L’achillée millefeuille (Achillea millefolium)

Synonymes : millefeuille, millefeuille des pharmacies, herbe à la coupure, saigne-nez, herbe du soldat, herbe aux militaires, herbe aux voituriers, herbe aux cochers, herbe aux charpentiers, herbe de saint Joseph, Herbe de Saint-Jean, sourcil de Vénus, camomille de montagne, grassette, joubarbe des vignes, queue de taupe, herbe à dinde, herbe aux dindons.

Voici quelques-uns des noms vernaculaires de l’achillée dite millefeuille. Parmi eux, laissons de côté ceux qui font l’effet d’un chien dans un jeu de quilles (joubarbe des vignes, par exemple. Sérieusement ?), et penchons-nous avec davantage d’intérêt sur ceux qui soulignent d’une façon plus ou moins explicite ses propriétés thérapeutiques comme, par exemple, herbe du soldat, herbe aux militaires, saigne-nez, herbe à la coupure, etc. Les deux principaux, achillée et millefeuille, n’ont pourtant que peu de rapport avec les vertus médicinales de la plante : si le second évoque l’aspect finement dentelé et découpé de son feuillage, le premier tire sa genèse du célèbre héros légendaire de la guerre de Troie, Achille, roi des Myrmidons. On connaît la portion du mythe lors de laquelle la mère d’Achille, Thétis, le baigne, enfant, dans les eaux du Styx, à l’exception d’un des talons par lequel elle le maintient. Ce point, depuis connu sous l’expression de talon d’Achille – le point de faiblesse –, représente l’endroit même du corps du héros qui n’est donc pas rendu invulnérable, ce qui, bien plus tard, lui sera fatal. Mais avant d’en arriver là, la mythologie nous apprend qu’Achille aurait été confié au centaure Chiron qui, en tant que précepteur, aurait enseigné l’art médical au jeune Achille, en particulier les propriétés de cette plante hémostatique à laquelle le nom du héros fut accordé. C’est là que la légende s’embrouille un peu. Beaucoup, même. Faisons donc un peu de tri dans la masse des informations dont nous disposons : durant le long siège de la bataille de Troie, après avoir vengé Patrocle en tuant Hector, « Achille fut blessé au talon par une flèche empoisonnée que lui décocha Pâris » (1), frère d’Hector et fils de Priam, c’est-à-dire le roi de Troie (on ajoute parfois qu’à Pâris s’est joint Apollon lors de la manœuvre meurtrière). Pour qu’il puisse adoucir la douleur de sa peine, Vénus lui suggèra alors de s’enduire du suc d’une plante, l’achillée (et dont il usa également pour soigner les blessures de ses compagnons d’armes, d’après Pline). L’on dit encore (mais là on s’écarte de la trame la plus connue), qu’Achille se serait servi d’achillée pour panser les blessures du roi de Mysie, Télèphe, puisqu’il connaît ce secret guérisseur. Le seul hic, c’est qu’il n’y a pas véritablement de raison pour qu’Achille soigne une blessure qu’il inflige lui-même à Télèphe, qui se trouve justement être un de ses ennemis (à moins qu’il ait été manœuvré par la déesse Atê, mais il y a peu de chance, rien de tel n’apparaissant dans l’ensemble des épisodes mettant Achille en proie aux Troyens). Parfois, c’est davantage le poète qui, plus qu’inspiré par les Muses, s’égare et nous brode un motif qui n’ajoute aucun détail digne d’intérêt, mais retranche, au contraire, une belle part de compréhension.
Bref. Achille n’est peut-être pas le « découvreur » de l’achillée, il n’en reste pas moins que l’explication légendaire de la mythologie grecque a suffi à assurer la carrière thérapeutique de cette plante qui, et cela tombe fort bien, est bel et bien un vulnéraire, c’est-à-dire un remède des plaies et des blessures, permettant la guérison de « toutes plaies faites par glaives, couteaux et autres ferrements », ce qui explique pourquoi « on en use pendant la guerre et dans les campements » (ses surnoms d’herbe du soldat et d’herbe aux militaires coulent donc de source). Un point douteux de la mythologie grecque précise que Vénus elle-même enduisit le corps du héros Achille (dont Vénus était censément déesse protectrice, ce qui est fort curieux) de suc d’achillée (confusion avec Thétis qui le tartine d’ambroisie ?), afin de le rendre in-vulnérable, c’est-à-dire impossible à blesser (du latin vulnerare), qu’on retrouve bien évidemment dans le mot vulnéraire (du latin vulnerarius, « blessure »), propriété de l’achillée qui lui a valu, abusivement cependant, le surnom d’herbe aux coupures. Or selon Reclu, l’achillée, « contrairement à l’opinion vulgaire », n’est pas vulnéraire. Encore faut-il s’entendre sur le sens exact du mot vulnéraire : « Qui est propre à la guérison des plaies ou des blessures », selon Émile Littré, définition englobant les contusions, le résultat d’une chute ou d’un coup. Or, une plaie n’est pas une contusion. Cette dernière est une « lésion produite par un choc extérieur, sans solution de continuité de la peau et avec extravasation de sang » (2), tandis que dans la plaie, il y a section de la peau et des muqueuses (comme dans la coupure, par exemple). Si plaie et contusion sont bien toutes deux des blessures, il apparaît qu’un certain nombre d’entre elles (provoquées par un instrument perforant ou coupant, par une arme à feu), ne peuvent être prises en charge par l’achillée malgré son nom vulgaire d’herbe aux coupures, puisque l’application de cette plante, de même qu’on l’observe scrupuleusement avec l’arnica, ne peut s’envisager sur une plaie récente et surtout saignante : « Les paysans retardent la guérison de leurs coupures mal réunies en y appliquant cette herbe ; mais comme ils guérissent par les effets de la nature, malgré cette application, ils lui attribuent le merveilleux travail de la cicatrisation », explique Cazin (3). On dit de l’achillée qu’elle fut combinée à diverses autres plantes dans des préparations telles que le thé suisse ou faltrank (de l’allemand fallen, « tomber » et trank, « potion »). C’est vrai, mais il s’agit essentiellement d’achillées alpines (la musquée, la noire, la naine). Cependant, dans sa destination, le thé suisse est plus proche des prérogatives de l’achillée millefeuille que cette autre préparation connue sous les noms d’eau vulnéraire, eau rouge ou encore eau d’arquebusade, que l’on obtient par la distillation dans l’eau ou l’alcool d’un grand nombre de plantes réputées vulnéraires. Or dans toutes les recettes dont j’ai pu prendre connaissance, je n’y ai pas découvert la moindre trace d’achillée millefeuille.

