D’Est en Ouest, l’oranger aura effectué une longue course en l’espace de plusieurs siècles. Très anciennement cultivé et récolté par les Chinois – admirables arboriculteurs – l’oranger est mentionné dans des textes datant du II ème siècle av. J.-C. Originaire de Chine (tandis que l’oranger doux serait natif de Thaïlande), l’oranger amer ou bigaradier n’a peuplé le pourtour méditerranéen que tardivement. En effet, aucun texte ancien, qu’il soit grec ou latin, en indique la présence et l’emploi. L’unique représentant des agrumes que l’on connaît alors est le cédratier, depuis au moins le III ème siècle av. J.-C.
Le bigaradier aura tout d’abord gagné le Proche-Orient, puis s’implantera en Sicile vers l’an 1000. Là, il se développera à l’ensemble du pourtour méditerranéen ou presque, comme en Espagne, par exemple, où les commerçants arabes n’introduisirent pas que cet arbre, mais également leurs techniques de distillation. C’est pourquoi on surnomme le bigaradier oranger d’Espagne ou oranger de Séville. Contrairement au bigaradier, l’oranger doux, lui, arrivera en Europe beaucoup plus tard, au XVI ème siècle, c’est-à-dire à une époque où la culture du bigaradier s’installe en Provence pour connaître un destin dans la parfumerie et en médecine surtout. Immangeable crue, la bigarade n’a pas été implantée pour sa consommation alimentaire, cela, l’oranger doux s’en chargera dès cette époque. Ainsi, en France, dès le XVI ème siècle, on rencontre deux types d’orangers : le doux, dont les fruits arrivent par cargaisons entières dans les ports normands, et l’amer dont Catherine de Médicis viendra admirer la floraison provençale en 1560.
La mythologie nous conte de toutes autres histoires. « Contrairement à ce que l’on croît souvent et à ce que l’on a même écrit naguère, les »pommes d’or » du jardin des Hespérides n’étaient certainement pas des oranges, mais, en sens contraire, le mythe grec des »fruits d’immortalité » a largement contribué au prestige dont jouirent à leur introduction en Europe ces agrumes » (1). Expliquons pourquoi et comment.
Le mot orange, substantif et épithète, provient de l’arabo-persan narandj. L’italien l’aura transformé en melanracia (de mela, pomme et d’arancia, orange), puis, vers 1300, l’ancien français évoque une pome orange. Peut-on voir là un effet d’assimilation des oranges aux pommes du célèbre jardin ? C’est ce que prétend une partie du mythe, tout du moins son interprétation. Les mela-aurianta auraient été apportées en Italie par les trois Hespérides elles-mêmes ! Ce qui est osé car nous savons que les anciens Grecs ne connaissaient pas ces fruits ! Ce qui est étonnant, c’est que si l’on observe la façon dont on désigne l’orange dans différentes langues européennes, on constate de fortes similitudes linguistiques : orange (allemand, anglais), naranja (espagnol), arancioni (italien), laranja (portugais). A contrario, dans des pays moins occidentaux que ceux-ci, on trouve les mots suivants : portogala (grec), portokale (albanais), portoghal (kurde), etc. Étrange comme ces langues pointent la partie la plus occidentale de l’Europe – le Portugal – dans la manière qu’elles ont de désigner l’orange. Et c’est justement là que la mythologie grecque situait le jardin des Hespérides, là où le soleil se couche, c’est-à-dire l’occident. « Qu’elles fussent d’or s’expliquait fort bien par le fait que ces pommes représentaient la rencontre du soleil couchant avec la lune » (2), et c’est grâce à elle « que le soleil mourant, égaré, aveugle, retrouve au milieu de la nuit sombre son chemin, la lumière et la vie » (3).
Dès lors qu’on évoque l’orange dans un cadre symbolique, il semble y avoir une relation avec l’or du ciel (l’or des anges?), auquel la lune rend, dans un certain sens, la fertilité. Bien entendu, dans les rites, ici ou là, on retrouve cette dimension. Si la fleur d’oranger représente la pureté et l’innocence de la jeune fille, en Sardaigne, on pare de rameaux d’oranger les cornes des bœufs qui tirent le char nuptial, tandis qu’en Crète, les époux sont aspergés d’eau de fleurs d’oranger. L’orange, quant à elle, représente la fécondité. Dans son pays d’origine, une offrande d’oranges correspond à une demande en mariage. Est-ce la même symbolique qui transparaît dans le conte de Perrault, lorsque Cendrillon offre à ses sœurs les oranges que le prince lui a confiées ? Ou bien est-ce seulement l’expression d’un pouvoir régalien sachant que tout roi digne de ce nom se devait de posséder une orangeraie qui apportait le printemps au cœur de l’hiver ? La première proposition est d’autant plus séduisante que Cendrillon est un conte très ancien. Quand cette histoire « a été consignée par écrit au IX ème siècle av. J.-C., en Chine, elle avait déjà un passé »… (4).
