Le fer (Ferrum)

Fer natif.

« L’idée d’établir une relation entre le fer, symbole de la force, et le sang, symbole de la vie, doit être vieille comme le monde », confiait Henri Leclerc dans l’un de ses ouvrages1. En effet, le fer, par ses vertus roboratives, ne donne-t-il pas du corps au ventre ? N’acquiert-on pas la robustesse d’une santé de fer grâce à lui ? Par une poigne de fer et des nerfs d’acier, l’on dispose de deux images qui font aisément comprendre quelle inflexibilité il peut exister dans une vie qui se fera un chemin coûte que coûte dès lors qu’elle fait appel au fer comme symbole de fertilité, et cela tant que son opiniâtreté ne nous fait pas glisser vers les dangers d’une excessive rigueur. La haute valeur que l’on a pu accorder au fer dépend d’au moins deux facteurs : il est d’autant plus sacré qu’on le sait d’origine météorique (c’est-à-dire céleste, là où résident les divinités) et qu’il est pur, car à la manière dont on l’extrait de sa gangue indifférenciée, l’on forge l’idée qu’il représente « l’esprit se dégageant de la matière pour devenir visible »2. Malgré toutes ces précautions, l’on a vu, au cours de l’histoire, le fer être délaissé, réduit au rang d’un métal suscitant parfois le mépris et la répugnance, comme on peut en faire le constat en ce qui concerne l’Égypte antique, ce qui explique la rareté des objets en fer durant l’Antiquité égyptienne. Pourquoi ? Parce que, considéré aux côtés de l’aimant – substance sacrée liée à Horus –, le fer non magnétique, vu comme les os de Seth, devint fatalement maudit. Est-ce la même aversion qui amena à proscrire l’emploi d’instruments de fer durant l’élévation du temple de Salomon ? Peut-être, car ce qui est sacré n’est généralement pas touché par le fer, ou alors au prix d’une grande vengeance de la part de la divinité offensée : en Inde, couper ou même seulement toucher l’Açvattha sacré avec un outil en fer, c’est attirer sur soi le courroux de la divinité qui habite cet arbre. Pourtant, cela ne troubla pas le moins du monde Hildegarde de Bingen, puisque, pour elle, couper des rameaux avec une lame n’est pas rédhibitoire. Peut-être parce qu’elle évoque, pour ce cas précis, non pas le fer (ferrum) mais l’acier (calybs) : si le premier, de par sa nature chaude, est puissant et utile, l’acier l’est d’autant plus « qu’il est la forme la plus puissante du métal de fer. Il représente, en quelque sorte, la divinité de Dieu, et c’est pourquoi le diable le fuit et l’évite »3. Quand on sait à quel point les esprits malins s’écartent devant le fer, l’on comprend que Hildegarde ait vu dans ce métal un remède capable d’inhiber l’action des poisons présents dans les aliments et les boissons. En revanche, lorsque Hildegarde usait d’instruments en acier ou bien qu’elle faisait cuire le contenu d’une marmite à l’aide d’une barre d’acier chauffée à blanc, elle ne nous précise pas si cela participait à la bonification des remèdes.

Nous voilà, en tous les cas, rendus à une première évidence : le fer est protecteur de la vie face aux influences mauvaises qui pourraient peser sur elle. Mais, parce qu’il est l’outil par lequel toutes les tyrannies forgent dans l’ombre leurs armes, il est aussi l’instrument satanique de la guerre et de la mort. C’est là toute l’ambivalence du fer que nous allons maintenant étudier dans le détail.

Durant l’Antiquité gréco-romaine, l’on voyait la rouille naissante sur le fer comme un remède des énergies défaillantes, ainsi qu’un principe générateur, sans doute par analogie entre sa couleur et celle du sang séché. Ne vit-on pas, parmi les recommandations allant dans ce sens, celle consistant à ingérer la rouille recueillie sur un poignard longtemps resté fiché dans le tronc d’un chêne4 ? Mais la rouille, davantage que le fer bien sûr, c’est la corrosion, la destruction, l’accablement des forces que le fer est justement censé incarner. Par exemple, dans ce manuel bien connu qu’est le Petit Albert, l’on rencontre la manière d’élaborer un talisman (ou sceau) que l’on grave tout d’abord sur une plaque de fer et que l’on glisse une fois achevé dans une étoffe rouge. « Ce talisman, explique-t-on, aura la propriété de rendre invulnérable celui qui le portera avec révérence. Il lui donnera une force et une vigueur extraordinaire. Il sera vainqueur dans les combats auxquels il assistera »5. De plus, histoire de faire bonne figure, ce même talisman protégera les forteresses au point que leurs assaillants ne pourront qu’être mis en déroute. Enfin, au pire, il provoquera révoltes, dissensions et guerres intestines. En douterait-on ? L’auteur du Petit Albert insiste : « Pourquoi faites-vous difficulté de reconnaître que celui qui a donné à l’aimant la vertu secrète d’attirer à soi une masse pesante de fer d’un lieu à un autre, est assez puissant pour donner aux astres, qui sont des créatures infiniment plus parfaites que l’aimant et que tout ce qu’il y a de plus précieux sur la Terre, a des propriétés et des vertus secrètes qui surpassent la portée de nos esprits, d’autant plus que ces astres sont régis par des intelligences célestes qui règlent leurs mouvements »6. Étant question du fer et de la couleur rouge, il n’est pas bien difficile de distinguer de quel astre parle le Petit Albert : en l’occurrence de la planète Mars qui doit non seulement être renvoyée au dieu romain du même nom mais également à celui qu’on s’abuse trop souvent à désigner comme son homologue, le grec Arès. (Dans les lignes qui suivent, nous aurons l’occasion de montrer en quoi ces deux figures mythologiques doivent être rigoureusement distinguées.) Afin de mieux mettre en lumière les spécificités d’Arès, il nous faut porter un éclairage singulier sur l’un de ses frères, le forgeron des dieux Héphaïstos. Si on les considère tous les deux comme nés des amours d’Héra et de Zeus, la mythologie nous explique aussi qu’ils sont chacun rejetés par leurs parents, le premier pour sa brutalité, le second pour sa laideur. Hormis cela, qu’est-ce donc qui unit ces deux frères au point que je me sente dans l’obligation de faire ici appel à leur existence respective ? Eh bien, ces deux personnages ont tous les deux un rapport avec le fer, à la différence qu’il est d’émanation saturnienne pour Héphaïstos, martienne pour Arès, l’un façonnant l’arme que l’autre ne fait qu’utiliser. La principale fonction du dieu Héphaïstos est donc de forger les armes des dieux et des héros, de leur insuffler un caractère magique, tandis qu’Arès, qui n’est jamais plus qu’un symbole et ne possède pas réellement de substance propre, c’est le fauteur de troubles, fléau de l’humanité, bravache, passionné par la force brutale qu’il impose aux autres tout en étant bien incapable de supporter à son tour ce qu’il leur fait subir. Ce maudit des hommes souillé de sang n’est pas toujours très courageux, se comporte en lâche et poltron, geignant et pleurnichant quand il lui arrive d’être blessé. Cet être passionné n’a rien à voir avec Mars, redoutable et invincible, qu’à Rome l’on honorait bien plus qu’on appréciait seulement Arès en Grèce.


