Les monardes (Monarda sp.)

Monarde fistuleuse (Thomas G. Barnes – wikimedia commons).
  • La monarde écarlate (Monarda didyma) : monarde de Pennsylvanie, thé d’Oswego, thé rouge, thé des jardins
  • La monarde fistuleuse (Monarda fistulosa) : scarlet beebalm, bergamote sauvage
  • La monarde ponctuée (Monarda punctata) : horsemint, spotted beebalm, oregano della sierra

Les trois monardes que nous allons aborder dans cet article sont des plantes toutes originaires d’Amérique du Nord, ayant eu, à l’instar d’une foule d’autres plantes endémiques, une précieuse fonction pour les peuples autochtones avant même l’irruption des colons au XVe siècle. D’ailleurs, certains des noms vernaculaires qu’on leur a conservés témoignent dans ce sens. Par exemple, beebalm (= baume des abeilles) ou bien encore thé d’Oswego, en référence à ce qu’en firent tout d’abord les Amérindiens situés à l’est des États-Unis (Oswego est une petite ville de l’état de New-York, en bordure du lac Ontario ; précisons qu’il n’existe pas de tribu amérindienne du nom d’Oswego comme on peut le lire un peu partout). De même vit-on la monarde ponctuée être appelée comme stimulant et remède du choléra par les tribus Winnebago (Illinois et Wisconsin) et Dakota (au centre-nord des États-Unis), et la monarde écarlate s’attribuer le rôle de remède anti-vomitif et antitussif par les tribus du nord-est des États-Unis telles que les Mohawks et les Montagnais. Puis, à la suite, les colons firent appel à elle durant les prémices de la guerre d’indépendance américaine (1775-1783), à travers laquelle les colons se trouvèrent aux prises avec les Britanniques, qui taxaient lourdement le thé vendu dans les colonies par la Compagnie anglaise des Indes orientales. Ces taxes exorbitantes furent à l’origine des premières contestations coloniales. Ainsi, le thé se fit-il boycotter, ce qui provoqua un effondrement de ses ventes. Mais cela était sans compter sur le Tea act qui allait littéralement mettre le feu aux poudres. Si des bateaux et leur cargaison de thé purent être repoussés, trois bâtiments mouillèrent au large de Boston, dans la claire intention de décharger la marchandise dans le port, le thé y compris. Le 16 décembre 1773, une soixantaine de Bostoniens se glissèrent sur l’un des trois navires et flanquèrent par-dessus bord pas moins de 45 tonnes de thé, sans doute la plus grosse infusion de l’histoire. Ainsi, au lieu d’avoir procédé à une effusion de sang, les colons s’en tinrent-ils à une plus pacifique infusion de thé rouge ! En effet, très justement à court de thé, ils jetèrent leur dévolu sur la plante locale qu’est la monarde écarlate, laquelle joua un temps le rôle de succédané du thé.

