Le tamier (Tamus communis)

Synonymes : vigne sauvage, vigne noire, raisin du diable, racine de feu, bryone noire, racine vierge, haut liseron, taminier, tam, sceau de Notre-Dame, herbe aux femmes battues.

La précédente monographie – celle sur la clématite – vous a laissé sur votre faim ? Eh bien, sachez d’ores et déjà que ce qui vous attend avec le tamier, ce sont des clopinettes. Et j’en suis moi-même fort contrit, de ne pas pouvoir vous nourrir mieux.

Il paraît, on subodore (sortez d’immenses pincettes) que Pline connaissait le tamier. En effet, ce brave naturaliste, qui n’était tout de même pas la moitié d’un imbécile, a évoqué dans ses écrits un Tamus, aussi orthographié Tamnus, c’est donc que c’est lui. Oui. Mais non. Ce Tamus était le nom d’une plante sarmenteuse à baies rouges dont l’identité fait défaut. Zutre ! Son fruit – uva taminia – était une sorte de « raisin sauvage » rangé par Pline parmi le groupe des plantes alimentaires à côté du fraisier. Hum. Il n’est pas possible que cela soit là du tamier dont on parle. L’étymologie, c’est bien, mais ne pas en abuser sans avis médical serait souhaitable. Surtout que bon nombre des synonymes inscrits au frontispice de cet article exposent explicitement le caractère peu amène de la bête. Qu’on se détrompe : les noms vernaculaires ne sont pas un truc de pouilleux créchant au fin fond de la brousse, chacun d’eux dit une vérité qu’il faut savoir comprendre et accepter. Quand on vous jette au museau des trucs comme racine de feu, raisin du diable et autres, on peut s’interroger sur le caractère virulent de cette plante, et sur celui, non moins virulent, des hommes à travers l’une des locutions les plus connues et plus souvent associées au tamier : herbe aux femmes battues. Compte tenu du fait que, selon les statistiques que j’ai récemment vues passer, une femme succombe sous les coups de son « compagnon » tous les trois jours, cela en dit long sur le passé de cette plante employée pour dissimuler les méfaits de ce mâle (mal) incorrigible, cet abrutosaure qui n’a que ses poings pour frapper, là où d’autres utilisent leurs mains pour caresser et écrire des mots d’amour. D’ailleurs, Celse, médecin de l’empereur Auguste, n’indiquait-il pas le tamier dans le but d’exterminer la vermine ? Cazin qui, pour une fois, ne fait pas comme les autres, range le tamier à la lettre S : sceau de Notre-Dame. De la part de l’humble docteur du Nord-Pas-de-Calais, qui savait très bien que la racine de tamier était employée avec succès sur ecchymoses et contusions, j’ai envie de voir là, de sa part, une forme de commisération avec les femmes battues, en faisant appel à la Vierge Marie. Mais on ne fait pas disparaître la brutalité masculine à l’aide d’une plante qui en supprime les stigmates. Et, pour finir ce chapitre, indiquons que Matthieu de l’Obel faisait du tamier une plante éminemment féminine : il lui « attribuait une action spéciale sur les appareils urinaire et utérin et la disait propre […] à favoriser les règles » (1).

Le tamier est une plante vivace à racine tubéreuse brunâtre, dont les dimensions (jusqu’à 60 cm de longueur, un diamètre maximal de 25 cm pour un poids de 10 à 13 kg) la rapproche botaniquement de l’igname. Autrefois, cette énorme racine servit d’aliment pour le bétail.
Plante grimpante, liane pourrait-on dire, le tamier développe des tiges qui peuvent atteindre une taille de plusieurs mètres, quatre à huit, c’est pour cela qu’il affectionne les broussailles et les haies afin de s’y épanouir. Il s’orne de feuilles cordiformes, vertes et luisantes, longuement pétiolées. Plante dioïque, elle porte donc ses fleurs mâles et femelles sur des pieds différents, de même que l’ortie, le houblon ou le chanvre. Les longs épis de fleurs mâles dressés se distinguent des petites inflorescences femelles composées de fleurs vertes d’un demi centimètre de diamètre. Les fruits du tamier – petites boules rouge écarlate de 10 à 12 mm – n’apparaissent qu’après la fanaison des feuilles, et ne parviennent à complet mûrissement qu’une fois passées les premières gelées. Ils forment alors de maigres guirlandes.
Endémique à l’Europe centrale et méridionale, à l’Asie occidentale, ainsi qu’à l’Afrique du Nord, le tamier reste assez fréquent sur sol calcaire ou volcanique, jusqu’à une altitude de 1000 m.

