Le cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica)

Synonymes : cèdre de l’Atlantique, cèdre du Maroc.

Les relations qui unissent l’homme au cèdre sont multimillénaires et d’une durée bien plus étendue que peut l’être la vie d’un cèdre. Peut-être existe-t-il encore un très vieux cèdre, témoin d’une époque encore plus reculée, qui sait ?
L’homme a très rapidement compris que plusieurs générations humaines naissaient, vivaient et mourraient, pendant qu’un seul cèdre faisait de même. Il semble si fort qu’il en est presque impérissable, et c’est d’autant plus vrai si l’on considère la seule vie d’un homme. En effet, la Nature a doté le cèdre de qualités qui ont été remarquées par l’homme, mais en aucun cas attribuées par lui. Dire du cèdre qu’il est fort, c’est simplement constater sa pérennité (essence semper virens) et sa longévité (1000 à 2000 ans). Ce sont des qualités intrinsèques mais néanmoins remarquables. Les Anciens ont observé le cèdre et fait mention de sa capacité à perdurer dans le temps. C’est ce qu’on lit dans le Livre des Morts : « Je suis oint de l’essence du cèdre, je suis incorruptible ». C’est-à-dire que je ne peux être corrompu, rompu, voire vermoulu, image adéquate dès lors qu’on parle d’un arbre comme le cèdre. En effet, cet arbre est imputrescible et inaltérable, en raison de la présence de certaines molécules dans son bois résistant de couleur rouge brun, ayant un effet répulsif sur la vermine (bactéries, parasites, moisissures…) et les insectes. Sachant cela, on comprend fort bien pourquoi les Égyptiens antiques s’intéressèrent de près au cèdre, d’autant plus qu’il ne poussait pas en Égypte. Les Égyptiens étaient obsédés par l’idée d’éternité. On ne peut pas dire que la longévité du cèdre soit tombée dans l’oreille d’un sourd du côté des grandes pyramides. Toujours vert, le cèdre eut, de facto, une relation avec le monde des morts. C’est donc sans trop d’étonnement qu’on apprend que les anciens Égyptiens employaient l’essence de cèdre pour favoriser l’embaumement des cadavres. Non seulement c’est un excellent agent de conservation mais, de plus, comme nous l’avons souligné, le cèdre écarte la vermine (les vers nécrophages), ce dont eurent en horreur les anciens Égyptiens. Aussi n’y allèrent-ils pas de main morte. Ils fabriquèrent des cercueils dans du bois de cèdre – les fameux sarcophages à l’étymologie éloquente – pour des raisons similaires (1). La résine du cèdre étant symboliquement associée à l’or, cela ne pouvait que plaire aux Égyptiens dont l’une des divinités de leur panthéon – Osiris – entretient des liens très étroits avec le cèdre. Après avoir été tué par Seth en Phénicie, le cadavre d’Osiris fut déposé dans un cercueil en bois de cèdre, parce qu’impérissable. « Il existe dans les textes des pyramides un vieux mot qui signifie ‘gémir’ et qui est manifestement dérivé du mot âsh, ‘cèdre’ et ce mot est toujours appliqué à Osiris » (2). Or, le cèdre « aurait été rapporté de Phénicie par les premiers voyageurs égyptiens qui entendirent dans le bruit du vent parcourant les forêts de cèdres une sorte de plainte, laquelle aurait été attribuée à Osiris enfermé, d’après la légende, dans le tronc d’un cèdre » (3). « Chaque arbre fabriquant un bois d’une structure et d’une densité particulières va posséder une voix unique, une identité sonore. Ainsi, le chêne dense et nerveux grince comme un vieillard grognon, alors que le cèdre du Liban, au bois tendre et au grain fin, se met plus facilement en résonance et produit des sons doux et mélodieux » (4). Est-ce cela, la plainte d’Osiris ? (5) Lorsqu’on se penche sur les rituels funéraires de l’ancienne Égypte, on constate qu’on identifie un mort à une plante ou à un arbre, afin qu’il puisse bénéficier au mieux des forces régénérantes du végétal en question. Associer le cèdre à Osiris – une divinité qui incarne le renouveau de la vie végétative – ne tient strictement rien du hasard. C’est de l’ordre de la perfection. Le cèdre oraculaire nous renseigne encore mieux sur l’unité cèdre/Osiris. Il était de coutume de couper et d’évider un arbre. Puis on plaçait dans le creux ainsi constitué une représentation du dieu, à l’image du corps au sein du sarcophage en bois de cèdre. On mettait ensuite le feu à l’ensemble, l’immolation unissant à la fois la divinité et l’instrument du sacrifice. Le cèdre, comme l’écrivit Alphonse de Lamartine en 1833, est « un être divin sous la forme d’un arbre », il est chez lui question d’intégrité (ou d’entièreté). Et s’il n’en est pas un, du moins est-il l’intercesseur de l’homme auprès du monde divin : le cèdre du Liban, étant un arbre d’altitude, se prête bien au rôle qu’on lui voit jouer dans L’épopée de Gilgamesh : « Je fis une offrande sur le sommet de la montagne […]. Les dieux en respirèrent l’odeur, les dieux en sentir l’agréable odeur » (6).