Héphaïstos par le sculpteur danois Bertel Thorvaldsen (1770-1844). Musée Thorvaldsen à Copenhague. En guise de clin d’œil, notons que dans son nom, on lit celui d’une autre grande divinité au marteau ;-)

Héphaïstos et Arès sont encore liés par un autre point commun, une sorte de discorde en somme, cette pomme dans laquelle chacun souhaite croquer : Aphrodite. Épouse légitime du premier, cette dernière est présentée comme l’amante du second. Malgré le pacte marial établi entre Héphaïstos et Aphrodite, la préférence amoureuse de la déesse s’accommode finalement fort bien du tempérament belliqueux et brutal d’Arès, aussi incroyable que cela puisse être. Souvenons-nous de l’implication de la déesse de la beauté dans l’émergence du conflit armé allant opposer Grecs et Troyens. Elle prit bien entendu le parti de Pâris après le jugement qu’il donna en sa faveur. Et Arès se joignit à elle au profit des Troyens, tandis qu’Achille, promu aux Grecs et armé par Héphaïstos, peut apparaître comme un pied-de-nez adressé à Aphrodite et son amant. Héphaïstos ne manquera d’ailleurs pas de se gausser du couple, en particulier en raison de cette union perverse : l’œuvre d’Aphrodite est d’amour, non de guerre et de haine. Que traîne-t-elle ses escarpins sur les champs de bataille ? Malgré les armes qu’il façonne, Héphaïstos n’en est pas moins un dieu affable amoureux de la paix : l’on comprend mieux ainsi son opposition symbolique par rapport à Arès. Malgré sa difformité, sa grande laideur et la trahison de la déesse de l’amour, Héphaïstos est un esthète, non seulement parce qu’il fabrique des bijoux de grande beauté, mais également parce qu’il a beaucoup de succès auprès de la gente féminine, bien des femmes – toutes du plus grand charme – recherchant activement sa compagnie, à l’exception, bien sûr, d’Aphrodite dont le glyphe bien connu (♀) s’associe plus volontiers à celui de Mars (♂) pour symboliser les polarités mâles et femelles, qu’à celui d’Héphaïstos – un demi disque posé sur son diamètre et surmonté d’une barre horizontale –, lequel est généralement ignoré.

Si l’on s’imagine discerner, à travers la figure de Mars, une « amélioration » symbolique d’Arès, il n’en est rien. Ce dernier n’en reste pas moins le dieu de la guerre et du fer acéré7, métal apparaissant intrinsèquement mêlé à une période de brutalités criminelles et sanguinaires : qu’y a-t-il donc dans l’expression même d’âge de fer ? Si l’on sait que de l’or au fer, tout en passant par l’argent puis le cuivre, la chute n’est que continuelle (elle est censée se perpétuer jusqu’à l’âge encore plus barbare du plomb saturnien, ce qui ouvre de charmantes perspectives…). Cet âge de fer est marqué par la dureté de la race de fer qui s’exprime à travers lui et l’anime : c’est toujours davantage de vulgarité, de solidification, de pétrification, de ce qui n’est point éthéré mais, tout au contraire, épais, lourd et pesant. Cette régression vers la force brutale, tyrannique, sombre, impure et diabolique, mène vers davantage de matérialisation et de mise au ban des sentiments élevés (les hauteurs célestes) au profit de cette bassesse terrestre tout à fait caractéristique de notre siècle et de ce monde occidental qui n’en finit pas d’agoniser, tel que cela est inscrit dans son nom. Il y a presque trois millénaires, Hésiode avertissait déjà face à ce danger : « Nul prix ne s’attachera plus au serment tenu, au juste, au bien : c’est à l’artisan de crimes, à l’homme tout démesuré qu’ira leur respect ; le seul droit sera la force, la conscience n’existera plus ». Nul besoin de remonter bien loin pour en croiser dans le fil de l’histoire, de ces hommes de fer. Observons cet ancien symbole des chevaliers médiévaux teutoniques qu’est la croix de fer : elle symbolise tout d’abord le courage dans la bataille, la bravoure prodiguée lors du combat. Sous le sinistre sceau des nazis, elle a fini par dire dans quel abîme l’homme est finalement tombé depuis les craintes d’Hésiode de l’y voir trébucher. Aujourd’hui, nul ne porte plus de croix de fer au ras du cou. Mais les hommes de fer n’ont hélas pas disparu : aiguisez de façon acérée vos regards et vous en démasquerez forcément dans votre entourage…


Fer-de-lance. Quelle que soit la matière dans laquelle il est élaboré, on conserve cette locution qui renseigne davantage sur la forme et l’allure que sur la constitution exacte. Ici : pointe de flèche en bronze. 1300 à 1050 avant J.-C.

Si l’on se place à une extrémité symbolique stricte, il peut découler de ce que nous venons d’écrire que parce que « d’origine chthonienne, voire infernale, le fer est un métal profane qui ne doit pas être mis en relation avec la vie »8. Mais cela n’est-il pas trop restrictif ? Il est vrai que de même que l’« on n’installe pas une cible pour que les tireurs la manquent »9, l’on peut s’interroger sur la césure symbolique applicable au fer selon que le forgeron le soumet en le transformant en objets de vie (outils agricoles) ou de mort (armes). Le cas le plus typique me semble être la hache, un des seuls outils à être aussi une arme et inversement. Au travers de cet unique objet, l’on peut se rendre compte qu’à lui seul il ne compte pas : qu’est-ce que la technologie sans l’intention préalable qui la met en action ? Mais l’on ne fabrique pas d’armes en fer pour ne pas avoir à s’en servir…

Il importe de prendre de la hauteur : la plupart des forgerons mythiques, à l’image du démiurge, s’ils sont capables de « forger le Cosmos, ils ne sont pas Dieu »10, mais fournissent aux grandes figures créatrices l’instrument qui sera leur emblème et avec lequel ils vont créer/dé-créer le monde : on le voit bien avec le foudre de Zeus, le vajra d’Indra, le marteau Mjöllnir de Thor ou encore les flèches et la hache de Perkunas (ce dieu letton occupe tout à la fois les fonctions de forgeron et de père céleste, union d’un Héphaïstos et d’un Zeus). Même dans la Bible l’on voit un forgeron maître du cuivre et du fer officier dans quelque passage de la Genèse (IV, 22) : Tubal-Caïn, dont on dit qu’il forge toutes sortes d’instruments.

Par la maîtrise qu’il imprime au feu et par son aisance à manipuler les énergies de la nature, l’on a pu dire du forgeron qu’il confinait à la sorcellerie, surtout lorsqu’il excelle dans l’art de la magie des métaux (il y a beaucoup de magie dans la métallurgie , l’une nourrissant l’autre et vice-versa). Par la forge même, l’on accentue la proximité du forgeron avec l’enfer : par exemple, chez les Yakoutes, K’daai Maqsin, chef-forgeron de l’enfer, réside dans une maison de fer, ce qui accroît d’autant le caractère démoniaque du forgeron que l’on craint pour cela aussi bien chez les Bouriates qu’à travers les traditions folkloriques européennes : « le forgeron est maintes fois assimilé à un être démoniaque et le Diable est connu comme jetant des flammes par sa bouche. Nous retrouvons dans cette image, valorisée négativement, la puissance magique du feu »11. On peut avoir pour le forgeron une attitude ambivalente : à l’image d’un paria, il peut être autant honni que méprisé et, tout à la fois, respectueusement craint, voire vénéré, en particulier quand, dans certaines sociétés, on l’assimile au chef politique et à l’homme-médecine, une donnée très intéressante qui nous permet de connecter le forgeron au personnage du chaman, car comme le professe un proverbe yakoute, « forgerons et chamans sont du même nid ».