Pourtant, des vastes corridors de l’Histoire nous proviennent des échos déjà fort anciens au sujet de cette soi-disant propriété de l’achillée portée sur les plaies vives et saignantes. Sans pour autant remonter aux temps préhistoriques, signalons que, plus récemment, Dioscoride mit à l’honneur les vertus hémostatiques de l’achillée en affirmant qu’elle est « d’une efficacité incomparable contre les plaies saignantes, les ulcères anciens ou récents ». Cette valeur hémostatique est reprise par Marcellus Empiricus au IV ème siècle après J.-C., tandis que chez Hippocrate l’on croise quelque chose de bien plus intéressant : la capacité de l’achillée à résorber les hémorroïdes, ainsi qu’auprès de Serenus Sammonicus, signalant le bon emploi qu’on peut faire de l’achillée en cas de fistule, et « contre les blessures causées par des accidents divers » (4). Ainsi, quand on considère les propriétés médicinales de l’achillée millefeuille, on se rend compte à quel point cette plante possède un rapport étroit avec le sang. Que n’a-t-elle pas fait partie de cette fameuse eau rouge ? Que ce soit les saignements accidentels, ceux de la menstruation et de ses désordres, ou encore ce sang qui, circulant dans le corps, connaît parfois de mauvais travers, il semblerait bien que l’achillée millefeuille ait trouvé là une vocation taillée à sa mesure. Or, s’il n’est pas difficile de reconnaître cette plante, finement représentée au sein des Grandes Heures d’Anne de Bretagne (quand bien même l’enlumineur lui a donné le nom de Millez feuilles), il n’en va pas de même dans les textes antiques où un « millefeuille » peut en cacher un autre. C’est ce que nous allons devoir maintenant analyser.
D’aucuns ont vu (ou cru voir) l’achillée millefeuille sous le nom grec de muriophullon, autrement dit « myriade de feuilles », myriade signalant le grand nombre, plus exactement 10000 (il y a donc surenchère par rapport aux mille feuilles de l’achillée, mais on comprend l’idée ; aussi, ne chipotons pas). Là où ça se corse, outre le fait que le grec muriophullon se transpose en myriophyllum et millefolium latins, c’est qu’on a fait des noms stratiôtiké et stratiôtes chiliophyllos (deux termes qui marquent la relation de cette plante au soldat en général) des synonymes de muriophullon. Mais lorsqu’on lit le Livre IV de la Materia medica de Dioscoride, il se trouve que bon nombre d’informations relatives à plusieurs probables achillées sont dispersées au fil des pages. Par exemple, au chapitre 87, l’on trouve la mille feuille militaire (stratiôtes chiliophyllos) dont Dioscoride affirme qu’« elle est en grand usage aux ulcères anciens, et aux nouveaux, aux flux de sang et aux fistules », soit, ni plus ni moins que ce que l’on a imaginé que Dioscoride attribuait à l’achillée, du moins à celle que nous connaissons comme Achillea millefolium (un grand défaut consiste en ceci : imaginer que la flore que nous connaissons est partout la même dans le temps et dans l’espace). Et que penser de cette Achilleios en grec, Achillea en latin : « Ses sommités fleuries broyées et emplâtrées ressoudent les plaies fraîches. Il restreint les flux sanguins, de même que le flux menstruel. Et à cette occasion, les femmes qui sont tourmentées par leurs menstrues, peuvent effectuer un bain de siège à l’aide de sa décoction. Outre cela, on le boit pour la dysenterie » (5). Enfin, il y a encore l’Ageraton, au chapitre 49, dans lequel on a pensé imaginer, malgré de faméliques informations, une sorte d’achillée. En effet, Dioscoride explique que « sa décoction est très échauffante. L’herbe appliquée provoque l’urine et ramollit les indurations de la matrice ». A l’examen attentif de toutes ces données, l’on ne peut douter d’avoir affaire à des achillées, si ce n’est, encore, cette référence clairement amenée de l’efficacité de ces plantes sur les plaies saignantes, ce qui, en ce qui concerne véritablement notre achillée millefeuille (au sens où l’entendent les modernes), ne peut que demeurer qu’au stade de la croyance. Mais il est vrai que cette croyance, l’on pense en trouver la confirmation dans la parole des Anciens, aussi sûrement que dans les évangiles. Cette plante, associée au signe astrologique du Bélier, animal de feu et de sang, que les astrologues disent soigner les plaies, les coupures, les contusions, est même capable d’effacer « en trois jours une blessure mortelle causée par un coup de couteau », etc. Nous sommes bien là dans le domaine de la croyance (et de la magie, également). L’identification du muriophullon, à défaut d’être prononcée de manière indubitable, n’est pas non plus unanime, parce que myriophyllon, millefolium, stratiôtiké, ne sont que des mots plus ou moins synonymes qui regroupent non pas des plantes selon leur lignage botanique, mais parce qu’elles présentent en commun de posséder des propriétés identiques. Ainsi, dans ce groupe de plantes diverses, l’on trouve des achillées mais pas seulement, puisqu’on a cru identifier des plantes du type hottonie et, d’après certaines descriptions fournies par Pline et surtout Dioscoride, une plante du genre Myriophyllum, dont le myriophylle en épis (M. spicatum). Or, Ducourthial apprend à notre attention que cette plante ne possède pas de propriétés thérapeutiques. Dès lors, on comprend difficilement ce qu’elle serait venue faire dans la Materia medica de Dioscoride et dans l’Histoire naturelle de Pline. Il est vrai qu’aujourd’hui, on passe plus de temps à lutter contre cette plante dite invasive aux États-Unis et au Canada (au Québec, on l’appelle « plante zombie » !), qu’à l’étudier d’un point de vue de sa biochimie. Achillea, alors ? Il en existe plus d’une centaine d’espèces dans l’hémisphère nord. Parmi elles, il devrait bien pouvoir s’en trouver au moins une qui concorde avec les descriptions faites de cette plante durant l’Antiquité gréco-romaine. Mais c’est une tâche fort peu aisée, sachant que Dioscoride et Pline insistent sur ce point : cette plante est censée vivre dans des zones humides, voire marécageuses même. On peine à imaginer Achillea millefolium dans un tel tableau, barbotant les pieds dans l’eau.