Cèdre, cedrus, kedron. Cela en appelle à la force, une force bienveillante à l’épreuve du temps qui passe. Or, un cèdre, qui plus est de l’Atlas, possède et met en œuvre de manière exponentielle cette force. Atlas, celui qui porte sans faillir le monde sur ses épaules, est également le terme qui désigne le monde dans son intégralité.

Il semble exister une filiation entre Osiris, Adam et Jésus à propos du cèdre. Pour mieux comprendre l’essence biblique qu’est cet arbre, il est bon de revenir un peu aux temps des anciens Égyptiens. C’est Seth, le meurtrier d’Osiris, qui remit à Adam trois graines célestes que ce dernier plaça dans sa bouche. Du corps d’Adam, trois arbres naquirent : un cyprès, un pin et un cèdre. S’entrelaçant, ils ne formèrent plus qu’un (cela rappelle l’unité réalisée en plaçant une image d’Osiris au creux d’un cèdre). C’est de cet arbre que Moïse détacha la baguette qui lui permit de faire jaillir l’eau du rocher dans la vallée de l’Hébron. Concernant la croix christique, la version la plus répandue nous dit qu’elle était constituée de quatre bois différents : le cyprès (deuil), le cèdre (incorruptibilité), le pin (résurrection) et l’olivier (onction et consécration). « Le cèdre qui attire la foudre fournit le bois à la croix et allume le feu générateur et régénérateur ; le cèdre, l’arbre d’Adam, l’arbre phallique, l’arbre anthropogonique, sauve encore une fois le monde par la croix qui vient ranimer la vie parmi les hommes. L’arbre d’Adam et l’arbre phallique, Adam et le cèdre anthropogonique, ne font qu’un » (7). Ceci explique sans doute les représentations christiques au cœur du cèdre que l’on rencontre parfois, le Christ et Osiris ayant été sacrifiés, il me semble, pour des raisons assez similaires.
Cette idée d’incorruptibilité sera ensuite reprise par Pline dans son Histoire naturelle, copiant Dioscoride au sujet de la résine du cèdre : « Cette résine a la puissance de corrompre les corps qui sont en vie et de préserver les corps morts. Et par cela, elle est appelée par d’aucuns la vie des morts. Elle corrompt les vêtements et les peaux par son excessive chaleur et siccité » (8). Quant à Hildegarde de Bingen, qui utilise le cèdre (De cedro) dans des affections accompagnées de putréfaction (par analogie), elle rapporte des indications qui font curieusement songer à ce que disait Dioscoride (peut-être l’a-t-elle lu ?) : il ne faut pas abuser du cèdre quand on est bien portant, sans quoi la force et la dureté de l’arbre s’imprime dans l’homme. Enfin, anecdote très utile pour enchaîner sur la suite de notre propos, Origène, chrétien d’Égypte né à Alexandrie dira : « le cèdre ne pourrit pas ; faire de cèdre les poutres de nos demeures, c’est préserver l’âme de la corruption ». Comment ne pas faire ici appel à l’histoire biblique, puisque le cèdre est aussi particulièrement connu grâce au rôle qu’il a joué dans l’élévation du premier temple de Jérusalem en 976 avant. J.-C. « J’ai résolu de bâtir une maison au nom de l’Éternel, mon Dieu », déclame Salomon dans le Premier livre des Rois. « C’est pourquoi commande de maintenant couper des cèdres du Liban ». Ainsi s’adresse-t-il au roi du Liban Hiram qui lui fait réponse : le marché est conclu, il lui fera parvenir, par voie maritime, autant de cèdres que nécessaires (on évoque le chiffre de 1000) en échange d’un tribut annuel d’huile et de froment (9). Il fallait bien cela pour donner grandeur et noblesse à ce temple. « Il bâtit donc la maison, et il l’acheva, et il couvrit la maison de lambris en voûte et de poutres de cèdre […]. Et il bâtit les