L’entrée en matière de ce roman, bucolique à souhait, ne trompe pas son monde très longtemps. Tout débute par une crise. Qu’elle soit cardiaque ou économique, une crise est un événement soudain, violent et brutal, très souvent imprévisible.
Dans une garenne de la campagne anglaise, une menace sourde pèse sur une colonie de lapins. Or l’on sait bien que face à un stress potentiel les deux issues possibles sont la fuite, et éventuellement la vie à la clé, ou la tétanie, et la mort à coup sûr. Cette crise va contraindre un petit groupe d’entre eux à l’exil, sous l’égide d’Hazel et de son frère Fyveer. Fort du pressentiment d’un désastre imminent, ce dernier, un lapin timide et quelque peu « rêveur », est à l’origine du départ de son groupe. Mais le lapin étant grégaire et assez sédentaire, il n’est pas facile de forcer son caractère et ses aptitudes en lui faisant parcourir d’immenses distances, même au prix de sa vie. Pourtant, c’est bien ce qui va se produire, Fyveer ayant eu la vision du lieu où ses compagnons et lui-même doivent se rendre pour échapper au danger. Mais cela ne se fera pas sans péril ni écueil, un lapin en terrain inconnu devant nécessairement compter sur de mauvaises rencontres, incarnées tant par l’homme, que par le renard ou la belette, quand ce n’est pas le rat et le chat. Cependant, dans Watership Down, ces ennemis naturels ne s’opposent que rarement, et quand c’est le cas, la bande d’Hazel en réchappe toujours, non sans de grandes frayeurs et quelques blessures. Mais l’ennemi n’est pas toujours celui qu’on croit. Ceux qui, par deux fois, leur posent le plus de problème, ne sont autres que des lapins ! Les premiers, de gros lapins semi-domestiques ne peuvent s’adapter au tempérament d’Hazel et de sa bande, véritables lapins de garenne, ni eux au leur. Ils savent que s’ils ne souhaitent pas finir en civet ou en gibelotte, il leur faut fuir ce lieu inhospitalier et dangereux car truffé de pièges posés par les hommes.
Embarquant un de ces gros lapins avec eux, Hazel, Fyveer et les autres finissent par parvenir au lieu tant espéré où élire domicile, vu par Fyveer dans ses visions qui tiennent véritablement de la transe chamanique. Mais ils ne sont pas au bout de leurs peines, même juchés sur un pog digne de Montségur. Sachant que ce sont les femelles qui creusent les terriers et qu’il n’y en a aucune dans le groupe, nos lapins vont devoir, une fois de plus, forcer leur nature afin de se mettre à l’abri, chose indispensable pour ces créatures anxieuses. Et l’on sait à quel point l’exil est anxiogène pour celui qui migre… [Lire la suite ou s’arrêter là pour ne pas connaître le mot de la fin, parce que ce roman vous paraît si génial que vous ne souhaitez pas que je le spoile ? Si vous voulez tout savoir, cliquez sur ce lien, sinon poursuivez ci-dessous ^_^]
On s’immerge rapidement dans ce roman, pour peu qu’on soit, comme moi, familier et sensible à la faune et, surtout, à la flore qui le peuplent. D’ailleurs, ces deux dimensions sont étroitement imbriquées : les noms que portent de très nombreux lapins disent toute l’importance que représente pour eux le monde végétal dont ils dépendent. Ainsi rencontrons-nous Hazel (le noisetier), Dandelion (le pissenlit), Fraga (la fraise), Rubus (le mûrier), Bugloss (la buglosse), Stachys (l’épiaire), Chervil (le cerfeuil), Campàna (la campanule), Vervin (la verveine), etc.
La truffe au vent, les oreilles aux aguets, on perçoit une multitude d’odeurs et de sons typiques de la campagne, cela aide, selon moi, à l’immersion dans ce monde fascinant qu’est celui des lapins, peuplé de figures héroïques et mythologiques, assurant une cosmogonie solide et offrant de multiples occasions de raconter des histoires dans la tiédeur bienheureuse d’un terrier où toutes les (grandes) oreilles sont attentives.
En lisant Watership Down, vous en apprendrez davantage sur cet animal qu’est le lapin, une créature banale et connue, et dont on sait finalement très peu de choses. Lisez, vous aurez l’occasion de découvrir certains termes propres à leur langue tels que sfar, vilou, speussou, farfaler et faire raka. Mais cet enrobage sémantique et mythologique ne doit pas faire oublier l’une des leçons du livre : afin d’être un lapin libre, il faut savoir et pouvoir s’affranchir du totalitarisme, pour lequel il n’y a pas d’autre but que le combat et, au final, la mort.
Watership Down de Richard Adams aux éditions Monsieur Toussaint Louverture, 544 pages, 21,90 €
© Books of Dante – 2016