Tout au contraire, le Moyen-Âge offre peu de données au sujet de l’achillée, mais elles apparaissent plus sûres. Et encore… Par exemple, il est permis de douter de l’identité du Garwa d’Hildegarde, auquel le traducteur a attribué le nom français de millefeuille. Garwa ? Curieux. En tous les cas, la compilation des vertus qu’elle accorde à cette plante tient en ceci : les blessures tant internes qu’externes (comme celles causées par un choc, par exemple), les écoulements de sang (saignements de nez, flux menstruels et douleurs afférentes), ainsi que quelques usages fort éloignés de cette antique réputation d’étancher les flux sanguins (insomnie, fièvre tierce, yeux larmoyants). D’autres réceptuaires médiévaux ajouteront à cela quelques données supplémentaires : hématurie, hémoptysie, maux de dents, panaris, ce qui cadre bien avec ce qu’on connaît aujourd’hui des propriétés et usages thérapeutiques de l’achillée millefeuille, même si, tout comme durant l’Antiquité, la période médiévale qui lui donne suite, ne peut se départir de cette obsession consistant à user de l’achillée sur les plaies récentes, comme le souligne au XII ème siècle Matthaeus Platearius : « L’achillée millefeuille vaut surtout pour ressouder et cicatriser les plaies récentes. Pour cela, appliquer un onguent composé du suc de cette plante, additionné d’huile, de cire et de térébenthine ».

