La saponaire, l’herbe qui fait des bulles

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Synonymes : herbe à foulon, herbe à savon, savon de fossé, savonnière.

Ses noms anglais et allemand – soapwort et seifenkraut – rendent compte de l’unanimité dans laquelle on a placé la saponaire. En effet, soap, seifen et sapo désignent tous la même chose : le savon. Mais avant de devenir sapo et saponem, on rencontre une très ancienne racine celte, saïpon, du nom d’une décoloration capillaire, puis en relation avec le savon qui est une invention celte.
L’histoire de la saponaire est étroitement liée à celle d’une plante nommée Gypsophila struthium, tout aussi remarquable que la saponaire en ce qui concerne l’aspect savonneux de la chose, à cela près que cette dernière plante est orientale. C’est peut-être elle qu’Hippocrate, Théophraste et Dioscoride appellent strouthion… Mais il n’est pas, alors, seulement question de lessive et de détergent, puisque, depuis Hippocrate au moins, la saponaire est citée par de nombreux médecins de l’Antiquité qui en faisaient un usage autant interne qu’externe. Diurétique, la saponaire trouve des emplois variés, tels que le désengorgement des intestins et l’expulsion des lithiases urinaires. En emplâtre et lotion, elle déterge la peau, les tumeurs et les vieux ulcères. Dans l’ensemble, ces indications seront reprises par Dioscoride qui ajoute l’importance de la saponaire dans le traitement de la toux, de l’orthopnée et de certaines maladies hépatiques. De plus, il la déclare apte à « lâcher le ventre » et à désengorger la rate.
Placée dans l’eau du bain pour lutter contre les démangeaisons cutanées, la saponaire est, chez les Romains, symbole de purification. Longtemps utilisée pour laver le linge à la place des savons, elle a la propriété de mousser dans l’eau. Les Anciens s’en servaient pour débarrasser du suint la laine grasse (Pline ne l’appelle pas herba lanaria, c’est-à-dire « herbe à la laine », sans raison), pas encore lavée, plutôt que pour blanchir le linge. Puis, elle servit au blanchiment des fils et des dentelles, à la rénovation des vieux tissus, tapisseries et autres tissus délicats depuis le Moyen-Âge.
Tandis que la médecine arabe s’empare de la saponaire dans le traitement des dartres, de la lèpre et des ulcères malins, on rencontre aussi cette plante sous la plume éclairée d’Hildegarde de Bingen. Chaude et humide, la Borith d’Hildegarde entre dans la composition de recettes purgatives et dépuratives. Elle la préconise aussi dans les douleurs gastriques, les problèmes digestifs, les troubles oculaires, les bourdonnements d’oreilles, les difficultés pectorales et les ulcères viscéraux. Dans les siècles qui suivront, elle sera largement vantée contre les douleurs rhumatismales et goutteuses, mais par-dessus tout contre les accidents syphilitiques, tant et si bien qu’elle sera considérée comme un remède anti-syphilitique très efficace selon de nombreux auteurs, et ce jusqu’au XIX ème siècle. Mais avant d’en arriver là, la saponaire s’invite aussi dans les travaux de Nicolas Lémery (1699). Détergeant puissamment les humeurs, la saponaire lui est fort utile sur les dartres, les démangeaisons (en particulier celles occasionnées par la gale), les tumeurs, etc. Par la suite, on fait de la saponaire un remède hépatique, on pulvérise ses semences contre l’épilepsie, on utilise sa racine pour calmer le feu des dermatoses, des furoncles, des scrofules, de l’eczéma, pour « adoucir les maux vénériens ». Au milieu du XIX ème siècle, Cazin relate en partie les observations de ses prédécesseurs, mais se détache nettement des avis concernant les propriétés antisyphilitiques de la saponaire. « Je me bornerai, écrit-il, à considérer la saponaire, d’après les effets que j’ai observés, comme une plante excitante, tonique, dont l’action est propre à provoquer les sécrétions, à en augmenter l’activité, en stimulant nos organes » (1).

Cette plante vivace, haute de 80 cm au maximum, porte une tige simple ou rameuse, robuste quoi qu’il en soit, d’un vert rougeâtre, renflée aux nœuds. Les feuilles sont grandes, vertes, de forme ovale, lancéolées, elles sont attachées au niveau des nœuds de la tige, opposées les unes aux autres. Les fleurs en cymes pédonculées mesurent en général 2 à 4 cm. Les sépales sont en forme de tube, ils sont striés et possèdent cinq dents courtes et pointues. Les pétales sont libres, de couleur rose pâle, rétrécis à la base en un long onglet très élargi dans sa partie supérieure. La floraison a lieu de juin en octobre.
La saponaire apprécie les endroits frais : on la rencontre sur les bords des chemins, terrains vagues, bois, haies, taillis, bordure de cours d’eau, le long des talus de chemins de fer jusqu’à 1000 mètres d’altitude.
Elle est commune dans presque toute l’Europe et en Asie occidentale. Mais sa multiplication végétative, par son rhizome, en fait une plante qui peut être envahissante, mais pas toujours.