L’on croise chez l’un comme chez l’autre une importance cruciale accordée au fer que le forgeron s’oblige à marteler sans cesse afin de se tenir hors de portée des mauvais esprits, maniant constamment son marteau et ses pinces, insufflant énergie au feu de sa forge de laquelle émane un perpétuel fracas dont le but est d’écarter ces esprits. Le chaman, qui cherche aussi à les éloigner, s’y prend d’une manière toute différente : son costume comprend généralement de nombreux objets ferriques dont le but avéré est d’effrayer les esprits et de se protéger face à leurs mauvais coups. On voit ainsi faire les chamans de l’Altaï, de Sibérie et de Bouriatie. Chez certains, on leur voit porter un casque de fer et un bâton auquel sont attachées les miniatures de divers objets (lance, épée, hache, marteau, pointe de harpon, étrier, bateau, rame). Le costume du chaman sibérien est quant à lui bardé de nombreux objets en fer (disques percés d’un trou, étoiles, lunes, silhouettes animales, flèches…) et dont le poids total est la plupart du temps compris entre 15 et 20 kg : cela ne l’empêche pourtant pas d’être précis dans son équilibre et de faire la démonstration en toutes circonstances de son pouvoir de contrôle. A cela s’ajoutent encore de nombreuses chaînes (qui symbolisent la puissance et la résistance du chaman), ainsi qu’un pectoral sur lequel la foudre, peut-être, viendra un jour frapper… Tout cet attirail rouille-t-il ? Non, parce que, croît-on, ces objets ont tous une âme… Figurant aussi les os du chaman, ils sont encore l’incarnation physique et visible de son pouvoir et de sa puissance.


Le martèlement de la rate (Gaston Vuillier, 1845-1915). Par la charge magique dont il est investit, le forgeron est aussi un guérisseur. Ce marteleur de la rate cherche à évacuer le mal du corps du malade par des coups de marteau répétés sur son enclume.

Il a été depuis longtemps renvoyé à ses forges, Héphaïstos. Et le Champ-de-Mars n’est plus qu’un parc pour Parisiens désœuvrés, mais qui abritait non loin une école militaire. Pourtant, le souvenir du dieu romain de la guerre persiste dans quelques locutions : on le devine dans le martinet (cet infâme objet dont on corrigeait autrefois les enfants), dans la loi martiale (dont bien des états font usage trop souvent et inconséquemment) ou encore chez les Martiens, qu’on a voulu grimer en petits hommes verts. Mais, parmi elles, il y en a bien une dont on ne parle plus tellement : les préparations martiales. Tenez, la prochaine fois que vous vous rendrez dans une pharmacie, demandez-y une teinture de mars safranée, vous ne devriez avoir comme réponse que deux yeux éberlués ^.^ Le mot mars s’est tant confondu avec le métal qui le représente qu’on préféra souvent utiliser l’expression « préparation martiale » plutôt que « préparation ferrugineuse ». D’Hippocrate à la Renaissance (tout en passant par le plus gros des médecins de l’Antiquité gréco-romaine et de la médecine arabe du Moyen âge), l’on vit poindre une multitude de remèdes formant là ce que l’on pourrait nommer l’archaïque médication martiale : rubigo ferri (la rouille), stercus ferri (le mâchefer), squama ferri (l’écaille de fer), aethiops martialis (l’oxyde noir de fer), etc. L’on vit bien certaines de ces préparations traverser les siècles et y survivre : la rouille (ou safran de mars) apparaissait encore dans l’œuvre de Pierre Pomet à la fin du XVIIe siècle et l’aethiops martialis surnageait dans celle de Simon Morelot en 1807. S’y ajoutaient beaucoup d’autres assemblages ayant de près ou de loin le fer comme élément fondamental : safran de mars astringent, teinture de mars, teinture de mars astringent, huile de mars, sirop de mars, cristaux de mars, tout cela avant que les sulfate de fer et autre tartrate ferreux ne renvoient au rang des vieilleries toutes ces « absconseries » martiales ! Du côté des eaux ferrugineuses, cela n’était guère mieux. En dehors du fait de s’en remettre aux stations thermales d’eaux ferrugineuses chaudes ou froides, l’on en obtenait par des moyens artificieux en jetant dans de l’eau (douce ou de mer) un fer rougi au feu ou bien en plaçant des clous dans une grande quantité d’eau. Quant à l’eau chalybée, elle s’obtenait en éteignant dans l’eau une barre faite non pas de fer mais d’acier.

A la fin du XVIIIe siècle, tout cela se stabilisa un peu, bien qu’on vantait encore les propriétés toniques, astringentes et emménagogues du fer. Il s’utilisait alors lorsque la suppression du flux menstruel était le résultat de l’inertie, de la froideur et/ou de la langueur des humeurs. On le disait aussi vermifuge et carminatif. Les modes d’emploi, pour effrayants qu’ils peuvent nous paraître aujourd’hui, n’eurent pas le don d’horrifier le moins du monde les utilisateurs de ce siècle : Desbois de Rochefort transmet un de ces modus operandi : placez de la limaille de fer dans un petit sachet de toile bien noué et faites trempougner le tout dans une tisane ou un bouillon comme l’on fait maintenant de n’importe quelle infusette ! Il fallut patienter jusqu’au début du XIXe siècle pour voir se multiplier les préparations martiales qui, bien que fort plus nombreuses, furent rapportées à des proportions plus justes, contrairement à ce que prônaient les Anciens qui voyaient le fer capable d’intervenir à tout propos. Ceci dit, afin de remettre quelque peu les choses en perspective, je vous propose, pour achever cette première partie, quelques suggestions de recettes qui avaient cours en France il y a moins de deux siècles :

  • Remède emménagogue de Haller : infusion de menthe pouliot et de limaille de fer rouillée dans du vin blanc ;
  • Vin martial : 30 g de limaille de fer dans un litre de vin blanc en macération pendant une semaine ;
  • Bière diurétique : semences de moutarde, cendres de genêt et limaille de fer en macération à froid dans de la bière ;
  • Électuaire fébrifuge : racine de grande gentiane jaune, fleurs de camomille et limaille de fer, le tout dans du miel ;
  • Médication tonique : cannelle combinée au quinquina et au fer.

