Le grenadier (Punica granatum)

Synonymes : balaustier, miouganier.

Dès l’origine – aux temps préhistoriques semblerait-il, la grenade, venue d’on ne sait trop où1, aura, par suite, égrainé ^.^ sur l’ensemble du pourtour de la mer Méditerranée, et même bien au-delà puisqu’à son sujet des traces écrites ont été découvertes dans des documents sanskrits, des inscriptions hiéroglyphiques, dans la Bible même. C’est dire l’étendue de sa sphère d’influence dans le temps et l’espace.

Si l’on croise la grenade dans bon nombre de civilisations, il apparaît très nettement qu’elle a tout particulièrement eu une incidence majeure en Grèce antique. Par exemple, certains passages homériques nous la décrivent comme la fameuse pomme de discorde, intervenant lors du jugement de Pâris dont les suites malheureuses allaient déclencher la guerre de Troie. (Un mythe évoque-t-il une pomme ? C’est d’une grenade dont on parle, de même dans les légendes et croyances populaires relatives au mariage.) Pourtant, quand on connaît parfaitement bien les pouvoirs de la grenade, elle est très souvent pomme de concorde, bien que discordia et concordia se tiennent assez fréquemment la main…

En tous les cas, nombreuses furent les divinités – et pas des moindres – pour lesquelles la grenade incarnait un attribut. Remontons donc le temps, à la rencontre d’un des plus anciens jalons posés par le grenadier : le mythe même de sa naissance. Du fruit des amours incestueuses de Zeus avec la roche Agdus naquit l’hermaphrodite Agditis, un être animé des plus débordantes inclinations, s’épanchant dans l’ébriété. Du violent désir qui l’animait, il faisait siennes les pauvres victimes, tous sexes confondus, qu’il croisait sur son chemin. Ainsi les dieux en prirent-ils peur. Un jour qu’il s’en revenait d’une de ses tournées de débauche et de dépravation, il puisa, dans l’intention de se désaltérer, à une source proche, l’eau rafraîchissante dont il ne perçut pas, abattu comme il l’était, qu’elle avait été changée en vin par Dionysos mandaté par les dieux. Assommé par la liqueur bacchique sans doute ingurgitée à l’excès, Agditis sombra dans un profond sommeil. C’est alors que Dionysos entra en action pour la deuxième fois et imagina le stratagème suivant : il lia d’une cordelette de soie la verge d’Agditis, attacha la seconde extrémité à l’un de ses pieds. « Lorsqu’Agditis se releva avec l’impétuosité que donne l’ivresse, il ne manqua pas d’opérer une automutilation en règle accompagnée d’une forte hémorragie : de son sang naquit aussitôt un grenadier »2. (L’émasculation par la liaison verge-pied est capitale, il n’était pas question d’attacher la seconde extrémité du lien à n’importe quoi, puisque jusqu’à présent, toutes les tentatives d’Agditis demeurèrent vaines, le seul « accouplement » réalisable étant celui qui s’effectuera grâce à lui-même.) Une jeune fille, Nanâ (ou Nava), passant par là, admira les belles grenades qui pendaient aux rameaux de ce grenadier. Mais ce que l’on touche du regard, on souhaite aussi le saisir dans ses mains : ainsi en cueillit-elle quelques-unes qu’elle plaça dans son giron, ce qui, immédiatement, la rendit enceinte d’Attis, lequel eut un destin tout aussi infortuné. Cependant, Nanâ, honteuse de cette grossesse et de cet accouchement auxquels elle ne s’attendait pas, prit en répugnance le jeune Attis qu’elle abandonna aux bons soins des berges d’un fleuve. Mais Cybèle l’y découvrit et s’en éprit.

Et là, on va faire une pause, afin que vous compreniez tout bien.

Si l’on a bien saisi que de la verge d’Agditis un grenadier est né, cet hermaphrodite, une fois châtré, se métamorphosa en Cybèle. Cela signifie que cette dernière, lorsqu’elle tombe nez à nez avec Attis, s’amourache justement de ce que son ancien moi, c’est-à-dire Agditis, a fait émerger par la perte qu’il s’est infligé lui-même involontairement !

Si vous éprouvez subitement le besoin de vous allonger un moment sur un divan, faites donc et n’ayez crainte, je vous comprends parfaitement.

Continuons. La suite de cette aventure, que j’ai narrée par ailleurs avec davantage de détails, nous explique qu’Attis, né de l’émasculation d’Agditis hermaphrodite, via le grenadier, est émasculé à son tour, sans doute par contagion mythologique. Cependant, cela « offre l’inconvénient de diluer la puissance suprême ; chaque nouvelle divinité enlève une parcelle de force au panthéon déjà créé. L’instinct de l’homme le porte à s’évader de la situation où il s’est lui-même placé »3. Dans le cas d’Attis, né homme et mortel, l’affaire tourne court.