étages, joignant toute la maison, chacun de cinq coudées de haut, et ils tenaient à la maison par le moyen des bois de cèdre […]. Il lambrissa les murailles de la maison par dedans, de planches de cèdre depuis le sol de la maison jusqu’à la voûte lambrissée, il les couvrit de bois par dedans et il couvrit le sol de la maison de planches de sapin […]. Il lambrissa aussi l’espace de vingt coudées de planches de cèdre, au fond de la maison, depuis le sol jusqu’au haut des murailles, et il lambrissa cet espace au dedans pour l’oracle, savoir le lieu très saint […]. Et les planches de cèdre, qui étaient pour le dedans de la maison, étaient entaillées de boutons de fleurs épanouies, relevées en bosse ; tout le dedans était de cèdre ; on n’y voyait pas une pierre » (10). Après quoi, Salomon entreprend de recouvrir tout l’intérieur de la maison d’or fin, jusqu’à l’autel qui était, lui aussi, fait de cèdre, puis de poursuivre son œuvre qui dura, au juste, sept années entières.
Pour appuyer les symboliques du cèdre (immortalité, pérennité, incorruptibilité…), on est même allé jusqu’à affirmer que les actuels cèdres libanais sont contemporains du temps de Salomon. C’est pousser la prétention un peu loin. D’autant que les commandes passées par Salomon faillirent bien avoir raison de lui. Les Phéniciens, qui en détenaient le monopole, ne livrèrent pas qu’en direction de Jérusalem, puisque l’histoire nous apprend que les Égyptiens, très friands du bois et de la résine de cèdre en importaient massivement pour le destiner à la construction de palais, de bateaux, de meubles, de sarcophages, à la décoration et à l’art statuaire (11). Ce marché lucratif fournissait également la construction navale mésopotamienne (12), et c’est par l’importation de ce bois que la ville de Persépolis, sous Darius 1er, prit son essor. Il n’est pas étonnant que cette demande longtemps répétée ait largement participé à la destruction prématurée de cette forêt originelle, tant et si bien qu’en 125 après J.-C., l’empereur Hadrien ne pût que constater la quasi disparition du cèdre du Liban. « Il classa dans le domaine impérial les derniers spécimens, devenus désormais intouchables. Première mesure connue, dans l’histoire, de la protection de la nature ! » (13). C’est ainsi, l’existence même, son développement et son maintien, ne peut se concevoir sans la destruction qui lui est concomitante. En effet, « pour se développer, les épisodes civilisateurs successifs se nourrirent des cèdres qui régressèrent jusqu’à quasi épuisement » (14). L’on peut argumenter en défaveur de ces antiques civilisations, mais la prise de conscience écologique n’y était pas encore d’actualité. Contrairement à eux, l’on pût constater avec effroi les effets dévastateurs d’une déforestation massive et d’un surpâturage excessif en France durant le XIX ème siècle (cette même France qui donne bien des leçons mais les applique assez peu souvent…), avant que de voir se mettre en place les premières lois en faveur d’une politique de reboisement (1860, 1864, 1882, 1913, etc.). Et cet arbre que l’on a tant coupé il y a 2000 ans dans les territoires de l’est méditerranéen vit l’un de ses cousins, le cèdre de l’Atlas, être convié aux efforts de reforestation qui furent décidés dès le début des années 1860 : c’est grâce à sa croissance rapide que l’on peut aujourd’hui admirer les zones forestières du Lubéron et du mont Ventoux reboisées grâce à son concours, ainsi que la forêt du mont Aigoual, dans les Cévennes, œuvre de toute une vie que l’on doit à l’ingénieur forestier Georges Fabre (1844-1911).