Au XVII ème siècle, tout à côté de la présupposée et largement répétée réputation hémostatique de l’achillée, il y a, enfin, une autre idée qui émerge, celle consistant à affirmer, à nouveau, la spécificité de l’achillée face aux hémorroïdes, ainsi qu’aux hémorragies internes en général, une idée qui trouve ses défenseurs en Lazare Rivière, Herman Boerhaave, Mathias de l’Obel, Johann Schröder, précisant le bon emploi qu’on peut faire de l’achillée en cas de flux sanguins anormaux affectant autant les intestins, le rectum que l’utérus. Au siècle suivant, le XVIII ème donc, on ajoute une autre idée : l’achillée serait antispasmodique. Et au XIX ème ? Eh bien, on n’en a pas des masses, des idées, on a surtout la mauvaise d’oublier l’achillée sur le bord du chemin thérapeutique, d’autres antiphlogistiques lui ayant, semblerait-il, damer le pion et fait mériter cette mise en jachères. Cependant, aux environs des années 1850, Cazin s’étonne qu’« on n’en fait même pas mention dans les Traités récents de matière médicale » (6), dans ces ouvrages où, à bon droit, l’on devrait légitimement s’attendre à découvrir de longs développements consacrés à l’achillée millefeuille. Or Cazin, de même que Teissier, a bien remarqué la grande efficacité de l’achillée en interne contre certaines affections veineuses, dont ce que l’on appelle communément les hémorroïdes, une affection qui prête à sourire niaisement quand on apprend que « ça » se situe au-dessous de la ceinture, mais qui ne fait généralement pas rire les personnes qui en sont affligées, celles-là même dont Cazin offre plusieurs observations, dont certaines particulièrement gratinées pour ne pas dire gravissimes, se soldant par des pertes sanguines journalières d’un litre – un litre ! – dans les pires des cas.

