
Norman Adams, Rainbow painting I, 1966.
Ne vaut-il pas mieux l’appeler arc-en-ciel plutôt qu’« arc-en pluie », forme qu’on lui voit porter en d’autres langues européennes ?1 Sans aller jusqu’à médire de nos voisins linguistiques, il me semble qu’il existe au sein même de l’expression arc-en-ciel quelque chose de gracieux, tout d’abord pour l’oreille, ensuite pour le cœur.
Contrairement à la neige et aux aurores boréales, l’arc-en-ciel n’est pas un météore atmosphérique circonscrit à une partie limitée du monde, d’où l’universalité du phénomène un peu partout sur Terre : on l’a observé en Amérique du Nord (sociétés amérindiennes), en Polynésie, en Micronésie, en Australie, en Indonésie, en Chine, en Iran, etc.
L’arc-en-ciel est une marque de l’activité des dieux, un révélateur de la présence du sacré, une épiphanie ouranienne prenant place dans le ciel. Il est bénéfique de réfléchir aux conditions même de son apparition : il naît de la traversée de l’eau yin de la Terre par le feu yang du ciel divin, réalisant une sorte d’androgynie mystique. Cette union révèle quelque chose qui demeurerait, sinon, du domaine de l’ineffable, puisqu’il est point de contact entre le divin céleste et l’humain terrestre. Point et pont2. Cet arc, qui est davantage outil de transport qu’arme de guerre, est non seulement le chemin qu’emprunte la communication divine en direction de la Terre, mais il est également le langage divin, et le lieu de son expression et de sa matérialisation. Par exemple, dans la Genèse, Dieu place au ciel un arc coloré pour signaler aux hommes son alliance et son pardon après l’épreuve du déluge. Cela n’est pas réservé qu’au seul christianisme, puisque l’association arc-en-ciel/théophanie est quasiment universelle. Les lecteurs assidus des principaux thèmes de la mythologie grecque savent très certainement que la messagère des dieux de l’Olympe, à équivalence avec Hermès, se trouve être la véloce Iris ailée dont l’attribut est un arc-en-ciel dont elle se sert comme d’un pont pour se déplacer dans les airs, étant elle-même drapée dans des voiles aux multiples couleurs (irisés, pourrions-nous mieux dire). Cette idée de pont divin est visible au Japon (le « pont flottant du ciel » est un arc-en-ciel) ou dans les sociétés nordiques, pour lesquelles Byfrost, le pont arc-en-ciel, relie la Terre à la demeure des ases, Asgardhr. En Asie du Sud, l’arc-en-ciel est arc d’Indra, alors que chez les Incas, il figure la couronne du dieu de la pluie et du tonnerre, Illapa. Pour le bouddhisme tantrique, l’arc-en-ciel, escalier aux sept couleurs, est encore une voie de passage, un chemin ascensionnel, précédant la lumière pure, c’est-à-dire l’illumination. On pourrait, ici, tergiverser sur le nombre de couleurs que comporte l’arc-en-ciel : il s’agit, tout au plus, d’une convention qui, elle, n’a rien d’universel, puisqu’elle évolue en fonction des lieux et des époques, étant le résultat d’une perception d’ordre culturel. De quatre couleurs chez les Dogons, on passe à cinq en Chine, pour arriver à sept selon l’ésotérisme de l’islam. En réalité, il en va tout autrement, car elles s’égrènent de haut en bas du yang au yin, du rouge au violet, au travers d’une infinité de tonalités : les soi-disant sept couleurs qu’on lui attribue – rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo et violet – ne sont, elles aussi, que purement conventionnelles, intéressantes surtout par leur nombre 7, qu’on a cherché à mettre en correspondance avec les notes de musique, les sept planètes (alors connues à l’époque), les sept métaux, etc.