Avec tout cela, on en oublierait presque que le cèdre intégra la matière médicale il y a déjà fort longtemps, à une époque où la médecine était encore pétrie de mystères et d’ésotérisme. Nous ne répertorierons pas tout et jetterons simplement un regard sur quelques pratiques médicales qui eurent cours il y a environ 2000 ans, ce qui peut nous apporter une vision alternative sur ce que nous connaissons du cèdre, nous autres Occidentaux, à savoir son huile essentielle qui, à elle seule, n’est pas capable d’exprimer la longue histoire thérapeutique du cèdre.
Chez les Grecs, du temps de Théophraste par exemple, on remarque que le fruit du cèdre est comestible et qu’il est parfumé, fragrance dont Cléopâtre fut, semble-t-il, friande si l’on en croit le Kosmètikon qu’habituellement on lui attribue : le cèdre y est décrit comme aromatique, substance pigmentaire et curative, et son huile, maintes fois abordée à travers cet antique réceptuaire, s’accompagne très souvent de celles d’olive, de laurier, de safran, de myrte ou encore de sésame. Sensible à l’implication cosmétique des extraits végétaux, Cléopâtre relate une recette destinée à favoriser la croissance des cheveux, le cèdre étant encore de nos jours fort réputé sur la question capillaire. A ce sujet, Galien apporte des détails sur la manière d’opérer : il conseille aux femmes, « de s’enduire 3 ou 4 heures avant le bain, puis de se laver et de répéter cette opération 4 ou 5 jours. Cela ne fait pas de mal, et en outre c’est utile pour celles qui perdent facilement leurs cheveux sous l’effet du froid [nda : alopécie hivernale ?], puisque la kédrie est un produit échauffant […]. De plus, ce produit corrige la chute des cheveux et fortifient ceux qui ne tombent pas ». Au siècle suivant, Serenus Sammonicus ajoute quelques informations supplémentaires sur ce point, puisqu’il recommande le cèdre pour faire face aux pellicules : « Grâce à ce remède, on n’aura plus à craindre de voir une nuée farineuse s’amonceler sur sa tête, et se résoudre en une pluie lourde et serrée de crasse » (15). Aujourd’hui, l’on dit de façon fort prosaïque que le cèdre est kératolytique. Enfin, ce même auteur en fait un remède contre les poux, ce qui parachève ici cette somme capitale. Chez Dioscoride, hormis cette remarquée propriété parasiticide sur les poux et leurs lentes, on ne croise pas grand-chose d’autre de commun avec ce que nous venons de dire, Dioscoride ayant, ce me semble, dédaigné le parti cosmétique dont peut se prévaloir le cèdre. Jetons en revanche un œil sur le panorama thérapeutique que dépeint Dioscoride au sujet de cet arbre dont le libanais avait la préférence de beaucoup de praticiens il y a deux millénaires. C’est tout d’abord un remède que l’on exploite presque exclusivement pour sa résine, plus rarement pour son cône. Il intervient auprès des yeux, des oreilles (vermine, tintements), des dents et de la gorge, en ce qui concerne la partie supérieure du corps. Il agit aussi sur l’appareil respiratoire (toux, spasmes pulmonaires) et gastro-intestinal, étant considéré comme vermifuge. Mais il a surtout une vertu sur la sphère gynécologique (en cas de fausse couche, il permet l’expulsion du fœtus mort et provoque le flux menstruel) et génitale, du moins chez l’homme : « Si on en oint le membre de la génération, avant d’avoir une compagnie propre à ses effets, cette résine empêche d’engendrer » (16). C’est enfin une substance utilisée en médecine vétérinaire contre la rogne (gale invétérée) du chien et du bœuf. De plus, elle tue la vermine qui incommode les animaux et cicatrise les ulcères qui peuvent se produire à la surface de leur peau. Enfin, dernier point, si la résine du cèdre protège des animaux des méfaits de certaines maladies, elle peut secourir l’homme face à d’autres : c’est le cas du venin de la céraste, serpent de la famille des vipères, et du lièvre de mer (ou aplysie), assez gros mollusque gastéropode marin dont la venimosité est connue depuis cette époque, relatée également par Pline et Plutarque.