Caractéristiques minéralogiques

  • Composition : fer à 100 % (parfois naturellement associé à des inclusions de nickel).
  • Densité : 7,88.
  • Dureté : comprise entre 4 et 5.
  • Morphologie : cristaux (inconnus à l’état naturel), agrégat cristallin, grumeau, grain, imprégnation.
  • Couleur : gris acier.
  • Éclat : métallique.
  • Transparence : opaque.
  • Clivage : parfait selon /001/ (cf. schéma ci-dessous).
  • Cassure : rugueuse.
  • Fusion : 1553° C.
  • Solubilité : dans l’acide nitrique (HNO3) et l’acide chlorhydrique (HCl).
  • Nettoyage : à l’eau distillée. A sécher immédiatement.
  • Particularités : malléable, ductile, élastique, aimantable, oxydable par l’oxygène de l’air (ce qui forme la rouille).
  • Morphogenèse : magmatique pour le fer terrestre, météorique pour le fer cosmique. Quant au fer natif, c’est-à-dire dans un état de pureté dans lequel on peut trouver également l’or, l’argent ou le cuivre, l’on s’est longuement questionné, comme on le peut constater dans l’ouvrage de Simon Morelot daté de 1807 : « Le fer natif serait du fer à l’état métallique, si l’on pouvait croire qu’il en existât réellement »12. Parallèlement à cela, on avait bien pris en compte que certaines météorites n’étaient pas toutes pierreuses, d’autres étant ferropierreuses, ce qui est très rare, et d’autres encore intégralement ferriques (parfois avec du nickel, comme c’est le cas de la plus grosse de ces météorites, la météorite de Hoba, en Namibie : pesant soixante tonnes, elle est constituée de 84 % de fer et de 16 % de nickel). On a donné à ces météorites le nom de sidérites (sidèréos ouranos : le « ciel de fer », vieil héritage d’une dure croyance en l’existence d’une voûte céleste métallique). On était en effet convaincus qu’elles provenaient des étoiles, plus précisément de celles groupées en constellation, siderus, par opposition à stella, « étoile isolée ». Considérer* cela n’est-il pas sidérant* ? Bref, pendant longtemps, on a imaginé impossible l’existence de fer natif terrestre : tout cela a été révoqué en doute, voire carrément nié, même après la découverte de blocs de fer natif dont on crut qu’ils étaient « des produits de l’art qui ont été enfouis dans la terre par quelque circonstance »13 ou, pourquoi pas, les facéties d’un kobold… ^.^ On est depuis, revenu de cet état de sidération*, puisque l’on sait aujourd’hui que, bien que rare, le fer natif terrestre existe bel et bien, et cela sans le truchement d’un quelconque astéroïde qui nous expédierait un bloc de ferraille sur la tête selon son bon gré. Des gisements existent en Allemagne (près de Kassel), en Nouvelle-Zélande, au Groenland, en Irlande du Nord (comté d’Antrim). Si ce fer natif avait été plus fréquent, sans doute qu’il y a deux siècles l’opinion des minéralogistes aurait été aiguisée par davantage de sagacité, mais, face à leur incroyance, l’on invoquait le fait « que ce fer n’est pas assez abondant pour être compris dans le rang des mines propres à l’exploitation »14. Ce qui peut se comprendre dans un objectif sidérurgique15, l’industrie du même nom n’ayant pas attendu après le fer natif pour se développer, ayant principalement fait appel aux minerais de fer que compte la nature, à savoir : la sidérite (FeO : 62 %), la vivianite (FeO : 43 %), la goethite (Fe2O3 : 90 %), la magnétite (Fe2O3 : 69 % et FeO : 31 %), l’hématite (Fe : 70 % et O : 30 %) et la chalcopyrite (Fe : 30,50 %).
  • Paragenèse : olivine, pentlandite, pyrrhotite.

Note : on n’évoquera pas ici la manière de séparer le fer de la gangue minérale qui l’emprisonne, nous contentant de nous arrêter au seuil du haut fourneau dans lequel, en faisant fondre du minerai de fer, cela ne permet guère d’obtenir que de la fonte, que l’on commue par la suite en fer le plus pur possible en supprimant la partie carbonée de cette fonte. Quant à l’acier, c’est un alliage composé d’une majorité de fer et d’une faible fraction de carbone (0,20 à 2 %). Sachons enfin qu’on protège le fer de la rouille par le zincage et qu’en recouvrant une tôle de fer d’une fine couche d’étain, l’on obtient ce que l’on appelle le fer-blanc.

Le fer en thérapie

Autrefois, nombreuses étaient les spécialités prétendument pourvoyeuses de fer, ce qui ne se reflète plus dans la ribambelle de compléments alimentaires modernes.

Bien que très abondant dans les tissus du corps humain (jusqu’à 5 g chez l’homme, un peu moins – 3 à 3,50 g – chez la femme), le fer n’en reste pas moins un oligo-élément (et non un macro-élément) dont les ¾ sont stockés dans l’organisme sous la forme de ferritine. De fait, comme tout oligo-élément, il n’est pas interchangeable. Dans l’ensemble, les oligo-éléments « s’avèrent indispensables à l’équilibre physiologique et toute carence, en un ou plusieurs oligo-éléments, se solde par des manifestations plus ou moins graves »16. Décelé pour la premier fois dans le sang par Vincenzo Menghini en 1747, le fer doit être apporté par l’alimentation à hauteur de 10 à 18 mg par jour.

Propriétés thérapeutiques

  • Apéritif, digestif, carminatif
  • Constitutif essentiel de l’hémoglobine et des globules rouges (ainsi que de leur production), régénérateur sanguin, coagulant, hémostatique
  • Tonique, participe au processus de création énergétique, anti-asthénique, anti-anémique, participe au bon développement du système immunitaire
  • Transporteur d’électrons et d’oxygène (via le sang)
  • Régulateur du fonctionnement du système nerveux, participe au bon développement des fonctions cognitives
  • Antispasmodique
  • Astringent

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : digestion difficile et diarrhée par faiblesse et atonie des voies digestives, dyspepsie anémique
  • Troubles de la sphère gynécologique : menstruations abondantes, flueurs blanches (leucorrhée), grossesse
  • Fatigue physique et/ou intellectuelle, fragilité et faiblesse, affaiblissement général, anémie du nerveux et du lymphatique, neurasthénie, convalescence, convalescence traînante, convalescence après épisode hémorragique
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme, ataxie locomotrice, pertes musculaires
  • Troubles du système nerveux, insomnie, difficulté de concentration
  • Pourvoir aux besoins des sportifs, des enfants et des adolescents en forte croissance, des personnes déficientes en fer (par exemple, les végétariens ou végétaliens)

Note : on évoque surtout la carence en fer à travers la très connue anémie, bien qu’elle ne se manifeste pas seulement par ce seul biais, puisqu’une carence en fer se traduit par une pâleur du teint, un essoufflement à l’effort. De plus, sa relative absence facilite les hémorragies (qui ne vont faire qu’accroître, cumulativement, cette carence), tout en ralentissant l’assimilation de la vitamine C, laquelle fonctionne en tandem parfait avec le fer. En revanche, l’on connaît beaucoup moins les perturbations que peut entraîner un excès de fer dans l’organisme, hormis le plus notable : la constipation. D’autres troubles gastro-intestinaux peuvent également survenir (troubles de la digestion, dyspepsie), ainsi que des éruptions cutanées de type acnéique. Signalons pour finir l’existence d’une maladie génétique, l’hémochromatose, se traduisant par un dérèglement de l’absorption intestinale du fer : l’organisme en accumule plus que nécessaire, entraînant une intoxication progressive des principaux organes (foie, cœur, etc.).

Modes d’emploi

L’administration « artificielle » du fer est très délicate. Tout d’abord, si l’on connaît les principaux préjudices convoyés par une carence ferrique, une trop forte complémentation n’est pas non plus sans danger, du fait de la très faible capacité de l’organisme à excréter le fer via les émonctoires : cela s’effectue à raison de 0,50 à 1 mg par jour ! De plus, supplémenter extérieurement l’organisme en fer peut ne pas servir à grand-chose si certains troubles en entravant la bonne assimilation persistent. Par ailleurs, certains troubles digestifs (comme le défaut d’absorption intestinale), un mauvais équilibre nutritionnel (c’est-à-dire défavorisé en d’autres oligo-éléments protagonistes), peuvent concourir à une carence en fer plus ou moins appuyée. On sait que l’inuline est promotrice d’absorption, de même que le cuivre, la vitamine C, la vitamine B9 ou encore B12.