Plus aussi commune qu’autrefois mais encore fréquente, l’achillée millefeuille est une rustique plante herbacée vivace dont la taille maximale ne dépasse pas 80 cm (elle se situe plus régulièrement autour de 50 cm). Malgré sa vulnérabilité aux pesticides (à chacun son « talon »), elle peut coloniser des terrains entiers et s’établir en bordure de chemin, à proximité des cultures, sur les sols agricoles inoccupés (friches, jachères), les pelouses et autres sols secs et rocailleux, à une altitude maximale de 2000-2200 m. Non ramifiées dans leurs parties basses, les tiges ligneuses de l’achillée se séparent en plusieurs sections d’inégale longueur dans leurs parties supérieures, pas tout à fait ramules, presque ramuscules, achevés chacun par un petit capitule, dont l’assemblage des uns et des autres, placés sur un même plan, forment ainsi une piste d’atterrissage sûre aux insectes. Un seul coup d’œil suffit pour en déterminer la couleur : généralement blanc grisâtre, il leur arrive d’être plus rarement rose pâle, voire purpurins.
L’achillée est une astéracée. Aussi, chacune de ses « fleurs » n’en est pas une, c’est pourquoi l’on parle plus justement de capitule floral. Chacun d’eux est composé d’un cœur de fleurs centrales tubuleuses, de couleur blanc jaunâtre et hermaphrodite, cerné par cinq fleurs ligulées périphériques, femelles et fertiles, marquées de deux stries longitudinales.
Prolixe de sa floraison, l’achillée fleurit facilement durant six mois dans l’année, de mai en octobre. A l’image des fleurs, les feuilles de l’achillée sont, elles aussi, composées. Longues et découpées comme une fine dentelle jusqu’à la nervure centrale, elles expliquent le fait que la plante a mérité le surnom de sourcil de Vénus.

L’achillée millefeuille en phyto-aromathérapie

Figurant fréquemment en tête de liste de tous bons ouvrages de phytothérapie qui se respectent (quoique tous ne suivent pas l’ordre alphabétique), on introduit généralement les propriétés de l’achillée millefeuille après avoir succinctement mentionné le nom de quelques principes actifs. Il est vrai que cette plante a souffert d’un manque cruel d’étude concernant ses composants biochimiques. Mais avec le renouveau de l’aromathérapie depuis plusieurs décennies en Europe occidentale, il est permis d’ajouter bien des détails au sujet de l’huile essentielle d’achillée qu’on connaît cependant depuis belle lurette, et dont la belle couleur bleu indigo vire normalement au vert olive foncé avec le temps sans que, pour autant, son parfum s’en trouve dévalorisé. De terreux à quelque peu boisé (« terreux » et « boisé » n’étant que des valeurs relatives), on peut reconnaître, dans cette huile essentielle, quelques notes qui font bigrement penser à celle de sa cousine matricaire possédant, de même que la tanaisie annuelle, une huile essentielle bleue, caractère suffisamment rare pour être souligné comme il se doit. Mais cette couleur peut être amenée à changer en fonction des « crus », de la provenance, du terroir, etc. C’est sans doute en raison de tout cela (quand bien même l’essence aromatique loge essentiellement dans les capitules floraux à hauteur de 0,1 à 0,25 %), que l’on ne s’est jamais trop bien entendu sur la question du parfum de cette plante au naturel. C’est ainsi qu’on l’a dite faiblement aromatique, exprimant une verdeur amère qui évoque davantage la tanaisie vulgaire que la matricaire, à laquelle s’ajoute une nette touche camphrée, qu’apparemment d’autres observateurs n’ont pas décelée, même après froissement des sommités fleuries entre les doigts (ce qui est, pour une odeur, le meilleur moyen de la faire sortir. De ses gonds ? ^.^). Par ailleurs, l’on a accordé à l’achillée une forte odeur épicée. Même au sujet de sa saveur, l’on n’a pas non plus réussi à s’entendre, puisqu’on lui a parfois découvert un goût épicé en début de croissance, se transformant par la suite en une saveur amère plus ou moins styptique. Tout cela prouve bien à l’évidence qu’il est nécessaire de prendre en compte le milieu et les conditions dans lesquelles croissent telles ou telles achillées, c’est-à-dire un ensemble de facteurs qui ont obligatoirement un impact sur le parfum, la saveur, la composition biochimique et, par voie de conséquence, la couleur finale de l’huile essentielle qu’on tire du végétal concerné.
Puisque nous avons concentré nos premiers efforts sur les fleurs d’achillée, profitons-en pour aligner quelques chiffres portant sur la représentation des grandes familles moléculaires qu’on croise généralement dans cette huile essentielle :

