Le noyer (Juglans regia)

noyer

Juglans. Jovis glans. Gland de Jupiter. Pas pour rien que cet arbre a eu une place aussi importante pour les Romains de l’Antiquité, mais aussi chez les Grecs pour lesquels la noix était un mets qui ne pouvait se destiner qu’aux dieux, tandis que les Romains ne se privaient pas de la consommer afin de s’assurer bonne fertilité.
Quand on cherche à en savoir davantage sur le noyer et sa noix, on n’est finalement qu’à peine surpris de l’ambivalence qui caractérise cet arbre. Si on a dit que la noix est propice (elle possède des symboliques d’abondance générationnelle et nuptiale, elle est phallique et funéraire comme l’amande), il n’en va pas de même pour celui qui la porte. Depuis longtemps une ombre funeste plane sur cet arbre. Mais, une fois de plus, nous verrons à l’exposé des caractéristiques propres à la noix d’une part, au noyer d’autre part, que cette dichotomie n’est pas aussi simple, car chacun d’eux peut incarner deux facettes opposées sinon différentes.
Commençons donc par la noix. Originaire de Perse, très tôt citée dans la composition de différents remèdes antiques (par exemple, Pline indique la recette d’un antidote plus tard reprise par Albert le Grand), la noix a mauvaise réputation pour Dioscoride. Mais elle présente aussi bien des avantages. C’est ainsi qu’elle a été utilisée comme talisman porte-bonheur, en particulier si c’est une noix à trois nœuds (ou noix de Saint-Jean). Elle possède, comme bien d’autres plantes, des vertus oraculaires. La voir en songe est signe de richesse (mais c’est parfois tout l’inverse). Piocher une noix pleine parmi d’autres vides est le signe de l’arrivée prochaine d’un mari pour une jeune fille. Le lien que la noix entretient avec les rites mariaux est si marqué que, comme on l’a fait de la noisette en Allemagne, on jetait des noix sous les pas des mariés en Italie, coutume qui se rencontre aussi en Grèce, en Roumanie, en Lettonie, alors que dans d’autres pays la noix est signe de dénégation.
Pour saint Isidore de Séville, le noyer tire son nom de la noix, nux ; celui-ci étant issu de noxicus, nuisible, cela cherche à illustrer les soi-disant propriétés nocives des noix, comme l’indiquait déjà Dioscoride. On a même vu une proximité sémantique entre noce (noix en italien) et le verbe latin nocere… (ah, ah !…). Et comme la noix émane du noyer, ce dernier ne peut donc qu’être d’essence néfaste. Et c’est bien évidemment le cas. Oublié le temps où le noyer était un des attributs de Zeus à égalité ou presque avec le chêne ! Il est devenu celui de divinités infernales. C’est le cas de Kar, une très ancienne divinité de la mort, apparentée plus tard à Perséphone. De là provient le mot kerès qui désigne les chiennes de l’Hadès, responsables de mort violente et de malheur, et dont le sphinx fait partie.
Le noyer est l’arbre autour duquel dansent les diables, l’ombre de son branchage accueille des réunions de sorcières (cf. le noyer de Bénévent en Italie poussant près d’une rivière au nom prédestiné : le Sabato…).
Aussi la défiance vis-à-vis du noyer s’est-elle perpétuée, comme nous l’indique Plutarque : « le noyer (karua) fut ainsi nommé à cause de ses effluves lourds et enivrants qui incommodent ceux qui s’étendent à ses pieds » (notons, au passage, la proximité entre Kar et karua… Nous y reviendrons un peu plus loin), car non seulement l’homme peut en devenir malade mais de plus il risquerait de rencontrer les esprits de l’arbre et de voir en songe tout ce qui lui arrivera, de bien comme de mal, dans l’année à venir. Cet apanage funeste aura fait croire que planter un noyer est un mauvais présage. Toutes ces « superstitions » peuvent-elles trouver une explication à travers un mécanisme invisible mais néanmoins réel ? Est-il vrai qu’il ne pousse rien sous un noyer ? Certainement pas (toujours). Les « miasmes » émanant du noyer sont-ils plus d’origine superstitieuse que chimique ? Et si ce dernier cas s’avérait réel, la substance biochimique répandue par le noyer que l’on appelle la juglone peut-elle être responsable du fait que s’endormir au pied de cet arbre représente un danger pour l’homme ? Je l’ai maintes fois expérimenté et je suis toujours là…

Au Moyen-Âge, Hildegarde – étonnamment – considère le noyer comme un arbre dont toutes les parties sont bénéfiques. Aussi feuilles, écorces, brou et noix lui permettent de concocter des remèdes répondant à des affections aussi variées que la goutte, les maladies de peau, les vers intestinaux… Elle rédige aussi une mention spéciale à propos de l’huile extraite de la noix en indiquant qu’elle « donne la joie à l’esprit » de celui qui en mange. Nous verrons à quel point l’abbesse était douée de lucidité. Pour cela, revenons, comme promis, à Kar et karua. En Laconie, Dionysos tomba amoureux de Carya, la plus jeune fille du roi Dion. Malades de jalousie, ses sœurs avertirent leur père. La malheureuse Carya en mourut de tristesse et fut métamorphosée en noyer. Artémis porta cette nouvelle aux Laconiens qui érigèrent alors un temple. Celui-ci avait la particularité de comporter des colonnes aux formes féminines sculptées dans du bois de noyer, connues encore aujourd’hui sous le nom de caryatides.