En tout commencement, il faut nécessairement un être bisexué qui s’engendre seul. Un hermaphrodite comme Agditis en somme, condensant autant les caractères sexuels masculins que féminins. La castration prévaut surtout pour une naissance parthénogénétique bien indispensable, parce que sans cela, pas de génération possible. « Pour devenir féconds, pour procréer, pour créer, les dieux hermaphrodites à l’origine, doivent renoncer à leur virilité, afin d’être en mesure d’enfanter, d’enfanter le monde »4. Dès lors, il fut pratiquement impossible de séparer la grenade de l’idée même de fécondité, en tant que ses graines figurent une postérité nombreuse. Même s’il est possible d’avoir vu dans son suc la connotation lugubre du sang versé, c’est-à-dire celui du meurtre, il est plus souvent question, avec les graines pléthoriques de la grenade, de fécondité et d’abondance. Ainsi, en Chine, la voit-on jouer, en compagnie du cédrat et de la pêche, un rôle dans la triade des trois bénédictions que sont la prospérité, la longévité et l’abondance de la descendance. Si à cela on ajoute la rotondité de sa forme et la couleur de sa pulpe, l’on accorde plus facilement la grenade à Aphrodite plutôt qu’à Héra ou encore Athéna. Incarnant l’amour et la fécondité dans et hors mariage, on dit de la grenade qu’elle aurait été plantée par la main d’Aphrodite sur l’île de Chypre. Ne nous étonnons dès lors pas que ce fruit véhicule d’évidentes allusions sexuelles. Par exemple, dans sa « couronne », l’on a vu le petit bouton du sein de la femme, dans le galbe même de ce fruit le sein tout entier. La grenade a aussi eu partie liée avec les lèvres5, de même qu’avec les joues, comme l’exprime le Bien-aimé du Cantique des cantiques auprès de la Sulamite : « Tes joues sont deux grenades qui ont mûri au soleil de tes yeux. » Est-ce à dire que le regard de la Sulamite est si ardent qu’il a irradié jusqu’à ses propres joues ? Plus prosaïquement, cela permet de préciser que la Sulamite n’a pas une peau claire comme on le peut voir sur des toiles de Gustave Moreau, mais que, tout au contraire, elle est conforme au nom même de la grenade – malus punicus, adjectif renvoyant plausiblement au mot « pourpre ». Selon qu’elle est ouverte ou non, la grenade ne signifie pas la même chose : en Turquie, la fiancée – celle qui n’a pas encore connu l’amour sexuel – est considérée comme une grenade non encore ouverte, alors que lorsqu’elle laisse voir l’intérieur de sa chair pulpeuse, c’est la parfaite image de la vulve, accessible et offerte, et donc à même de disperser la prodigalité espérée, que l’on cherchait ainsi à présager : en Asie mineure, « la jeune mariée jette à terre une grenade ; elle aura autant d’enfants que l’on verra de grains sortir de la pomme (sic) frappée contre le sol »6. Par ailleurs, comme en Rome antique par exemple, porter des couronnes tressées de rameaux de grenadier, sous l’égide de Junon, était censé attirer sur soi des faveurs propices à l’enfantement, d’autant que la grenade « soutient les femmes en couches et favorise le travail »7. Ne dirait-on pas que la grenade est présente à tous les moments de la vie d’une femme ? Oui, c’est bien un peu l’impression majeure qui s’en dégage. Et tout cela ne peut s’engendrer sans le plus brûlant amour qui, dès le départ, scelle la destinée de deux êtres par la bouche et par les yeux. Écoutons ce que dit la Sulamite à son Bien-aimé : « Viens ! Dirigeons-nous vers ma demeure. Je te promets que tu pénétreras à ta guise dans mon jardin, où les orangers et les grenadiers sont en fleurs. Là, je te donnerai mon amour. Là, tu cueilleras des fruits qui ont macéré dans le parfum de la mandragore [NdA : Elle passa longtemps comme aphrodisiaque], des fruits que j’ai gardés pour toi. Le temps s’arrêtera. » N’est-ce pas là l’expression du désir le plus pur ? A moins que vous ne le préfériez ainsi déclamé par Stéphane Mallarmé, dans son très célèbre Après-midi d’un faune ?

« Tu sais, ma passion, que, pourpre et déjà mûre,

Chaque grenade éclate et d’abeilles murmure ;

Et notre sang, épris de qui le va saisir,

Coule pour tout l’essaim éternel du désir. »

Ah ! Voilà que, non dénuées d’une certaine mélancolie bienheureuse, ces quelques lignes me remémorent partie de mes 17 ans ! (époque à laquelle, soit dit entre nous, je n’y pigeais pas grand-chose aux poètes symbolistes XD). A la plus belle des femmes, la grenade ! « Ishtar, qui se délecte de pommes et de grenades a créé le désir ». Une prière à la déesse mésopotamienne, lointain avatar de la plus moderne Aphrodite, pouvait faire en sorte que des amants s’adressent des regards brûlants d’une telle impatience, des regards « à en avoir les jambes coupées », comme on le peut voir dans cette nouvelle de Yasunari Kawabata sobrement intitulée La grenade. La jeune fille, Kimiko n’hésite pas, finalement, à mordre dans le fruit. On ne peut en dire autant de Perséphone : celle-ci a-t-elle, face à sa propre mère, le même sentiment de honte, celui d’avoir goûté un plaisir secret et peut-être interdit ? Il va falloir en discuter.

Cette grenade, acoquinée à la séduction, à la tentation et à la génération, s’est encore illustrée à travers d’autres légendes mythologiques, comme celle que nous relate Angelo de Gubernatis dans La mythologie des plantes, et qui préfigure un autre extrait beaucoup plus connu et sur lequel nous allons assez longuement nous attarder. Voici donc ce que nous conte le professeur turinois : « Un homme […] ayant perdu sa première femme, devint amoureux de sa fille Sidè (mot qui signifie grenade) ; pour échapper à la persécution, la jeune fille se tue ; les Dieux ont pitié d’elle et la transforment en grenadier »8. Cette trame archiconnue pourrait être quelque peu lassante et nous faire prendre le risque de ne pas nous intéresser à ce qui se dissimule entre les lignes. Si l’on peut dire que c’est là un conte mythologique peu éloigné en substance de celui de Myrrha, la jeune fille changée en arbre à myrrhe (à la différence près que c’est elle qui séduit son père, la persécution est donc inversée), il me rappelle davantage l’épisode durant lequel, à l’instigation de Héra, les Titans mirent en pièces Dionysos avant d’en faire bouillir les membres dans un chaudron. De son sang jaillit un grenadier (Dionysos est un dieu générateur), puis sa grand-mère Rhéa s’affaira, tout comme Isis le fit auprès d’Osiris, à la reconstitution du dieu, morceau après morceau9. Il ne faut pas s’effarer face à tant de violence. Ces événements, qui avertissent d’une forte rupture à venir, interviennent pour réorienter le propos, pour lui faire acquérir une finalité et une maturité qu’il n’obtiendrait pas sans cela. Cela se rapproche de ces expériences douloureuses auxquelles nous sommes toutes et tous confronté(e)s, et qui surgissent pour nous faire prendre conscience que nous faisons fausse route, et qu’il est impérieux d’emprunter une autre voie plus conforme à notre destinée et à travers laquelle la conscience, de plus en plus éveillée, pourra poursuivre son accomplissement spirituel.