L’écorce craquelée du cèdre de l’Atlas nous signifie-t-elle que l’arbre est un bon remède des affections cutanées ou bien nous montre-t-elle que face à la désintégration psychique il est de bon secours ?

Originaire de l’Atlas, une chaîne montagneuse qui s’étend du Maroc à la Tunisie, Cedrus atlantica est botaniquement très proche de ses compères libanais (Cedrus libani) et himalayen (Cedrus deodora), mais doit être distingué du cèdre de Virginie (Juniperus virginiana), un genévrier en fait, qui plus est toxique. Le cèdre de l’Atlas a été introduit en Europe au XIX ème siècle, il est connu sous nos latitudes comme essence ornementale.
La croissance rapide de cet arbre, conjuguée à son extrême longévité, font que la plupart des cèdres peuvent atteindre la vénérable taille de 50 m une fois arrivés à l’âge adulte, et qui se maintiendra telle tant que le bûcheron imbécile n’aura pas l’idée saugrenue d’abattre dans ses chairs le fer souillé de sang et de sève de ses précédents méfaits. Le juvénile, encore un peu malingre – pourquoi déployer autant de sérénissime splendeur si c’est pour être abattu comme un chien surnuméraire ? – prend l’allure d’une cime aiguë, laquelle, s’étoffant avec le nombre des années, prend de la place et de l’ampleur : gonflés de superbe, les vieux sujets présentent un houppier tabulaire maintenu par des branches presque horizontales (17). Mais ces branches comportent tout de même des rameaux ascendants portant des faisceaux de courtes aiguilles de 2 à 4 cm, de couleur vert bleuté. Conforme à son statut de conifère, le cèdre de l’Atlas s’orne de cônes tout d’abord verts puis brun roussâtre, dressés comme des chandelles joufflues sur les rameaux, n’excédant pas 6 cm de haut sur 4 cm de diamètre (d’après les spécimens que j’ai à la maison), et comprimés à leur sommet. Comme chez tous les cônes, les écailles de la pomme de cèdre s’écartent lorsque la maturité bat son plein afin de laisser s’envoler des graines ailées.
Remarquons, pour finir, que la plupart des cèdres dont nous avons parlé dans cet article supportent admirablement le froid, sans quoi l’on ne comprendrait pas pourquoi ils se perchent à des altitudes élevées. Le libanais n’apparaît jamais au-dessous de 1500 m, alors que l’himalayen s’étale entre 1000 et 3600 m. Quant au cèdre atlasique (18), eh bien, il est aussi présent dans ces hautes sphères qui plaisent aux dieux et devant lesquelles l’homme humble fait révérence.

Un cèdre de l’Atlas dans sa forme juvénile, c’est-à-dire pyramidale.

Le cèdre de l’Atlas en aromathérapie

S’il est possible de distiller les aiguilles de cet arbre, l’huile essentielle dont on va maintenant parler est tirée du bois réduit à l’état de copeaux et de sciure. Comme c’est souvent le cas des parties dures, la distillation est plus longue. Elle est comprise entre cinq et sept heures dans le cas du cèdre. Légèrement visqueuse (et non pas « très visqueuse » comme cela peut se lire ici ou là ; le cèdre de l’Atlas, ça n’est pas du vétiver non plus !), de couleur jaune miel, elle développe des notes boisées, chaudes et suaves, sur un fond doux et légèrement fumé. Très souvent employée en parfumerie (comme fixatif entre autres), on pourrait penser qu’elle se destine prioritairement aux parfums masculins, mais ce serait oublier quelques parfums féminins dont un, constitué de violette, de rose, de fleur d’oranger… organisées autour du cèdre, et auquel je retire le privilège d’en faire la publicité sur mon blog depuis que j’ai appris que cette entreprise testait ses produits sur les animaux.
Principalement composée de sesquiterpènes, l’huile essentielle de cèdre de l’Atlas affiche un petit taux de cétones dites sesquiterpéniques. Elles ont l’avantage d’être beaucoup moins « agressives » que les cétones monoterpéniques (thuyone, isopinocamphone, fenchone…), mais n’en restent pas moins des cétones (en terme de toxicité, on peut placer le cèdre de l’Atlas au niveau de l’hélichryse d’Italie).