Caryatides

En Grec, le mot kara signifie autant la tête que la cime (de l’arbre). En latin, on retrouve quelque peu ce parallèle puisque le mot caput désigne tant le chef (c’est-à-dire le terme vieilli qu’on utilisait jadis pour parler de la tête) que ce qui est en haut (racine que l’on retrouve dans les mots capitule, chapiteau…), autrement dit le faîte, la cime par extension.
De la tête au cerveau il n’y a qu’un pas. L’intérieur du fruit du noyer comporte une coque dure qui renferme la noix, c’est-à-dire l’amande comestible sous forme de deux cerneaux séparés par le péricarpe. Selon la théorie des signatures, l’analogie est grande entre les contours de la noix et la forme du cerveau. Ce qui laisse à penser que la noix serait bénéfique pour l’esprit. Si cela est une signature, eh bien elle est fort sibylline sinon écrite à l’encre sympathique… Mais Hildegarde nous montre le chemin à emprunter. Peut-être est-ce effectivement du côté de l’huile de noix qu’il faut chercher. Cette dernière est prioritairement constituée d’acides gras insaturés (87 à 91 %) : oméga 3 (12 à 13 %), oméga 6 (57 à 60 %), oméga 9 (18 %). Ces trois acides gras essentiels ont surtout une action bénéfique sur les maladies cardiovasculaires. Mais celui qui, avec l’oméga 6, c’est-à-dire l’oméga 3, formait l’ancienne vitamine F, recèle bien des surprises : il intervient dans la bonne marche des fonctions cérébrales, mais aussi visuelles ! C’est ce que la science actuelle nous indique. Il faut savoir qu’en Italie, au Piémont, l’huile de noix était considérée comme sacrée au XIXe siècle. Lors de la messe de minuit à Noël, on faisait brûler des lampes contenant de cette huile. A la fin de la messe, on les éteignait et on conservait l’huile restante comme… remède oculaire !
Bien pourvue en vitamine E, l’huile végétale de noix ne dit rien de l’exceptionnelle richesse de celle dont elle est issue : vitamines (A, B, C, P), oligo-éléments (potassium, magnésium, phosphore, calcium, fer, cuivre, soufre, zinc).
Très nutritive (600 calories aux 100 g), la noix est aussi laxative, draineuse cutanée, draineuse lymphatique, vermifuge, antilithiasique urinaire. Autrement dit, elle exerce une circulation en différents points de l’organisme.
Passons aux feuilles maintenant, qui sont un remède phytothérapeutique auquel on ne pense pas toujours, bien que bourrées de vertus :

  • Tonifiantes, stimulantes
  • Avec la noix, elles partagent des propriétés communes, celles permettant la libre circulation et l’excrétion : dépuratives, vermifuges, répulsives, insectifuges
  • Stomachiques
  • Astringentes
  • Hypoglycémiantes

Aussi, dans tous les cas suivants, on peut employer les feuilles de noyer :

  • Troubles cutanés : engelures, gerçures, crevasses, eczéma et eczéma suintant, psoriasis, impétigo, gale, teigne, ulcères, plaies atones, piqûres d’insecte, coup de soleil, brûlure légère, démangeaisons, transpiration excessive des pieds et des mains
  • Troubles gastro-intestinaux : diarrhées légères, inflammations gastro-intestinales
  • Troubles circulatoires : jambes lourdes, hémorroïdes
  • Soif et miction des diabétiques
  • Soins capillaires : chute de cheveux, souplesse et brillance du cheveu, pellicule, pousse des cils et des sourcils
  • Soins vétérinaires : puces (chien), taons et mouches (chevaux)

N’oublions-nous rien ? Si ! Nous ne pouvons terminer cet article sans dire quelques mots à propos du brou, c’est-à-dire l’enveloppe verte qui contient la coquille de noix. C’est lui qui forme le fameux brou de noix, un pigment végétal de couleur brune utilisé en teinturerie, en peinture, en menuiserie, etc. En faisant macérer des noix vertes dans du vin, on obtient le vin de noix (dans de l’alcool, ce sera une « liqueur »). Apéritif et digestif, le vin de noix est aussi stomachique et dépuratif.

noix_vertes

Le noyer est un arbre qui peut atteindre 30 m de haut pour un âge maximum de 150 ans. Il se développe mieux isolé qu’en noyeraie, la proximité entre individus minimisant la hauteur de chacun. Jeune, il porte une écorce lisse et argentée. Plus tard, elle deviendra fissurée et de couleur brun noirâtre. Son bois dur est très recherché en ébénisterie.
Arbre caducifolié, le noyer porte de grandes feuilles au nombre impair de folioles. Elles sont lancéolées, glabres, aromatiques si on les froisse. Des chatons mâles et des bourgeons femelles en forme d’œuf se développent au printemps. La fructification donne des drupes qui se regroupent au maximum par trois. Il s’agit de fruits verts et globuleux sertis sur un très court pédoncule : les noix.

© Books of Dante – 2015