Le laiteron (Sonchus oleraceus)

Synonymes : laitron, laisseron, laisson, laiteron potager, laiteron maraîcher, laiteron des jardins, laiteron lisse, lait d’âne, laitue de lièvre, palais de lièvre, etc.

Dioscoride distinguait deux espèces de laiterons, ce qui nous rassure un peu sur la sagacité des Anciens (parfois, ces andouilles classaient une plante selon son soi-disant sexe, en mâle ou femelle, ou selon une différence qui tient à la taille (petite ou grande) ou à la couleur (noire ou blanche), alors qu’il s’agit le plus souvent de la même plante à deux stades de développement distincts). Disons-nous clairement – et acceptons-le tout net : ce qui est ancien, ça n’a pas forcément de la valeur. Quand Dioscoride dit qu’il existe une espèce de laiteron plus tendre que l’autre dite sauvage et épineuse (et donc, de facto, désignée comme asper, « âpre »), qui me dit qu’il a bien vu là, d’une part, le laiteron commun, alias Sonchus oleraceus et cet autre – espèce bien à part – qu’est le laiteron rude (Sonchus asper) ? La botanique était balbutiante à cette époque, fort éloignée de ce qu’elle est aujourd’hui ; nous dire que l’un de ces laiterons porte des feuilles qui forment comme des gaines autour d’une tige anguleuse ne peut nous convaincre, surtout quand le Grec d’Anazarbe nous apprend que la plante entière ainsi que sa racine bénéficient aux piqûres de scorpion. Mais il ne nous dit pas dans quelle mesure cet incident douloureux profite de l’emploi du laiteron : parce qu’il est rafraîchissant, il calmerait l’inflammation que la piqûre d’un scorpion ne manquerait pas de provoquer ? En tous les cas, cette vertu rafraîchissante s’exploite ailleurs : les feuilles « emplâtrées sur les estomacs et sur les inflammations leur donnent allégeance » (= les diminuent) (1). Même bu (sous sa forme de suc), le laiteron agit de l’intérieur, sur les « excoriations » (ulcérations) de l’estomac. Cependant, une chose curieuse, déjà rapportée par Dioscoride, et répétée par Pline, tient dans les quelques mots suivants : « Pline note que la tige bouillie donne du lait en abondance aux nourrices […] Dioscoride recommande d’en boire le suc pour obtenir le même effet » (2). Croyance qui se perpétuera longtemps au sein des campagnes : que cette plante qu’on imagine galactogène ait hérité son nom de celui du lait. Cela ne semble pas, cependant, remonter aussi loin, puisque chez les Grecs cette plante portait le nom de songchos (ou sogkos) et de sonchus chez les auteurs de langue latine, terminologie dont les botanistes plus modernes (Linné, en l’occurrence) se sont servis pour établir le nom scientifique du laiteron. Bref. Le laiteron, galactogène ? C’est bien évidemment suspect, de même que son aptitude à endiguer les inflammations anales et génitales chez la femme. Revenons sur terre. Non pas au niveau des pâquerettes, mais pas loin : Galien observe que le laiteron que l’on trouve par les champs, les jardins et les vignes, est comestible à l’état jeune, et met en garde au sujet de celui dont l’âge est trop avancé : il serait peu agréable au goût, ce qui se confirme aisément.

Plante annuelle (ou bisannuelle lorsque les conditions le permettent), le laiteron est très fréquent, de la plaine jusqu’en assez haute altitude (1700 m). Sa taille – et donc son allure – sont très variables selon le type de sols qu’occupe cette plante : par exemple, dans le voisinage des terres cultivées (comme souvenir d’un ancien temps durant lequel le laiteron faisait l’objet d’une culture vivrière, par exemple), le laiteron est généralement plus « gras » que dans les friches ou les décombres. Mais si on le trouve ailleurs encore (jardins, fossés, vignes, bordures de chemin et de route), c’est qu’il a de bonnes raisons d’y « venir ». On a remarqué que ce laiteron pouvait parfois devenir envahissant : il semble y avoir là confusion avec un autre laiteron, vivace celui-là, le laiteron rude.
Quant au laiteron commun, le caractérisent une racine en pivot, une forte tige creuse et sillonnée sur laquelle s’érigent, alternées, des feuilles dentelées largement embrassantes, piquantes, si peu, si légèrement, qu’il n’y a pas de quoi en faire un diable. Tout en haut de cette cathédrale végétale, se déploient des corymbes terminaux de capitules floraux formés de fleurons jaune d’or, qui donnent naissance à des akènes bruns – graines ovoïdes surmontées d’une aigrette – qui feront l’effort nécessaire, conjugué à celui du vent, pour aller voir ailleurs si j’y suis.