  • Esters : 10 à 20 %
  • Sesquiterpènes : dont β-caryophyllène (10 %), farnesène (15 %) et chamazulène (6 à 17 % ; certaines huiles affichent des taux de pas loin de 40 % !)
  • Monoterpènes : dont sabinène (20 %), α-pinène (10 %), β-pinène (10 %)
  • Oxydes : dont 1.8 cinéole (3 à 10 %)
  • Monoterpénols : dont bornéol (12 %)
  • Sesquiterpénols : 4 %
  • Cétones : dont camphre (15 %), thuyone (3 %)
  • Acides : 2 %
  • Coumarines :  traces ?

Quant aux principes amers, ils sont surtout localisés dans le feuillage de l’achillée. Il est principalement question d’une résine dont la structure lui valut, semble-t-il, d’être classée parmi les alcaloïdes et portant aussi bien le nom d’achilléine que de bétonicine (puisque également présente dans la bétoine, Betonica officinalis).
Que trouvons-nous donc encore dans cette plante ? Aussi étonnant que cela puisse être, du mucilage. De l’inuline (surtout dans sa racine), plusieurs acides (achilléique, salicylique, malique, acétique), des acides aminés (asparagine), du tanin bien entendu, quelques sels minéraux (potassium, phosphates, fer… Sans doute d’autres encore), des flavonoïdes enfin.

Propriétés thérapeutiques

  • Antispasmodique intestinale, antiseptique des voies digestives, digestive, stomachique, cholagogue, tonique amère, vermifuge
  • Antiseptique respiratoire, expectorante
  • Diurétique, lithontriptique (?), dépurative
  • Abaisse la pression sanguine, régulatrice de la circulation sanguine au niveau des capillaires, tonique circulatoire
  • Astringente, détersive, décongestionnante des muqueuses, résolutive, cicatrisante, épithéliogène
  • Anti-inflammatoire, antalgique, analgésique
  • Hémostatique, antihémorragique, antihémorroïdale puissante
  • Emménagogue, sédative utero-ovarienne
  • « Aphrodisiaque pour les paresseux du sexe »
  • Anti-infectieuse : antibactérienne

Note : à cette longue liste, ajoutons quelques propriétés supplémentaires spécifiques à l’huile essentielle : anti-allergique, antiprurigineuse, anti-œdémateuse, progesteron like.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, atonie digestive, fermentation gastro-intestinale, flatulence, dyspepsie flatulente, dysenterie, diarrhée, gastrite (aiguë et chronique), pyrosis, crampe d’estomac, spasmes gastro-intestinaux, ascarides
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance hépatobiliaire, lithiase biliaire, hypertrophie du foie
  • Troubles de la sphère respiratoire : asthme, asthme humide, crachement de sang, hémoptysie, catarrhe pulmonaire, toux, enrouement, phtisie, rhume, rhume des foins, grippe, pneumonie
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : incontinence urinaire chez l’enfant, miction nocturne fréquente des prostatiques, lithiase urinaire
  • Troubles de la sphère gynécologique : hémorragie passive de l’utérus, métrorragie, aménorrhée (suppression des règles par le froid, une émotion, l’anémie, etc.), menstruations insuffisantes ou, au contraire, trop abondantes, spasmes utérins, dysménorrhée, leucorrhée, troubles de la pré-ménopause et de la ménopause (nervosité, jambes lourdes, etc.), congestion du petit bassin, douleur pelvienne, mastite
  • Troubles de la sphère génitale masculine : prostatisme, congestion et infection prostatique, blennorragie
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : endocardite, péricardite, angor, hypertension, varice, phlébite, douleur cellulitique

Note : l’achillée millefeuille est, comme nous l’avons dit, un antihémorroïdale majeur, c’est pourquoi elle intervient généralement en cas d’hémorragie rectale, de flux hémorroïdaire suffisamment anormal pour qu’il ne s’accompagne généralement pas d’une excessive faiblesse, d’une lassitude et d’une profonde anémie. A cela, nous pouvons ajouter les flux hémorroïdaires puriformes et muqueux, ainsi que des affections du genre melæna. A noter que l’achillée peut également intervenir en cas de fissure anale, parfois même de fistule.