Je ne vais pas réitérer ici l’épisode qui vit le rapt perpétré par Hadès sur la personne de Perséphone ou, devrais-je mieux dire, Koré (ou Coré). Après la disparition inexpliquée de sa fille, Déméter devint folle de chagrin. De rage, elle abandonna son rôle, ce qui fit que toute la végétation grilla sur pied. Zeus, bien conscient qu’il avait là un problème sur les bras, enjoignit Hermès de se rendre aux Enfers afin qu’il fasse recouvrer la raison à son frère Hadès. Arrivé là, Hermès exposa au roi des Enfers la parole olympienne. Le mari de Perséphone « comprit qu’il ne pouvait qu’obéir à l’ordre de Zeus et la renvoyer sur terre ; mais il la pria de penser à lui avec indulgence et de ne pas témoigner tant de répugnance à être la femme d’un dieu si grand parmi les immortels ; il lui fit alors manger un pépin de grenade10, sachant bien en son for intérieur qu’elle serait alors forcée de lui revenir »11. Un seul malheureux pépin, parfois trois, six, sept ou bien une grenade entière selon les versions. Ceci fait, Perséphone put remonter sur la terre, retrouver sa mère à qui elle conta tout, y compris l’épisode du grain de grenade qui fit à Déméter l’effet d’une arête de poisson dans le gosier, d’un caillou dans la chaussure. En effet, le jeûne est une obligation que s’imposait Perséphone aux Enfers. Et Zeus n’accepta la requête de Déméter qu’à l’ultime condition qu’elle n’y consommât aucune nourriture que ce soit. On peut gloser longuement sur la sournoiserie de Hadès, sur la naïveté de Perséphone, sur l’attitude louche de Hermès (on lui voit parfois glisser le grain de grenade dans la main de Perséphone…), enfin sur la traîtrise de cette inconnu au bataillon qu’est Ascalaphos, qui dénonça la rupture du jeûne (Déméter le métamorphosa en hibou pour la peine). Il n’empêche, par le seul et simple fait d’avoir goûté à un unique pépin de grenade, la fille de Déméter fut définitivement enchaînée au monde des Enfers et à Hadès, non plus comme Koré, mais comme reine des Enfers, puisque conserver son seul statut de jeune fille aux Enfers n’a aucun sens.

Le retour de la fille dans le giron de la mère est conditionné à un impératif précieux auquel ni l’une ni l’autre ne peuvent se soustraire, afin d’assurer la bonne marche cosmogonique du monde. Ainsi Rhéa s’adresse-t-elle à Déméter : « Ta fille consolera ta peine chaque année qui s’achève, quand se termine l’hiver cruel. Car le royaume de l’ombre ne la gardera qu’un tiers de ce temps ». Grâce à ses allers-retours entre les Enfers et les hautes sphères, le mythe de Perséphone semble vouloir dire bien plus que cela. Si l’on retient généralement que Perséphone passe un tiers de son temps aux Enfers et le reste de l’année avec les Immortels, on néglige de pointer du doigt la date à laquelle elle apparaît et celle où elle disparaît : ces quatre mois d’absence comprennent l’hiver entier, soit trois mois, et très probablement le dernier mois de l’automne. C’est donc la résurgence de Perséphone, sa remontée des Enfers chaque année au printemps, qui est responsable du reverdissement de la végétation. D’ailleurs, son nom-même en est la preuve : du grec ancien Περσεφόνη, Persephónê. Du latin proserpo, « lever, pousser » (en parlant des plantes). Il n’est donc pas surprenant de qualifier Perséphone du surnom de vierge du printemps, d’adolescente radieuse de l’été. « Mais Perséphone savait combien cette beauté était éphémère : feuillages, fleurs et fruits, toute pousse annuelle sur la terre prend fin quand vient le froid et succombe comme Perséphone elle-même, au pouvoir de la mort. Après son enlèvement par le souverain du sombre empire souterrain, elle ne fut plus jamais la jeune fille radieuse et gaie, sans trouble ni souci, qui jouait dans le pré fleuri de narcisses. Certes, à chaque printemps, elle revenait d’entre les morts, mais elle emportait avec elle le souvenir du lieu dont elle venait ; malgré son étincelante beauté, il restait en elle quelque chose d’étrange et de terrifiant, et souvent on la désignait comme ‘celle dont le nom ne doit pas être prononcé’ »12. En effet, « en tant que souveraine du royaume souterrain des ombres, elle suggérait à chacune de ses réapparitions sur la terre des images affreuses et étranges : comment aurait-elle pu être la figure de la résurrection, du triomphe sur la mort, alors qu’elle ramenait toujours avec elle le souvenir de cette même mort ? »13.

Triste ironie que le sort réservé à Perséphone car un seul grain d’un fruit incarnant la fécondité et la prospérité lui vaudra de devenir stérile. Celle qui fut une « jeune fille » (du grec ancien κόρη, kórê, « jeune fille »), ne saurait donc devenir « mère » (à l’image de Déméter). Mais « ne pourrait-on pas plus simplement remarquer que ce grain rouge et brûlant d’un fruit infernal évoque on ne peut mieux la parcelle de feu chthonien que Perséphone vole pour le profit des hommes, puisque sa remontée vers la surface de la terre signifie le réchauffement et le verdissement de celle-ci, le renouveau printanier et, par ce biais, la fertilité. Alors, dans cette optique, Perséphone rejoint les innombrables héros civilisateurs qui, de par le monde, ont volé le feu pour assurer la pérennité de ce monde et de la vie »14. Ce grain de grenade féconde en Perséphone-même ce qui n’était que latent chez Koré. De ce point de vue, le grain de grenade est la condition sine qua non de l’établissement des cycles de la Nature et de leur perpétuité. L’alternance de Perséphone entre le séjour des Immortels et les Enfers conditionnera même la future tâche de Déméter, à savoir instruire les hommes sur le domaine des choses agricoles, abandonnant là l’antique provende du gland. Étant donné que les végétaux cultivés suivent le cycle de la Nature, l’on peut se demander à quoi aurait bien pu ressembler une agriculture dépossédée de cet impératif cyclique. Cela peut-il se penser en l’image même de Déméter, à côté de laquelle séjournerait, quelle que soit la saison, sa fille Perséphone ? Non, bien entendu. La cosmogonie a cherché à mettre en place le monde en édictant, entre autres, cette fonction à Perséphone – dont le rapt ne doit pas être pris au pied de la lettre et desserti de son contexte, sans quoi le mythe ne peut se comprendre, ce qui est d’une importance cruciale, puisque les mythes ont pour objet d’expliquer le fonctionnement du monde.

Ainsi, peut-on faire de ce grain de grenade le symbole de la tentation à laquelle l’homme doit résister ? Ne pas céder face à l’insistance et faire preuve de force a-t-il un quelconque intérêt à travers ce qui prévaut dans le mythe de Perséphone ? Peut-on prétendre que ce pépin de grenade a un rapport avec la faute, et qui ferait de Perséphone une Eve archaïque ? L’on dit que Perséphone a été abusée par Hadès qui, par ruse et/ou par force, l’aurait contrainte à l’avaler. Si l’on considère cette attitude comme de la faiblesse de la part de la jeune fille, l’on comprend mieux pourquoi certains voient dans la claustration de Perséphone durant quatre mois de l’année le châtiment d’une faute.