Le laiteron en phytothérapie

Je crois que les Anciens – Grecs et Romains – ont davantage dit, à eux seuls, des propriétés et usages du laiteron thérapeutique que l’ensemble de leurs successeurs en l’espace de 2000 ans. Et ça n’est pas la mention selon laquelle les propriétés du laiteron sont proches de celles du pissenlit qui y changeront grand-chose : si le laiteron avait été un succédané du pissenlit, ça se saurait, on écrirait – en lui consacrant des livres entiers – autant sur lui que sur son illustre cousin.
Qu’allons-nous bien pouvoir faire et dire de cette astéracée dégingandée qu’est le laiteron ? Tout d’abord, préciser que cette plante tire son nom du suc laiteux qui sourd de la plante à la moindre cassure qu’on occasionne à l’une de ses parties : ce latex (même origine lactée), bien qu’apparemment abondant, n’est pas suffisant pour faire du laiteron une source indigène de caoutchouc ! Il en contient à peine 2 %, c’est bien trop peu pour envisager une culture industrielle en grand (et, ai-je envie de dire, tant mieux). On y trouve aussi du mannitol, de l’inosite, ainsi qu’un phytostérol également présent dans l’arnica, le lactucérol.
C’est bref, c’est peu. Le laiteron me fait penser à ces fleurs qu’une main nonchalante cueille sur le bord d’un chemin de campagne et qu’elle abandonne un peu plus loin, le temps de s’être rendue compte que le suc, tout d’abord laiteux de cette plante, tourne, au contact de l’air, à une espèce de gomme poisseuse de couleur brunâtre qui macule les doigts. Oui, on peut dire que le laiteron a été oublié sur le chemin de la thérapie par les plantes.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique, dépuratif
  • Stomachique, laxatif
  • Cholagogue
  • Adoucissant, émollient

Usages thérapeutiques

  • Affections chroniques des organes digestifs
  • Maladies hépatiques
  • Obstructions abdominales
  • Douleurs auriculaires (?)
  • Remède des « asthmatiques, des pulmoniques et des stranguriques »

Modes d’emploi

  • Frais, en nature.
  • Suc frais.
  • Cataplasme de feuilles fraîches contuses.

Précautions d’emploi, contre-indications et autres informations

  • Du laiteron, il n’y a pas trop à s’en méfier comme de la peste, ce qui fait qu’on n’écrira (jamais), je pense, sur sa toxicité, ni sur les précautions liées à un usage médicinal au long cours : il faut savoir accepter qu’une plante ne puisse d’être aucun recours en phytothérapie, et que si l’on constate une inactivité (ou presque) d’une plante relativement à nos attentes, il apparaît bon de rappeler qu’elle doit avoir une autre fonction pas moins précieuse dont on ignore tout parce qu’elle reste à découvrir. C’est aussi accepter l’idée que le monde nous sera, à jamais, inaccessible dans son intégralité. Cependant, outre le fait que le laiteron n’est pas très compétent d’un point de vue médicinal, nous pouvons affirmer que :
  • Le laiteron est un aliment : au printemps, dans la campagne toscane, le laiteron était, au côté d’autres herbes, une plante destinée à se « verdir », à purger le sang et les humeurs, comme l’on disait autrefois. Depuis le XVI ème siècle (et même avant, puisqu’au Moyen-Âge le laiteron était classé comme légume), cet usage n’a pas varié, l’on peut s’emparer de lui durant une bonne partie de l’année, à l’exclusion de celle durant laquelle le laiteron fleurit, c’est-à-dire l’été : la naissance des capitules floraux s’accompagnent d’un durcissement des limbes foliaires. Si on veut le consommer cru, il est effectivement préférable de le cueillir quand, non encore fleuri, il est tendre : il se prête alors bien mieux aux salades composées (seul, il devient vite astringent et trop « vert » en bouche). En cet état juvénile, de même que plus âgé, il peut se laisser cuire et entrer dans la composition de bien des préparations : soupes, potées, omelettes, risottos, pâtés végétaux, farces, légume d’accompagnement, gratins (partout où l’on utilise l’épinard, l’on peut user du laiteron, en somme). Certains emploient les racines. Je n’ai encore jamais testé. A voir.
  • Confusions : elles sont possibles, mais ne mènent pas à manger « les pissenlits par la racine ». Heureusement. A côté du laiteron commun, objet de cet article, il est possible de croiser en France le laiteron des champs (S. arvensis) et le laiteron rude (S. asper). Un autre, plus rare, le laiteron des marais (S. palustris), ne se rencontre que dans les zones humides.
    _______________
    1. Dioscoride, Materia medica, Livre II, chapitre 124.
    2. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 512.

© Books of Dante – 2019