
Synonymes : ammi visnage1, bisnago, herbe au cure-dent, cure-dent d’Espagne, carotte aux dents, herbe aux gencives, cumin d’Éthiopie, fenouil annuel, noukha, kell.
Passant un temps pour la férule creuse dans laquelle Prométhée apporta le feu aux hommes, il est possible de déceler la présence (?) du khella dans ces quelques informations délivrées par Georges Contenau : « Si un homme est oppressé ; si son estomac est ballonné ; si sa nourriture revient dans sa bouche et que rien de ce qu’il mange ne lui plaise », eh bien il lui faut préparer telle recette dans laquelle entre vraisemblablement du khella. Et si ce n’est lui, c’est donc l’un de ses frères : le khella apparaissant dans le papyrus Ebers, il est tout à fait envisageable de le voir occuper une place au sein de la pharmacopée des anciens Assyro-babyloniens. En tous les cas, l’on peut dire sans se tromper que sa réputation antispasmodique, qui remonte à l’Égypte antique, n’est plus à faire. Du temps des pharaons, et même jusqu’à récemment encore, le thé de khella était usité lors d’épisodes urinaires douloureux comme les lithiases. Ces concrétions ressemblant à des grains de sable, il est tout à fait probable qu’on se soit servi du mot grec amos, c’est-à-dire « sable », pour l’attribuer à l’Ammi visnaga. C’est du moins ce qu’expliquait Fournier : « Ce nom a été donné à cette plante, à cause de sa semence qui ressemble à des grains de sable »2. C’est beaucoup plus convaincant que l’explication qui prétend que le nom latin du khella – ammi – nous renseignerait sur son aire de prédilection, à savoir les zones sableuses parce que, effectivement, les terrains sablonneux sont ce que le khella affectionne tout particulièrement. Aujourd’hui encore, cette plante fait partie de la pharmacopée traditionnelle marocaine. En Israël, elle participe au traitement du diabète et en Andalousie ses graines assurent la fonction de « dentifrice ». En Égypte encore, le khella fut usité en cas de lithiase biliaire, de faiblesse cardiaque et de vitiligo. Tout cela, en effet, parce qu’on trouve le khella sur une grande partie du pourtour de la mer Méditerranée et, çà et là, en Espagne comme dans le sud de la France (bien que plus rarement qu’autrefois en raison des modes agricoles qui ont fait reculer le khella des territoires qu’anciennement il occupait).
L’ammi était le nom que les Grecs et les Romains donnaient à différentes ombellifères aromatiques, ce qui explique que l’ammi de Dioscoride ne soit peut-être pas la plante dont on parle dans cet article, c’est-à-dire le khella. Mais, dans le doute, ne nous abstenons pas d’en parler un peu. Voici la description qu’il en donne : « C’est une graine vulgaire et connue, menue et bien plus petite que celle du cumin. Elle a la saveur de l’origan [sic : bien possible qu’il parle là de l’ajowan]. [Sa semence] est chaude3, fervente, dessiccative. L’on la boit avec du vin contre les tranchées, les douleurs urinaires et les morsures d’animaux venimeux. Elle provoque le flux menstruel […] et purge la matrice »4. De plus, elle corrigerait l’ardeur provoquée par l’usage des cantharides. Enfin, « emplâtrée avec du miel, elle résout les meurtrissures »5.
A la suite de Dioscoride, l’on retrouve souvent le nom d’ammi dans les textes consacrés aux plantes médicinales. Mais celui de khella, trop exotique peut-être, n’y apparaît jamais. Par exemple, chez Nicolas Lémery, on trouve des conseils pour bien sélectionner la semence d’ammi, mais il pourrait tout aussi bien s’agir de celle de l’ammi élevé, Ammi majus : « On doit choisir la semence d’ammi la plus récente, la mieux nourrie, la plus nette, la plus odorante, d’un goût un peu amer : elle contient beaucoup d’huile exaltée et de sel volatil »6. Chez Chomel, c’est clair : nul khella à l’horizon. La plante dont il parle est bel et bien l’ammi élevé qui, comme on peut facilement le constater, partage bien des propriétés médicinales avec le khella : il est entre autres carminatif et emménagogue. On peut y ajouter les vertus suivantes : apéritif, céphalique, incisif. On dit encore de l’ammi qu’il résiste aux venins. Enfin, le chimiste Simon Morelot nous ramène à Dioscoride en évoquant, au début du XIXe siècle, un ammi aux semences d’une saveur proche de celle du thym ou de l’origan. Ces semences ont beau être menues, presque rondes, de couleur gris brunâtre, c’est-à-dire très similaires à celles du khella, je crois bien qu’il n’est absolument pas question de cette plante dans cet « ammi de Candie » dont parle Morelot.