Les monardes sont des plantes vivaces rustiques d’environ un mètre de hauteur à plein développement. Des tiges herbacées rameuses et quadrangulaires, glabres ou légèrement pubescentes, portent de grandes feuilles pétiolées, plus ou moins cordiformes ou dentés en scie chez Monarda didyma et Monarda fistulosa, tandis qu’elles sont d’allure lancéolée chez Monarda punctata. Chez les trois espèces, les feuilles sont agrémentées de stipules à leur base. Lisses, d’un beau vert, ces feuilles peuvent être légèrement duveteuses. C’est surtout en ce qui concerne leur floraison que les monardes savent se distinguer : au sommet de ses tiges, la monarde écarlate s’orne d’un dense capitule estival de grandes fleurs à deux lèvres inégales, dont la teinte est si lumineuse qu’elle semble se refléter sur les bractées et les feuilles les plus immédiates. Mais cela n’est pas une illusion visuelle, non plus que les fleurs verticillées de cette plante lui donnent, de loin, l’aspect d’un gros chrysanthème. Quant aux fleurs de la monarde fistuleuse, elles sont moins densément fournies, d’allure un peu grêle, et l’on distingue plus facilement dans chaque capitule la plupart des fleurons, beaucoup plus courts que ceux de la monarde écarlate, et surtout d’un coloris moins étincelant, mais néanmoins plein de douceur, balayant ses fleurs de mauve pâle lavande plus ou moins prononcé. Enfin, la floraison de la monarde ponctuée est sans doute la plus originale, faisant assez penser à celle des lamiers : en haut de la tige, on observe des étages successifs formés de feuilles/bractées/fleurs empilés les uns sur les autres. Des bractées longitudinalement veinées empruntent des coloris que l’on n’accorde qu’aux fleurs généralement et comme chez le lamier pourpre, donnent l’impression que le capitule est beaucoup plus volumineux qu’il n’est en réalité. Ces bractées parviennent même à transvaser un peu de leur couleur sur les immédiates premières feuilles, comme si une rosée matinale l’y avait fait dégouliner. Tout autour de la tige, en verticilles serrés, les fleurs labiées, décidément très semblables à celles des lamiers, passent d’un blanc crémeux à un jaune qui paraît presque orange en raison de la multitude de petits points de couleur rouge violacé qui les constellent.

Les monardes tirent leur nom du médecin et botaniste espagnol Nicolas Monardes (1493-1588), qu’attribua bien plus tard Linné en son honneur. On lui doit un ouvrage majeur paru dans sa version définitive en 1574 : Histoire médicinale des choses qui sont apportées de nos Indes occidentales.

Les monardes en phyto-aromathérapie

Ces plantes ont beau être regroupées sous le même étendard, il n’en reste pas moins qu’elles demeurent assez inégales dans leurs effets respectifs, chacune étant dotée d’une personnalité qui lui est propre.

Chez ces trois plantes, l’on se préoccupe avant tout des sommités fleuries généralement très odorantes : par exemple, chez la monarde écarlate, feuilles et fleurs sont emplies d’une odeur suave et pénétrante, rappelant celle du citron ou de la bergamote. Il en va de même de la monarde fistuleuse si l’on en croit l’un des surnoms qu’on lui a accordé aux États-Unis : wild bergamot. De même, red bergamot et mélisse d’or soulignent bien cette mitoyenneté olfactive avec les agrumes et d’autres lamiacées, comme ici la mélisse, même si, globalement, les monardes rappellent davantage une menthe bergamote qu’une mélisse officinale.

Essayons maintenant de tracer pour chaque monarde un portrait biochimique le plus fidèle qui soit. Comme on peut s’en douter, les trois recèlent une essence aromatique dont l’extraction à la vapeur d’eau permet l’obtention de produits très divers selon la plante considérée, mais aussi ses différents chémotypes. Mais ces plantes ne se cantonnent pas qu’à la seule essence aromatique dont elles irriguent leur tissu, ce serait par trop réducteur de le penser. Par exemple, la monarde ponctuée fait état d’une flopée de flavonoïdes (lutéine, rutine, hyperoside, quercétine, didymine, etc.), de principes amers, d’acides ursolique et rosmarinique, etc. Mais ce que l’on retient, et qui va orienter notre propos vers un versant aromathérapeutique, c’est le décorticage moléculaire des huiles essentielles qu’on tire de ces trois monardes. Voici donc quelques éléments chiffrés.

  • Monarde écarlate : huile essentielle limpide et mobile, au parfum puissamment thymolé, mêlé à des notes de champignon – Phénols dont thymols (59,30 %) – Monoterpènes dont para-cymène (10,30 %), terpinolène (9,20 %), δ-3-carène (4,40 %), myrcène (3,70 %), camphène (3,40 %)

Note : il existe un chémotype linalol/acétate de linalyle.