Si j’ai connaissance qu’autrefois l’on donnait aux enfants des pommes après qu’on les ait préalablement piquées de clous en guise d’anti-anémique empirique des campagnes, l’on ne se contraindra plus à l’antique macération aqueuse de vieux clous rouillés, ni à je ne sais quelle eau « ferrugineuse » obtenue par la trempe d’une barre d’acier chauffée à blanc dans un baquet d’eau, ces méthodes barbares rappelant beaucoup trop le caractère martial du fer sur lequel nous avons eu l’occasion de nous attarder plus haut. En réalité, pour répondre à l’ensemble des besoins journaliers (en dehors d’une pathologie particulière), l’alimentation équilibrée, intégrant aussi bien des légumes que des fruits frais, est tout à fait capable d’y pourvoir. Voici un petit bréviaire des plantes que l’histoire médicale et diététique a retenues comme étant remarquablement riches en fer : abricot, ache, achillée millefeuille, amande, amarante, ananas, armoise annuelle, artichaut, asperge, aubergine, avocat, avoine, banane, bardane, bette, betterave, blé, bruyère, cacao, carotte, caroubier, céleri, centaurée chausse-trape, châtaigne, chénopode, chicorée, chiendent, chou, coing, coquelicot, cresson, datte, épinard, eupatoire, fenugrec, fève, figue, figue de Barbarie, fraise (fruit, feuille), framboise, frêne, fucus, garance, goji, groseille à maquereaux, guarana, gui, guimauve, hamamélis (feuille), haricot (grain), laitue, lamier blanc, lentille, liseron, luzerne, mâche, maïs, maté, melon, ményanthe, millepertuis, mouron des oiseaux, moutarde, navet (feuille), nigelle, noisette, noix, oignon, olivier (feuille), orange, orge, ortie, oseille, patience, pêche, peuplier (bourgeon), persil, petit pois, pignon de pin, pissenlit, poire, poireau, pois chiche, poivre d’eau, polypode, pomelo, pomme, pomme de terre, pourpier, prêle, prune, radis, raisin, reine-des-prés, scabieuse, seigle, thé, tomate, tussilage (feuille), violette.

Présent encore dans le vinaigre, le pollen et la spiruline, le fer se trouve aussi dans le jaune d’œuf, la viande rouge et les abats. Mais ce fer d’origine animale étant pro-inflammatoire et pro-oxydant (et la viande rouge l’est tout autant), on prendra soin de l’éviter sous cette forme et de le préférer en préparations pharmaceutiques microdosées faisant appel à des sels de fer biodisponibles (bisglycinate, pidolate, citrate, gluconate, lactate et pyrophosphate de fer).

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Pour les raisons que nous avons évoquées un peu plus haut, le fer est contre-indiqué en cas de maladies inflammatoires aiguës.
  • Les évacuations sanguines menstruelles sont la seule occasion de perte organique normale et chronique en fer, ce qui explique l’irritabilité et les sautes d’humeur, sans oublier la fatigue, propres à cette période féminine, d’autant plus accentuées que les pertes sont importantes. En dehors de cet unique cas, l’on fera attention aux hémorragies qui privent d’autant de fer l’organisme qu’elles sont plus étendues : perdre un millilitre de sang équivaut à l’excrétion en fer journalière, en perdre 20 ml, c’est se priver du bénéfice des apports quotidiens nécessaires. A cet éclairage, l’on se rappellera avec effroi de cette lubie des maniaques de la lancette : la saignée !
  • Avec la limaille de fer, l’on peut faire réagir diverses substances d’origine végétale : en faisant macérer ce lichen qu’on appelle cladonie des rennes (Cladonia rangeferina) avec de la limaille de fer, l’on obtient une belle teinture jaune fauve. De même, une décoction de rhizomes d’iris des marais mêlée à de la limaille forme une teinte noire dont on se servait comme d’encre d’écriture, à la manière de ce que l’on utilisait en teinturerie et en chapellerie : de la limaille de fer et de l’écorce de rameaux d’aulne produisent une teinte pareillement noire.

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  1. Henri Leclerc, En marge du Codex, p. 167.
  2. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 628.
  3. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 148.
  4. Poignard, chêne, fer, rouille, tout va dans le sens de la demande : on convoque des objets qui véhiculent une forte imagerie masculine et génésique.
  5. Petit Albert, p. 295.
  6. Ibidem, p. 303.
  7. Les mots acéré et acier ont une origine linguistique et étymologique commune : au sens premier, acérer une pointe, c’est la garnir d’acier pour lui faire gagner en robustesse.
  8. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 434.
  9. Épictète, Manuel, 27.
  10. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 457.
  11. Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, p. 369.
  12. Simon Morelot, Nouveau dictionnaire des drogues simples et composées, Tome 1, p. 569.
  13. Ibidem, p. 570.
  14. Ibidem.
  15. Dans les lignes qui précèdent ce mot, nous en avons signalés d’autres par un astérisque : considérer, sidérant, sidération. Avec sidérurgie, ils contiennent tous la racine grecque sídêros, « fer ».
  16. Jean Valnet, Se soigner avec les légumes, les fruits et les céréales, p. 109.

© Books of Dante – 2021

Le cuivre (Cuprum)


Cuivre natif provenant de la mine de Cap d’or (Nouvelle-Écosse, Canada).

Historiquement, l’on a accordé à une période s’étalant de 1200 à 700 avant J.-C. le nom d’Âge de fer. Peut-on en dire pareillement du cuivre ? Pas à proprement parler, bien qu’il apparaisse en filigrane de l’expression Âge de bronze, ère historique précédant celle dévolue à la technique et à la maîtrise du fer. En effet, pour fabriquer du bronze, il faut du cuivre (mais comme il faut aussi de l’étain, il n’y a pas de raison pour que l’un de ces métaux l’emporte aux dépens de l’autre). En revanche, l’on parle bel et bien d’une civilisation chalcolithique qui, comme son nom l’indique, coïncide à une exploitation du cuivre conjointe à l’usage continué de la pierre polie néolithique. Le cuivre se fond tant et si bien dans l’image du bronze, que le mot grec qui désigne ce métal, chalkos, s’applique aussi au bronze (ou airain). Ce qui est remarquable, avant d’en arriver à l’Âge du bronze, c’est que le cuivre, à lui seul, s’avère être le premier métal usité par l’homme, cela en raison de sa découverte à l’état natif et de sa relative abondance (au contraire de l’argent et, à plus forte raison, de l’or). Ainsi fait-on depuis au moins 9000 ans en Anatolie, où, en premier lieu, on l’a utilisé tel quel, tout d’abord sans transformation thermique, l’homme s’étant contenter de le marteler, ce qui en soi n’est pas un très grand progrès technique, mais le cuivre est si malléable qu’on aurait eu tort de se priver de son bénéfique concours. 6500 ans avant J.-C. l’on fabriquait ainsi des armes et des outils en Égypte, ainsi que des bijoux. En Bulgarie, au cinquième millénaire avant J.-C., l’on faisait grand cas du cuivre, puisqu’on a retrouvé dans la nécropole de Varna la présence concomitante d’armes de cuivre et d’objets en or destinés à honorer les dépouilles des hommes de haut rang. Cette appétence pour le cuivre se lit même dans les récits légendaires relatifs à la reine de Saba qui échangea avec Salomon, contre de l’or, de l’encens et de la myrrhe, du cuivre en provenance du Sinaï. Parallèlement, l’usage du vert-de-gris médicamenteux se fit jour. L’Âge du bronze, quant à lui, se caractérise, dès 2700 ans avant J.-C., par la fonte du cuivre avec de l’étain, formant là un alliage aux intéressantes qualités mécaniques, déployées à de nombreux domaines de la vie quotidienne (armes, outillages, objets liturgiques et artistiques, etc.). C’est à peu près à cette même époque qu’on voit apparaître la technique de fonte et de moulage à la cire perdue dans l’ensemble du Proche-Orient. Les Celtes, se déplaçant vers l’ouest de l’Europe, y emmenèrent cette technologie, répandant le bronze sur le continent européen de 1800 à 600 ans avant J.-C., tandis que les Babyloniens perpétuèrent la fréquentation d’une île méditerranéenne dans laquelle abondait le cuivre : Kypros, ainsi nommée relativement au métal, cyprium, qu’on en tirait, mais aussi en rapport avec cette divinité chypriote, Kypris, alias Aphrodite, divinité dont le métal emblématique allait devenir le cuivre, le tout renforcé par l’accointance du cuivre avec l’eau et la couleur verte, mettant bien en avant la relation de la déesse au monde végétal, à tout ce qui vit, buissonne, végète, projette feuilles et fleurs, organes de pouvoir. Cette île, qui porte le nom de ce métal rouge qui peut virer au vert, couleur de la divinité, veut que se dessine en filigrane le nom de la déesse de l’amour dans les actuels noms du cuivre, que cela soit en langues espagnole (cobre), allemande (kupfer) ou roumaine (cupru). Ainsi, « le cuivre trouvait en Vénus sa planète associée, ce qui explique que longtemps les sels de cuivre ont été utilisés dans le traitement des maladies vénériennes, pratique que condamnait d’ailleurs l’éminent Nicolas Lémery au XVIIe siècle »1. D’autres encore imaginèrent qu’au cuivre « il paraît que c’est la raison pour laquelle on lui a donné le nom de Vénus, parce qu’il semble se prostituer comme cette divinité »2, c’est-à-dire posséder une grande appétence pour se combiner à une infinité de corps (sous cette optique, la soi-disant corrélation antivénérienne du cuivre s’explique d’elle-même…). Aphrodite n’est pas la seule divinité à laquelle le cuivre est rattaché : dans les monts Oural, où les mines de cuivre pourvurent à la richesse de toute une région, la mythologie a façonné le personnage qu’on appelle la Maîtresse de la Montagne de cuivre (on rencontre une figure assez similaire en Suède), portant une robe de malachite, un minéral qui « contient et montre toutes les beautés de la Terre »3. L’on dit qu’elle se laisse voir par l’humanité chaque année, parfois sous la forme d’un lézard vert, au cours de la nuit des serpents qui a lieu le 25 septembre, le cuivre étant lié au serpent mythique. Mais « la rencontre de cette femme aux yeux vert-de-gris est néfaste : celui qui tombe sous son regard est condamné à mourir de nostalgie »4. Pour ce malheureux, la vie réelle n’aurait plus aucune valeur, ni saveur…