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La saponaire en phytothérapie

Cette jolie plante vivace offre un intérêt phytothérapeutique par toutes ses parties. Ainsi peut-on employer la saponaire des fleurs aux racines. Légèrement parfumée, la saponaire contient une essence aromatique, ainsi que des résines. Mais son originalité tient à des substances dont le nom entre en résonance avec celui de la plante : les saponines, dont la gypsogénine. Nombreux sont les végétaux à contenir des saponines : l’asperge, l’ail, le bouillon-blanc, le haricot, l’épinard, la tomate, la betterave, la nielle des blés, l’arum, le polygala, le mouron rouge, l’avoine, le lierre, etc. Mais ces saponines y sont présentes dans des proportions moindres. Dans la saponaire, ces saponines sont particulièrement localisées dans les racines.

Propriétés thérapeutiques

  • Dépurative du sang, drainante, diurétique, purgative
  • Apéritive
  • Expectorante, fluidifiante des sécrétions bronchiques
  • Laxative, vermifuge
  • Antilithiasique
  • Sudorifique
  • Tonique
  • Détersive, résolutive

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère hépatique : insuffisance hépatique, engorgement hépatique, ictère
  • Troubles de la sphère respiratoire : encombrement des voies respiratoires, affections catarrhales chroniques, bronchite, toux, asthme, état grippal, angine, maux de gorge
  • Rhumatisme, goutte
  • Dépuration du sang
  • Affections cutanées : dartre furfuracée et squameuse, eczéma, acné, psoriasis, impétigo, prurit, herpès, zona, peaux sensibles
  • Engorgement lymphatique, scrofulose
  • Engorgement de la rate
  • Fluxions dentaires
  • Oxyures
  • Neurasthénie
  • Entretien du cuir chevelu et des cheveux abîmés

Modes d’emploi

  • Décoction de racines et/ou de feuilles
  • Décoction rapide (2 mn)
  • Suc de feuilles frais
  • Cataplasme de feuilles et/ou de fleurs fraîches
  • Gargarisme
  • Teinture-mère

Contre-indications, précautions d’usage, autres emplois

  • Récolte : les feuilles avant floraison, au mois de juin, les racines dès l’automne et jusqu’au printemps suivant. Ces dernières seront nettoyées, mondées, découpées en tronçons de 3 à 4 cm, puis mises à sécher dans un lieu sec ou à la douce chaleur du four. Quant aux feuilles, une mauvaise dessiccation leur fait perdre leur belle couleur. Plus elle « s’éloigne de la teinte verte, plus on doit croire qu’elles sont anciennes et mal séchées » (2).
  • Toxicité : la dessiccation des feuilles et des racines est incontournable. En effet, à l’état frais, elles sont trop irritantes pour le tube digestif. De plus, lorsqu’on prépare une décoction destinée à l’usage interne, il n’est pas conseillé de laisser macérer la saponaire, et dès qu’elle est prête, il faut l’utiliser (on ne peut donc en préparer à l’avance), sans quoi elle serait beaucoup trop concentrée en saponines, dont la surdose n’est pas sans inconvénients. Bien que les accidents sont rares chez l’homme, les saponines présentes dans la saponaire induisent des manifestations qui n’ont rien d’anodin : tremblements, sécheresse de la bouche, paralysie de la langue, inhibition des mouvements volontaires et réflexes, ralentissement des mouvements respiratoires et cardiaques, baisse de la pression sanguine, baisse de la température corporelle, hallucinations, mydriase, arrêt cardiaque.
  • Produits ménagers. 1/ Lessive : faites bouillir des racines de saponaire dans de l’eau non calcaire. Laissez infuser. Passez. Avec cette lessive, lavez alors en machine, tous vos vêtements de couleur, ils n’en seront que plus beaux et ne se décoloreront pas. Les noirs en particulier ne pâlissent ni ne verdissent comme avec le savon. Jadis tous les vêtements de couleur noire étaient lavés à la saponaire. On voit encore ceci dans les couvents méditerranéens. Le pouvoir détergeant de la saponaire est remarquable, sans être agressif et sans polluer l’eau à l’instar de la noix de lavage. Ce qui veut dire qu’une eau de lavage à la saponaire peut être utilisée pour arroser les plantes, par exemple. 2/ Savon : « Faire fondre 250 g de saindoux propre, y verser lentement le jus d’une racine de saponaire en tournant constamment dans le même sens, tandis que le mélange tiédit. Lorsqu’il a épaissi, le verser dans des moules en bois. Laisser reposer deux jours. Couper soigneusement les pains de savon en morceau et les laisser sécher sur des plateaux en vannerie pendant environ un mois, à l’abri du soleil » (3).
  • En cuisine, il est tout à fait possible de consommer les fleurs fraîches en salade, par exemple. Elles furent anciennement utilisées en brasserie, sans doute en raison de leur odeur de framboise mêlée de girofle.
  • Autre espèce : la saponaire des vaches (Vaccaria hispanica, ex. Saponaria vaccaria). On peut faire de cette espèce les mêmes usages que la saponaire officinale.
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    1. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 856
    2. Ibidem, p. 855
    3. Claudine Brelet, Médecines du monde, p. 333

© Books of Dante – 2016

La saponaire des vaches (Vaccaria hispanica)

La saponaire des vaches (Vaccaria hispanica)