Très semblable à la carotte mais en plus rustique cependant, le khella fut autrefois nommé Daucus visnaga (daucus = carotte) pour signaler cette ressemblance. Il faut dire que sa racine en pivot est un premier critère de similitude. Cependant, il s’en distingue par sa grande taille (80 à 120 cm), ainsi que par le nombre très élevé (jusqu’à cent) de rayons qui composent ses ombelles. Et, contrairement à la carotte, ils s’écartent par temps humide, attendant un temps plus sec pour se recroqueviller en forme de nid ou à la manière des baleines d’un parapluie fermé, lorsque les semences parviennent à maturité. D’ailleurs, elles aussi se distinguent des graines griffues et éperonnées de la carotte puisque les semences de khella sont courtaudes, ovoïdes, vaguement hexagonales, sans poils ni aiguillons.
Plante annuelle (ou bisannuelle), le khella est une apiacée robuste, rameuse, très feuillue mais intégralement glabre. Cette profusion foliaire se retrouve même au niveau des involucres à folioles découpées en très fines lanières qui enserrent de petites fleurs blanc jaunâtre.
Le khella est un hôte des sols rudéralisés (terrains vagues, jachères), se plaisant également en bordure de route, dans les champs sableux et les vignes. Exigeant une situation bien ensoleillée et un sol correctement drainé, le khella explique ainsi sa présence naturelle dans le sud et le sud-ouest de la France. Cependant, on ne l’y retrouve pas plus au nord qu’une ligne liant la Charente à la Drôme. Au-delà du territoire national, on croise le khella dans une grande partie du pourtour méditerranéen, des Canaries à la Perse en passant par l’Égypte et l’Afrique du Nord. Il a été également naturalisé en Australie et en Amérique du Sud.

Le khella en phyto-aromathérapie
Seules les semences du khella jouissent d’un intérêt thérapeutique. Autrefois employées comme celles du cumin par les peuples autochtones du pourtour méditerranéen, elles s’illustrent en nos temps modernes par l’huile essentielle qu’on en tire par le biais de la distillation à la vapeur d’eau. Ce produit, au rendement faible (0,10 %), est incolore, liquide, mobile et limpide, de couleur jaune vert pâle à jaune d’or. On y retrouve bien la saveur un peu amère des fruits, ainsi que leur parfum agréable et doux, mix entre anis/fenouil/estragon d’une part, carotte/pomme douce d’autre part, ce qui confère à l’huile essentielle de khella des notes de cœur vertes et herbacées associées à quelque chose de terreux, racines un peu âcres.
Voici quelques données chiffrées qui vous permettront de dessiner un portrait biochimique de cette huile essentielle :
ESTERS : 45 à 50 %
- Dont méthylbutyrate d’isoamyle : 13,60 %
- Dont isobutyrate d’amyle : 11,20 %
- Dont isobutyrate de 2-méthylbutyle : 11 %
- Dont valérate d’amyle : 6 %
- Dont 3-méthyle-butyrate de 2-méthylbutyle : 6 %
- Dont méthyle-2-butyrate isobutyle : 3,75 %
MONOTERPÉNOLS : 35 %
- Dont linalol : 34,50 %
MONOTERPÈNES : 10 %
- Dont trans-β-ocimène : 4,30 %
CÉTONES : 2 %
- Dont pulégone : 1,70 %
SESQUITERPÈNES : 1,60 %
FURANOCHROMONES : 3 % maximum
- Dont khelline, visnagine, khellinol, khellol, khellinine, amiol
FUROCOUMARINES (ammoïdine), COUMARINES, PYROCOUMARINES (visudine) : traces
Note : les semences de khella contiennent aussi de la résine, des phytostérols et plusieurs flavonoïdes.
Le prix moyen d’un flacon de 5 ml d’huile essentielle de khella biologique se situe autour de 28 €.