Objets en bronze (Âge du bronze tardif) découverts à Pierrevillers (Moselle) en 2014.

Le cuivre, métal d’Aphrodite donc. Dioscoride explique que de son temps l’on fabriquait du vert-de-gris artificiellement à base de cuivre de Chypre que l’on faisait réagir face à quelque acide. La nature astringente et purifiante de ce remède permet d’ôter du corps tout ce qui peut effectivement déplaire à la déesse : le vert-de-gris est censé arrêter les ulcères sanieux et sales (ords, disait-on autrefois), ceux qui rongent les chairs, jusqu’à finir par les cicatriser. Il fait de même avec les cals, les fistules et autres enflures peu gracieuses. Bien plus tard, Hildegarde de Bingen fait elle aussi intervenir le cuivre, mais pour des raisons fort différentes de celles de Dioscoride. Elle accorde au cuprum un long chapitre dans le Livre des métaux. Mais pour en dire quoi ? Eh bien, que c’est un remède de l’arthrose, ce qui ne saurait nous surprendre, mais aussi de la goutte, ce qui est bien plus curieux, et des intoxications alimentaires, ce que je trouve fort audacieux de la part de l’abbesse, d’autant qu’elle explique à de multiples reprises employer une barre de cuivre qu’elle met en chauffe pour ensuite la tremper dans le vin où elle prépare ses remèdes. Ses textes mentionnent de plus la cuisson des aliments dans des récipients de cuivre, sans qu’on sache s’ils sont étamés ou non. Mais ce qui est le plus contraire au bon sens et n’argumente pas en faveur des soi-disant propriétés antitoxiques du cuivre, c’est la pratique consistant à faire macérer de la limaille de cuivre dans du vin afin que ce dernier, par contact, s’imprègne de toute la force du métal. Ce qui m’apparaît plus problématique, c’est de faire de même avec du vinaigre, ce qui n’est certes pas une bonne idée puisque la combinaison du cuivre à l’humidité, mais surtout à l’acidité, est la meilleure garantie de voir se former cette substance toxique qu’on appelle le vert-de-gris. Cette ignorance eut fait bondir Desbois de Rochefort qui savait parfaitement que le cuivre pris à l’intérieur est nocif par sa continuité, dangereux et infidèle, comme sût l’être l’oes ustum, c’est-à-dire le cuivre brûlé médicinal, substance émétique également vouée à la résolution des ulcères. De plus, « on a regardé le cuivre comme très bon contre la rage, parce que cette maladie ayant des symptômes violents, on a cru qu’il lui fallait des remèdes violents, et l’on a recommandé tous ceux des trois règnes »5, dont le cuivre. Quel aveu sur la dangerosité du cuivre, parfaitement connue au XVIIIe siècle, mais, semblerait-il, considéré comme suffisamment précieux pour être continué comme remède. Effectivement, à la fin de ce siècle, le seul vert-de-gris, desséchant et corrosif, bien qu’il s’appliquait presque exclusivement à l’interface cutanée, était encore « tartiné » sur les chancres et les vieux ulcères, pris à la manière d’un gargarisme pour s’amender des aphtes buccaux, des ulcères de la gorge et de la langue, enfin comme collyre dans le traitement des taies et des ulcères de la cornée ! Destinées à l’intérieur, on vit naître diverses pilules qu’on dut à des frondeurs. Leur prise n’entravait généralement pas la maladie, mais, tout au contraire, en augmentait le cours et menait ainsi plus sûrement à la mort. A l’énoncé de leur composition, l’on comprend mieux le supplice infligé par cette maîtresse dont on n’approche pas la montagne impunément : on les farcissait donc de cuivre dissout dans du vieux vinaigre, de limaille de fer et d’extrait de ciguë. Ce qui fit dire à Desbois de Rochefort qu’« il n’y a que fort peu de tempéraments qui puissent supporter l’usage du cuivre, et comme il est difficile de distinguer ces sujets privilégiés, il vaut mieux éloigner le cuivre et ses préparations, de l’usage intérieur »6, ce que même Anton von Storck, plutôt versé dans l’emploi parfois terrifique (vu de la France) de moult substances toxiques par voie interne, n’avait pas osé faire à l’endroit du cuivre. Toutes ces précautions ne firent pas abandonner le cuivre thérapeutique si l’on en juge par les données que j’ai tirées du Larousse médical de 1927. Voici donc quelles spécialités à base de cuivre avaient encore cours il y a environ un siècle : l’oxyde de cuivre colloïdal, que l’on employait contre le cancer et la tuberculose ; le sulfate ammoniacal de cuivre jouait le rôle d’antispasmodique, de même que le sulfate de cuivre (ou couperose bleue, vitriol bleu). Ce dernier était encore vu comme antiseptique, désinfectant et antibactérien (contre le streptocoque), astringent et caustique, enfin vomitif. On en signalait l’usage interne (potion, injection intraveineuse), mais c’était surtout l’usage externe qui l’emportait (collyre, lotion, pommade), au travers d’affections aussi variées que l’impétigo, l’ecthyma, la furonculose, les dermo-epidermites ou encore parfois la fièvre puerpérale. Achevons cette liste peu amène avec, une fois encore, le vert-de-gris et le verdet (carbonate et acétate de cuivre qui compose pour partie le vert-de-gris, lequel se forme au contact de l’humidité de l’air ou de certains acides). Insecticide et fongicide, on l’employait surtout pour ronger les cors et les végétations, pour soigner la tuberculose. Dieu merci, cette ère barbare est bel et bien révolue. Aujourd’hui, l’on fait du cuivre un usage tout à fait différent et surtout beaucoup plus anodin.

