
Dans toute encyclopédie consacrée aux minéraux, l’on donne cette explication quant à l’origine du nom même de la topaze : elle aurait été découverte sur une île de la mer Rouge par des pirates venus s’y échouer. Sur cette île, l’île de Cytis, nos infortunés marins se livrèrent à une exploration, ce qui leur valut de faire connaissance avec la topaze, qu’ils nommèrent du nom arabe topazas, qui signifierait « cherché et trouvé » (d’autres variantes expliquent que c’est l’île qui s’appelle Topazos, ce qui est tout à fait probable puisque c’est le nom que l’on donnait autrefois à celle qu’on nomme aujourd’hui Zabargad, au large de l’Égypte). Comme on peut le constater, il n’y a rien là de bien reluisant à se mettre sous la dent. On dirait une mauvaise chronique, sans plus. J’espère que tout cela n’aura pas autant ennuyé Anselmus Boëtius de Boodt (1550-1632) lorsqu’il fit la description de la topaze dans l’un de ses ouvrages, L’histoire des gemmes et des pierres (1609). Ce qui me paraît davantage digne d’intérêt, c’est une autre explication étymologique : topaze proviendrait du sanskrit tapaz (ou tapas) qui se traduit par « feu ». Or, topaze était un nom générique, durant l’Antiquité, appliqué à plusieurs pierres fines de teinte jaune, comme la chrysolite dont la nature ignée est inscrite jusque dans son nom, puisque khrusolithos se subdivise en deux racines grecques dont l’une signifie « or » et l’autre « pierre », un nom qu’on appliquait de façon indifférenciée à la topaze dorée impériale ainsi qu’à l’olivine dont on a pu constater qu’elle était bel et bien présente sur l’île de Zabargad. Ce qui complique l’identification, c’est que ce que les Anciens faisaient avec les plantes, ils l’appliquaient de même aux minéraux… Imaginez un peu qu’au lieu d’employer les mots topaze et olivine dans cet article, je les remplace par deux autres mots déjà existants ou crées de toutes pièces par mes soins !
Dorée et impériale… cela en dit long sur cette pierre précieuse qui fait partie de celles qui sont les plus anciennement connues et appréciées. Elle conserva une valeur élevée jusqu’à ce que les découvertes du Nouveau Monde vinssent faire chuter son cours (dans les années 1640 au Brésil, on révéla au grand jour de belles et volumineuses pierres, deux atouts majeurs pour perturber le marché). C’est peut-être pour cela que Pierre Pomet parle de la topaze comme d’un vulgaire caillou une cinquantaine d’années plus tard : « Les topazes qui sont en usage en médecines sont des pierres de différentes grosseurs, extrêmement pesantes, claires et transparentes, tout à fait semblable au gypse […] qui se trouve dans notre plâtrerie de Montmartre ; on tient que cette pierre se trouve dans les Indes tant orientales qu’occidentales, en Bohème et en Allemagne. La topaze n’a besoin d’autres préparation pour la médecine que d’être broyée à l’eau de rose »1. Ce qui est fort dommage. Je préfère, de très loin, opérer à la manière de Hildegarde de Bingen, c’est-à-dire sans détruire la pierre. C’est d’autant plus méritoire que ce que dit Hildegarde de sa topazius semble avoir inspiré jusqu’à nos lithothérapeutes modernes. Comme quoi, il ne faut pas forcément jeter la pierre à tous les anciens lapidaires… Hildegarde explique-t-elle les propriétés de cette topaze que l’on dit impériale ? C’est bien possible, et c’est ce que l’on peut croire quand l’on apprend qu’elle est née de l’ardeur du soleil. Cela en ferait donc une pierre gouvernée par Jupiter, portée par la chaleur, la pureté et la clarté (ce qu’elle partage aussi avec la topaze incolore, impliquée dans la fabrication de matériel optique). Hildegarde expliquait que la topaze permettait de s’opposer à l’obscurcissement de la vue en apportant la clarté. Clarifiant le mental, elle confère davantage d’intuition et augmente le degré de concentration. Avec Hildegarde, l’on peut encore dire que la topaze est dynamisante et revitalisante, qu’elle est un tonique tant pour le cœur que pour l’esprit, leur apportant gaieté, joie de vivre et bonheur. Cette action nette sur les émotions se distingue aussi auprès de la rare topaze rose qui, outre qu’elle est un tonique sexuel plus ou moins débridé2, agit très manifestement sur les peines de cœur. Étant énergiquement circulatoire, elle lutte non seulement contre la mauvaise circulation sanguine mais encore contre cette inertie que représente la fatigue et la psychasthénie, inappétence pour le goût de vivre. Hildegarde, toujours, préconisait la topaze pour les maux affectant la rate, contre la « lèpre » et la « gangrène intérieure ». Elle lui accordait aussi un pouvoir d’intolérance face aux poisons : la porter au doigt pendant que l’on mange s’avère salvateur : « Parce qu’elle se développe quand le cours du soleil s’infléchit, cela peut infléchir le cours des maux qui menacent l’homme »3.