Nous évoquions subrepticement le cas d’Eve il y a quelques instants, enfin, simple allusion plutôt. Cela me permet d’introduire maintenant le fait que les grandes religions monothéistes se sont aussi accaparées la grenade. Dans l’iconographie chrétienne, elle représente l’amour divin. Son jus est associé au sang ayant jailli des blessures du Christ (c’est pourquoi le grenadier est parfois regardé comme funeste, à l’instar du cornouiller et du cerisier), tandis que par ses graines serrées les unes contre les autres ce fruit « préfigurait aussi l’Église : car, de même que son écorce renferme de nombreuses graines, ainsi la foi unique doit rassembler les différentes nations groupées dans le sein de l’Église »15. Ce n’est que tardivement, au Moyen-Âge, que la grenade devint symbole de la Vierge. Elle apparut très souvent dans les ornements liturgiques, sur les tapisseries, dans les marges des manuscrits, etc. Chez les Hébreux, lors du repas de Roch Hachana (ou nouvel an juif), l’on consomme, entre autres fruits, des grenades, sans doute pour rappeler que c’est un fruit qui incarne l’espoir (c’est-à-dire l’accès à la terre promise), comme semble le suggérer quelque passage du Deutéronome (VIII, 7-9 ) : « L’Éternel ton Dieu va te faire entrer dans un bon pays, un pays de torrents d’eaux, de fontaines et d’abîmes, qui sortent par les campagnes et par les montagnes ; un pays de blé, d’orge, de vignes, de figuiers et de grenadiers ; un pays d’oliviers qui portent de l’huile, et un pays de miel ; un pays où tu mangeras ton pain sans craindre la disette, et où rien ne te manquera ; un pays dont les pierres sont du fer, et des montagnes duquel tu tailleras l’airain. » Enfin, pour l’Islam, les graines de ce fruit représentent les larmes du Prophète ; leur multitude renvoie à la création dans toute son abondance.

Le grenadier, dont nous venons de montrer l’aspect cultuel et sacré, est aussi une espèce ornementale et alimentaire, mais également médicinale. Déjà, les hippocratiques mentionnaient son emploi pour soigner les plaies, soulager la dysenterie et la cardialgie. Bien avant cela et comme nous le prouve une grenade découverte dans la tombe d’un dignitaire de l’époque de Ramsès IV, la grenade, déjà connue des Égyptiens16, apparaissait parmi les codex comme matière médicale. En effet, ils se servaient de l’écorce des racines de grenadier comme vermifuge contre le ver solitaire ou ténia. Ténifuge donc, ce qu’au reste elle est toujours : au XXe siècle, le docteur Jean Valnet en faisait encore l’usage pour des raisons identiques. D’ailleurs, cette formidable propriété – chasser le ver de la pomme, ça n’est pas rien – était aussi connue de certains auteurs médiévaux (Barthélémy l’Anglais, Pierre de Crescences, etc.) qui savaient bien que la pume granate tue les vers qui séjournent dans le corps. Mais, bien avant eux, ce ne sont pas moins que Hippocrate, Théophraste, Dioscoride, Pline, Celse, Caton le censeur, etc. qui dirent de même. Ainsi s’exprimait Dioscoride il y a 2000 ans sur le sujet : le grenadier « tue les vers plats et les chasse du corps ». Alors, le grenadier offrait moult raisons de s’attarder à son propos : la grenade aigre, plus astringente et profitable aux ardeurs de l’estomac, s’avère encore diurétique, mais peut offenser la bouche et les gencives parce qu’elle est stuptika, c’est-à-dire « mordante ». Quant à la grenade douce, elle est stomachique, mais capable d’induire de la fièvre et des ventosités. Enfin, la troisième catégorie, la grenade vineuse, constitue une sorte d’entre-deux. Cet arbuste fut si bien décortiqué par les Anciens que chaque partie de ce végétal porte un nom bien spécifique : ainsi les bourgeons s’appellent-ils blastos en grec ; les fleurs du grenadier cultivé portent le nom de kutinos (du grec kutos, « boîte » : en effet, sous forme de bouton, cette fleur prend l’allure d’une sorte de boîte ronde entaillée de deux lignes perpendiculaires à son sommet), tandis que le terme balaustion échoie à la fleur du grenadier sauvage. Enfin, malicorium, dont la traduction littérale est « cuir de fruit », désigne l’épaisse peau coriace de la grenade. Ainsi, toutes ces parties végétales sont conviées par la médecine antique gréco-romaine. Par exemple, les fleurs et le malicorium extrêmement astringents, desséchants et résolutifs, s’appliquent sur les plaies fraîches afin de les ressouder, ainsi que sur les dents branlantes afin d’en renforcer les gencives. Quant à la pulpe souvent cuite dans du miel, pas oubliée non plus, elle s’adresse essentiellement à des affections externes telles que les ulcères corrosifs de la bouche, du siège et de la verge, les excroissances de chair, les douleurs auriculaires et les troubles nasaux. Enfin, chose dont nous n’avons pas encore parlé : les semences de la grenade s’employaient finement pulvérisées. Assez astringentes, elles permettent de resserrer partout où il y a nécessité, c’est-à-dire en cas de relâchement, épanchement et écoulement, comme cela se voit à travers les flux d’estomac comme la dysenterie, les crachements de sang ou bien encore les pertes utérines exagérées. Selon Trimalcion, qui nous narre avec force détails l’embarras dans lequel les flatulences qui ont pris possession de son corps l’ont placé, il nous confie un remède qui lui a procuré un grand soulagement : « c’est de l’écorce de grenade et une infusion de pin dans du vinaigre »17.

Dans son Histoire naturelle, Pline fit cas des boutons floraux de ce petit arbre comme remède ophtalmique. Écoutons ce qu’il dit à ce sujet : « Si, après avoir défait tous les liens de sa ceinture et de sa chaussure18 et même retiré son anneau, on en cueille un avec deux doigts de la main gauche, le pouce et le quatrième, si on le fait passer devant les yeux en les touchant légèrement et qu’on le jette dans la bouche et l’avale sans le toucher des dents, on n’éprouvera de l’année, dit-on, aucune faiblesse de la vue »19. C’est ni plus ni moins ce qu’indiquait Dioscoride, à savoir que si l’on mange trois fleurs de grenadier, même petites, l’on ne souffrira pas des yeux de toute l’année. Un détail mentionné par Pline mérite qu’on s’y arrête : il évoque le quatrième doigt, c’est-à-dire l’annulaire : c’est le doigt d’Apollon et du Soleil. Or le Soleil gouverne la vue selon les mélothésies planétaires. Ce qui peut paraître absurde au premier coup d’œil s’explique parfaitement si l’on possède le code pour décrypter l’information.