  • Monarde ponctuée – Phénols dont thymol (75,20 %) et carvacrol (3,50 %) – Monoterpènes dont limonène (5,40 %) et para-cymène (6,70 %)

Note : avec la précédente, cette deuxième huile essentielle est celle qui en est la plus proche d’un point de vue moléculaire, contrairement à la suivante.

  • Monarde fistuleuse : huile essentielle limpide et mobile, incolore à jaune très pâle – Monoterpénols dont géraniol (90 %), nérol – Monoterpènes dont γ-terpinène (1 %) – Sesquiterpènes dont germacrène D – Monoterpénals

Note : cette dernière est donc plus proche d’un palmarosa que d’une labiée à thymol, comme les deux précédentes dont l’odeur pénétrante, la saveur chaude et forte, les place côte à côte avec des huiles essentielles de sarriette, de thym rouge ou encore d’origan vulgaire, par exemple. En revanche, la forte teneur en géraniol de cette huile essentielle la distingue quelque peu des huiles essentielles de géranium rosat et bourbon.

Propriétés thérapeutiques

-Monarde écarlate

  • Apéritive, digestive, carminative
  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antifongique
  • Sudorifique, diurétique
  • Immunostimulante, stimulante, tonique, tonique psychique
  • Régulatrice des règles, tonique de la femme enceinte
  • Fébrifuge
  • Résolutive

-Monarde ponctuée

  • Apéritive, digestive, carminative, stomachique, purgative
  • Anti-infectieuse : antiseptique pulmonaire, antibactérienne à large spectre d’action (Streptococcus pyogenes, Strepococcus pneumoniae, Escherichia coli, etc.), antifongique, antivirale
  • Diaphorétique, diurétique
  • Stimulante, tonique, tonique nerveuse
  • Emménagogue
  • Fébrifuge
  • Résolutive

-Monarde fistuleuse

  • Apéritive, digestive, carminative, stimulante hépatopancréatique
  • Anti-infectieuse : antibactérienne à large spectre d’action, antivirale, antifongique, antiseptique des voies respiratoires et urinaires
  • Stimulante, tonique, tonique du système nerveux
  • Tonique utérine, stimulante de la libido féminine, facilite le travail lors de l’accouchement
  • Fébrifuge
  • Résolutive, cicatrisante

Usages thérapeutiques

-Monarde écarlate

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : atonie des voies digestives, digestion difficile, flatulences, gaz intestinaux, nausée, gastralgie, diarrhée
  • Troubles de la sphère respiratoire : maux de gorge, troubles respiratoires
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme, goutte
  • Infections urinaires et/ou génitales d’origine bactérienne et fongique
  • Asthénie, fatigue physique, anémie
  • Instabilité et fragilité nerveuses

-Monarde ponctuée

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, colique, indigestion, flatulence, nausée
  • Troubles de la sphère respiratoire : maux de gorge, bronchite chronique, rhume, fièvre, refroidissement, syndromes grippaux
  • Troubles locomoteurs : névralgie, rhumatisme, goutte
  • Maux de tête
  • Rétention d’eau

-Monarde fistuleuse

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : diarrhée, gaz intestinaux, ballonnement, nausée, vomissement
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme, goutte
  • Infection urinaire
  • Lichen plan