  • Sesquiterpènes : 84,5 % dont α-himachalène (16,3 %), β-himachalène (42,9 %), γ-himachalène (10,1 %)
  • Cétones sesquiterpéniques : 8,1 % dont E-atlantone (1,75 %), β-atlantone (0,9 %), γ-atlantone (1,55 %)
  • Sesquiterpénols : 3,8 % dont himachalol (0,60 %)

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieux (antibactérien, antiviral, antifongique), antiparasitaire, vermifuge
  • Insectifuge
  • Phlébotonique, lymphotonique, tonique circulatoire artériel (à la différence du cyprès qui est un tonique circulatoire veineux), régénérateur artérielle, décongestionnant veineux et lymphatique
  • Décongestionnant respiratoire, expectorant, mucolytique, antiseptique des voies respiratoires
  • Antiseptique des voies gynéco-urinaires, décongestionnant prostatique
  • Anti-inflammatoire, antalgique
  • Antispasmodique
  • Régénérateur de l’interface cutanée et des tissus vasculaires, cicatrisant, astringent
  • Lipolytique puissant, anti-œdémateux
  • Tonique du cuir chevelu, régulateur des excès de sébum, kératolytique
  • Sédatif et calmant du système nerveux, relaxant, réconfortant, antidépresseur
  • Négativant

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : encombrement bronchique, bronchite, tuberculose, rhume, toux, grippe
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : athérosclérose, insuffisance artérielle, fragilité capillaire, congestions et stases lymphatiques, jambes lourdes, varice, varicosité, cellulite, hémorroïdes, hématome
  • Troubles locomoteurs : rhumatismes, douleur articulaire, polyarthrite
  • Affections cutanées : mycose, psoriasis, eczéma, engelure, plaie, ulcère variqueux, hallux valgus, œil de perdrix, herpès labial, peau grasse
  • Affections du cuir chevelu : cheveux gras, pellicules, alopécie
  • Troubles de la sphère génitale : congestion prostatique, gonorrhée
  • Rétention hydrolipidique, œdème des membres inférieurs, surcharge pondérale
  • Mettre en fuite les mites et les moustiques (son huile essentielle est très efficace couplée avec celle de noix de muscade)
  • Stress, nervosité et tension nerveuse, angoisse, indécision, tristesse, déprime

Propriétés psycho-émotionnelles

Comme l’indiquait lucidement Hildegarde de Bingen au XII ème siècle, le cèdre apporte la joie et l’apaisement du cœur. Il efface la tristesse et la timidité, ainsi que la procrastination qu’elles impliquent. Celui qu’Hildegarde désignait comme « image de la fermeté » permet de lutter contre la dispersion et la labilité mentale. Sans doute que ses qualités relaxantes n’y sont pas étrangères. On peut, pour cela, employer cette huile essentielle en méditation, ce qui favorise la libération de la nervosité et de la susceptibilité qu’on peut éprouver pour telle ou telle raison, entre autres.
En médecine traditionnelle chinoise, le cèdre a une action sur le ch’i des méridiens du Poumon, de la Rate/Pancréas et du Rein. Michel Odoul ajoute que l’huile essentielle de cèdre de l’Atlas, associée à l’élément Bois, convient au méridien de la Vésicule biliaire. Quand l’énergie de ce méridien est équilibrée, l’individu fait face, il a toujours le courage et l’énergie pour résister, ce qui n’est pas sans rappeler certaines facettes symboliques propres au cèdre, la force et l’intégrité par exemple…