Sachez encore que le grenadier est un poisson abyssal vivant entre 2000 et 6000 m de fond, et qu’à ce titre il ne voit guère le soleil. Le grenadier c’est aussi ce militaire qui constituait avec ses pareils un corps d’armée utilisant primitivement des grenades afin d’en mettre plein les mirettes à leurs ennemis. Il est attristant qu’on ait attribué à cet engin de mort qu’on jette à la main le même nom que ce fruit dont la volonté d’accorder la vie et de la rendre plus propice a été clairement exposée dans ces lignes. La grenade explosive, par analogie de forme, a emprunté le nom du fruit. Le latin granatus, « abondant en grains », peut aussi renvoyer à la multitude d’éclats qu’elle émet avec violence lorsqu’elle s’ouvre, c’est-à-dire éclate. C’est sans doute là le versant sombre, obscur et funeste de la grenade. Car, contrairement au fruit, elle ne favorise ni l’amour, et encore moins la propagation de la vie, bien au contraire. C’est pour cela que sur ce point, en ce qui me concerne, il n’y a point à tortiller, je préfère – et de loin – les feux d’artifice de la Sulamite. A la guerre, préférer l’amour. D’ailleurs, ne dit-on pas de quelqu’un qui se réveille échevelé, comme après une belle nuit d’amour, qu’il a couché avec une grenade ? Une bombe, quoi !

Élégant arbuste fortement charpenté, rameux à la limite du touffu, le grenadier, sur la base d’un tronc rabougri, forme une masse tarabiscotée et épineuse, sans que ses dards végétaux ne soient présents en surnombre sur les rameaux de cet arbre de 6 m de hauteur au maximum (non pas un arbrisseau, puisqu’il possède un tronc). Le feuillage généralement caduque mais parfois semper virens du grenadier est constitué de feuilles opposées par paires, simples, entières, un peu ondées sur les bords et lancéolées en spires. Elles contrastent de façon saisissante avec l’écarlate lumineux, le rouge vif patiné de vermillon, de fleurs hermaphrodites (on y revient !) apparaissant, solitaires ou par groupes de trois à quatre, à l’extrémité des rameaux durant les mois estivaux. Simples dans l’espèce sauvage, ces coquettes se doublent d’un jupon supplémentaire chez les grenadiers cultivés. Dans les deux cas, un épais calice charnu comptant cinq à sept divisions, duquel s’extraient autant de pétales d’allure froissée/fripée – zut ! ma jupe est restée trop longtemps au fond du sac –, le tout généreusement garni d’étamines. Puis fanent les pétales alors qu’enfle le calice, ce qui donne à ces ex fleurs l’apparence de grelots se métamorphosant, peu à peu, en ces espèces de chapeaux qui surmontent la tête des fous du roi. D’aucuns prétendent la grenade d’obédience royale, mais dans le domaine de la tête à claques, ça n’est guère flatteur. De tout cela, il ressort la formation d’un fruit globuleux, pas plus gros qu’une noix dans l’espèce sauvage, mais aussi volumineux qu’une orange chez les cultivars, protégé par une peau épaisse, intérieurement constitué de huit à dix loges, chacune bourrée d’innombrables pépins anguleux. Mûrissant à l’automne, la grenade, une fois qu’on accède à son cœur, laisser entrevoir, dans les interstices laissés libres par les semences, une pulpe translucide, légèrement charnue, de vive couleur rouge grenat, à la saveur douce et légèrement acidulée.

Subspontané et naturalisé dans les haies et les fourrés d’une bonne partie du midi de l’Europe, le grenadier nécessite une exposition ensoleillée sur sol bien drainé. Il vient donc particulièrement dans le sud de la France (en métropole, je l’ai vu cultivé en extérieur jusqu’à Lyon), en Italie, au Portugal et bien entendu en Espagne où « la grenade porte la mantille des Andalouses », comme disait joliment Henri Leclerc, tant ce fruit reste indissociable de cette ville fondée par les Maures : en effet, Grenade (Granada en espagnol) tire directement son nom de la présence et de la culture de ce fruit instaurées en Andalousie depuis le VIIIe siècle.

Le grenadier en phytothérapie

Unique en son genre, le grenadier est un arbuste dont on a exploité pratiquement toutes les parties durant l’ensemble de sa déjà très longue carrière thérapeutique. Commençons donc par les recenser : l’écorce de la racine et celle des rameaux, les feuilles, les fleurs, le fruit à divers degrés de maturité (de la grenade verte à la grenade bien mûre), l’écorce du fruit, sa pulpe seule, enfin ses semences. Nous ne nous attarderons pas sur l’ensemble, mais pointerons uniquement les usages les plus communs (qui ne sont pas ceux les plus évidents à mettre en œuvre aujourd’hui, sachant que, du grenadier, nous ne connaissons que le fruit pour la plupart d’entre nous) et ceux les plus sûrs d’être perpétués. De toute façon, plusieurs points devront nécessairement infléchir les intentions que nous pourrions avoir auprès du grenadier. Par exemple, depuis que la toxicité de ce végétal a été établie (elle concerne l’écorce des racines, des rameaux et du fruit), l’on fait bien évidemment l’effort d’éviter l’automédication sauvage, qui serait d’autant plus malaisée que le grenadier n’est pas inscrit sur la liste française des plantes en vente libre. Et d’ici à aller déterrer un grenadier pour en écorcer les racines, on peut toujours courir. Non seulement cela passerait pour immoral, mais surtout parfaitement inutile, car l’emploi d’une matière médicale se justifie pour des motifs impérieux dont on ne peut différer la remédiation pour de vagues raisons sentimentalistes. Si nous décidons d’aborder la question de l’écorce de la racine, c’est pour rendre compte du bel emploi dans lequel nos prédécesseurs se trouvèrent, afin de porter secours à des affections qui, si elles n’ont pas totalement disparues aujourd’hui, sont pourtant bien plus rarissimes qu’il fut un temps où elles concrétisaient une hantise véritable. On se documente donc, c’est de la culture. Et la culture, c’est le bien ^.^