Caractéristiques minéralogiques

  • Composition : en théorie, Cu à 100 % (mais inclusions possibles d’argent, de fer, d’arsenic et de bismuth).
  • Densité : 8,93.
  • Dureté : 2,5 à 3.
  • Morphologie : copeaux, fils, masses, agrégats dendritiques (c’est-à-dire arborescents), cristaux rares (hexaèdres, tétraèdres, dodécaèdres, plus rarement octaèdres).
  • Couleur : rouge clair, rouge cuivré, rouge roussâtre brun.
  • Éclat : métallique.
  • Transparence : opaque (quand on lamine le cuivre suffisamment finement, il laisse transparaître une lumière… verte !)
  • Clivage : sans.
  • Cassure : dentelée, conchoïdale (= qui prend l’allure d’une coquille ; voyez le silex et l’obsidienne pour exemples).
  • Fusion : fond sous le chalumeau à une température de 1084,62° C.
  • Solubilité : dans l’acide nitrique.
  • Nettoyage : à l’eau distillée. A sécher aussitôt.
  • Particularités : très conductible de l’électricité, coupant, élastique, malléable et ductile, sonore.
  • Morphogenèse : le cuivre «  se forme, dans la nature, par la cristallisation de solutions hydrothermales ou la décomposition de minerais sulfureux de cuivre dans les parties superficielles des veines de minerais (dites zones de cémentations ) »7.
  • Gisements : aux États-Unis, la péninsule de Keweenaw marque le lieu de la première ruée au cuivre états-unienne, en bordure du lac Supérieur (état du Michigan), où un monumental bloc de 420 tonnes a été retiré. On trouve encore du cuivre au Colorado, en Arizona (Bisbee). Allemagne : Saxe (Zwickau), Saxe-Anhalt (Mansfeld), Rhénanie (Herdorf), Thuringe (Reichenback). Mexique. Russie (chaîne de l’Oural : Krasnotourisk). Namibie. Chili. Australie. Grande-Bretagne (Cornouailles). Danemark. Anciennement : Suède, à Stora Kopparberg (la bien nommé, koppar signifiant cuivre en suédois). C’est un gisement aujourd’hui épuisé mais qui a fait toute la richesse du royaume de Suède dès le XVIIe siècle. France : les anciens gisements de Chessy et de Sain-Bel dans le Rhône sont restés célèbres. Pour habiter à proximité de l’une de ces deux petites villes, je dois faire une remarque : dans un article printanier, j’ai pu écrire que la renouée du Japon était une plante bio-indicatrice de la pollution au cuivre. Eh bien, les activités minières ont laissé sur place suffisamment de cuivre pour qu’on trouve de cette plante un peu partout dans la vallée, et jusqu’aux berges de la rivière, la Brévenne, où prenaient place les activités de cémentation du cuivre.
  • Paragenèse : la cuprite (88,82 % de cuivre, 11,18 % d’oxygène), la malachite (71,95 % d’oxyde de cuivre), l’azurite (69,24 % d’oxyde de cuivre). Ce dernier était le minerai de cuivre exploité à Chessy-les-Mines. On appelait localement cette pierre d’un nom dérivé de celui de cette petite ville, la chessylite. A la fin de l’exploitation qui intervint vers 1875 après épuisement du filon cuprifère, la ville redevint Chessy, tout simplement. Saint-Pierre-la-Palud est une autre de ces villes concernées par l’exploitation des minerais de cuivre, de même que Sourcieux-les-Mines toute proche.
Vert-de-gris typique. Fontaine de Neptune (Piazza della Signoria, Florence, Italie).

Le cuivre en thérapie

A l’analyse chimique du corps humain, il est permis de constater que 99,98 % de sa masse moléculaire est constituée de douze éléments plastiques dont l’azote, l’oxygène, le carbone, le calcium, le potassium, le sodium, etc. En complément de ce tableau, l’on trouve une minuscule fraction d’autres substances, métaux et métalloïdes, qui forment à peine un millième du poids du corps humain à eux tous, et au chapitre desquels on voit le fer, l’iode ou encore le cuivre. Ce dernier, présent à hauteur de 0,0004 % dans l’organisme, n’est donc pas un sel minéral majeur (ou macro-élément) comme le calcium, le potassium, le phosphore, le magnésium ou encore le sodium, mais un oligo-élément ou élément en trace (oligo-, du grec ancien oligos, « peu abondant ». Exemple : oligoménorrhée : se dit de règles peu profuses). Sels minéraux et oligo-éléments furent, durant un temps, considérés comme des impuretés, alors qu’ils « semblent n’agir que par leur seule présence et non point par leur masse »8. Non seulement ils sont retrouvés intacts après opération, mais la survenue d’un excédent est perturbant pour l’organisme. Ainsi, si dans le plasma humain on en trouve 0,70 à 1,40 mg par litre, dans le cours de certaines affections, on voit les concentrations de cuivre prendre de vertigineuses proportions. C’est ce que remarquait Jean Valnet : un oligo-élément, pour bien agir, exige une concentration optimale. « Cette concentration, bien qu’extrêmement faible puisqu’il s’agit de traces, doit toutefois être suffisante. Mais au-delà, apparaissent des effets défavorables »9. C’est ainsi qu’agissent les complexes catalytiques dont nous allons parler dans la suite de cet exposé.

Propriétés thérapeutiques

  • Nécessaire à la fixation du fer et concourt avec lui (en compagnie du cobalt et du manganèse) à la fabrication de l’hémoglobine, s’oppose à la coagulation excessive du sang, favorise la fabrication des globules rouges, protecteur des vaisseaux sanguins
  • Anti-infectieux (antibactérien, antiviral), renforce les vertus anti-infectieuses des autres médicaments, immunostimulant
  • Anti-inflammatoire
  • Antidégénérateur, ralentit l’expansion des radicaux libres
  • Indispensable à la formation des os, des tendons et des ligaments
  • Indispensable à la vie cellulaire
  • Équilibrant pancréatique (avec nickel et cobalt)

Note : chez les autres organismes vivants, le cuivre a toute son importance, puisqu’on le voit essentiel à la croissance des végétaux et des animaux. Par exemple, un lapin carencé en cuivre voit son poil tomber, un mouton sa laine de même. Il préside encore à leur prise de poids.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire + ORL : infection ORL, grippe, affections fébriles aiguës, angine, tuberculose, états infectieux pulmonaires chroniques, fragilité de l’arbre respiratoire, asthme, coqueluche, rhino-pharyngite
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : entérocolite
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme (articulaire aigu, chronique), polyarthrite chronique évolutive, état arthritique, poliomyélite, suppuration osseuse
  • Troubles de la sphère gynécologiques : troubles pubertaires, troubles des règles chez la jeune fille
  • Retard de développement, asthénie, fatigue chronique, anémie
  • Troubles du système nerveux : mélancolie, abandon du goût de la vie
  • Chute de l’immunité, déficit en globules blancs
  • Furonculose (staphylococcie)