Modes d’emploi

  • Extrait de plante fraîche : monarde fistuleuse (cf. ferme de Saussac, par exemple).
  • Huiles essentielles : Monarda fistulosa (cf. Avelenn en Bretagne), Monarda didyma (cf. Zayataroma au Canada), Monarda punctata. Par voie interne diluée (voire en gélule gastro-résistante pour les deux dernières). Par voie externe diluée dans une huile végétale. Attention à la dermocausticité des huiles essentielles de M. didyma et M. punctata. Par olfaction, inhalation, dispersion atmosphérique : c’est avant tout l’apanage de l’huile essentielle de monarde fistuleuse CT géraniol, les deux autres ne convenant guère à ces emplois (irritation, voire brûlure des muqueuses respiratoires et oculaires).
  • Infusion de fleurs sèches (ou fraîches) si vous disposez de cette plante dans votre jardin : il faut comptez 40 g (ce qui est beaucoup) de ces fleurs pour un litre d’eau. Durée d’infusion : 10 mn. La ferme du bien-être en propose à la vente.
  • Thé rouge : voici une recette telle qu’elle se réalise dans les départements de la Loire et de la Haute-Loire. On verse ½ litre d’eau bouillante sur une quantité suffisante de fleurs de monarde fraîches, on laisse en contact pendant 5 à 10 mn, puis on procède à l’adjonction d’½ litre d’alcool et de 100 g de sucre. On abandonne le tout à la macération à froid pendant une semaine entière, délai après lequel on filtre puis on embouteille.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : la monarde ponctuée se cueille à floraison, durant l’été et/ou l’automne. Il en va de même de la monarde écarlate et de la monarde fistuleuse, pour lesquelles récolte et séchage se déroulent à l’identique avec la plupart des autres lamiacées. Au sujet de la monarde écarlate, si l’on en veut cueillir les jeunes feuilles pour les faire sécher, il ne faut pas attendre que paraissent les fleurs. Quant aux fleurs des trois espèces, elles se ramassent uniquement lorsqu’elles sont bien épanouies.
  • Précautions : les huiles essentielles de ces trois plantes sont déconseillées durant la grossesse, du moins à ses débuts pour M. fistulosa. Celle de monarde écarlate se verra également interdite durant l’allaitement. Usées massivement par voie interne, les deux huiles essentielles phénolées peuvent occasionner des brûlures gastro-intestinales.
  • L’huile essentielle de monarde écarlate inhibe la germination des graines de certaines espèces de plantes comme le coquelicot, le pissenlit, le radis, l’avoine ou encore le cresson alénois. Cette activité phytotoxique se croise à l’identique dans les huiles essentielles de romarin officinal, de thym vulgaire et de sarriette des montagnes qui empêchent le bon développement des semences de pourpier, de laitue, de piment, de chénopode et de radis.
  • Usages condimentaires : les feuilles et les fleurs fraîches de la monarde écarlate peuvent finement se hacher à la manière du basilic, avant d’être saupoudrées sur une salade, une soupe et sur l’ensemble des plats pour lesquels l’on use du thym. Attention, pour les plats cuits, elle ne s’ajoute qu’en fin de cuisson. Avec ses fleurs, on en peut confectionner un sirop, comme cela se pratique en Allemagne : en effet, nos cousins germains élaborent parfois un « sirop de mélisse dorée », cette monarde portant le nom allemand de goldmelisse. Enfin, mêler des feuilles sèches de monarde écarlate à du thé noir permet d’obtenir à bon compte un mélange approchant par la saveur le earl grey.
  • Variétés horticoles : en Europe, l’on peut trouver, chez des pépiniéristes bien fournis, l’une ou l’autre de ces trois espèces, parfois même une quatrième, la Monarda citriodora. La monarde écarlate se décline aussi en d’autres coloris : rose (clair, foncé), fuchsia, mauve, violet, blanc. Quant à la monarde fistuleuse, elle peut parfois opter pour des teintes lavandes. Seule la monarde ponctuée ne semble pas affectée par le transformisme chromatique. Mais c’est bien mal l’avoir observée : en effet, ses verticilles de petites fleurs labiées peuvent prendre une teinte presque immaculée, uniquement pointillées de rose fuchsia, comme on le peut voir à l’intérieur des corolles de la grande digitale pourpre, tandis que la couleur des bractées oscillent du rose mauve tendre à un brun verdâtre pas inintéressant.
  • Les monardes sont des plantes très mellifères attirant autant les abeilles que de nombreuses espèces de papillons.

© Books of Dante – 2021

Monarde ponctuée (Rhododendrites – wikimedia commons).