Modes d’emploi

  • Huile essentielle : par voie orale, par voie cutanée, en diffusion atmosphérique, inhalation et olfaction.
  • Hydrolat aromatique : antibactérien, il seconde les traitements anti-infectieux en cas de plaies et de désordres gastro-intestinaux. Astringent, il convient bien aux peaux grasses et/ou acnéiques. Ses propriétés cicatrisantes permettent aussi le renouvellement des cellules cutanées.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Bien que contenant une faible proportion de cétones, l’huile essentielle de cèdre de l’Atlas présente un potentiel pouvoir neurotoxique et abortif qui, comme l’on sait, est cumulatif dans le temps. On ne la prescrira donc pas dans les cas suivants : femme enceinte, femme allaitant, nourrisson, enfant de moins de six ans. Par ailleurs, elle n’est pas toxique aux doses physiologiques normales (sauf en cas de cancers hormono-dépendants). On la déconseille également aux épileptiques.
  • Grâce aux nombreux sesquiterpènes qu’elle contient, cette huile essentielle n’est pas dermocaustique. On peut donc l’appliquer pure sur la peau (en cas de doute, procéder au test dit « du pli du coude »). Mais tout abus peut se retourner contre l’usager.
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    1. Chez les Assyriens, dont l’influence semble avoir imprégné l’Égypte, le cèdre représente un rempart contre les démons et les maladies, tandis que selon l’antique magie chaldéenne, le cèdre – arbre protecteur – éloigne le mauvais esprit. Le ver qui dérobe les chairs du cadavre en est bel et bien un.
    2. Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 205.
    3. Ibidem.
    4. Francis Hallé, Plaidoyer pour l’arbre, p 148.
    5. La légende d’Osiris apparaît de manière très déformée dans le Conte des deux frères : Batou plaça son cœur dans un arbre, mais quand celui-ci vint à être coupé, il mourut avec lui. Son frère Ampou, après moult péripéties, retrouva le cœur de Batou et lui sauva la vie.
    6. La montagne et le désert sont les lieux privilégiés des épiphanies de beaucoup de systèmes de croyance. Si les Assyriens et les Babyloniens tirèrent un grand parti du cèdre, Pline semble regretter que durant un temps, avant même l’apparition des riches senteurs de l’Arabie heureuse et de plus loin encore, les Romains ne surent « que brûler des rameaux d’arbres indigènes, cèdres et citres dont les volutes de fumée, dans les sacrifices, répandaient un relent plutôt qu’une senteur ». Cette dépréciation des espèces végétales indigènes chez les Anciens de l’Antiquité est assez fréquente, puisque, soi-disant, rien n’étant plus efficace que ce qui vient d’ailleurs, ce qui, au reste, n’a pas bien changé de nos jours hélas. Ce que ton pied peut toucher, tu l’abhorres, mais ce que ta main n’est pas même capable de caresser, tu l’adores.
    7. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, tome 2, p. 85.
    8. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 86.
    9. Rois, V, 5-6.
    10. Rois, VI, 9-10, 15-16, 18.
    11. La statuaire gréco-romaine employait elle aussi le bois de cèdre pour façonner des représentations des ancêtres et des divinités. Chez les populations gréco-romaines, on retrouve quelques mentions liant certaines de ces divinités au cèdre. Un temple érigé à Utique, en Tunisie, dédié au dieu grec Apollon, comportait des poutres en bois de cèdre, de même que le temple d’Artémis dans l’ancienne cité grecque d’Éphèse. Quant au papyrus magique de Leyde, il fait référence à un kedros (cèdre ? genévrier ? cade ?) sous un nom magique, kedria glossa ou sang de Chronos.
    12. A Babylone, on utilisa son bois pour l’érection des célèbres jardins suspendus et la fabrication du mobilier, y compris mortuaire, alors que, plus largement en Mésopotamie, il était présent au cœur des rituels d’offrande et de purification.
    13. Jean-Marie Pelt, Carnets de voyage d’un botaniste, p. 57.
    14. Ibidem, p. 58.
    15. Serenus Sammonicus, Préceptes médicaux, p. 14.
    16. Dioscoride, Materia medica, Livre I, chapitre 86.
    17. A ce titre, mentionnons le fait qu’une bouture de cèdre prélevée sur une branche horizontale, forme à son tour un arbre « horizontal » une fois mise en terre.
    18. Atlasique : relatif à l’Atlas. Aussi, la dénomination « cèdre atlantique » est-elle impropre et provient d’une confusion entre l’Atlas et l’Atlantique qui borde l’extrémité ouest de cette chaîne montagneuse longue de 2500 km. Confondre une étendue d’eau avec une montagne, tout de même !…

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Les cônes du cèdre de l’Atlas légèrement déprimés au sommet.