Arbre semper virens, l’oranger amer est aujourd’hui cultivé dans presque toutes les zones chaudes du globe, tropicales et subtropicales surtout. Ses rameaux épineux portent des feuilles coriaces, vert foncé et luisantes. On peut en sentir l’arôme puissant lorsqu’on les froisse. Les fleurs blanches aux pétales épais sont, elles aussi, très aromatiques.
Enfin, l’orange amère ou bigarade est constituée d’un péricarpe, tout d’abord vert, puis orange vif à maturité, dont l’épaisseur est plus ou moins variable, la surface plus ou moins grenus. C’est cette écorce qui projette, lorsqu’on la pince, de minuscules gouttelettes qui piquent les yeux lorsqu’elles y atterrissent, un phénomène propre à tous les agrumes dont les essences ont été regroupées dans la famille des hespéridées en parfumerie. Où l’on constate qu’un mythe peut être tenace ^^
Le petit grain bigarade en aromathérapie
Huile essentielle : description et composition
Si l’essence de bigaradier se concentre sur son fruit et l’huile essentielle de néroli sur sa fleur, celle que l’on appelle communément huile essentielle de petit grain bigarade (ou de bigaradier, d’oranger amer…) jette son dévolu sur une autre partie végétale de cet arbre : les rameaux, sur lesquels on trouve des feuilles mais également de petites fleurs en bouton, ainsi que le « petit grain », c’est-à-dire de petits fruits verts de la taille d’une cerise. C’est tout cela que l’on distille à la vapeur d’eau durant trois à quatre heures. On obtient une huile essentielle de couleur jaune pâle, à l’odeur fraîche, à l’arôme rond et fleuri. Elle associe le raffinement du néroli et la douceur – sans amertume – d’une orange douce. C’est elle que l’on retrouve, entre autres, dans l’eau de Cologne. Le rendement, assez faible, est compris entre 0,3 et 0,7 %.
D’un point de vue biochimique, elle partage ses molécules entre le groupe des esters (50 à 70 %) et des monoterpénols (30 à 40 %), à travers deux molécules que nous avons conjointement abordées lorsque nous parlions récemment de la sauge sclarée : l’acétate de linalyle et le linalol. Notons au passage la présence d’une moindre fraction de monoterpènes (10 %).
Propriétés médicinales
- Anti-infectieuse légère : antibactérienne, fongistatique (selon la proportion de linalol, principal responsable de l’activité anti-infectieuse du petit grain bigarade)
- Antispasmodique majeure
- Anti-inflammatoire, antalgique cutanée, anesthésiante locale
- Régulatrice cardiaque, tonique de la micro-circulation artérielle
- Tonique digestive
- Régénératrice cutanée, tonique cutanée, cicatrisante, astringente
- Positivante (action du linalol) : musculotrope et neurotrope (stimule l’intellect, renforce la mémoire, redonne le goût au travail)
- Puis négativante : calmante, apaisante, sédative, consolante, rassurante, anxiolytique, le tout sans assommer (comme peuvent le faire le néroli et l’eau de fleurs d’oranger employés en trop grandes quantités). Nous reviendrons sur l’implication de ces dernières propriétés sur les usages psycho-émotionnels du petit grain bigarade.
Usages thérapeutiques
Le petit grain bigarade concerne surtout les spasmes d’étiologie nerveuse, partout où il y a sursauts incontrôlés et incontrôlables au niveau respiratoire, cardiaque et digestif entre autres.