Quand j’étais petit, j’ai longtemps été persuadé que l’arc-en-ciel apparaissait à ce moment précis où le soleil ornait la pluie de ses bijoux. J’avais aussi parfaitement connaissance qu’à ses pieds l’on pouvait découvrir un trésor, chose qui me semblait plus fascinante que le seul fait qu’un arc-en-ciel pût posséder des pieds. Mais par de nombreuses lectures, j’ai par la suite appris qu’on lui dessinait parfois une queue, qu’il possédait aussi des jambes, et qu’il pouvait dépasser le seul cadre du phénomène météorologique pour être personnifié ou passer pour quelque animal mythique et fabuleux, un serpent géant le plus souvent. On ne compte plus les endroits du monde (Afrique, Asie du Sud-Est, Inde, Grèce, France, etc.), où, cosmique et céleste, le grand serpent coloré distribue tantôt les bienfaits, tantôt les calamités, selon les différentes cosmogonies établies ici et là qui l’ont reconnu comme tel. Ce serpent joue un rôle aussi bien néfaste que bienfaisant, ce qui explique que le même symbolisme antinomique se soit transposé à l’arc-en-ciel. En tous les cas, on reconnaît à ce météore une grande puissance sur les êtres et les choses.
La principale activité malfaisante dont il se rend régulièrement coupable, possède un rapport avec l’eau : en effet, on accuse souvent l’arc-en-ciel d’aspirer l’eau des lacs et des rivières, et même de la mer, ravissant de la surface de la terre et de l’eau par la même occasion, les hommes et les embarcations qui y circulent. A l’image d’un être vivant qui viendrait y étancher sa soif, l’on croit même qu’il vient boire l’eau à la cuillère ! A contrario, il est rare qu’on lui accorde d’apporter la fécondité parce que pourvoyeur de pluie (dans ce cas, il devient protecteur des femmes enceintes, le serpent arc-en-ciel étant aussi considéré comme la Mère primordiale).
Son irruption soudaine est encore l’occasion de bien sombres présages : il est annonciateur de maladie, de mort, de guerre et d’autres malheurs du même acabit. Prélude à l’imminence de troubles dans l’harmonie de l’Univers, il signale la chute future d’un état, d’une civilisation. On l’accuse d’autres actions funestes et redoutables : perturber le climat, détruire les récoltes, faire périr les arbres. Afin de se prémunir de toutes ces activités fâcheuses, on faisait tout son possible pour conjurer l’arc-en-ciel, afin d’éloigner, dissiper et neutraliser ses influences pernicieuses. L’une des méthodes les plus répandues ayant eut cours en France, c’était celle qui consistait à « couper l’arc-en-ciel » avec un couteau, une baguette ou bien en formant une croix sur la main avec de la salive, en amoncelant des pierres dans la direction de l’arc ou en les disposant en forme de croix. « Je te coupe en deux, tu n’reviendras pas ! » est un exemple de formulette. Il en existe bien d’autres qui accompagnaient des séries de gestes plus ou moins alambiqués que l’on opérait des deux mains.
Dans d’autres circonstances, l’on cherchait à se rendre favorable l’arc-en-ciel, en particulier lorsqu’on lui reconnaissait des actions bienfaisantes, à peu près toutes en rapport avec la potentielle découverte d’un trésor (cruche d’or, pièces d’or, plat d’argent, perle magique déposée par une fée, etc.), assurant à son découvreur richesse, chance et prospérité. Pour mieux se l’accommoder, on cherchait à l’amadouer en lui offrant divers présents variables selon les régions (friandises, gâteaux, pain, miel, confiture, etc.), comme si l’on s’adressait à une divinité.
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- Rainbow en anglais, regenbogen en allemand, regnbue en danois, regenboog en néerlandais, regnbåge en suédois, etc.
- Les termes d’arc, d’auréole, de couronne renvoient bien évidemment au statut divin, voire royal, qu’on accordait à l’arc-en-ciel. Mais tous ces mots désignent un objet de forme courbe. Ainsi l’arc-en-ciel peut-il être également ceinture, courroie, jarretière, cravate (peut-être en souvenir de l’écharpe irisée de l’antique déesse Iris). Les mots roue, cercle, tonneau, sous-entendant que seule une partie de l’arc-en-ciel est visible, étaient parfois associés à cette manifestation météorologique, ainsi que porte, portail, etc.
© Books of Dante – 2023

Descendre des étoiles, du Soleil ou de l’arc-en-ciel est une manière d’affirmer son origine divine et céleste (ce qui est notre cas à tous ^.^).