C’est donc au XIXe siècle que l’écorce de racine de grenadier, de couleur gris jaunâtre en dehors, jaune au-dedans, cassante, non fibreuse, de saveur astringente non amère, fut fort prisée pour ses incroyables capacités ténifuges. Forcément, on s’est davantage penché dessus pour essayer d’extraire des entrailles de cette écorce LE principe actif responsable de cette activité énergiquement fatale pour le ténia. Le pharmacien Charles Joseph Tanret (1847-1917) découvrit, dans les années 1878-1879 des alcaloïdes au nombre de quatre dont seuls les deux premiers sont impliqués dans l’action anthelminthique du grenadier : la pelletiérine, l’isopelletiérine, la méthylpelletiérine et la pseudopelletiérine. Pelletiérine et isopelletiérine sont des poisons paralysants des nerfs moteurs agissant à la manière du curare, et se comportant, de plus, sur la sphère cardiovasculaire à la façon de l’adrénaline. Présents en proportions assez faibles (de 0,30 à 0,50 % en moyenne), ces quatre alcaloïdes sont variablement représentés selon l’origine des grenadiers dont on a étudié la composition de l’écorce des racines, ce qui nous renvoie une fois de plus à l’idée de chémotype. Dans cette même écorce, l’on trouve encore une grosse quantité de tanin (20 à 30 %), un principe amer du nom de granatine, des acides (gallique, ellagique, malique), du mannitol et d’autres sucres, de la résine, des matières grasses, un pigment de couleur jaune, des oxalates et divers autres sels minéraux. La peau du fruit, de saveur amère et styptique, nous offre, par sa composition, un profil assez proche de celui de l’écorce de la racine : toujours autant de tanin (30 % maximum), encore de cette granatine, du mucilage (7 %), de l’acide ellagique, des triterpènes, enfin des pigments allant du jaune au rouge. Les fleurs, de saveur amère et acerbe, légèrement styptiques, ainsi que les semences (mais beaucoup plus rarement), ont également donné lieu à des emplois thérapeutiques, mais ils ne furent pas, semble-t-il, l’occasion d’en étudier plus avant la composition biochimique respective. Tout au plus sait-on que les fleurs contiennent du tanin, de l’acide gallique et de faibles quantités d’essence aromatique. Ce qui n’est pas le cas de la grenade, considérée sans sa peau – ce coriace malicorium – et ses robustes semences. « La partie agréable de la médecine est aussi de la thérapeutique, aux yeux du médecin philosophe, et l’on pourrait peut-être se plaindre de ce qu’elle est un peu trop négligée aujourd’hui »20. Non, docteur Roques, nous ne ferons pas fi de la plus agréable substance qui se puisse concevoir quand on évoque la grenade, c’est-à-dire sa fraîcheur intérieure, autrement dit sa pulpe aqueuse logée dans une agrégation de pierres précieuses, druses végétales fichées au sein de cette improbable géode qu’est la grenade. Non, nous n’oublierons pas d’apporter quelques chiffres au sujet de cette pulpe, ce qui serait fort dommage, puisque nous les avons sous les yeux : bien entendu de l’eau en quantité (75 à 84 %), des sucres (10 à 12 %), de la cellulose (3 %), des matières grasses (jusqu’à 2 %) et azotées (0,60 à 1,60 %), des fibres (3 %), des sels minéraux et oligo-éléments (0,30 %), divers acides (citrique, malique), un peu de tanin et enfin de l’invertine, une « diastase produisant l’inversion du saccharose en glucose et lévulose »21.

A chaque siècle ses découvertes. En effet, depuis quelques années, la grenade se trouve de nouveau sous les feux de la rampe, comme elle le fut au début du XIXe siècle lorsqu’un médecin anglais de Calcutta, Francis Buchanan, observa les pratiques empiriques des populations locales, constatant l’usage qui était fait du grenadier contre les vers intestinaux. En considérant l’écorce du fruit d’un œil neuf, en scrutant plus que jamais auparavant les semences de ce fruit, l’on s’est aperçu que ces fractions végétales contenaient des substances passées complètement à côté des radars pendant des lustres. Quand on ne cherche pas, on ne trouve généralement pas. Mais en cherchant, on peut trouver quelque chose auquel on ne s’attendait pas : on appelle cela une découverte (qu’il faut bien distinguer de la recherche en tant que tel). Ainsi, la peau de la grenade – ce malicorium toujours – contient de puissantes substances anti-oxydantes, ici des anthocyanosides, ainsi que de la punicalagine (un acide ellagique complexe). Enfin, la méthode d’extraction dite au CO2 supercritique a permis de tirer profit d’une huile végétale contenue dans les semences de grenadier. Ce procédé a, en effet, été préféré à celui de l’expression à froid qui n’autorise qu’un faible rendement (c’est cela, sans doute, qui avait contraint les Anciens à ne pas s’aventurer plus avant au sujet des graines du grenadier). Or, cette huile végétale recèle de précieuses substances : de la vitamine E, des phytostérols et de l’acide α-punicique ou oméga 5.

Propriétés thérapeutiques

-Écorce de la racine

  • Vermifuge, ténifuge (loin de le faire fuir, elle le tue : le fort intérêt des Occidentaux pour la « redécouverte » de Buchanan les amena à diverses expérimentations. Ainsi, le docteur portugais Bernardino Antonio Gomès, « ayant plongé dans une décoction d’écorce de racine des portions de ténias vivants, put s’assurer qu’elles y devenaient raides, contractés et qu’elles périssaient aussitôt »22. Cette immersion entraîne presque immédiatement la mort du ver solitaire ; il n’en va pas de même d’autres substances à valeur anthelminthique telle que l’essence de térébenthine par exemple, dans laquelle le ténia barbote presque comme si de rien n’était…)
  • Cardiotonique, dépurative sanguine
  • Astringente
  • Assainissante bucco-dentaire

-Écorce du fruit

  • Astringente
  • Tonique
  • Fébrifuge (dans certaines régions d’Asie, l’on en a fait un succédané du quinquina)
  • Antibiotique
  • Anti-oxydante
  • Anticancéreuse

-Fleur

  • Astringente (de classe moyenne, comme disait Desbois de Rochefort)
  • Tonique

-Feuille

  • Tonique

-Semence

  • Astringente
  • Cicatrisante, régénératrice cutanée (huile végétale)
  • Anti-inflammatoire puissante (huile végétale)

-Pulpe

  • Rafraîchissante
  • Diurétique, dépurative
  • Digestive, carminative
  • Adoucissante
  • Astringente douce et légère

Usages thérapeutiques

-Écorce de la racine :

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : digestion délicate, flatulence, dysenterie, diarrhée chronique, vers intestinaux (ténia armé ou ver solitaire (Taenia solium), ténia du bœuf (Taenia saginata), bothriocéphale, ascaride vermiculaire, ankylostome)
  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, écoulements vaginaux anormaux, leucorrhée
  • Fièvre intermittente
  • Maux de gorge
  • Asthénie

-Écorce du fruit

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, dysenterie, dysenterie amibienne, ascaride
  • Hémorragie et écoulement : hémorragie passive, écoulement muqueux de nature atonique
  • Gonflement : gonflement amygdalaire atonique, œdème des extrémités, engorgement articulaire (suite à une entorse ou une luxation)
  • Relâchement : relâchement de la luette, relâchement des gencives, relâchement de la muqueuse vaginale23, chute du rectum, exanie
  • Affections cutanées : abcès variqueux, psoriasis
  • Gingivite
  • Pathologies cancéreuses (d’origine hormonale)

-Fleur : elle possède bien des choses en commun avec l’écorce du fruit que nous venons de passer en revue, hormis tout ce qui est souligné dans le paragraphe précédant. Ajoutons ci-après quelques spécificités propres aux balaustes : otite (écoulement muqueux), saignement de nez, leucorrhée, blennorrhée, métrorragie, soit autant d’affections bourrées de -rr qui rappellent que l’un des noms antiques du grenadier – rhoia – fait justement référence à ces écoulements et déplacements de fluides tel que cela est clairement perceptible dans la diarrhée, les hémorragies, etc.