- Troubles de la sphère respiratoire : asthme, asthme nerveux, toux grasse, toux quinteuse, dyspnée
- Troubles cardiaques : palpitations, tachycardie, arythmie, hypertension
- Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie, gastralgie, colite spasmodique, syndrome du côlon irritable, ballonnement, flatulence
- Troubles locomoteurs : arthrite, arthrose, rhumatisme, crampes et contractures musculaires, spasmophilie
- Troubles gynécologiques : spasmes utérins, dysménorrhée
- Affections cutanées : furoncle, acné, dartre, eczéma, plaies, piqûres, transpiration excessive, peaux grasses
- Troubles du sommeil : insomnie, difficulté d’endormissement d’origine nerveuse (parce qu’il y a spasmes dans la tête et le cœur)
Maintenant, nous attaquons le plus gros morceau : l’incidence de l’huile essentielle de petit grain bigarade sur la sphère psycho-émotionnelle. Ceci étant, je tiens à bien préciser que ce qu’il vient, jusqu’ici, d’être dit ne saurait se distinguer d’aucune manière, la machine humaine est constituée autant d’aspects physiques que psychiques et émotionnels. Tout ceci fonctionne (ou pas) de concert.
Régulatrice et équilibrante, l’huile essentielle de petit grain bigarade permet d’amoindrir les écarts à la moyenne, comme nous l’enseigne la médecine traditionnelle chinoise. S’il existe un méridien qui entre en parfaite résonance avec le petit grain bigarade, c’est bien celui du triple foyer (Odoul/Miles). Si l’énergie de ce méridien est en excès, on observera des phénomènes d’irritabilité, d’agressivité, d’excitation, d’agitation. Des spasmes, donc. Elle sera utile en cas de stress, anxiété, angoisse, nervosité, trac, surmenage, hyperactivité. En revanche, si cette énergie est insuffisante, on constatera davantage d’apathie, de frilosité, de manque de tonus, de vitalité, de confiance, de créativité. Elle sera efficace en cas de frustration, déception, amertume, hypertrophie de l’affectif et de l’ego (Faucon), repli sur soi, absence de communication, etc.
Autre méridien liée à l’élément feu, le maître cœur peut aussi accueillir l’huile essentielle de petit grain bigarade pour en équilibrer l’énergie qui, selon sa qualité, peut engendrer des problèmes vasculaires et circulatoires (cf. propriétés thérapeutiques vues plus haut), ainsi que des obsessions et psychoses sexuelles. Or, l’huile essentielle de petit grain bigarade est réellement employée en aromathérapie classique pour ce type de souci (Franchomme). Le trajet du méridien du maître cœur, débutant au majeur et terminant sa course sur la poitrine, passe par un point qu’on emploie souvent pour y appliquer les huiles essentielles : l’intérieur des poignets (massage radial). Étonnant, non ? ^^
Régulatrice émotionnelle, l’huile essentielle de petit grain bigarade gomme donc les « trop haut » et les « trop bas », et permet de se réadapter, d’où qu’on parte. Par exemple, l’agité extraverti qui parle de tout à n’importe qui n’importe comment peut y trouver son compte, grâce à un effet de reconnexion avec le chakra de la couronne (de soi à soi), tandis que l’introverti pourra, à nouveau, engager le dialogue avec d’autres que lui, via le chakra secondaire auquel cette huile est liée : le plexus solaire (de soi vers les autres). Oui, cette huile essentielle érode les excès propres à l’hyperémotivité : du pleur au rire, de la volonté à l’incapacité, etc. Elle recentre, en direction d’un chakra qu’on lui attribue souvent, celui du cœur. Aussi, peine de cœur, chagrin amoureux ou rupture sentimentale peuvent trouver maille à partir avec le petit grain bigarade. Cette huile essentielle sera donc de bonne compagnie lors de carences affectives et fera en sorte d’endiguer les déprimes ou dépressions consécutives. C’est un aspect que l’on retrouve même au sein de l’industrie de la parfumerie, comme le souligne justement Le Guide de l’Olfactothérapie (p. 219) : le petit grain bigarade « est très présent dans la culture de la parfumerie tant son odeur rassemble et discipline les autres parfums du mélange. »
Modes d’emploi
- Voie orale
- Voie cutanée
- Diffusion atmosphérique, inhalation, olfaction
Contre-indications
- Pas recommandée durant les trois premiers mois de grossesse.
- Pure sur la peau, c’est selon. Si vous vous savez sensible à la lavande fine, à la sauge sclarée, etc., diluez le petit grain bigarade dans une huile végétale avant application cutanée.
- Jacques Brosse, La magie des plantes, p. 250)
- Ibid., p. 254)
- Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 267)
- Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, p. 349)
© Books of Dante – 2015