Propriétés thérapeutiques
- Puissante relaxante et antispasmodique des muscles lisses (ces derniers se trouvent au niveau des organes internes – vessie, estomac, intestins et poumons – et constituent également une partie des vaisseaux sanguins : ainsi, cette propriété peut se lire dans bien des points abordés ci-dessous), musculotrope, décontractante
- Coronadilatatrice, vasodilatatrice coronaire, chronotrope négative, inotrope négative, augmente le taux de cholestérol HDL, fluidifiante du sang, anticoagulante
- Apéritive, digestive, stomachique, carminative
- Anti-infectieuse : antibactérienne, antivirale, antifongique
- Emménagogue, décontractante utérine
- Diurétique, urétérodilatatrice
- Anti-inflammatoire
- Antihistaminique, bronchodilatatrice
- Stimulante, tonique
- Modératrice du système nerveux central, négativante, relaxante, calmante, apaisante, réconfortante
Usages thérapeutiques
- Troubles de la sphère gastro-intestinale : faiblesse stomacale, crampe d’estomac, dyspepsie, colique, gaz intestinaux, spasmes digestifs
- Troubles de la sphère pulmonaire : asthme, spasmes bronchiques, bronchite, bronchite allergique, bronchite chronique, emphysème, toux sèche, coqueluche, gêne respiratoire, maladies pulmonaires obstructives chroniques, angine
- Troubles de la sphère vésico-rénale : colique néphrétique, lithiase urinaire
- Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : infarctus du myocarde, prévention de l’angine de poitrine (angor), insuffisance coronarienne, artériosclérose, hémogliase, arythmie cardiaque
- Troubles de la sphère hépatobiliaire : calcul biliaire, colique hépatique
- Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, syndrome prémenstruel (ballonnement, constipation, douleurs et crampes menstruelles), spasmes utérins
- Troubles locomoteurs : rhumatismes, spasmes musculaires
- Affections bucco-dentaires : carie, gingivite, hygiène bucco-dentaires
- Affections cutanées : rougeur, démangeaison et irritation cutanée, enflure, vitiligo
- Troubles du système nerveux central : attaque de panique, angoisse, oppression pectorale (à la perspective d’une modification du cadre de vie, par exemple), incertitude
Quelques informations concernant l’efficacité du khella sur les lithiases. Tout d’abord, qu’est-ce qu’une lithiase ? C’est le résultat de la précipitation de substances normalement ou accidentellement dissoutes dans les urines (acide urique, urates, oxalate de calcium, phosphate de calcium, phosphate ammoniaco-magnésien), adoptant selon les cas différentes formes : poussière, gravelle, gravier, calcul ou pierre. Une alimentation trop riche en calcium, ainsi qu’une déshydratation chronique concourent à la formation des lithiases. Il faut savoir qu’un calcul de 5 mm de diamètre peut occasionner une obstruction urétérale totale, de cuisantes douleurs, ainsi que, parfois, de l’hématurie. Le khella est efficace contre les lithiases non seulement pour des raisons lithontriptiques, mais parce qu’en détendant et en relaxant l’uretère, il favorise l’évacuation du calcul jusqu’alors bloqué. De plus, il exerce une action préventive en ralentissant la formation des cristaux d’oxalate de calcium.
Concernant le vitiligo (ou leucodermie : « peau blanche »), maintenant : il s’agit d’une maladie cutanée caractérisée par une achromie et une hyperchromie adjacente. Est à l’œuvre une destruction des mélanocytes, cellules responsables de la production de la mélanine impliquée dans la couleur de la peau. Ces taches non pigmentées se localisent au dos, aux mains et poignets, aux coudes et bras, aux chevilles et genoux, à la poitrine, enfin au visage.
Modes d’emploi
- Huile essentielle : voie interne, olfaction, inhalation, dispersion atmosphérique (?), voie externe sous condition.
- Teinture-mère de semences de khella.
- Infusion : une cuillerée à café de graines de khella en infusion dans 100 g d’eau pendant 10 mn.
- Décoction : 100 g de graines de khella dans un litre d’eau. A proportion de 60 g par litre d’eau, on peut utiliser cette décoction en guise de gargarisme.
- Pommade : 100 g de graines de khella en macération au bain-marie dans 100 g d’un substrat gras (on peut éventuellement broyer les semences avant opération).
- Les rayons, à l’état sec, sont traditionnellement employés comme cure-dents (Espagne, Maroc).
Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations
- Phototoxicité : caractéristique qu’elle partage avec bon nombre d’huiles essentielles tirées d’apiacées, à la différence que celle de khella est particulièrement agressive. On ne s’exposera donc pas au soleil après ingestion ou application cutanée durant 24 à 48 heures. L’exposition au soleil s’envisagera uniquement pour les personnes ayant besoin d’une pigmentation cutanée.
- L’huile essentielle de khella est potentiellement allergisante.
- Il importe de ne pas faire cohabiter l’huile essentielle de khella avec la prise d’anticoagulants car celle-ci en amoindrirait les effets.
- Dans tous les cas, on fera de cette huile essentielle un usage raisonné et ordonné sur de brèves périodes, car une utilisation au long cours peut occasionner des nausées, de la migraine et une tendance à l’insomnie.
- Autres espèces : – Ammi commun (Ammi majus), – Ammi vrai ou ajowan (Trachyspermum ammi).
_______________
- « Ce nom de visnaga est un vrai phénomène linguistique. Il désigne, au Mexique, les échinocactées et dérive par corruption du mot nahuatl (langue des Aztèques) huiznahuac, signifiant ‘entouré d’épines’. Adopté par les conquérants espagnols, ce mot, castillanisé en bisnaga ou visnaga, est d’un usage courant dans le langage populaire mexicain et sud-américain. Par analogie, au Mexique, au Chili, en Argentine, ou l’herbe aux cure-dents s’est naturalisée et est parfois cultivée, on lui a donné le même nom, qui, de là, est revenu en Europe au XVIe siècle » (Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 77).
- Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 76.
- Dans la littérature on trouve habituellement un ammi au nombre des quatre semences chaudes mineures. Mais celle qui tient compagnie aux graines de persil, d’ache et de carotte n’est pas le khella mais Ammi majus.
- Dioscoride, Materia medica, III, 59.
- Ibidem.
- Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 36.
© Books of Dante – 2022