Ce n’est pas tout. Il va nous falloir parler de podhamisation, un procédé usité par la médecine des Védas et qui me semble être un moyen de magnifier le minéral qu’on podhamise. Cette méthode qui permet de réduire un minéral en une cendre fine forme un produit final capable de guérir une foule de maladies si j’en crois les informations fournies par Claudine Brelet. Ainsi, la topaze est utile pour « soigner l’asthme, les rhumatismes aigus, l’apoplexie, le choléra, les coliques et la dysenterie, les fièvres éruptives (variole, varicelle, rougeole…), les céphalées, l’hystérie, les inflammations des organes se trouvant dans l’abdomen et celles des yeux, les troubles nerveux, les aménorrhées, les palpitations et les spasmes, l’insomnie, les chocs physiques ou psychiques, les piqûres d’insectes et morsures, la soif et les maux de dents »4. J’avais connaissance du fait que la topaze est une pierre très complète, mais là ça dépasse ce que j’imaginais ! Pour en terminer avec les vertus de cette pierre extraordinaire, quelques données supplémentaires concernant son action sur la sphère psycho-émotionnelle qui, je le pense, sont tout à fait dignes d’intérêt. Pratique un peu tombée en désuétude, l’oniromancie voulait autrefois que toute topaze vue en songe évoquât le courage, la loyauté et de légitimes richesses, et qu’il suffisait d’« offrir une topaze aux personnes hypocrites, grossières, orgueilleuses et querelleuses (ça fait du monde ! Les stocks mondiaux y suffiront-ils ?) [afin de les aider] à corriger leurs défauts et à retrouver honneur et respect »5. Il est vrai que la topaze est une pierre de grandeur et de probité, et qu’elle amène l’abandon des postures décrites plus haut en favorisant, surtout si elle est bleue, l’expression orale et l’écoute, toutes deux réalisées dans « l’amitié vraie, profonde et durable »6. Ajoutons encore qu’offrir une telle pierre à une personne peu affable dit bien des choses sur le caractère de celui qui réalise cette offrande : y réussir, c’est se grandir soi-même et accroître la beauté du monde.
Avant de passer aux caractéristiques minéralogiques de la topaze, quelques conseils pour prendre soin de cette pierre si jamais vous en envisagez l’achat comme pierre de lithothérapie. Elle se purifie préférablement à l’eau distillée salée, se recharge sur une druse de cristal de roche, ainsi qu’au soleil, mais de façon modérée, à l’exclusion de la topaze impériale qui en requiert davantage.

Caractéristiques minéralogiques
- Composition : alumine ou oxyde d’aluminium (Al2O3 : 55,40 %), dioxyde de silicium (SiO2 : 32,60 %), fer (Fe : 9 %). Tout cela fait de la topaze un fluosilicate d’aluminium dans lequel on trouve fréquemment diverses inclusions : du titane, du magnésium, de l’oxyde de fer ou encore du chrome (lequel est responsable de la belle couleur jaune de la topaze impériale).
- Densité : 3,5 à 3,6.
- Dureté : 8.
- Morphologie : cristaux orthorhombiques de forme prismatique (achevés par une pyramide ou un plateau) et striés verticalement ; agrégats grenus et rayonnants ; imprégnations ; galets.
