaire des plantes médicinales les plus actives et les plus usuelles et de leurs applications thérapeutiques, p. 45.
    3. Henri Leclerc, Les fruits de France, p. 132.
    4. Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, p. 137.
    5. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 197.

© Books of Dante – 2017