  • Troubles locomoteurs : goutte, douleurs musculaires, articulaires et rhumatismales, inflammation articulaire, entorse, foulure, névralgie, névrite
  • Zona
  • Affections cutanées : lavage des plaies et des muqueuses non saignantes, contusion, coup, blessure, inflammation, démangeaison et irritation de la peau et des muqueuses, brûlure légère, ulcère (de jambe, variqueux, sordide, atonique), engelure, crevasse et gerçure en plusieurs parties du corps (périnée, mamelon, etc.), acné, eczéma, dartre, teigne, piqûre d’insecte, impétigo, éphélides
  • Affections bucco-dentaires : saignement des gencives, hygiène buccale
  • Saignement de nez
  • Fatigue, fatigue générale, neurasthénie
  • Chute des cheveux

Modes d’emploi

  • Infusion des sommités fleuries fraîches ou sèches. Une variante : 1/3 d’achillée millefeuille (sommités fleuries) + 1/3 de millepertuis (sommités fleuries) + 1/3 de sauge officinale (feuilles). Il est possible d’échanger la sauge avec la mélisse officinale.
  • Décoction de sommités fleuries fraîches ou sèches dans l’eau, le vin rouge, la bière.
  • Décoction concentrée de sommités fleuries fraîches pour usage externe (bain, lotion, fomentation, compresse).
  • Macération vineuse de sommités fleuries fraîches.
  • Teinture alcoolique : compter une part de feuilles fraîches hachées et cinq parts d’alcool à 90°.
  • Sirop.
  • Huile essentielle (en massage, en application locale, en friction, en olfaction).
  • Hydrolat aromatique.
  • Application locale de suc frais.
  • Pommade : ½ part de suc frais + ½ part de saindoux. Ou bien : ½ part de suc frais + ¼ de part d’huile végétale + ¼ de part de cire d’abeille. A ces deux recettes simples, on peut ajouter quantité suffisante d’huile essentielle d’achillée millefeuille (4 à 5 %).
  • Cataplasme de sommités fleuries fraîches broyées.