- Couleurs : incolore, grisâtre, jaune, jaune paille, jaune miel, jaune d’or, brun orangé, rouge, rose vif, rose pâle, rose saumoné fumé, bleu clair, bleu foncé, violet, verdâtre (rarement).
- Éclat : vitreux à gras.
- Transparence : translucide à transparent.
- Clivage : parfait selon /001/.
- Cassure : conchoïdale, inégale.
- Solubilité : se dissout lentement dans l’acide sulfurique (H2SO4).
- Nettoyage : à l’eau distillée et aux acides dilués.
- Particularités : on a longtemps pensé que la topaze perdait sa couleur sous éclairage prolongé. Or ce n’est pas la lumière du soleil qui en est responsable, mais sa chaleur, qui l’électrise par la même occasion.
- Luminescence : jaune d’or, crème, vert.
- Morphogenèse : pegmatites, hydrothermale, métasomatique, pneumatolytique, alluvions.
- Paragenèse : zinnwaldite, hübnérite, apatite, bixbyite, cassitérite, tourmaline.
- Risque de confusion avec d’autres minéraux : goyazite, brasilianite, quartz, béryl, euclase, corindon, phénacite, vésuvianite. On évitera de tomber dans le panneau tendu par la topaze d’Espagne qui n’est pas autre chose que de la fausse citrine, résultat du grillage de l’améthyste et dont nous avons déjà parlé dans l’article consacré à cette pierre. La topaze est imitée, soit, mais elle singe aussi d’autres pierres qui possèdent davantage de valeur qu’elle, comme le corindon, le zircon et le diamant.
- Gisements : assez rares mais parfois exceptionnels. – Amérique du Sud : Brésil essentiellement. Dans l’état de Minas Gerais ont été découvertes des topazes roses et jaune orangé dont un gros cristal rose de 150 kg et un autre, plus volumineux encore, puisque mesurant 80 x 60 x 60 cm, il pèse 300 kg. Il est cependant ni rose ni jaune, mais incolore. Des mêmes mines brésiliennes proches d’Ouro Preto, la capitale du Minas Gerais, l’on a tiré une topaze que l’on a taillée (elle pèse 1680 carats) après qu’on l’ait prise pour un diamant. D’autres topazes visibles à la Smithsonian Institution de Washington figurent parmi les plus grosses topazes brésiliennes jamais taillées : une jaune (7725 carats), une bleue (3273 carats) et une jaune verdâtre (1469 carats). On trouve encore des topazes dans cette terre aux pierres précieuses qu’est le Rio Grande do Sul. – Afrique : Namibie, Nigeria. – Océanie : Australie. – Asie : Pakistan, Mongolie, Japon (topazes incolores), Sri Lanka (topazes jaunes, vertes et incolores). – Europe : Irlande du Nord, Allemagne (Saxe : à Dresde, se trouve le musée de la Voûte verte qui renferme une importante collection d’objets précieux dont beaucoup de grosses topazes taillées isolées ou serties), Slovaquie, République tchèque, Norvège (au sud du pays, près de la ville d’Iveland, de gros cristaux de topaze ont été mis à jour, certains pesant jusqu’à 80 kg !), Ukraine (Oblasts de Podolie et de Volhynie à l’ouest du pays : découverte de topazes rose rougeâtre). – Russie : en Sibérie (topazes jaunes d’Adun-Chilon, topazes jaune vineux d’Ouroulga près du Lac Baïkal), dans l’Oural (topazes incolores, topazes incolores à nuance bleutée, topazes bleues).
- Utilisations : optique de précision (c’est le cas des topazes incolores particulièrement pures), polissage (poudre de topaze ou de pycnite, une variété de topaze en grains ou en fragments uniformes dont l’opacité ne peut la faire employer comme pierre fine), joaillerie (facette, cabochon, brillant).
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- Pierre Pomet, Histoire générale des drogues, p. 99.
- Selon le Lapidario d’Alphonse X de Castille (1221-1284), la topaze est régie par le signe zodiacal du Scorpion.
- Hildegarde de Bingen, Physica, p. 130.
- Claudine Brelet, Médecines du monde, p. 622.
- Ibidem.
- Reynald Boschiero, Guide des pierres de soins, p. 227.
© Books of Dante – 2022