-Feuille

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : inappétence, atonie gastrique, diarrhée, nausée
  • Migraine
  • Faiblesse générale, anémie, chlorose

-Semence

  • Ulcère atonique
  • Leucorrhée
  • Cancer du pancréas

-Pulpe

  • Phlegmasie du tube digestif et de l’appareil urinaire (tempérer les ardeurs d’entrailles)
  • Épisode fébrile (apaiser la soif durant les périodes morbides), sudation durant la fièvre

Note : la médecine populaire employait quelquefois la grenade entière, tantôt verte, tantôt mûre. On la passait au four afin de la dessécher juste comme il le fallait afin de la réduire en poudre. Dans le premier état, la poudre obtenue se destinait avant tout aux troubles gastro-intestinaux (dysenterie et diarrhée chroniques) et gynécologiques (leucorrhée, pertes utérines), tandis que la seconde de ces poudres vise davantage les affections respiratoires (dyspnée, « souffle court », trachéite chronique).

Modes d’emploi

  • Décoction d’écorce de la racine : il s’agit là d’une cuisine fort désolante, tant au goût le breuvage est infecte, non pas amer comme on a exagérément pu l’affirmer (si ça l’est, c’est qu’il y a fraude). Il est possible de contrecarrer le caractère nauséabond de cette préparation en l’absorbant glacée, aromatisée à l’aide de quelques plantes bienvenues en la circonstance (pourquoi pas de la menthe fraîche ?), en l’édulcorant au sirop ou au miel. Cette écorce de la racine peut aussi s’administrer à l’état de poudre même si l’on a parfois sous-entendu que l’écorce sèche valait moins que la fraîche : il n’en est rien. Pour que la sèche parvienne au même niveau d’efficacité que l’écorce fraîche, encore faut-il préalablement faire macérer cette dernière pendant plusieurs heures dans l’eau qui sera utilisée pour la future décoction. A titre de curiosité, voici donc comment l’on procédait généralement autrefois : l’on disposait 60 g d’écorce en poudre en macération à froid dans ¾ de litre d’eau pendant 6 à 24 heures. Puis l’on plaçait le tout au bain-marie jusqu’à réduction d’un tiers. On laissait reposer avant de filtrer. Puis l’on prenait son courage à deux mains et l’on avalait enfin la mixture en trois doses séparée chacune de 15 à 30 mm, et le tout sans vomir partout, bien évidemment. Rappelons maintenant que l’écorce de grenadier tue les vers intestinaux mais ne les évacue pas la plupart du temps. C’est pourquoi, à la suite de ce brouet digne des sorcières de Macbeth, il importait d’y faire suite à l’aide d’un bon purgatif – décoction de jalap ou de bourdaine, huile de ricin, etc. –, à associer une à deux heures après la prise de l’immonde potion, mais qui ne l’est jamais moins que le bidule logé dans le bidou… :/
  • Pour les délicat(e)s, l’on substituait à cette décoction l’extrait alcoolique qui, s’il avait l’avantage d’être plus aisément absorbable, n’en demeurait pas plus actif (sinon moins) que la préparation précédente.
  • Pelletiérine pure : il fallait compter 40 à 50 cg par prise pour un adulte. Outre le fait qu’on ait isolé l’élément du totum, il s’avère que la toxicité de cet alcaloïde est laissée libre court en cette circonstance. De la pelletiérine à l’écorce de la racine, le choix semble évident. Mais la seconde solution reste encore la meilleure, parce que, en ce cas, l’alcaloïde est beaucoup moins absorbable par la muqueuse intestinale et concentre donc tout son action sur l’hôte indésirable qu’il est censé combattre.
  • Décoction des fleurs pour fomentation, lotion et lavement. Fut autrefois fréquemment usitée en injection vaginale. Comptez 30 g de balaustes en décoction dans un litre d’eau durant 10 mn. On utilisait plus fréquemment la poudre de fleurs.
  • Décoction de l’écorce du fruit.
  • Poudre de l’écorce du fruit.
  • Suc de grenade.
  • Sirop de pulpe : il s’agit là du sirop de grenadine originel.
  • Poudre de semences.
  • Teinture-mère : obtenue à partir de l’écorce de la racine et des rameaux, elle s’adresse principalement en direction d’affections gastro-intestinales (vers intestinaux, nausée, vomissement, spasmes).
  • Élixir de fleurs de grenadier.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les fleurs peuvent être cueillies durant toute l’époque de la floraison, c’est-à-dire durant les mois d’été. Quant aux fruits, il faut bien sûr patienter jusqu’à leur parfaite maturité, qui se situe en septembre et octobre (bien que des variétés précoces fassent leur apparition en août, et d’autres, plus tardives, en novembre), pour en effectuer la cueillette, de même que l’écorce, dont la récolte devait être une drôle d’aventure. Le séchage s’applique parfaitement à cette écorce, de même qu’aux fleurs et à l’écorce du fruit, sans que l’on enregistre la moindre déperdition de leurs qualités thérapeutiques.
  • Toxicité : elle est réelle, impossible de passer à côté, et se manifeste durant l’administration de la décoction d’écorce de racine et/ou du fruit. Ces manifestations, qui se traduisent par une sorte d’ivresse étourdissante, de la syncope et des mouvements convulsifs légers, restent fugaces et ne perdurent généralement pas. Le grenadier est d’autant moins toxique qu’on l’emploie pour un besoin ponctuel, qui n’amène pas la nécessité d’un traitement au long cours. Il n’en va pas de même de la pelletiérine pure, puisqu’elle peut provoquer des vertiges, des troubles visuels (diplopie), de la faiblesse au niveau des membres inférieurs, des crampes dans les mollets, enfin des vomissements et une forte nausée. En dehors de ces seules raisons, on ne réservera pas l’usage de cette substance ni même du grenadier dans son entier, chez l’enfant de moins de cinq ans, la femme enceinte ou celle qui allaite, les sujets déprimés ou nerveux, à l’exclusion de la seule pulpe de grenade parfaitement inoffensive. L’emploi des fleurs et des feuilles peut mener, à la longue, à des phénomènes de constipation causés par les fortes teneurs en tanin présentes dans ces fractions végétales.
  • Usages culinaires : ils sont nombreux. La pulpe de la grenade se consomme crue comme cuite, s’incorporant avec délice à une salade, aussi bien sucrée que salée, un sorbet, une mousse, une sauce, etc. La grenade est demeurée très célèbre par le sirop de grenadine que l’on a tiré d’elle, qui n’est autre qu’un sirop obtenu en faisant cuire du jus frais de grenade avec du sucre. Aujourd’hui, cela fait belle lurette que la plupart des grenadines n’en sont plus, malheureux et vulgaires assemblages de produits synthétiques. Cependant, en Espagne ainsi qu’au Maghreb, il est possible de dénicher de vraies grenadines, avec de la grenade dedans ! ^.^ En Inde, on broie les graines des grenades à l’état de poudre : sous cette forme, elles prennent le nom d’anardana, condiment que l’on incorpore aux curries et chutneys, aux farces, aux plats de légumes, pains et pâtisseries. Et en fin de repas, peut-être prendrez-vous un peu de ces pastilles qui ravivent l’haleine et lui procurent une saine fraîcheur, l’anardana goli, mélange de diverses plantes dont le grenadier qui, de plus, corrige l’acidité gastrique, redonne à la digestion toutes ses fonctions, annule les effets des flatulences, etc.
  • Afin d’apporter une preuve supplémentaire que le grenadier aime faire dans le rouge, mentionnons le fait que de ses fleurs l’on tire, par macération dans l’eau et adjonction d’alun, une encre rouge du plus bel effet. Quant à l’écorce, elle a servi autrefois aux mêmes fonctions. Elle procure une matière tinctoriale de couleur noire qu’on a employée pour mordre la laine, c’est-à-dire la teindre (elle est mentionnée comme telle dans le papyrus W de Leyde).
  • Puisque nous évoquons le mordançage à l’alun, signalons une activité connexe à laquelle on conviait l’écorce de grenade. Avec un tiers de son poids en tanin, il aurait été dommage de ne pas l’employer pour le tannage des peaux. C’est ce que l’on faisait déjà il y a 2000 ans aux dires de Pline, qui remarqua cet usage en Phénicie (à peu près l’actuel Liban) et dans l’une des colonies phéniciennes qu’était Carthage (au nord de la Tunisie actuelle). Quand le malicorium de la grenade, c’est-à-dire le « cuir de la pomme », entrait en contact avec une peau animale, il pouvait en ressortir de ces autres cuirs qu’on appelle non pas peaux de vache… ^.^ (je m’égare, ça sent la fin d’article, ça), mais maroquins.
  • « Une formule non moins bizarre est celle du sebgha, teinture employée pour les cheveux et la barbe, auxquels elle donne un noir de jais. Il se compose de noix de galle frites dans de l’huile et roulées dans du sel, auxquelles on ajoute des clous de girofle, du cuivre brûlé, du minium, des herbes aromatiques, des fleurs de grenadier, de la gomme arabique, de la litharge et du henné. On délaye ce mélange réduit en poudre dans l’huile qui a servi à frire les noix, et on l’applique sur la tête en se couchant »24.
  • Le grenadier ne fait pas que le délice du gourmand – quel que soit le niveau où se situe cette appétence pour la friandise – et fait aussi belle figure au jardin où les horticulteurs l’ont doté de fleurs doubles diversement colorées de blanc, de jaune et d’une infinité de nuances propageant le prisme chromatique du rose pêche au rouge écarlate soutenu. Il en va de même des fruits qui ornementent joliment le jardin une fois les prémices automnaux à l’œuvre. L’on en voit donc de roses, de jaunes vermillonnés, de pourpres et d’autres encore aux allures de « Belle de Boskoop ».