Modes d’emploi

  • En gélules : complexe cuivre et vitamine C par exemple.
  • En suspension buvable : cuivre/zinc, cuivre/or/argent, cuivre/manganèse. Nombreuses spécialités ionisées : pour la peau, le confort féminin, la sphère cardiovasculaire, la diurèse, les fonctions musculaires, le confort articulo-tendineux, la vision, etc.
  • Dans l’alimentation : l’organisme exige une fourniture de 2 à 3 mg de cuivre par jour (davantage pour le nourrisson : 5 mg). Voici quels fruits et légumes, quelles plantes médicinales, offrent une notable quantité de cuivre : abricot (12 mg/100 g), ail, amande, argousier, artichaut, asperge, aubergine (0,10 mg/100 g), avocat, banane, betterave, blé, café (1 à 3 mg/100 g), carotte, céleri, châtaigne, chicorée, chou, citron, coing, cresson, épinard (0,13 mg/100 g), fève, figue de Barbarie, framboise, frêne (feuilles), fucus vésiculeux, goji, gui (feuilles), haricot vert, laitue, lotus (rhizome), luzerne, mâche, navet, noisette, noix, oignon, olive, orange, ortie, pêche (0,05 mg/100 g), persil, petit pois, poire, poireau, pois chiche, pomelo, pomme, pomme de terre, prune, radis, raisin, ronce (feuilles), sarrasin, tomate, etc. Dans les aliments d’origine non végétale, remarquons la richesse des abats et des fruits de mer en cuivre. On en trouve encore dans la levure de bière et le pollen.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Toxicité : autrefois plus étendue qu’aujourd’hui, elle était surtout mise sur le compte de diverses activités professionnelles (ébarbeurs, fondeurs, teinturiers, pelletiers, chapeliers, maréchaux, peintres…), les troubles apparaissant en raison directe de la finesse des particules de cuivre absorbées par voie respiratoire (pneumoconiose) et digestive surtout. Une exposition chronique au cuivre et à ses sels avait pour conséquence une coloration verte d’une grande partie de l’économie, comme le signalait Desbois de Rochefort à la fin du XVIIIe siècle à propos des maladies de ceux qui travaillent le cuivre : « Ils ont le teint d’un jaune vert, les yeux et la langue [ainsi que les dents] sont de la même couleur, les cheveux [et les poils] sont verdâtres, les excréments, les urines, les crachats sont empreints de la même couleur, qui se communique à leurs habits par la transpiration »10. Les petits hommes verts ne viennent pas de Mars, mais de Vénus ! L’intoxication peut aussi se dérouler par l’entremise d’un corps gras, chose d’autant plus aisée que la plupart d’entre eux sont dissolvants du cuivre. On pourra ici évoquer l’empoisonnement par la batterie de cuisine, à l’époque où bassines et casseroles étaient confectionnées dans ce métal, d’où les injonctions de Lavoisier : « On doit bannir le cuivre de tout ce qui a rapport aux aliments, à la pharmacie »11. L’étamage des ustensiles de cuisine est donc capital, puisque « le lait, les huiles et les corps gras qui séjournent dans le cuivre, le convertissent en un oxyde vert qui est un poison des plus actifs »12. L’étamage consiste en la couverture des surfaces en contact avec les préparations alimentaires ou pharmaceutiques d’une fine couche d’étain, ce métal pouvant s’utiliser en ce cas, bien que le zincage soit encore de mieux préférable. D’autres sources à la pollution au cuivre sont encore d’actualité tandis que la casserole en cuivre à l’ancienne a déserté la plupart des cuisines : l’eau provenant des conduites en cuivre, les pilules contraceptives, le stérilet (un dispositif anti-fécond façonné dans le métal d’Aphrodite, j’en reste pantois…), l’hémodialyse (risque d’intoxication intraveineuse au cuivre). L’empoisonnement cuprique se caractérise par de violents vomissements au goût métallique et qui « sont colorés : verdâtres, puis jaunâtres et grisâtres ; en y ajoutant de l’ammoniaque, ils prennent une couleur bleue décelant la présence de cuivre »13. On constate d’autres perturbations gastro-intestinales (douleurs gastriques, nausée, irritation du bas-ventre, diarrhée, selles douloureuses à caractéristique dysentérique), ainsi qu’une sécheresse buccale et un phénomène constrictif au niveau de la gorge. Même sous forme d’oligo-élément, l’excès de cuivre est bien évidemment dommageable et peut occasionner la détérioration de la muqueuse intestinale, des atteintes rénales irréversibles, une nécrose hépatique et un effondrement du taux de globules rouges. Face à tous ces désagréments, déjà, du temps des Anciens, l’on avait imaginé des parades pour endiguer les méfaits de l’intoxication au cuivre. Voici ce que la pratique des arts médicaux a retenu en manière d’antidotes : contre l’intoxication au vert-de-gris, des cataplasmes chauds de farine de moutarde ; contre l’intoxication au sulfate de cuivre, du lait à volonté (encore mieux s’il est crémeux), du blanc d’œuf battu avec deux à trois fois son poids d’eau (la décoction albumineuse réussit aussi très bien). A cela, on peut ajouter les boissons mucilagineuses (comme la tisane de graines de lin), la décoction d’orge, la décoction de gomme arabique, le café, le laudanum, etc.
  • Alliages cupriques : ils sont nombreux, nous allons en citer quelques-uns. – Le bronze : une majorité de cuivre mêlée à de l’étain où les proportions des deux évoluent en fonction des besoins (par exemple, on trouve moins d’étain dans le bronze qui compose une cloche d’église que dans celui destiné à la miroiterie). Des adjonctions (plomb, zinc, phosphore) sont possibles. – Le laiton (ou léton, cuivre jaune) : constitué pour la plus grande part de cuivre et de zinc (ce dernier peut varier de 5 à 30 % selon les nécessités). – Le tombac (ou tombak, cuivre blanc) : autre alliage de cuivre et de zinc, on lui ajoute parfois de l’arsenic, mais encore du plomb ou de l’étain. – Le similor ou chrysocale : autre alliage de cuivre et de zinc dont le but avoué est de lui donner l’éclat de l’or. – Le pinchbeck, du nom de son créateur Christophe Pinchbeck (1670-1732) qui élabora aux environs de 1720 cet autre alliage de cuivre (83 %) et de zinc (17 %), avant tout destiné à la bijouterie bon marché.

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  1. Pierre Delaveau, La mémoire des mots en médecine, pharmacie et sciences, p. 32.
  2. Simon Morelot, Nouveau dictionnaire des drogues simples et composées, Tome 1, p. 445.
  3. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 329.
  4. Pierre Canavaggio, Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, p. 69.
  5. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 1, p. 265.
  6. Ibidem, Tome 1, p. 267.
  7. J. Kouřimsky & F. Tvrz, Encyclopédie des minéraux, p. 41.
  8. Jean Valnet, Se soigner par les légumes, les fruits et les céréales, p. 106.
  9. Ibidem, p. 108.
  10. Louis Desbois de Rochefort, Cours élémentaire de matière médicale, Tome 1, p. 271.
  11. Antoine-Laurent Lavoisier, Cours élémentaire de chimie, Tome 2, p. 87.
  12. Simon Morelot, Nouveau dictionnaire des drogues simples et composées, Tome 1, p. 445.
  13. Larousse médical, p. 340.

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Batterie de cuisine (Pologne, début XXe siècle). Au premier plan, la casserole non étamée est forcément criminelle.