Précaution d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les feuilles, tout d’abord, du mois d’avril à celui de juin. A cette période fait suite celle de la récolte des sommités fleuries qui peut s’étaler jusqu’en septembre, parfois même octobre. Grosso modo, cela signifie qu’on peut cueillir l’achillée durant près de la moitié de l’année, et s’en servir tout l’an durant, puisque sa dessiccation aisée n’a rien de bien sorcier, et que, de plus, l’achillée, même sèche, se conserve très bien. Elle est plus à l’aise avec le sec qu’avec l’humide :
  • Infusion et décoction d’achillée se détériorent très rapidement (on va dire que le truc tourne vite fait en eau de boudin). L’on ne peut donc pas en faire des litres à l’avance, la solution noircissant avec le temps. Ainsi est l’achillée. Au risque de perdre le produit, ce qui serait dommage et hautement punissable (du moins par moi ^.^), il est donc recommandé d’effectuer de toutes petites quantités de ces préparations, à absorber presque immédiatement. On peut ralentir cette détérioration en préparant infusion et décoction dans des contenants émaillés.
  • L’achillée millefeuille est une plante déconseillée durant la grossesse, surtout sous forme d’huile essentielle, et lorsque cette dernière contient une forte proportion de camphre, molécule neurotoxique et potentiellement abortive. Dans ce dernier cas, on l’interdira durant l’allaitement, auprès du bébé et du jeune enfant. Au-delà, les coumarines, comme toujours, peuvent induire des phénomènes de photosensibilisation. Il importe donc de limiter les expositions prolongées au soleil durant une cure.
  • Si l’huile essentielle d’achillée millefeuille est un antiphlogistique cutané et un antiprurigineux, elle ne partage pas la vocation de la plante fraîche à provoquer, sur des peaux fragiles, des irritations cutanées, dites dermites de contact, et autres allergies (même la plante en interne, par voie d’extrait fluide ou de décoction, peut amener ce résultat malheureux qui est, comme le souligne bien justement Fournier, un bon indice homéopathique).
  • On le sait, la feuille d’achillée est aromatique : c’est-à-dire qu’elle possède aussi une vertu condimentaire. On peut, par exemple, s’en servir comme du persil et, après l’avoir finement ciselée, en saupoudrer une salade composée ou un fromage blanc. Se prêtant aussi à la cuisson, on peut ajouter l’achillée en petite quantité dans une farce, une soupe, une sauce, un beurre aux herbes, une omelette, et dans bien d’autres plats. On peut encore, en les conservant entières, les sauter au beurre ou les préparer en mode tempura.
  • Dans certains pays viticoles, des sachets d’achillée étaient plongés dans les barriques de vin pour aider à sa conservation. Et dans ceux qui ne le sont pas (la Suède, par exemple), où la boisson commune est la bière, l’achillée venait assez fréquemment prêter ses arômes à la bière de gruit, ainsi qu’à la cervoise. Quant aux fleurs, elles parfument agréablement thés, infusions, liqueurs et limonades.
  • Du fait de sa cherté, l’on conseille de ne pas faire un usage abusif de l’huile essentielle d’achillée millefeuille. « On », enfin moi, quoi. J’ai vu, encore récemment, en plusieurs endroits, des témoignages de personnes qui, selon leurs dires, y allaient massivement avec elle. Je suis pourtant certain que dans la plupart des cas, l’on peut trouver d’autres huiles essentielles aussi efficaces, mais surtout moins onéreuses (et dont l’impact sur la Nature sera aussi moins grand ; on a tendance à oublier ce détail). En ce qui me concerne, j’ai acheté un petit flacon d’une contenance de 2 ml il y a 8 ans. Hormis la couleur qui a changé, le niveau n’a pas dû baisser plus du quart. L’achillée, c’est comme le néroli ou l’absolu de rose de Damas ou celui de jasmin, on ne s’en tartine pas non plus au litre. Ce sont là les huiles des (très) grandes occasions, qu’on se doit d’utiliser avec respect, en olfaction ou, plus rarement, en bref massage radial après avoir déposé sur l’intérieur du poignet une gouttelette pas plus grosse qu’une tête d’épingle. Sans compter, bien sûr, qu’elle donne à qui sait voir ou pressentir son aura. Le plus souvent de couleur jaune, elle s’applique donc directement auprès du chakra du plexus solaire et, indirectement, vis-à-vis de celui de la couronne (violet). On parle énergétique et psycho-émotionnel, là. Comme on le ferait en évoquant un élixir, par exemple. D’ailleurs, il en existe un, d’élixir floral, à base d’achillée millefeuille qu’on destine plus spécialement aux personnes sensiblement irritables, et dont la principale tendance consiste à s’identifier aux émotions (réelles ou supposées) de leur entourage, forme d’empathie, en somme. C’est un élixir fort utile aux personnes facilement influençables et naïves. Fleur bleue ? Oui, on peut le dire.
  • L’hémisphère nord compte environ une centaine d’espèces d’achillées. Par nos contrées, on en trouve quelques-unes qu’on peut classer en deux grands groupes :
    – les achillées naines de montagne : la « camomille » de montagne (A. erba-rotta), l’achillée noire (A. astrata), l’achillée musquée (A. moschata), l’achillée naine (A. nana) ;
    – les achillées de plaine, plus robustes : l’achillée ptarmique (A. ptarmica), l’achillée noble (A. nobilis), l’achillée visqueuse (A. ageratum).
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    1. Fabrice Bardeau, La pharmacie du bon Dieu, p. 28.
    2. Larousse médical illustré, p. 300.
    3. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 593.
    4. Serenus Sammonicus, Préceptes médicaux, p. 52.
    5. Dioscoride, Materia medica, Livre IV, chapitre 28.
    6. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 587.

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