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  1. Ce qui est parfaitement inexact : si on a longtemps cherché – Dalmatie ? Île de Socotra ? – on a, pense-t-on, fini par trouver l’origine première du grenadier, qui se situerait – berceau rocailleux – au sein de cette zone formée par des pays tels que l’Iran, l’Afghanistan, le Kurdistan et le Pakistan.
  2. Henri Leclerc, Les fruits de France, p. 247.
  3. Georges Contenau, La médecine en Assyrie et en Babylonie, p. 71.
  4. Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 178.
  5. Cantique des cantiques : « Sa bouche est une fleur de grenadier qui distille du benjoin. » Dans le langage des fleurs, la balauste est la signature du plus ardent amour.
  6. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 168.
  7. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, p. 83.
  8. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 167.
  9. Dans l’Ancien Testament, la grenade apparaît à travers le mot hébreu rimmón (arabisé en rummân ou rumân). Or Rimmon est aussi le nom que recevait en certaines parties de la Syrie un dieu mourant jeune pour ressusciter périodiquement, plus ou moins apparenté à Adonis, histoire de mieux se mélanger les pinceaux.
  10. Dans Ovide, Métamorphoses, Livre V, l’on trouve ce passage : « Se promenant à l’aventure dans les jardins de Pluton, la jeune déesse, avec toute la naïveté de son âge, cueillit sur un arbre qui pliait sous les fruits une grenade dont les lèvres pressèrent sept grains tirés de leur écorce pâle ». Je place volontairement cet extrait en note de bas de page afin de ne pas l’inclure dans le corps de texte, sachant qu’il nous est parfaitement inutile pour la suite de notre exposé. L’idée d’envisager Perséphone mordre à pleines dents dans une grenade me semble irrecevable. De même, l’on voit chez Cicéron l’allusion selon laquelle Perséphone ne voulut plus quitter les Enfers après l’absorption du grain de grenade. Nous nous égarons là de la trame viable du mythe. Remontons donc à la surface !
  11. Edith Hamilton, La mythologie, p. 61.
  12. Ibidem, p. 63.
  13. Ibidem, p. 74.
  14. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 485.
  15. Henri Leclerc, Les fruits de France, pp. 246-247.
  16. Elle est introduite en Égypte durant la XVIIIe dynastie, lors du règne d’un des quatre pharaons Thoutmôsis (sans doute le plus connu : Thoutmôsis III).
  17. Pétrone, Satiricon, p. 66.
  18. Les liens se devaient d’être dénoués, sous peine d’empêcher toute communication entre la personne qui cueille la fleur et la divinité attribuée à la plante.
  19. Jean Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 145.
  20. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 1, p. 475.
  21. cnrtl.fr
  22. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 30.
  23. D’après Jean-Baptiste Porta, la balauste avait comme prodigieux pouvoir de rendre (presque) leur virginité aux « paillardes » et aux « femmes de bas étage » (La magie naturelle, p. 140) en resserrant les tuniques vaginales. En ce sens l’on peut encore affirmer sans peine que le grenadier est aphrodisiaque.
  24. Eugène Rimmel, Le livre des parfums, pp. 133-134.

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