Le tamier en phytothérapie

Au même titre que la bryone de laquelle il se rapproche, le tamier est un remède oublié. Sa volumineuse racine au suc laiteux et à l’odeur nauséabonde est, pour les uns, le signe d’une grande énergie thérapeutique, pour les autres un objet de dégoût et de rejet. Eh non, les médicaments végétaux, ça n’est pas toujours aussi doux et tendre que de la guimauve. Les fruits, malgré le fait qu’ils contiennent des saponines, n’ont jamais été véritablement conviés en thérapeutique. De saveur tout d’abord agréablement acidulée, ils deviennent par la suite carrément brûlants au palais. Quant à la racine, elle est riche d’une fécule que l’on a peut-être extraite par un moyen ou par un autre, comme on a pu le faire de celle contenue dans le rhizome du gouet pied-de-veau. Mais ce par quoi elle se caractérise surtout, c’est qu’elle « renferme d’innombrables cristaux aciculés d’oxalate de potasse, aiguilles acérées aux deux extrémités capables de produire une révulsion mécanique comparée […] à une véritable acupuncture » (2).

Propriétés thérapeutiques

  • Apéritif
  • Diurétique, lymphotonique
  • Rubéfiant, caustique, révulsif, vésicant, résolutif (il se rapproche par là de la clématite)
  • Analgésique, anti-inflammatoire
  • Purgatif, vomitif
  • Hémolytique, anti-ecchymotique

Usages thérapeutiques

  • Contusion, ecchymose, hématome
  • Douleurs articulaires et rhumatismales, goutte

Modes d’emploi

  • Poudre de racine lavée à plusieurs reprises puis séchée
  • Décoction de racine fraîche
  • Cataplasme de pulpe de racine fraîche ayant subi une décoction
  • Extrait fluide
  • Pommade (le tamier aurait pu faire partie de la composition de l’homéoplasmine de chez Boiron, mais il a été coiffé au poteau par la bryone, encore elle)

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • La plante entière (racine, tiges, feuilles, fruits) est toxique : la consommation des fruits et de la racine peut engendrer des troubles respiratoires et digestifs importants (irritation des muqueuses, inflammations internes).
  • L’unique partie qui n’est pas toxique, ce sont les jeunes pousses qui apparaissent au printemps, en mars. Elles sont néanmoins cuites dans plusieurs eaux successives afin d’en ôter une amertume très prononcée. Après quoi, elles se consomment comme les pousses de houblon, de fragon petit-houx, d’asperge sauvage avec lesquelles elles se confondent : en effet, les turions de l’asperge sauvage ressemblent fort aux jeunes pousses du tamier, de par leurs feuilles en écaille plaquées le long de la tige. Cette habitude alimentaire, présente en Italie et dans cette terre que l’on appelait autrefois l’Illyrie, correspondant à peu près au territoire de l’ex-Yougoslavie, est propre au Sud-Ouest de la France, en particulier aux départements de l’Aveyron, du Lot, du Tarn et du Tarn-et-Garonne. Selon les localités, le tamier y porte les noms de reponchon, respounchous, repounchou, répountchou, etc. (cf. photo ci-dessous).
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    1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 926.
    2. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 274.

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